Fleurs de Bretagne
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Description

Charles Favre (XIXe siècle)



"Si Paris, dit-on, résume toute la France, Carnac représente la Bretagne et en donne une idée, comme la fleur nous parle de la plante qui la porte, comme l'œil est le reflet fidèle de l'âme.


C’était par une belle soirée de samedi que j'arrivais à Carnac. J'avais laissé, à Plouharnel, la voie ferrée qui s'enfuit tout le long de la presqu’île de Quiberon. La route, de Plouharnel à Carnac, traverse la lande ; bientôt, à notre gauche, sur le fond d'un champ de blé, se dessine un dolmen, – le premier que je rencontre en Bretagne. A la différence des menhirs, simples blocs granitiques dressés sur la pointe, le dolmen est une pierre (men) affectant la forme d'un plateau de table, (dol), posé sur deux autres granits, ces derniers faisant l'office de montants.


Carnac est bientôt atteint ; je me hâte d’aller aux fameux alignements, à deux kilomètres au delà du bourg. Pour peu que l'on veuille prendre la ligne droite, il faut enjamber bien des murs. Enfin, voici le petit bourg du Menec, et, tout à côté, les alignements dits de Carnac. Si vous êtes venus avec la pensée de voir de grandes pierres, de dix à vingt mètres de haut, vous serez déçus. Car des 874 menhirs de Carnac, le plus élevé n'atteint pas quatre mètres. Néanmoins, tels qu'ils sont, ils produisent une impression profonde. Ailleurs, ces menhirs sont isolés ou réunis en petits groupes ; ici, ils s'appellent légion. On dirait une armée de géants, alignée sur onze rangs."



De Carnac à Paimpol en passant par Ouessant, évocation poétique de la Bretagne littorale – l'Armor – par un Suisse Charles Favre, à la fin du XIXe siècle.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384420469
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Fleurs de Bretagne


Charles Favre


Mars 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-046-9
couverture : pastel de STEPH’
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1044
A MA CHERE GRAND'MAMAN
M ADAME P ERRENOUD -D U B OIS

J'ai essayé de fixer quelques impressions de voyage : ce sont, assurément, des « fleurs »... bien pâles, ne valant pas la moindre bruyère que vous auriez cueillie vous-même dans les landes de l'Armorique !
Puisque vos quatre-vingt-huit ans ne vous permettent plus les envolées vers les pays captivants, – permettez tout au moins que j'apporte, pour orner votre foyer, un modeste bouquet de fleurs de Bretagne.
Si elles sont fanées... votre indulgente affection saura leur donner le coloris qu'elles n'ont pas.

Le Locle, le 22 mai 1895.

