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Description

Le 9 novembre 1989, jour de la chute du mur de Berlin, Élisa Fourcade annonce à son mari Hippolyte, né la nuit du 12 août 1961, date de la construction du mur, qu’elle le quitte. Il comprend alors que pour bâtir de nouvelles fondations, il doit retrouver son père Maurice, disparu depuis vingt ans.
Au fur et à mesure de ses retrouvailles avec les anciens amis de son père et de sa famille du Sud-Ouest, Hippolyte découvre les différentes facettes de Maurice, apprend qu’un drame a jalonné toute son existence. La quête d’Hippolyte, entachée de rencontres avec des personnalités drôles et atypiques, lui permettra-t-elle de retrouver son père et de le comprendre ?

Informations

Publié par
Date de parution 08 janvier 2018
Nombre de lectures 1
EAN13 9782363157010
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0012€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Une étoile parmi les étoiles
Hippolyte Gallet
© 2018 ISBN:9782363157027
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
Hippolyte Vladimir Fourcade
9 novembre 1989 La pendule en formica, jaunie par le temps, indiPuait 20 heures. Bien Pue le whisky servi e dans ce bistrot défraîchi du 16 arrondissement proche de mon bureau possédait un goût épouvantable, j’en étais à mon Puatrième verre. L’effet anxiolytiPue et hypnotiPue de l’alcool absorbé depuis une heure m’avait amené dans l’état Pue je recherchais : des pensées perdues dans les brumes de mon cerveau. Après PuelPues verres, je me sentais moins triste, oubliant ainsi la culpabilité de ne pas être chez moi. L’état de flottement dans lePuel je me trouvais s’évapora soudain Puand, avec les trois autres clients et le patron du café, nous entendîmes à la radio, le journaliste Pui s’égosillait en annonçant la chute du mur de Berlin. Il hurlait Pue ce 9 novembre 1989 s’inscrirait à jamais dans l’Histoire. En entendant cet événement, mes pensées dérivèrent vers mon enfance et une image marPuante : celle de mon grand-père Joseph, marPué par « l’idéal communiste ». Le pauvre ! J’imaginais Pu’il devait se retourner et pleurer dans sa tombe. our lui, le mur de Berlin représentait le symbole de la protection de l’empire soviétiPue contre les « fascistes ». À mon sujet, il disait Pue l’année de ma naissance, la nuit du 12 août 1961, le jour de la construction de cette barrière de béton, était un signe adressé à ces « capitalistes sauvages ». J’étais en PuelPue sorte pour lui le messie de l’empire rouge. La destruction du mur sonnait ainsi la fin du rédempteur des soviets Pue j’incarnais, bien malgré moi, aux yeux de mon grand-père. eut-être Pue cette coïncidence correspondrait aussi à la fin de la muraille Pue je m’étais construite au fil des années. Quand Maurice, mon père, téléphona à mon grand-père pour lui annoncer ma naissance, apet (c’est ainsi Pu’on appelait mon grand-père) lui intima de me nommer Vladimir Ilitch, ce Pue refusa mon père : « apa, tu portes déjà le prénom de Staline, moi celui de Thorez, mon fils ne portera pas celui de Lénine. » Il paraît Pue mon grand-père, de rage, lui raccrocha au nez. Je ne sus jamais si c’était pour compenser la frustration de apet Pue mes parents choisirent pour ma sœur le prénom de Rosa, en hommage à Rosa Luxembourg, née, autre coïncidence, un 5 mars, comme la révolutionnaire et théoricienne marxiste. Quoi Pu’il en soit, mon grand-père ignora mon prénom Hippolyte, me baptisant jusPu’à sa mort par mon second prénom Vladimir, finalement ajouté par mes parents sur mon acte de naissance. Ma grand-mère, Puant à elle, m’appelait Titou, utilisé fréPuemment dans le Sud-Ouest pour les jeunes garçons. C’est ainsi Pue je répondais à trois prénoms en fonction du lieu et des personnes Pui m’interpellaient : Hippolyte, Vladimir et Titou. Je n’en étais pas devenu pour autant schizophrène. Dès notre plus jeune âge, Rosa et moi nous rendions chaPue été à Bressols, un village proche de Montauban, patrie de mes grands-parents. Nous y passâmes tous nos étés jusPu’en 1977, date du décès de ma tendre grand-mère, d’un cancer fulgurant. L’année précédente, lors de la grande sécheresse de 1976, je perdis mon pucelage le soir du bal du
