Une histoire de Clara Kamil-Rosner
210 pages
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Une histoire de Clara Kamil-Rosner , livre ebook

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Description

Le maelström historique, politique, militaire et moral qui
submerge l’Europe durant la première moitié du xxe siècle est la toile de fond du récit que le fils de Clara Kamil et de Sjoma Rosner, Juifs de Bukovine, fait de la vie de ses parents. Après plusieurs tentatives d’émigration, ils se retrouvent à Paris en 1937 et s’y marient. À la déclaration de la guerre, Sjoma est interné et un peu plus tard intégré à une Compagnie de travailleurs étrangers. En 1943, il passe clandestinement en Espagne où il est arrêté, livré aux Allemands et déporté à Auschwitz. Il n’en reviendra pas. Clara donne naissance à leur fils à Paris, en avril 1940. Grâce à un réseau formel et informel de solidarités, elle l’élève seule. En août 1942, alors qu’elle tente de passer la ligne de démarcation, elle parvient, avec son fils, à se dérober à un contrôle. Deux mois plus tard, elle échappe à la rafle des Juifs roumains de Paris alors que tout lui semblait perdu. Quelques semaines après, Clara et son fils seront cachés dans le village de La Perrière (Orne), chacun
dans une famille différente. Revenue à Boulogne-Billancourt, elle met son fils en pension pour pouvoir travailler. Dès avril 1945, elle fait le siège du Lutetia pour retrouver son mari, sans succès.
Fin 1945, elle reprend son fils avec elle, à Boulogne, organise leur survie et le prépare à entrer dans l’école de la République.
De 1977 à 1985, celui-ci mènera avec sa mère, douze séances d’interviews, soit vingt cinq heures d’enregistrements bruts, sauvegardées sur cassettes.
En 2014, il en effectue lui même la transcription littérale, ce qui le contraint à regarder en face la suite qui s’impose, qu’il n’avait jamais évoquée avec elle et, dans les premiers mois de 2015, il commence à écrire un récit...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 avril 2021
Nombre de lectures 1
EAN13 9782304049114
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Guy Rosner
Une histoire de Clara Kamil-Rosner
Juive de Bukovine
De Wiznitz à Lyon 1908-1987
Récit
é ditions Le Manuscrit Paris


ISBN 978-2-304-04911-4
© Mai 2021


À Clara, ma mère et à Sjoma, mon père
À Betty, mon épouse
À Gaëlle, Sarah, Elsa et Samuel, mes enfants
À Yuna, Solal et Diwane, mes petits-enfants


Avant-propos
Début 1977, le fils de Clara Kamil propose à sa mère d’enregistrer le récit qu’elle voudra bien lui faire de sa vie et du monde dans lequel elle a vécu, tel qu’elle l’a fait mille et mille fois lorsqu’il était enfant, sans compter son temps, comme elle l’entendra et à son rythme, au cours de rencontres qui seront spécifiquement dédiées à ce travail. Sans manifester ni surprise ni réticence, elle accepte immédiatement. Ils se mettent d’accord sur la manière de procéder pour parvenir au meilleur et au plus fidèle des enregistrements possibles. Cependant, ni Clara ni son fils ne formuleront jamais le projet qui sous-tend ce sur quoi ils vont s’investir, qui ne sera jamais évoqué directement, indirectement, ni même vaguement ou par allusion, comme s’il était si évident qu’il était inutile de le nommer.
De 1977 à 1985, ils mèneront douze séances d’interviews enregistrées, qui auront lieu en 1977 les 27 février, 16 avril et 26 mai ; en 1980, le 19 septembre ; en 1984, les 12 et 13 mai ; en 1985, les 29 avril, 16 et 17 juin et les 23, 24 et 27 novembre. Vingt-cinq heures d’enregistrements bruts seront ainsi obtenues et stockées sur cassettes au cours de ces neuf années. Les interviews tiendront plus du récit que de la conversation et la narratrice se comportera continuellement comme si elle s’était entièrement vouée au service d’un projet informulé, lointain et non formalisé mais dont elle est certaine de l’aboutissement. Elle avait 68 ans lors du premier entretien le 27 février 1977 et plus de 77 ans au moment du dernier, le 27 novembre 1985.
Les 5 octobre 1994 et 7 mars 1995, Simon Grebler, cousin germain et ami d’enfance de Sjoma, le mari de Clara, acceptera de son côté de participer à deux interviews, menées et enregistrées chez lui, dans les mêmes conditions que celles de Clara, dans lesquelles il évoquera son amitié pour l’homme qu’était Sjoma.
Des copies de sécurité de toutes les interviews, sur des supports diversifiés, seront effectuées et conservées en des lieux différents.
En 2014, le fils de Clara décide de transcrire lui-même toutes les interviews qu’il a effectuées avec sa mère et son cousin afin d’être certain de disposer d’un texte le plus fidèle possible – mot pour mot, exclamation pour exclamation, silence pour silence – aux récits enregistrés. Ce très long travail dans lequel il s’engage le contraint alors à regarder clairement en face la suite qu’il compte y donner, qu’il n’avait jamais évoquée avec sa mère. Dans les premiers mois de 2015, à partir de ces transcriptions, il commence à écrire ce qu’il nomme à ce moment-là, intérieurement : « Une histoire de Clara ».


