Trophée des plumes 2022 - (Echappée belle)
3 pages
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Trophée des plumes 2022 - (Echappée belle) , livre ebook

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Description

Ewa n'est qu'une adolescente lorsque sa famille toute entière se fait décapiter par une armée de terroristes. Après un viol bestial perpétrés sur sa personne par les mêmes individus, elle échappe belle au sort qui s'est abattu sur sa famille. Forcée de s'enfuir pour sauver sa vie, elle s'aventure, accompagnée des autres survivants de ce massacre, vers des horizons inconnus. Réussira t-elle à trouver son équilibre après cette série d'évènements pour le moins traumatisants?

Informations

Publié par
Date de parution 31 mai 2022
Nombre de lectures 246
Langue Français

Extrait

Echappée belle
Je ne les sens plus… Je ne sens plus mes jambes. J’ai les pieds encompote à force de courir, mais je ne peux pas m’arrêter, non, surtout pas. Alors je cours! Je cours ! Je cours ! A mesure que j’avance, je sens le vent chaud mêlé depoussière pénétrer mes blessures béantes. A chacun de mes pas, des micros tessons de pare-brises’enfoncent dans les plantes de mes pieds nus. Les violents rayons du soleil de midi s’abattent sans pitié sur moncorps mutilé à peine couvert par les lambeaux de vêtement qui me restent encore. Je regarde par-dessus mon épaule ; je vois mes pères et mes mères, crouler sous les coups de machettes et gourdins que leurs assènent les terroristes. Les cris stridents de leurs enfants, spectateurs impuissantsd’une violence dont ils ignoraient l’existence, percent l’atmosphèrede Makum, ce village autrefois si calme. Bien vite, le ciel se rempli de la fumée noire et compacte de nos cases de planches et de paillequi s’envolent en fumée. C’est l’effroi total. Les quelques survivants de cette conflagration courent dans tous les sens, chacun essayant d’échapper aux griffes de la Faucheuse qui s’abreuve déjà allègrement du sang des leurs. Je pense à mes frères et sœur, je pense à ma pauvre mère …« Oh Dieu ! Pitié! Qu’il ne leur soit rien arrivé je t’en prie! ». Mon interminable marathon pour la vie sauve me mène à la Zimba, une forêt mythique à quelques kilomètres de mon village. Essoufflée, je me jette aux pieds d’un gigantesque tronc d’arbre. Ses racines imposantes forment un creux au sol dans lequel je me blottis, comme dans un cocon qui me fait échapper à mon enfer. A peine assise, je sonde mon corps. Je saigne abondamment des parties génitales, ainsi que des blessures profondes et extrêmement douloureuses qui recouvrent mes cuisses. Je peux encore revoir leurs lames acérées me mutilerà l’aveuglette… Revoir cette case en ruine envahied’une odeur detabac brûlé mêlé à du vomis, dans laquelle ils m’avaient allongée.Je peux encore lessentir, l’un après l’autre me pénétrer bestialement, sauvagement, violemment, pendant que je me débats de toutes mes forces. Je peux encore ressentir le sol froid et rugueux déchirer mon dos à chacun de leurs mouvements. Sept, ils étaient en tout au nombre de sept à m’avoir violée à tour de rôle. Je n’avais plus aucun espoir de survie, lorsquesoudain, l’un de leurs membre fit irruptionla pièce et, après leur avoir dans chuchoté quelques mots, les attira tous dehors. L’un d’eux se retourna et regarda dans ma direction. Je fis l’inconsciente pour lui faire croire que j’étais hors d’état de nuire. Ils sortirent tous et, lorsque leurs chahuts furent si lointains qu’ils devinrent inaudibles, je me levai et pris mes jambes à mon cou jusqu’à trouver refuge au pied de cet arbre.
Je suis restée tapie dans ma cachette jusqu’à la tombée de nuit. Le froid glacial de la forêt m’oblige à en sortir. Je repense très fort à ma famille. Je n’ai aucune idée d’où est-ce qu’ils peuvent bien être, mais quelque chose me dit que je les trouverais au village, me cherchant désespérément ça et là entre les débris. L’espoir de les revoir me donne du courage, alors j’entreprends d’y retourner, malgré la peur qui me noue l’estomac. Après une heure de marche, je vois enfin les premières casesà moitié brûlées, pointer à l’horizon.Je continue d’avancer, menée par la seule espérancede retrouver mes frères et sœurs, ainsi que ma