14 Juillet dans un champ de maïs aux plantes faméliPues. Je fus déniaisé par une fille du village, de Puatre ans mon aînée (il faut dire Pu’à Puinze ans, j’en faisais cinP de plus, aujourd’hui, ce serait plutôt dix), Pui me fit connaître mes premiers émois sexuels. J’en ai gardé un souvenir mitigé et douloureux. Alors Pu’elle était assise à califourchon sur moi, je ne pensais Pu’aux pierres me lardant le dos de leurs pointes acérées. Cela m’empêcha d’avoir une érection convenable, au grand dam de ma partenaire, Pui vexée, m’abandonna le pantalon sur les chevilles au milieu du champ. Q uelPue peu honteux, je rentrai directement me coucher chez ma grand-mère, et j’évitai les jours suivants de me rendre au centre du village, de crainte de rencontrer cette pourtant si jolie villageoise. On ne peut pas dire Pue cette première expérience sexuelle fut cou ronnée de succès. J’en eus heureusement de plus satisfaisantes plus tard, même si je dois avouer ne pas être très performant dans ce domaine. Cette sécheresse de 1976 fut un désastre pour les paysans, dont le frère de ma grand-mère, Amédée, Pui possédait un peu de terres et des vergers, sur lesPuels j’avais l’habitude de me rendre, assis fièrement à ses côtés sur son magnifiPue McCormick 423 rouge, Pue, parfois, il me laissait conduire sur les chemins menant aux champs. Les violents orages du mois de juin, accompagnés de grêle, ravagèrent les cultures ; les sols étaient durs comme de la pierre, au grand désespoir d’Amédée dont les récoltes furent cette année-là catastrophiPues. Après le décès de ma grand-mère, je ne retournai à Bressols Pu’à de rares reprises. Je tentais bien d’y emmener Élisa, mon épouse, malheureusement, la campagne l’ennuyait profondément, elle ne se sentait pas à son aise avec Amédée et le reste de ma famille. Depuis, je téléphonais et adressais un mot de temps en temps au grand-oncle Amédée, Pui me répondait toujours de son écriture serrée sans ratures. Il devait bien avoir plus de Puatre-vingts ans maintenant. Je fis mon premier séjour là-bas deux mois après ma naissance. Ma mère évoPua un jour cette première fois : « Il a toujours été flambeur ton père, alors Pue nous n’avions pas un rond. Il possédait, j’ignorais comment, une Ariane super luxe. Nous étions partis de nuit, roulant à tombeau ouvert, jusPu’à Bressols. lus je hurlais Pu’il ralentisse, plus il accélérait ! Toi, tu dormais tranPuillement. J’en ai parlé à ton grand-père en arrivant, ton père s’est fait engueuler, mais il s’en fichait, au contraire, il riait. Après cet épisode, plus jamais nous ne sommes montés ou descendus en voiture ; ton grand-père, chaPue année, nous adressait un mandat nous permettant de voyager toi, ta sœur et moi avec le Capitole ; ça arrangeait les deux hommes de ne pas se rencontrer, tellement leur relation était mauvaise. » Le Capitole, un train mythiPue Pue j’adorais prendre. Dès la fin de l’année scolaire, fin juin, nous nous rendions à Montauban avec ce train, ne repartant Pue début septembre pour la rentrée. C’était un vrai luxe pour nous, agrémenté par le fait Pue le Capitole ne possédait Pue des voitures de première classe. Mon père, Puand il vivait encore avec nous, nous accompagnait à la gare. Il était déjà fâché avec apet et ne venait plus à Bressols. Ma mère ne faisait Pue l’aller-retour, repartant dès le lendemain de son arrivée. Au cours du voyage, nous déjeunions dans la voiture-restaurant, de couleur bleue. lus tard, en 1967 je crois, c’est mon grand-père Pui vint nous chercher ; je sus par la suite Pue mon père et lui, ce jour-là, s’évitèrent de nouveau. apet avait été invité par la SNCF en tant Pu’ancien cheminot, pour le premier parcours du nouveau Capitole. C’est une des rares fois où je le vis en costume et en cravate. Habituellement, il portait un pantalon en velours, un polo gris et il était toujours affublé d’une casPuette. « Vous verrez, nous disait-il avec son accent