Chapitre I
Fin octobre 1890, Leiser Kamil quitte les États-Unis pour la première fois depuis son arrivée à New York cinq ans auparavant. Il est accompagné de Dora Alpern qu’il a épousée civilement quelques mois plus tôt à Brooklyn et avec qui il part se marier religieusement dans la synagogue de son enfance à Wiznitz, en Bukovine, une des provinces les plus à l’Est de l’Empire austro-hongrois. Il veut que ce mariage soit célébré, entouré de tous les siens, dans cette petite ville où il a grandi, qui s’étend le long du fleuve Czeremoscz aux pieds des Karpates. Ce sera pour lui une manière de proclamer qu’il n’a pas oublié qui il est et d’où il vient, malgré son installation à New York, et de présenter Dora à tous ceux auxquels il tient. Dans les semaines qui suivront, après avoir passé du temps avec sa famille et ses amis de Wiznitz, il projette d’aller quelques semaines avec Dora à Czernowitz, la capitale de la Bukovine, berceau de la famille Alpern, dont une des branches a émigré aux États-Unis dans les années soixante. Ils en profiteront pour pousser plus loin en Galicie, car les Kamil et les Alpern y ont aussi de très nombreux parents qui y ont fait souche depuis des siècles, et ils veulent rencontrer ceux qui n’auront sans doute pas pu être présents à leur mariage. Dora est née à New York dans une famille très peu pratiquante qui, à marche forcée, a réussi son intégration dans la société américaine. Elle se considère d’ailleurs comme une véritable Américaine mais reste très attachée aux fêtes et traditions juives qui sont toujours à l’honneur dans sa famille. Les jeunes mariés comptent ensuite passer deux mois en Europe et visiter en particulier Vienne, Berlin et Leipzig, car Leiser veut y développer de nouveaux contacts. Mais ils souhaitent aussi profiter de l’occasion qui leur est donnée de découvrir un monde que de fait, ni l’un ni l’autre ne connaît réellement. Ensuite ils repartiront pour les États-Unis.
Leiser et Dora se sont mariés civilement à New York plusieurs mois avant de s’embarquer pour l’Europe, se réservant de célébrer leur mariage religieux à Wiznitz, ce qui est tout à fait contraire aux traditions juives de l’Empire austro-hongrois où les Juifs se marient toujours d’abord religieusement, le mariage civil y étant considéré comme une formalité administrative effectuée ensuite auprès des autorités civiles, parfois longtemps après la cérémonie religieuse. Mais Leiser souhaitait se marier au milieu des siens et, esprit libre et pragmatique, il a pensé que pour des raisons de convenances, de sécurité et pour les formalités de police et d’immigration auxquelles ils auraient à se soumettre durant leur voyage, il valait mieux apparaître comme de jeunes époux en voyage de noces plutôt que comme deux célibataires voyageant ensemble. Il a expliqué tout cela à ses parents dans la très longue lettre qu’il leur a écrite plusieurs mois avant son départ. Ils ont très bien compris les raisons de son choix et l’ont approuvé. Les Kamil de Wiznitz sont certes très pratiquants mais ils savent composer avec la modernité du monde qui vient tous les jours les interpeller.