pauvre mère en vie. A peine le pied posé en terre natale, la dégoûtante odeur de la mort envahi mes narines. Les cris assourdissants des grillons déchirent le silence funeste qui règne dans ce qui reste de Makum. La lueur timide de la lune essaie tant bien que mal de dissiper l’obscurité compactequi m’entoure, me dévoilant ainsi, le sinistre carnage qui a sévi dans mon village ; des cadavres charcutés gisent à perte de vue sur le sol.Ce qui nous servait jadis d’abris est totalement en ruine.Je vois d’autres rescapés, que l’espoir des retrouvailles avec leurs proches a éperdument ramenés au bercail, assis à même le sol, pleurant et criant à foison, les corps sans vie de ces derniers dans les bras. Je me précipite instinctivement vers notre case, espérant de toutes mes forces que le destin ait réservé un sort différent aux miens.J’ai à peine pénétré la case qu’un froid glacial me parcours le corps tout entier. Je reste figée, les pieds tremblants comme des feuilles. De grosses gouttes de sueur dégoulinent sur mon front. Il n’existe pas de mots pour décrire le cocktail d’émotions amères qui s’emparent de mon cœur à cet instant où je découvre les corps sans vie de tous les membres de ma famille. Mes frères cadets Nkon et Nzom, ma petite sœur Essoh, et notre chère mère … Ils sont tous morts ! Ils ont tous été charcutés comme les autres. Personne n’a été épargné! La position et l’état de nudité dans lequel est le cadavre de ma petite sœurme montrequ’elle a été violée avant d’être tuée. Ma pauvre petite! Elle n’avaitque cinq ans. J’explose en sanglots. Un ruissellement de larmes chaudes dévale mes joues. Mes jambes vacillent, je m’effondre au sol, serrant de plus belle la main inerte de ma petitesœur que je tenais déjà depuis un bref moment.
J’entends des pas saccadés se rapprocher précipitamment. Un homme entre en fracas dans la maison, tenant un flambeau à la main.C’est Dinga, le meilleur chasseur du village. Son regard vide croise le mien.
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Ewa, vite ! Lève-toi on s’en va. Me dit-il. Nous ne pouvons pas rester ici.
Je trouve à peine la force de lui répondre, la voix étouffée par un flot de sanglots.
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Allez-y, moi je reste ici. Je veux mourir avec eux. Je ne veux plus vivre.
Il s’approche de moi, m’attrape lebras et me soulève brusquement.Il m’entraine presque simultanément à l’extérieur où, les autres survivants se sont résignés à laisser gésir là leurs êtres aimés, pour sauver leurs vies. Leurs regards de compassion apportent une once d’apaisement dans mon cœur troublé. Maman Ndomè comme on l’appelle tous affectueusement, s’approche de moi, un pagne à la main, et me couvre délicatement. Elle a les yeux tout rouges et enflés, pour avoir tant pleuré pour son fils unique, tué lui aussi dans la razzia qui a décimé notre village. Ensembles, nous prenons la route vers un horizon inconnu, laissant derrière nous ce qui représentait encore quelques heures plus tôt, toute notre vie.
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Une question qui me revient encore très souvent aujourd’hui, quinze ans après cette tragédie, est celle de savoir comment j’ai réussi à trouver l’équilibreà la suite d’un tel traumatisme. Eh bien, ma réponse est toujours la même ; les belles mélodies d’un piano sont produitespar l’ensemble des touches noires et blanches de celui-ci, à condition qu’elles soient bien managées. Il est vrai que la vie m’a imposé un menu d’une aigreur et d’une amertume notoires, mais j’ai dû décider à
un moment, de me préparer moi-même les plats savoureux que je voulais voir à ma table. Aujourd’hui je suis psychologue, auteure et présidente de l’association Rise Up, qui est une organisation à but non lucratif qui aide les personnes ayant vécu des événements traumatisants à se reconstruire.Je m’y investis à deux cent pour cent, parce quej’ai découvert que c’est en aidant les autres à trouver leur équilibre que j’ai trouvémien. La quasi-totalité des actions que je mène au le quotidien visent à montrer aux gens sans distinctions, comment adopter une meilleure position par rapports aux situations qui leur paraissent insurmontables car au final, trouver son équilibre ne signifie pas flotter paisiblement sur un long fleuve tranquille,mais plutôt d’avoirla capacité de surfer sur les vagues de cette lagune en furie qu’est la vie.
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