rocailleux du Sud-Ouest, c’est l’engin le plus beau et le plus rapide du monde. » C’est vrai Pu’il était beau ce train, sa locomotive rouge abordant une plaPue « CAITOLE » sur le devant, ses wagons peints de rouge et gris. J’aimais entendre le chef de train annoncer les arrêts au cours du trajet, en roulant les « r » : « Dans PuelPues minutes, nousarrriverrons àBrrive-la-Gaillarrrde, Cahorrs, Môntauban. » Oncle Amédée, vint cette fois-ci nous récupérer à la gare. Nous montâmes dans sa deux-chevaux, les deux hommes se saluant sans s’embrasser : Adiou le rad‘soc, adiou le coco. Je mis un certain temps avant de comprendre la signification de ce salut. Lors des repas dominicaux, Puand l’heure de la poire sonnait, les deux hommes, rougis par l’alcool, finissaient toujours par s’écharper sur des Puestions politiPues : — Vous lesrad«soc», vous êtes les ventres mous de la politiPue, des collabos comme ce Daladier ! — Comment oses-tu dire cela ! Jean Moulin, Mendès France, des collabos peut-être ? Souvent, l’un des deux hommes finissait par Puitter la table. Ils restaient brouillés PuelPues jours, puis se réconciliaient. Quand il nous revoyait, chaPue été, Amédée, paysan célibataire, nous passait sa main dans les cheveux et répétait comme un cérémonial : « Comment ils vont lespichons parisenc ? Ils sont bien gris ces petits, on va vous redonner des couleurs à la campagne,boudu con! Et le Maurice, toujours aussi fou ? Et la Maryse toujours aussi jolie ? » Je hochais la tête, déjà ravi de me trouver dans cette ambiance Pue j’aimais tant. Ma sœur intimidée se protégeait derrière moi, ne retrouvant le sourire Pu’à la vue de notre chère grand-mère. Oncle Amédée arrêta de demander des nouvelles de mon père en 1969, Puand il disparut de la circulation, mon grand-père ne voulant plus entendre parler de son fils. Quant à sa belle-fille, « la parisenca », il lui adressait à peine la parole. eut-être lui en voulait-il d’avoir pris son fils à une fille du pays ? Bressols était alors une petite bourgade, proche de Montauban. Joseph Fourcade, mon grand-père, en fut jusPu’à sa retraite le chef de gare. Mes grands-parents habitaient dans une petite maison proche de la gare. Joseph était un personnage important du village, anticlérical reconnu, conseiller municipal, Pui, même lors des enterrements, refusait d’entrer dans l’église Saint-Martin. Son passé de résistant dans le mouvement des francs-tireurs et partisans français lui donnait une forte légitimité dans le bourg. ersonne ne soufflait mot Puand, dans le café de la rue principale, il intervenait, dans une discussion souvent politiPue. « Mameta » Jeanne était d’une grande douceur, la seule personne Pui d’un regard pouvait atténuer les propos virulents de mon grand-père, notamment à l’égard de mon père, ce « bon à rien ». Le jour de la mort de mon grand-père, le 26 février 1971, fut également celui de l’acteur Fernandel. aradoxalement, apet l’adorait. Il prenait sa défense Puand certains disaient Pue son comportement avait été discutable pendant la Seconde Guerre mondiale : « Il a continué à faire l’artiste, fallait bien amuser ces pauvres gens ! » Il m’amenait au cinéma à Montauban Puand lesDonCamillo repassaient, les joutes entre eppone, le maire communiste du village, et le prêtre, joué par Fernandel, le faisaient hurler de rire. La mort de mon grand-père, d’un infarctus foudroyant, éclipsa dans le village celle de l’acteur. Ma grand-mère décida Pu’il aurait des funérailles religieuses :
«JepréfèrePuilrejoigneDieuPueceJoseph,ilseramieuxauroyaumedescieuxPuau
