Sur les Traces d une vie en demi-teinte
362 pages
Français

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Sur les Traces d'une vie en demi-teinte , livre ebook

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Description

Il s’agit d’un récit sensiblement autobiographique (de l’enfance au début de la retraite) d’un professeur de Lycée, mais avec un accent (aigu) mis sur sa vie associative des plus remuantes, sur les contours en général délicats du métier d’enseignant dans un pays dominé, sur des inédits de la pratique pédagogique, sur divers portraits de ses encadreurs observés tout au long de sa longue formation, comme de quelques-uns de ses élèves en situations particulières.

Des événements sociopolitiques, au Cameroun, sont évoqués au passage, par petites touches « distraites », derrière des portraits quelque peu fascinants – des années 1950 à nos jours. Au bout du compte, il s’agit plus de tranches de vie à l’école et dans la société globale, à des époques successives (et variées dans leur étrangeté), que de la destinée en quelque sorte singulière (aussi) du personnage narrateur, qui le plus souvent se comporte tout simplement en objectif de la camera de l’Histoire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332500168
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-71513-5

© Edilivre, 2014
De la petite enfance à l’entrée en sixième


Mes racines biologiques et culturelles ont des ramifications dans quatre micro-nations au moins. Je suis né à Baham. Ma grand-mère paternelle est venue de Bapa ; la maternelle de Batié. Ma mère est petite-fille d’un immigré Batcham. Mewa, la grand-mère maternelle de ma grand-mère maternelle, serait venue de l’actuel Département du Ndé, achetée jadis sur un « marché de femmes » à Batié, pour atterrir à La’sse, sous-quartier de La’gwe, comme épouse de Teh Dzufeudjing – selon des sources plus ou moins évanescentes patiemment auscultées depuis des années par les deux derniers vieillards de la lignée Mewa.
Il n’a pas été facile de me trouver un nom. Jusqu’à l’âge de 12 ans, j’ai porté – même sur la carte de baptême reçu à neuf ans – celui du premier mari de ma grand-mère maternelle, le prince Batcham né à Baham : Koungmo, pouvant se décliner aussi en Koungtchie’po (quand l’amour se mue en haine). Ce n’est qu’au moment où il avait fallu me faire établir un acte de naissance par le biais d’un « jugement supplétif » que l’on s’était aperçu que ce nom ne figurait nulle part sur le bulletin de recensement de mon père décédé quelque trois ans après ma naissance. A la place on trouvait, comme premier né de ma mère, Sikounmo (orthographe francisée). A ma connaissance, je suis le tout premier être humain à porter ce nom. Mon frère aîné consanguin, Kamche Pierre, était désormais chef de la grande famille Zdumakui, en même temps qu’époux de ma mère, et par ricochet mon père.
Selon ma mère, mon nom a une histoire. Quand mon père était venu lui demander sa main, son chemin avait croisé celui d’un rival autrement plus puissant, à la condition économique et nobiliaire bien plus attrayante. Il emporta néanmoins le morceau, et le premier né de cette union inespérée devait rappeler à jamais son triomphe qu’il n’avait de toute évidence pas modeste. Il se croyait un élu de Dieu – du moins à cette occasion-là. Sikoungmeu signifie en baham « si Dieu aime quelqu’un, l’a choisi… », sous-entendu tous les succès envisageables lui sont garantis d’avance.
Ma mère me révéla cela tout en sachant que sa grand-mère paternelle (entre les mains de qui j’étais venu au monde, je ne pouvais pas mieux tomber ! à l’en croire), avec l’appui déterminé de sa bru, m’avait attribué le nom de son fils trop précocement décédé, juste le temps de donner deux petites filles à son unique épouse. Je n’avais jamais eu l’impression que la révélation de ma mère impliquait une quelconque incitation à la rébellion ; elle ne m’avait jamais appelé par le nom « ignoré » des deux vénérables mères liguées contre mon père. Elle était loin de deviner que l’histoire allait incidemment donner raison un jour à son feu mari dont elle essayait si timidement de sauver un trait de la mémoire. Je ne sais pas si ma mère m’avait une seule fois interpellé par mon nom. Elle usait toujours de charmants sobriquets que j’ai oubliés, ayant passé si peu de temps à ses côtés !
Mon tout premier ami, mon camarade de jeu en dehors de la concession paternelle, s’appelait Tagne. J’ai oublié comment nous nous étions choisis alors qu’il me fallait traverser six ou sept concessions avant d’arriver à la case de ses parents. Nos parents n’avaient pas l’air de se connaître, ne se fréquentaient pas. Ma mère ne m’avait jamais rien dit sur mes relations avec mon ami, qui n’ont pas eu le temps de s’épanouir, de durer tout simplement.
La mère de Tagne avait été accusée de vampirisme, d’avoir « mangé » une de ses voisines du quartier. Je n’entendis personne de ma famille formuler une opinion sur la grave accusation qui fit pourtant grand bruit au village. On dut aller trancher l’affaire au Tribunal de la Tortue à l’esplanade du palais principal du chef de quartier. Les parents de mon ami perdirent le procès, et ce fut une chance inouïe qu’ils n’y aient pas perdu la vie. Ils durent quitter précipitamment notre zone d’habitation, pour une destination inconnue.
