Mon cher enfant
62 pages
Français

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Description

La vie comme un roman. Le récit tient du journal intime dérivant sur une histoire familiale évoquée par petites touches impressionnistes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2022
Nombre de lectures 1
EAN13 9782312125374
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0150€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mon cher enfant
Evelyne Trân
Mon cher enfant
Récit
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2022
ISBN : 978-2-312-12537-4
À tous les êtres qui m’ont donné l’envie d’écrire.
Avant-propos
Chevaucher la réalité, il n’y aurait de souvenirs que ceux que l’on fabrique. Les textes qui composent ce récit peuvent sans conteste être classés dans la catégorie Témoignage. Un fil conducteur relie ces écrits datant de quelques années, voire de décennies, une sorte de moi collant, poisseux, lourd, agaçant pour la lectrice plus froide que je suis devenue.
Je me garderai de faire l’autopsie de ce « je » un peu jeune puisqu’il fait partie de ma personne. Je n’ai point envie de le maquiller, ses faiblesses expliquent cela, enfin le récit qui en découle.
Ne souhaitant pas crever avant de livrer ce témoignage, je le publie donc avec tous ses défauts comme une lettre jetée à la mer ou plutôt comme un livre échoué qui ne m’appartient plus.
Eze, le 21 Août 2022.
Préliminaire
Dans toute histoire familiale figurent des motifs insolites, inopportuns, susceptibles d’éveiller la curiosité dès lors que n’ayant l’air de rien, ils s’engouffrent dans le regard d’un voyeur.
Le danger est de s’approprier ces motifs, mais je l’ai voulu ainsi comme un enfant ravi de tenir entre les mains un puzzle dont chaque pièce, avant de trouver sa place, suscite l’interrogation, oblige l’observation et quoique faisant partie d’un tout, peut rester suspendue entre les doigts, être écartée ou même rouler sous le lit. Le but, bien entendu, est de rassembler toutes les pièces mais ce n’est pas un but en soi. L’enfant le sait : le puzzle terminé, c’est la fin du jeu, la déception aussi d’avoir affaire à quelque chose de fini. L’hésitation qui précède le geste, l’hésitation dis-je, incroyablement absconse, est peuplée d’interrogations aussi fines que le duvet de la joue d’un bébé, aussi plurielle que l’ombre d’un accordéon ou les palpitations en fleurs d’un cœur de tournesol.
Très grossièrement, j’ai rassemblé les pièces du puzzle. Évidemment, j’avais affaire à un vieux jouet. Nombre des pièces étaient décolorées, certaines déchirées, d’autres indéchiffrables. Cela n’avait pas plus d’importance pour moi qu’une carte de géographie à l’école. Il fallait que mon regard les parcoure placidement pour éprouver leur résistance. Parfois d’un geste aveugle, je soulevais le tapis, et victime d’un tremblement de terre, le puzzle en proie à des convulsions sismiques, rougissait à vue d’œil.
J’ai dit : je vais voyager, m’aventurer dans des contrées lointaines, obscures, pleines de danger et d’émotions fortes : jungle, tigres et crocodiles bienvenus ! Cependant que ma mémoire d’éléphant terrorisée, lève la patte, soumise davantage aux intermittences du corps qu’à celles du cœur. Et ce rapprochement entre ma propre mémoire, la fatigue et l’objet qu’elle consulte témoigne d’un certain abrutissement de l’esprit, d’un brouillard subjectif où se rejoignent en vaguelettes, mes propres (poussiéreux) atermoiements. Tant pis !
Voyager la belle affaire
Voyager, la belle affaire, avec un sens dénué de l’orientation, total. Faut-il s’inquiéter de trouver la sortie, quand l’exploration, sur place, est tellement plus affectueuse. La libéralité de la perception forme les gouttes d’un nuage dont la forme suffit à faire rêver, le temps d’un nuage.
Est-ce que vous pensez que vous, vous pouvez faire le deuil ? Mais oui certainement de certaines choses et même de certaines personnes. La mémoire est surréaliste, on ne le dira jamais assez. J’ai voulu replonger dans des souvenirs d’enfance et je me suis aperçue qu’ils ne demeuraient d’eux qu’une atmosphère, mais que physiquement les gens que j’avais connus avaient disparu, s’étaient évanouis en quelque sorte. Comment j’avais pu être pour ces personnes, je n’en savais plus rien. C’était mort, c’était vraiment du passé, quelque chose qui ne me concernait plus. Oui, c’est atroce de se dire qu’on a eu une mère et que l’on ne se souvient plus d’elle. Cela m’est arrivé, cela n’est pas arrivé ni à ma sœur, ni à mon frère. Il y avait une telle fusion entre moi et ma mère que lorsqu’elle est morte elle a emporté tous les souvenirs que je pouvais avoir d’elle, elle a embarqué une partie de moi-même, ce qui revient à dire qu’il y a de la mort en moi.
En même temps, il y a le large fleuve de la pensée qui concourt à la régénération des sentiments, des affections. Et puis il y a cet étrange postulat de soi et de son propre corps qui pourtant ressemble à tous les autres. J’ai un moi étanche comme un bout de bois dont je me sers pour barbouiller comme d’un bâton de rouge à lèvres. Ce n’est pas davantage qu’un bout de bois et cela me plait car je l’imagine ridé et insolite parce qu’il ne sert pas à grand-chose, mais c’est aussi une sorte de relique, un objet qui rappelle les arbres et que je peux retrouver partout, qui fait partie de ces choses ordinaires qu’on peut nommer sans connaitre exactement leur appartenance. Un bout de bois, cela peut être un reste d’épave qu’on ramasse à la plage, d’une planche, d’une table. Dans tous les cas, c’est plein d’expression parce que c’est vivant, nourri par la vermine, la pluie, le soleil, les excréments.
