Pouvez-vous régler mes lunettes ?
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Description

« Si vous croyez que travailler dans un magasin de lunettes est une sinécure, détrompez-vous, il arrive qu'on en vienne aux mains, quand le client veut bien les utiliser. Parce que certains utilisent aussi leur animal de compagnie. — Madame, je suis confus d'un tel désagrément. (...) — M'en fous, ça fait une semaine que j'attends. Je n'y vois rien sans lunettes. Je vais lâcher le chien, crie la furie dans le magasin avec son berger allemand, moyennement accroché à sa laisse. » Souad El Mesbahi retrace le quotidien souvent cocasse d'une employée zélée de Vision' air, un opticien situé dans un centre commercial. Suivant les injonctions de ses patrons et de ses collègues, Sarah se plie docilement à un rythme de travail soutenu, pour le salaire minimum. Elle intègre vite les codes afin de se comporter en opticienne modèle avec les clients et gagne ainsi la confiance de ses employeurs. Elle restera sept années dans cette petite entreprise avant de se lancer dans de nouveaux projets lui permettant de s'épanouir davantage.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 février 2018
Nombre de lectures 4
EAN13 9782342159189
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pouvez-vous régler mes lunettes ?
Souad El Mesbahi
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Pouvez-vous régler mes lunettes ?
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
 
Retrouvez l’auteur sur son site Internet : http://souad-el-mesbahi.societedesecrivains.com
 
 
 
 
 
À ma mère, à mon père.
 
 
 