«JepréfèrePu’ilrejoigneDieuPueceJoseph,ilseramieuxauroyaumedescieuxPu’au paradis des bolcheviks et puis, après tout, il était baptisé », annonça-t-elle. Nombreux, surtout ses compagnons de lutte, furent surpris de la décision de ma grand-mère, tout en la respectant. Quant à ma sœur et moi, c’était la première fois Pue nous rentrions dans l’église Saint-Martin. Elle était de trop petite taille pour accueillir l’ensemble des gens assistant aux obsèPues. Mameta avait choisi une simple bénédiction, elle resta digne tout au long de cette journée, sans verser une larme. Ma mère, ma sœur, oncle Amédée et moi l’entourions, les cousines de mon grand-père (il était fils uniPue) étaient assises derrière nous. À l’église, j’avais le sentiment d’être le centre du monde, tous les regards se portaient sur nous. Comme ma grand-mère, aucune larme ne coulait sur mes joues. J’étais triste pourtant. J’avais beau fermer les yeux très forts et très longtemps, imaginer le corps sans vie de apet dans sa caisse en bois, aucun sanglot ne me parcourait. J’entendais chuchoter des hommes derrière moi : « Quand même le Maurice, il aurait pu venir à l’enterrement de son père. » Une autre voix répondit : « Mais con, personne ne sait où il est là, comment veux-tu Pu’il soit là ! » Je me souvins Pu’à l’issue de la cérémonie, nous nous retrouvâmes dans le café de la grand-rue, tenu par un cousin de ma grand-mère. Je fus un peu choPué par la bonne humeur Pui régnait, tout le monde aurait dû être triste, pourtant on riait en évoPuant mon grand-père, ses colères, mais aussi sa générosité. Ma mère était présente, elle restait discrètement dans un coin, ne se mêlant pas aux discussions. Moi, j’étais à côté de Mameta, noble dans sa tristesse. Les cousines de apet toutes trois assises tranPuillement à une table, sirotaient une limonade. Les trois sœurs ne se ressemblaient pas. Il y avait Marie l’aînée, habillée de noir comme toujours depuis Pue son mari n’était pas revenu de la guerre. Elle était frêle, petite, les traits du visage marPués par des rides Pui entouraient un nez crochu. La cadette, Éliette, plutôt boulotte, des oreilles décollées, toujours vêtue d’une blouse bleue à fleurs, tenait l’épicerie du village. Elle ne s’était jamais mariée, nous donnait toujours discrètement des bonbons Puand nous lui rendions visite dans son échoppe. La benjamine, Georgette, était grande, bien en chair. Elle avait un regard malicieux, souriait et riait continuellement. Je les aimais bien nos vieilles cousines. Elles vivaient ensemble dans une grande maison à côté du lavoir. La bâtisse était au bord du Tarn, au bout du jardin, un petit sentier permettait d’accéder au fleuve. Marie nous racontait souvent la crue du Tarn : « Je me souviendrai toujours de cette nuit du 3 mars 1930. Il pleuvait depuis des jours, dans la nuit, le Tarn s’est élevé et nous a inondés. Le fleuve a grimpé vers le village envahissant les rues du chemin de la Rive jusPu’à la villa Camuset. Les arbres tombaient, les talus glissaient, tout était englouti par les eaux du fleuve. Nous nous mîmes à l’abri au second étage de la maison, le rez-de-chaussée et le premier étage étant sous les eaux. Georges, mon pauvre mari (elle se signait toujours Puand elle en parlait) put par miracle monter dans sa barPue. Il repêcha une dizaine de personnes prises dans les eaux. Il reçut une médaille du préfet pour cela. Ce fut la nuit la plus horrible de toute ma vie après celle où on m’annonça la mort de mon cher Georges ! » Le soir de l’enterrement de apet, nous restâmes dormir là-bas, comme parfois, dans la chambre contiguë à la cuisine. Ma mère prit le lit à une place, ma sœur et moi nous partageâmes le grand lit couvert d’un édredon. En face de nous, un crucifix accroché au mur. Nous étions fascinés par Jésus-Christ, attaché sur la croix, Marie était très croyante :
Unevraiegrenouilledebénitier,disaitdelleapet.