C’est avec ce bout de bois que je m’obstine à écrire, écrire pour les autres. L’aventure de la pensée m’intéresse parce qu’elle découvre un grand espace, c’est un ciel. Il y a un tissu étoilé de la pensée, on pourrait l’appeler sentiment. Et en même temps que je pense cela, il y a quelqu’un dans le monde qui pense la même chose. J’apprécie cette dualité, être en même temps que quelqu’un que je ne connais pas.
Mais ne pas connaitre, cela ne signifie rien. On n’a pas besoin de connaitre pour sentir, pour éprouver.
Aller jusqu’au bout
Aller jusqu’au bout. Oh , elle ne l’a pas fait exprès d’aller jusqu’au bout. D’ailleurs, l’expression déborde, c’est l’apparition de son père qui la regarde d’un air hilare. Elle se revoit debout dans le jardin de sa maison d’enfance. Une porte est en train de s’ouvrir, elle est angoissée, enfin pas tout à fait par le temps qui passe, elle a déjà 5 ans « J’ai 5 ans ? » demande-t-elle à son père. C’est étrange, tout à coup l’idée qu’elle a un âge, qu’elle est une personne, la fait jubiler. Elle pense qu’elle va saisir le monde avec son manche à balai. « Est -ce possible, pense-t-elle, est-ce possible, j’ai déjà 5 ans ». L’inquiétude, c’est comme une petite souricière pour la pensée. Elle a peur de déborder sur le monde, c’est que tout va changer pour elle. Demain , elle va à l’école dont ont parlé ses parents. Dîtes ça à un oiseau, il ne comprendrait pas. Elle a bien vu que ça commençait à déborder sur sa pensée, elle l’a bien vu, et son père aussi qui connaît ses mouvements de cœur. Mais , voyez-vous, il la laisse balayer avec ses pensées, peut-être se souvient-il lui aussi. Elle , elle ne sait pas. Elle ne peut pas imaginer ce qu’il voit lorsqu’il lève ses yeux vers le ciel, mais tous les deux, pour une fois, font la même chose. Ça déborde trop vite, trop peu de synonymes pour décrire ce qui passe dans le ciel, tous ces nuages qui se chevauchent ! Son père qui taille les rosiers, dit qu’on peut voir apparaître plein de personnages dans le ciel. Alors , elle cherche, elle voudrait bien voir, elle aussi, mais ça commence déjà à l’ennuyer, elle se dit qu’elle a la tête en bas, le vertige. Sans doute les roses cultivées par son père ne grimperont pas jusqu’au ciel mais elle a eu l’impression notoire que son père lui a juste soufflé cette pensée : Les roses que nous avons regardées ensemble ne vont pas faner, parce que tu as de la chance, à 5 ans, tu ne peux pas imaginer qu’une fleur puisse faner.
Elle aime son père parce qu’il a un visage sans âge, elle l’aime parce qu’à cette époque, il a l’air encore jeune. C’est une forme d’amour d’offrir à ceux qui vous regardent, un visage jeune.
C’est pas facile d’ouvrir la porte, juste la pensée des feuilles d’automne engorge l’entrée. Elle les regarde ces feuilles mortes, pas tout à fait mortes d’ailleurs, c’est encore le visage hilare de son père qu’elle voit se soulever sous son regard. « Papa, crie-t-elle, j’ai de grands projets, tu vois ces feuilles à moitié mortes, et bien elles vont former les pages du livre que je vais écrire » L’a-t-il entendue ? C’est vrai qu’à 5 ans, on a beaucoup d’appétit, beaucoup d’ambition. Son père lui répond en pensée. « Moi aussi, j’ai rêvé d’écrire un livre, tu en formes une page d’ailleurs, tu sais combien j’ai aimé les livres dans ma vie. Enfin, tu ne sais pas pourquoi j’ai dévoré tant de dictionnaires, non tu ne sais pas pourquoi, je ne me souviens pas moi non plus, c’était peut-être un rêve d’enfant, ne t’ai-je pas raconté que mes grands-parents tenaient une librairie. » Elle répond « Bien sûr, mais la librairie de tes grands parents, elle était au Viêt-Nam, elle devait se trouver dans un village et la jungle n’était pas loin – Oui, la jungle on la respirait aussi. J’y courais à pieds nus, enfant. Le sourire de mes grands-parents était sévère, on était élevé à la dure, j’ai été élevé à la dure, on se lavait à l’eau froide. J’aurais pu écrire un livre, vois-tu parce que je connais toute la saveur de la langue française pour l’avoir fait paître dans la grange de la voix vietnamienne. C’était comme un troupeau de mots que j’emmenais tous les matins, pour aller à l’école. »
Je les veux abrutis les sens, insensés. Lorsque j’ai vu pour la dernière fois, mon père, je l’ai vu comme un jeune homme, il resplendissait, cela m’a souri, j’ai emporté cette image de lui, de jeunesse. J’étais heureuse de la recevoir, enfin !
À la tombée du souvenir
À la tombée du souvenir, sa bouche est calme, sa salive, bouclier de la mer, les étoiles filent des milliers d’étincelles à travers les yeux rieurs des enfants, le voyageur porte, greffé sur son poignet nu, l’adieu qu’il fit au pays, enfant, lorsqu’orphelin, il fut emmené par les Français, en en 1954, en France. Une seule phrase

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