Deux semaines après leur arrivée à Wiznitz, leur mariage sera célébré dans la synagogue de sa jeunesse, ainsi que Leiser le souhaitait. Après la cérémonie religieuse, une fois le verre cassé d’un coup de pied sous la Houppa , le dais nuptial, une grande fête rassemblera dans la maison et le jardin des Kamil tous ceux qui sont venus à la cérémonie. Leiser est le premier de la fratrie à avoir émigré aux États-Unis, à New York, « en Amérique ! » comme toute sa famille se plaît à le répéter, et son retour pour se marier dans la synagogue de Wiznitz où a été célébrée sa Bar Mitzvah , son passage à la majorité religieuse, est un véritable événement pour sa communauté. Tous ceux qui ont pu venir sont là, les Kamil et les Alpern de Bukovine et de Galicie, ses frères et sœurs et tous ses parents, les familles qui leur sont alliées et tous leurs amis proches et lointains. Chacun est venu souhaiter Mazel Tov aux jeunes mariés et féliciter leurs parents. Et puis, bien sûr, tous, sans le dire ouvertement, brûlent d’impatience à l’idée de découvrir l’épouse de Leiser, les femmes en particulier ! Chacun veut constater de ses propres yeux à quoi ressemble une Juive bukovinienne, née à New York, issue d’une famille honorablement connue dans toute la Bukovine, émancipée des contraintes religieuses et qui se considère tout à la fois comme une véritable Juive et comme une Américaine. D’ailleurs chacun constatera que, lorsque Leiser et Dora sont ensemble, c’est en anglais qu’ils se parlent, ce qui apparaîtra à tout le monde comme parfaitement exotique, mais heureusement, sa femme parle aussi très bien le yiddish et cela facilitera les échanges.
La façon dont elle est coiffée et habillée, l’attitude qu’elle adoptera pour parler avec tous les invités au mariage, hommes et femmes, jeunes et anciens et son maintien, seront passés au crible et très largement commentés, mais chacun s’accordera à la trouver aussi élégante que modeste, peut-être même réservée et très à l’écoute d’un monde qu’elle découvre et pour lequel elle témoigne beaucoup d’intérêt et de respect. Elle a semblé franche et très ouverte aux jeunes filles et aux jeunes femmes de la noce qui l’ont très vite accaparée pour la faire parler de l’Amérique, des Américains et de la vie des Juifs dans cette nouvelle terre promise ! Sa spontanéité, son intelligence et sa beauté ont conquis tous ses interlocuteurs, des aînés au plus jeunes. Chacun s’est dit que Leiser irait loin avec une telle épouse et, lorsque par mégarde un invité, bien intentionné, mais inconscient et maladroit, se laissera malheureusement aller à lui adresser à haute voix quelques compliments hyperboliques ou à faire une remarque spontanée sur sa beauté ou sa distinction, quelques femmes âgées et respectables, qui ne craignent plus depuis bien longtemps de passer pour ridicules ou superstitieuses, se récrieront immédiatement : « Kayn Aynore ! », usant ainsi de la très ancienne expression yiddish qui permet de conjurer le mauvais œil, à voix basse et sourde, sans paraître s’en rendre compte, avant de faire semblant de cracher discrètement trois fois un peu à côté de leur épaule gauche… pfut… pfut… pfut ! Expertes dans l’usage de l’antique formule conjuratoire venue du fond des âges, elles savent les mots et les gestes qui tiennent le Mauvais Œil à distance et l’empêchent ainsi de se livrer aux sinistres facéties dont il est coutumier.
Au cours de la fête qui suivra la cérémonie religieuse, chacun observera que Leiser entend bien maîtriser un événement qu’il considère avant tout comme le sien. Il prendra tout son temps pour présenter sa femme à chaque invité en nommant celui-ci par son prénom, son nom, et son diminutif lorsqu’il en a un et en précisant posément la nature du lien familial, amical ou professionnel qui le relie à sa

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