 
Giga Optic
Je vais commencer par parler de ma première expérience qui a duré quatre longues années. Les plus périlleuses de ma vie. Il faut dire que j’ai été accueillie comme une princesse chez Giga Optic, le roi du montage une heure chrono, comme l’indiquait le slogan à l’entrée du magasin. On m’a sorti le grand jeu, à la sortie de mon école d’optique, en me faisant miroiter le prestige d’une enseigne rutilante, qui se targue de faire fabriquer des lunettes en soixante minutes. Suffit d’aller boire un petit verre au bistrot du coin et le tour était joué. Sauf qu’en réalité, au bout de trois quarts d’heures, personne n’avait touché aux lunettes dans l’atelier parce que les techniciens sont débordés. Et comme le propre d’une chaîne est de travailler à la chaîne, il suffit d’une poussière dans le rouage pour que cette belle machine se grippe. Moi j’étais à la vente, je l’ai précisé à la DRH, je voulais le contact client. Dans le pôle vente, je porte mes propres vêtements, pas un long tablier blanc comme ceux des techniciens dans l’atelier de montage. Chacun est à son poste de contrôle : les techniciens surveillent les machines, les opticiens surveillent les allées et venues des clients pour bondir dessus. Avec un ton obséquieux qui frise le lèche-bottisme, nous sommes poussés à trouver des combines pour que le client achète plus cher. Mon premier jour de formation chez Giga Optic a été riche en enseignement.
— Ça, c’est la porte d’entrée. Quand tu vois un client, tu ne le laisses pas errer comme un chien dans le magasin, tu lui mets la laisse et tu l’emmènes s’asseoir comme dans un panier. Tu fonces dans les trois secondes, tu ne laisses pas le client venir à toi, tu vas au-devant de ses envies, me dit mon mentor, Mariele. Avec un seul "L" comme elle le précise à chaque fois que je la remercie de partager ce genre de petites infos.
— Vous voulez un devis ? Dans ce cas, laissez-moi vous offrir un cappuccino frappiato , venu tout droit d’Italie, et ainsi nous discuterons plus amplement de votre prochain achat, disait Mariele, que je suivais comme son ombre depuis mon engagement.
On alpaguait donc le client en le faisant asseoir à une table de vente et le tour était joué. Il se retrouvait telle une tortue qui aurait atterri sur sa carapace. Au début je n’en menais pas large. Je n’avais jamais vendu quoi que ce soit de ma vie, alors ces conseils distillés par ma collègue me sauvaient du tableau de déshonneur. Affiché chaque semaine à la face de l’employé (pas modèle) cher à Giga Optic, dans les coulisses, ce tableau avait une importance capitale dans notre vie. Il contenait les statistiques de chaque employé, ainsi que son rendement et le chiffre qu’il faisait.
Un brainstorming, la réunion qui consistait à débriefer sur les problèmes inhérents au fonctionnement du magasin, avait lieu chaque semaine. Le samedi matin, tout le monde devait être présent une heure avant l’ouverture du magasin. Comme ça, on avait bien le temps de tout comprendre . Ce qu’il fallait comprendre, c’est vendre à tout prix. Du simple accessoire à la monture en or massif. Qu’importe le profil du client, du moment qu’il paye et qu’il laisse sa place au suivant.
Celui qui orchestre cette réunion, c’est le directeur du magasin. Un mec complètement dépassé par le volume de l’équipe, une trentaine d’employés dont il faut souvent gérer les sautes d’humeur. Son rôle majeur dans cette entreprise est de ne pas oublier d’apporter les croissants à cette fameuse réunion du samedi matin, sous peine de se retrouver devant un public hostile et hermétique aux ordres du jour. Assis autour de lui, nous le regardons tout en mangeant les croissants, tandis qu’il nous explique comment augmenter le chiffre d’affaires du magasin. Pour ce faire, il prenait toujours le chiffre de l’année précédente, auquel il ajoutait une marge conséquence. Nous voilà parés pour atteindre l’objectif de vente, contrôlé avec angoisse heure par heure tout au long de la journée. Car, tout comme le croissant, il ne faut pas en perdre une miette, sinon ça part dans tous les sens. Justement, mes collègues et moi étions rappelés à l’ordre tout au long de la sacro-sainte journée du samedi. Le plus gros du chiffre de la semaine, nous le faisions durant cette journée, quitte à sacrifier les heures de table. Manger un sandwich sur le parking, au moment de quitter le boulot, n’était pas rare le samedi. Le client, évidemment, ne voyait rien de ce manège. J’ai souvent eu des maux de tête et autant d’aspirines pour évacuer l’angoisse du chiffre d’affaires. Il faut dire qu’il y en avait qui étaient doués pour faire augmenter le stress d’un cran. Certains employés zélés participaient au rapt collectif du client, pour recevoir leurs parts du gâteau. Un dividende substantiel pour remplir le chariot de course au supermarché grâce au BONUS. Seuls les anciens y avaient droit. Ils angoissaient chaque fois qu’un client passait la porte.
Maintenu dans l’illusion permanente qu’il avait affaire à des professionnels de la profession , le client ne se doute pas que la moitié des employés n’a pas fait d’école d’optique. L’employé qui n’est pas opticien, est catapulté devant un ordinateur. Bien qu’il s’agisse d’un vendeur n’ayant aucunes notions d’optique, le conseiller en vente glane ici et là des informations susceptibles de l’aider dans son travail. Il y a les vendeurs sans qualifications et les opticiens avec trop de qualifications. Ceux qui ont fait des écoles prestigieuses et qui s’en mordaient les doigts parce qu’ils étaient payés au même salaire qu’un vendeur.
Giga Optic, c’est un magasin tout blanc comme la neige, avec des vitrines transparentes. La transparence, c’est le concept de cette enseigne, on ne cache rien au client sauf l’information qu’il oublie de demander. Par exemple, nous avons des instruments plus rudimentaires, mais techniquement plus fiables, qui font très bien l’affaire et dont on ne se sert plus parce que ce n’est pas assez moderne. Justement, certains appareils dans le magasin participaient à cet effet. Ce qui est le cas de la centreuse, c’est une tour de deux mètres de haut. On met sa tête devant un miroir, derrière lequel est cachée une caméra numérique et, en deux temps trois mouvements, vous avez la photo de vous avec les lunettes que vous avez choisies. La centreuse est censée prendre également des mesures précises pour le montage des verres. Sauf que, cette machine, personne ne sait réellement s’en servir, car personne n’a eu le temps de vous dire comment marche cette bête-là. Mais le client se retrouve avec une photo facturée comme si Picasso lui avait tiré lui-même le portrait. Encore une fois, le client n’y voyait que du feu. Il ne se doute pas qu’il peut refuser ce service.
Quand je levais la tête, on faisait tous la même chose. Des robots montés sur une minuterie automatique. Un client plus lucide a résumé le concept en une phrase qui résonne encore dans ma tête :
Giga Optic, c’est le supermarché de la lunette !
Vision ‘air
Après quatre ans, je suis réengagée chez Vision ‘air. Il s’agit encore d’une chaîne de magasins d’optique, située dans un centre commercial, concurrente de Giga Optic.
L’entretien a pris cinq minutes, après avoir tendu mon CV. Le gérant de Vision ‘air y a jeté à peine un coup d’œil, visiblement, c’est la présentation qui compte. Alors j’ai souri, parce qu’il n’arrêtait pas de fixer mes dents. Je dois lui montrer qu’elles sont au complet, trente-deux au total après le dernier recensement chez le dentiste. Le lendemain de l’entretien, je reçois un coup de fil. On est dimanche, il m’appelle pour me dire que je suis engagée. On discute du salaire, enfin surtout lui, parce qu’il sait déjà combien il veut me payer : le minimum. Je compte sur une augmentation dans les prochains mois pour renégocier mon salaire (il ne changera pas).
Quand je débarque le premier jour chez Vision ‘air, le rideau du magasin est fermé, mais la lumière est allumée à l’intérieur, je n’ose pas frapper sur le carreau. J’attends donc patiemment l’heure d’ouverture, j’en profite pour annuler un entretien d’embauche. Je m’excuse en disant que j’ai trouvé un job sous-payé sans risque d’augmentation, ni d’évolution. De toute façon, les patrons ont une nomenclature tarifaire internationale, ils paient tout le monde selon le barème légal. Pratique !
À dix heures, tous les rideaux des magasins se lèvent simultanément. Le rideau de Vision ‘air se réveille à son tour, dévoilant la moquette verte et les tables de vente. Je distingue le comptoir en bois couleur acajou, il est imposant. À l’arrière, sont alignés militairement les produits d’entretien pour lentilles de contact frappés du logo de l’enseigne. Vision ‘air est représenté par un œil bienveillant qui vous regarde quand vous entrez dans le magasin.
Patron
Cette fois, ça y est, plus le droit de reculer, je suis en face de Patron, il me salue, je tends la main, lui la joue, petit moment de confusion. Un rire nerveux dissipe cette maladresse. Souria

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