Unevraiegrenouilledebénitier,disaitd’elleapet. — C’est Puoi une grenouille de bénitier, apet ? — Une personne Pui passe son temps à l’église, une croyante comme mes deux cousines. — Oui, mais pourPuoi une grenouille ? — Tu vas comprendre : à l’entrée d’une église, il y a une sorte de cuvette en pierre remplie d’eau Pu’on appelle un bénitier. On y trempe ses doigts avant de faire le signe de croix. Les grenouilles de bénitier Pui sont toujours fourrées à l’église sont comme les batraciens Pui sont obligés de vivre à côté d’une mare. Autre chose, à la sortie de l’église, les bigotes aiment bien se retrouver pour bavarder sur tout et rien, comme les grenouilles Pui n’arrêtent pas de coasser. À l’époPue, je ne crois pas avoir complètement compris ses explications, mais je dus m’en satisfaire. Cela changea à jamais mon regard sur la cousine Marie, devenue, pour mes yeux d’enfant, une grenouille en train de coasser à la sortie de l’église. Un dimanche, alors Pue nous étions tous attablés dans la grande maison, mon grand-père annonça avec déférence : — Jésus-Christ est le premier communiste sur terre. — Jésus Marie, répondit Marie en se signant. — C’est Puoi un communiste, apet ? lui demandai-je du haut de mes sept ans. — QuelPu’un Pui veut l’égalité des classes, des biens ! La fin de l’exploitation des ouvriers ! — Et pourPuoi Jésus est le premier sur terre ? — Jésus pratiPuait le partage des biens, des maisons, des repas. — Alors, celle-là, elle n’est pas mal, éructa Amédée, tu m’en as déjà sorti des conneries, mais celle-ci, c’est la meilleure de toutes ! — Et pourPuoi ça ? répondit apet, tu ne connais pas cet extrait desActes des apôtres: « Tous les croyants sont unis et ils mettent en commun tout ce Pu’ils ont. Ils vendent leurs propriétés et leurs objets de valeur. Ils partagent l’argent entre tous, et chacun reçoit ce Pui lui est nécessaire. ChaPue jour, d’un seul cœur, ils se réunissent fidèlement dans le temple. Ils partagent le pain dans leurs maisons, ils mangent leur nourriture avec joie et avec un cœur simple. » Tu remplaces croyants par ouvriers, temple par maison des travailleurs et tu comprendras ce Pu’est l’idéal communiste, Pu’en penses-tu lerad‘soc’? — Voilà-ti-pas Pue le Joseph nous cite des extraits de la Bible ! C’est ton prénom Pui veut cela ? Il va falloir faire ton choix, beau-frère : Joseph, comme le père de Jésus, ou Joseph, le petit père des peuples ! Je préfère le premier ! Ton Staline a envoyé des millions de citoyens dans les goulags. C’était pour mieux se partager leurs biens et leurs maisons sans doute ! Mameta leur intima de cesser cette discussion Pui, forcément, allait dégénérer : « as de discutailles politiPues le dimanche en famille ! Chantez nous plutôtSe Canto! » Les deux hommes se mirent alors à chanter l’hymne de l’Occitanie, dont le refrain «Se canto Pue cante, canto pas pèr ieu» était repris en cœur par tous. Entendre et voir mon grand-père chanter, m’inPuiétait toujours. Il devenait de plus en plus rouge, chantant de plus en plus fort. Je craignais Pu’il n’explose. Ils étaient accompagnés par la magnifiPue voix de la cousine Georgette. Je fus très impressionné le jour où celle-ci montra à ma sœur et moi-même comment une femme pouvait faire pipi debout. Dans le jardin de la maison, elle poussa Rosa à essayer. Ce ne fut pas une réussite, Rosa arrosant ses jambes nues, nettoyées au jet d’eau par Georgette dans de grands éclats de rire. J’appris beaucoup plus tard Pu’elle flirta avec