Mon ami ne venait plus à l’école Saint André où je l’avais connu. Je devais, quelque temps après, apprendre, par de vagues sources, qu’il avait dû succéder à un grand-père, un notable de premier plan mort sans laisser de descendant mâle. Lui et moi, nous nous croisions parfois au grand marché de la chefferie, sans nous saluer ni manifester le moindre signe familier des gens qui s’étaient un jour estimés, qui avaient chauffé le même banc à l’école. Je n’ai jamais su ce qui le retenait ; quant à moi, j’étais intimidé par sa nouvelle condition de notable éminent (visible dans ses vêtements) qui l’avait amené à déserter pour toujours la salle de classe.
Je n’ai vu qu’une fois une scène du Tribunal de la Tortue, cet animal à la sagesse estimée légendaire. Il se dit que Fo Kamwa avait changé une donne de ce Jugement qui laissait perplexes les justiciables. Le schéma classique du fameux tribunal se présentait ainsi : une cour en pente douce. Au fond sont assis des notabilités, observant l’accusé et le plaignant, celui-ci debout derrière celui-là, à peu de distance de l’entrée de la cour. Entre les partis au procès et les initiés est placée la Tortue.
L’accusé tient dans la main droite une tige de roseau pour inciter, le cas échéant, l’animal fétiche à marcher. Derrière et à gauche du duo en conflit se trouve massée la foule de témoins, de villageois ordinaires intéressés à des degrés divers par le verdict attendu. A droite s’étend une broussaille, un terrain vague ; il n’y a personne de ce côté-là. L’accusé est jugé innocent si l’animal mystique, presque divinisé, marche droit devant lui, passe entre les jambes d’un notable et poursuit son bonhomme de chemin vers le fond du palais. Par contre, s’il prend la droite, se dirige vers la brousse, il confirme par sa démarche l’accusation.
Depuis l’institution de ce tribunal, il y a une éternité, les verdicts favorables à l’accusé sont plutôt rares, relèvent de la fable, tout simplement. Si bien que être contraint de passer devant cette cour mystique, c’est déjà être coupable. La tortue étant un animal sauvage à Baham, elle n’est utilisée qu’au sortir d’une capture. Elle a fatalement tendance à vouloir s’échapper par le côté de l’espace judiciaire où il n’y a personne susceptible de l’effrayer.
Considérant probablement tout cela, le roi décida donc un jour qu’il y aurait désormais deux tortues sur la scène, chaque parti au conflit devant en disposer une pour plaider sa cause. Il était alors facile d’imaginer que le plaignant et sa victime puissent triompher ensemble ou perdre en même temps le même procès. De quoi inhiber chez les futurs belligérants l’envie d’avoir désormais recours à pareille mise en scène pour accéder à la vérité.
Fo Kamwa allait parfois à l’extrémisme dans la prise de ses grandes décisions comme dans sa conduite publique. Je me rappelle encore comment il avait failli me tuer sur le chemin de l’école. Quelques gaillards délinquants du CMII savaient le défier par des remarques osées, connaissant probablement son penchant à réagir de façon épidermique, sans égards pour son rang social. Ça devait beaucoup les amuser, leur royale victime ne pouvant guère les battre à la course. Et comme les notables de sa suite ne s’en mêlaient que très rarement, sans jamais s’impliquer personnellement à fond !
Ce soir-là, la bande de voyous l’avait croisé au pied de la montée qui prend son élan au Kam Sa’do’ ; et une fois dans son dos, à deux ou trois pas de distance, la petite poignée de polissons laissa jaillir des petites gorges railleusement chantonnantes une apostrophe inouïe – le nom du roi suivi de celui de sa mère – dans un bel ensemble, comme au travers d’une chanson familière : « Kamwa Ngayap ! » Injure suprême ! L’un d’eux s’appelait Kouam Gogne (surnom), trapu telle une souche de kolatier centenaire, un bagarreur né, fils de Tagne Tabuguia, un voisin du quartier La’sse. Il a longtemps travaillé comme docker au port de Douala.
Mon tour arriva de croiser le monarque accompagné de sa suite ; l’air intimidé, marchant seul, j’en étais encore à mes premières semaines de fréquentation de cette école qui m’arrachait progressivement au milieu douillet de ma famille. J’étais une proie, à la fois facile et innocente, que sa majesté ne dédaigna point – malheureusement. Il voulut m’atteindre à la tête, de sa longue canne en bois précieux. Je m’échappai comme par miracle, affolé, et me mis à courir de toutes mes petites et frêles jambes.
Il me poursuivit avec détermination. Je me mis à longer la clôture la plus proche à ma droite ; il y avait alors entre mon illustre poursuivant et moi une mince couche d’arbustes et de branchages pendants d’arbres plus costauds, qui empêchaient la canne royale de m’atteindre. La course poursuite prit un temps, pour moi interminable, une centaine de mètres peut-être. Et le roi s’arrêta, puis, très lentement, entreprit de rejoindre ses compagnons.
Certains de ses animaux domestiques lui étaient proches en agressivité, par l’arbitraire de leur conduite sociale. Il en était ainsi d’un gros bélier qui mangeait tout ce qu’il voulait sur la place du marché comme n’importe où dans le village. Qui s’obstinait à l’en empêcher se faisait charger par l’intouchable bête, impunément, puisque personne ne songeait réellement à sortir l’artillerie lourde contre lui, vu le prestige et l’autorité du propriétaire. Il y avait aussi un chien au pelage roux, d’une taille impressionnante bien que de race locale ordinairement naine.
Sans pousser le moindre aboiement, l’animal arrachait tout ce qui lui convenait, des mains des enfants et des femmes, poussait l

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