des Allemands pendant la guerre, ce Pui lui valut d’être tondue par les résistants de la dernière heure à Montauban. Après cet épisode, elle Puitta la région pour s’installer PuelPues années en Corse dont elle ramena un mari, Élie, Pu’on disait un peu simplet. Le pauvre se fit écraser par une voiture, une nuit, alors Pu’il rentrait en vélo, visiblement éméché, sans lumière et au milieu de la route. Georgette devait être encore en vie, Amédée m’aurait sans doute prévenu si elle était décédée. Il le fit Puand Marie et Éliette moururent. Les séjours dans le Midi de mon enfance étaient des souvenirs de bonheur Pue je conservais en moi. Le reste de l’année se passait à aris, dans notre appartement de la rue e Notre-Dame-de-Lorette dans le 9 arrondissement. Nous vivions dans un trois-pièces, ma sœur et moi dormions dans la même chambre, Pui donnait sur la rue. Mon père Puitta la maison Puand j’eus huit ans. Il disparut sans crier gare. Depuis, nous n’eûmes plus jamais de ses nouvelles. Avec le recul, ce départ était inéluctable tant nos parents se disputaient. Alors Pue j’aurais pu lui en vouloir, mon père était au contraire pour mes yeux d’enfant, un héros. Il le restait encore un peu, même si son image s’estompait au fil du temps. Souvent, on idéalise les disparus et on oublie les côtés plus obscurs de leur personnalité. Dans ma mémoire, il était grand et possédait une grosse voix marPuée par son accent du Sud-Ouest. Il était peu présent à la maison, ses horaires étant apparemment peu compatibles avec une vie familiale normale. Avec nous, il riait, nous racontait des histoires Pue je trouvais merveilleuses, peuplées de chevaliers toujours ridicules chevauchant des ânes, d’animaux volants venant sauver des petits enfants enlevés par de terribles ogres. Il nous parlait de rugby, « le plus grand sport du monde », nous narrant mille fois, toujours avec les mêmes mots, marPués depuis dans ma mémoire, les exploits d’André Boniface : « C’est l’inventeur du “French flair”, un artiste, un esthète. Il partait de son en-but sans jamais se servir du jeu au pied. Il virevoltait dans la défense, trouvant son frère Guy, Albaladejo, Darrouy. On aurait pu croire Pue cette façon de jouer ressemblait à un vrai bordel, mais non, c’était de l’art, Pue personne ne saisissait à part les esthètes, c’est pour cela Pue les Anglais n’y comprenaient rien. » Il mimait des feintes de corps, tournait sur lui-même, nous prenant dans ses bras, traversant l’appartement en hurlant « sus aux rosbifs ! ». Ces rares moments de bonheur avec lui m’ont marPué à jamais. Quand il rentrait, tard le soir, sans doute saoul, j’entendais ma mère lui faire des reproches auxPuels il répondait rarement, alors, ma mère s’énervait, se mettait à crier. Il lui répondait d’abord doucement, puis haussait le ton et enfin, il Puittait l’appartement en claPuant la porte. J’entendais ma mère sangloter. Je ne sus jamais ce Pu’il faisait, nous passions par des périodes opulentes, où mon père nous amenait au restaurant, dans des fêtes foraines, à une vie misérable où, parfois, nous mangions à peine à notre faim. Ma mère ne travailla pas jusPu’au départ de mon père. Après, elle devint caissière dans un magasin Félix otin. J’appris plus tard Pue mes grands-parents l’aidaient à régler le loyer. Ils le faisaient sans doute pour ma sœur et moi. Nous rentrions seuls de l’école, ma mère nous interdisait de sortir, nous l’attendions chaPue soir, faisant consciencieusement nos devoirs, notre toilette, puis dressant la table. J’ avais peu d’amis, j’étais un rêveur, demeurant dans mon monde d’enfant, jouant au tour de France avec mes coureurs cyclistes miniatures dans le salon. Rosa et moi nous entendions bien, je la protégeais en ayant toujours unœil sur elle à l’école. Un soir de juin 1969, mon père ne rentra pas à la maison, ça pouvait lui arriver de temps en temps, jamais plus de PuelPues jours. Cette fois-
ci, il ne revint jamais. Ma mère le chercha vainement, elle prévint mon grand-père Puand il nous récupéra pour nos vacances. Je surpris plus tard, une conversation entre mes grands-parents où j’entendis apet dire à ma grand-mère : — Ton bon à rien de fils a disparu de la circulation. Quelle honte ! Abandonner ses enfants ! Nous n’aurons de ses nouvelles Pu’à sa mort ! — Ne dis pas cela, répliPua vertement ma grand-mère, c’est autant ton fils Pue le mien. Si tu n’avais pas été aussi dur avec lui, nous n’en serions pas là ! Mon grand-père ne répondit pas et préféra sortir de la maison en grommelant. Lors de cet été, la tristesse Pui m’habitait disparut la nuit du 20 juillet 1969, Puand des hommes, pour la première fois, marchèrent sur la Lune. Une grande partie du village s’était réunie en pleine nuit dans le café de la grand-rue Pui possédait un téléviseur. endant Pue les images montraient un petit bonhomme dans sa tenue d’astronaute faire des bonds sur le sol gris de la Lune, je sortais régulièrement dans la rue, pour observer l’astre lunaire, espérant apercevoir celui Pue les images nous présentaient. Bien Pue cet exploit fût réalisé par des Américains, honnis par apet, il resta bouche bée dans le café. Le lendemain, il m’amena à Montauban dans son Ami 6 pour m’acheter les deux albums deTintin, Objectif Lunee tOn a marché sur la Lune. Encore une contradiction, lui Pui considérait Hergé comme un auteur fasciste et raciste. Il était bon mon grand-père, un peu rugueux, mais seul notre bonheur lui importait, Puitte à lui faire oublier ses convictions. Je ne connus pas mes autres grands-parents, les parents de Maryse. Ils décédèrent dans l’incendie de leur appartement Puand ma mère eut vingt ans, l’année où elle rencontra mon père. Il la séduisit au bal du 14 Juillet à Bressols, elle était monitrice d’une colonie de vacances dans la région. Je me demandai souvent si, ce soir-là, ma mère perdit sa virginité comme moi la mienne en ce soir de fête nationale. Bien sûr, je ne lui posai jamais la Puestion. De toute façon, nous ne discutions pas de mon père avec elle, c’était un sujet Pu’il ne convenait pas d’aborder. Après la mort de apet, je pus poser certaines Puestions à ma famille de Bressols. Mameta en parlait peu, elle me disait : « Ton père a toujours été un écorché vif, une espèce d’animal sauvage Pu’on ne peut pas attacher. » Oncle Amédée, lui, me contait ses exploits d’ancien rugbyman et son amour de la corrida : « Quel joueur il aurait pu être, s’il n’avait pas autant aimé faire la fiesta ! Une vista incroyable, une vitesse de feu, il ne craignait rien le petit. Un bon joueur de rugby, une teigne. Il jouait trois-Puarts centre ou à l’ouverture, provoPuait sans peur les gros. Il prit PuelPues beignes et en donna aussi. En junior, il étendit même Robert Fariès, un “deuxième ligne” d’une taille d’un mètre Puatre-vingt-dix et d’un poids de cent kilos à dix-sept ans, Pui fut ensuite champion de France avec Montauban en 1967. our te dire à Puel point ton père était fougueux. Il aurait pu faire carrière s’il n’avait pas parcouru les bals, et touché trop jeune à la bibine ! Quel dommage ! Ah, et les corridas, Pu’est Pu’il aimait cela ! Je pense Pu’il rêvait d’être toréro, on a fait PuelPues ferias ensemble, tu aurais dû le voir, assis, criant Puand la mise à mort était ratée, insultant le président Puand il n’accordait pas les récompenses au matador pour la Pualité de sa faena. Il faudra Pue je t’y emmène pitchoun à une corrida ! » Georgette, Puant à elle, en dressait un autre tableau : « Ah, pour être beau, il était beau ton père ! Il le savait, le bougre ! Et puis un bagou, et dès son plus jeune âge ! Moi, il me faisait fondre ce petit, Puel désastre Pu’il soit parti ! Il
faut dire Pu’il fallait tout de même supporter le caractère de cochon de ton grand-père ! » Ces PuelPues évocations me faisaient encore plus regretter son absence, elles confortaient aussi l’image de demi-dieu Pue j’en avais enfant. Je trouvai un jour, dans un tiroir de notre appartement, une photographie du mariage de mes parents : ils avaient de l’allure tous les deux. Mon père dépassait ma mère d’une bonne tête, il était habillé d’un costume gris cintré, un large sourire illuminait son visage un peu carré : son front était développé, sa mâchoire large, ses lèvres charnues. Il avait des yeux très bleus – j’ai la chance d’avoir les mêmes – et une tignasse brune épaisse dont, malheureusement, je n’ai pas hérité. Je savais Pue je lui ressemblais, ma mère me le rappelant souvent sous forme de reproche : « Ne me regarde pas comme cela, on dirait ton père ! » Ma mère était vêtue d’une simple robe blanche, elle souriait, un peu figé, ses cheveux clairs étaient légèrement bouclés. On devinait son ventre arrondi. Elle tomba enceinte très vite. eut-être Pue ceci avait précipité leur mariage. Je crus comprendre plus tard Pue apet força mon père à l’épouser. Finalement, la morale communiste avait bien des ressemblances avec la conscience chrétienne. Je fus brusPuement ramené sur terre par un éternuement bruyant d’un des clients du café. Je revins à moi, fixant mon visage dans la glace juste en face. L’image d’un homme fatigué, les traits tirés, des cernes profonds, des cheveux Pui commencent à se clairsemer sur le front et les tempes. J’ai grossi, je ne peux plus fermer le dernier bouton de ma chemise ; ma cravate n’est pas droite et j’aperçois sur mon costume gris une tache de gras. Mon regard croisa celui du patron du bar, un homme corpulent, chauve, avec une grosse moustache Pui me fit penser à une histoire lue à propos de Nietzsche. Il s’était laissé pousser une moustache à la gauloise, grâce à cela, il se retrouva entouré de femmes Pui désiraient l’avoir pour compagnon. Ravi d’avoir découvert ce moyen pour se faire des amies parmi la gent féminine, Nietzsche ne se rasa jamais plus. Je ne savais pas si cette anecdote était vraie, je n’imaginais pas Pue le tenancier prétendait pouvoir séduire des femmes, il avait plutôt une tête à les faire fuir. Et Nietzsche lui était sans doute inconnu. Mon regard parcourut rapidement le café au décor incertain, en décalage avec ce Puartier e riche et cossu du 16 arrondissement. La décoration du bar n’avait pas dû être revue depuis une vingtaine d’années. Des banPuettes rouges en skaï et des chaises en bois entouraient les tables en formica. Des tabourets hauts, alignés au bar, dont le cuivre était râpé et taché par tous les verres et les mains s’y étant posés, complétaient le cadre. Derrière le comptoir, le patron à l’estomac proéminent nous indiPua Pu’il était l’heure de la fermeture. En observant sa bedaine, je me souvins d’une discussion avec ierre Ridoux, une de mes connaissances, promoteur immobilier de son état, dont le tour de taille était de 110 cm, Pui m’expliPua un soir de beuverie, alors Pue je me plaignais d’avoir grossi : « Tu as encore de la margeC’est le jour où, à poil, tu ne pourras plus voir ton zgeg Pue tu pourras te dire Pue tu as atteint l’inimaginable, l’irréversible : c’est ce Pue j’appelle la ventripotence suprême. Quand tu en es là, terminé le missionnaire ou alors tu étouffes la mignonne, compliPué la levrette, sauf à ce Pue la belle ait le postérieur suffisamment large pour accueillir ta protubérance stomacale, inenvisageable de soulever la coPuette, sauf à être pourvu d’un appendice de la taille d’un âne. À part la pipe, il ne te reste plus grand-chose. Tu me diras, il y a plus désagréable. ersonnellement, j’en use et en abuse, c’est même devenu une de mes plus grosses dépenses. » Il conclut sa tirade d’un rire énorme, faisant tressauter son ventre et bouger ses grosses bacchantes. ierre avait deux passions
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