C HARLES F AVRE .
CARNAC

Si Paris, dit-on, résume toute la France, Carnac représente la Bretagne et en donne une idée, comme la fleur nous parle de la plante qui la porte, comme l'œil est le reflet fidèle de l'âme.
C’était par une belle soirée de samedi que j'arrivais à Carnac. J'avais laissé, à Plouharnel, la voie ferrée qui s'enfuit tout le long de la presqu’île de Quiberon. La route, de Plouharnel à Carnac, traverse la lande ; bientôt, à notre gauche, sur le fond d'un champ de blé, se dessine un dolmen, – le premier que je rencontre en Bretagne. A la différence des menhirs, simples blocs granitiques dressés sur la pointe, le dolmen est une pierre (men) affectant la forme d'un plateau de table, (dol), posé sur deux autres granits, ces derniers faisant l'office de montants.
Carnac est bientôt atteint ; je me hâte d’aller aux fameux alignements, à deux kilomètres au delà du bourg. Pour peu que l'on veuille prendre la ligne droite, il faut enjamber bien des murs. Enfin, voici le petit bourg du Menec, et, tout à côté, les alignements dits de Carnac. Si vous êtes venus avec la pensée de voir de grandes pierres, de dix à vingt mètres de haut, vous serez déçus. Car des 874 menhirs de Carnac, le plus élevé n'atteint pas quatre mètres. Néanmoins, tels qu'ils sont, ils produisent une impression profonde. Ailleurs, ces menhirs sont isolés ou réunis en petits groupes ; ici, ils s'appellent légion. On dirait une armée de géants, alignée sur onze rangs.
Instinctivement, la pensée remonte le cours des siècles, se reporte à ces époques qui ont vu s’élever ces monuments. De prime abord, une impression vous gagne, envahit tout l'horizon de votre pensée : ces menhirs, vous dites-vous, sont l'incarnation vraie, éternelle de l'Armorique. Ce sont eux – et rien d'autre – qui donnent à ce pays sa physionomie taillée en traits ineffaçables dans le granit.
J'entends qu'on se récrie et que l'on dit : « Vous oubliez ces églises admirables, s’élevant au-dessus des villages, et ces clochers qui, ci et là, se dressent dans cet horizon de verdure... comme si le granit lui-même avait voulu pousser un jet superbe, digne de lui ! Oui, vous oubliez les clochers bretons, vraie efflorescence du granit, pétrifiée par les siècles. Voilà, – répliquez-vous, – ce qui donne à la Bretagne et son cachet et son parfum de poésie » Eh bien ! non. Malgré tout ce qui s'attache de souvenirs autour de ces clochers ; malgré les récits de l'histoire héroïque et ceux de la légende, accrochés à ces édifices comme le lierre l'est aux chênes de Bretagne, il faut le constater : ces simples pierres dressées dans les solitudes sont les reines incontestables des landes. Car, aussi, ces menhirs et ces dolmens semblent dominer les siècles avec plus d’autorité encore que les églises elles-mêmes. Ne sont-ils pas leurs ancêtres de plusieurs siècles ? N'est-ce pas eux, qui, témoins muets, ont assisté aux vicissitudes de ce pays depuis l'ère celtique sans doute ? En vain les rafales de l'hiver passent ; plantés comme ils sont souvent sur une base très étroite, les menhirs sont restés debout, bravant tous les autans.
Quels peuples ont dressé ces menhirs ? de quelle race étaient-ils ? quand vivaient-ils ? Les blocs, à toutes les questions, restent muets. Aucune inscription n'est là pour nous tirer de l'incertitude : les menhirs conservent leur secret. En cela, ils sont bien bretons et tiennent du pays, de ce pays de mystères, de brumes, de pieuse rêverie.
Une chose est certaine : ces monuments remontent plus haut que la période romaine ; il faut aller jusqu’à celle des Celtes, et s'en tenir au clair-obscur de cette époque-là ; surtout, il ne faut pas hasarder de dates. Toutefois, ici comme ailleurs en Bretagne, la légende vient suppléer à l'histoire. Chaque pierre a son nom, sa légende ; plusieurs sont réputées produire des miracles, favoriser les jeunes filles en leur accordant des époux... Bref toutes les superstitions, y compris les plus saugrenues, enveloppent ces granits du manteau de la Bretagne, ce manteau gris ou se dessinent des personnages aux traits indécis, tenant de la fantaisie. Voilà ce qui donne cette auréole à ces pierres, et le paysage qui les encadre – de vastes landes – répand sur elles le charme de sa mélancolie, de son inexprimable tristesse.
Voulez-vous savoir comment les habitants de Carnac expliquent 1'origine de leurs menhirs ? « Saint Cornely, disent-ils, poursuivi par les païens et ne trouvant plus moyen de leur échapper, les métamorphosa en pierres. De là le nom donné par les habitants du pays à ces alignements : Soudar del saint Cornely ! »
Si 1'origine des « Soudar del Cornely » se dérobe à nos regards, il n'en est pas de même de leur but. De l'avis des hommes les plus compétents dans ces matières, nous avons là des monuments funéraires. Au reste, le culte des morts a produit, de l'Armorique jusqu'au Thibet, et de la Scandinavie au pays des Pharaons, combien de ces nécropoles !
Trois semaines plus tard, comme j'étais à visiter le musée du Louvre à Paris, et que je parcourais les salles des musées égyptien et assyrien, mes pensées se reportaient comme d’elles-mêmes des sarcophages, que j’avais sous les yeux, aux menhirs de Carnac : une même pensée de respect pour les morts animait et les habitants de l'Armorique et ceux de l'Orient. Seulement, les monuments de l'Egypte sont couverts de récits témoignant de la croyance des Egyptiens à l'immortalité de l'âme ; ceux de la Bretagne ne laissent pas entrevoir ces flammes merveilleuses, qui, aujourd'hui encore, brillent sur les tombeaux des bords du Nil : je veux dire les hymnes et les prières a l'adresse de la divinité.
Tandis que je me promène à travers la lande, la nuit arrive peu à peu ; les menhirs semblent s'agrandir. Le pays prend un cachet si mystérieux, que vraiment on se le demande : ces pierres ne vont-elles pas révéler leur mystère ? Quelque voix ne sortira-t-elle pas des profondeurs de la terre ?... Mais non, le vent seul passe à travers la lande.
Pourtant, dans le lointain, j'entends une mélodie, un air monotone et triste, que chantent des êtres invisibles. Les voix deviennent de plus en plus distinctes. Ce ne sont pas les korigans, – les nains de la mythologie celtique, – mais des habitants du Ménec. Bretons et Bretonnes ont revêtu leurs plus beaux atours, pour fêter les fiançailles d'un couple du bourg. Ils traversent, à cette heure du crépuscule, les alignements et chantent :

C'est une jeune fille de dix-huit ans
Que nous regrettons...

Ainsi devaient chanter les Bretons, il y a bien des siècles ; peut-être aussi leurs ancêtres, les Celtes. Pour eux également, la vie avait en réserve ces deux choses : l'amour à dix-huit ans, puis la mort... à tout âge.
Ô menhirs de Carnac ! que n'avez-vous une voix pour nous raconter tout ce que vous avez entendu de chansons joyeuses, de pleurs amers...
Le cortège s’éloigne ; les gilets bleus des hommes, les coiffes blanches et roses des femmes disparaissent. Seul, le vent apporte encore au milieu des alignements ces paroles toujours répétées :

C'est une jeune fille de dix-huit ans
Que nous regrettons...

J'ai revu les menhirs, le lendemain, par une matinée de dimanche toute pénétrée des senteurs des foins, toute remplie des sons des cloches de l’église. Ô la beauté du premier dimanche passé en Bretagne ! et surtout ici, à Carnac, dans la terre classique des Bardes et des Pardons ! Deux mots qui jurent un peu de se trouver ensemble, et pourtant moins qu'on se l'imagine. En effet, en Bretagne, les souvenirs du paganisme s’enchevêtrent dans ceux du christianisme ; – c'est un écheveau difficile à démêler que celui des fils d'or du christianisme, des fils de soie de la légende, mêlés à l'étoupe grossière du paganisme.
Tenez ! vous trouvez souvent un menhir, témoin du paganisme, sur lequel a été fixée ou même au haut duquel a été taillée une croix, symbole du Christ vainqueur !
Nous allons aux alignements de Kermario, à un kilomètre de ceux du Ménec. Là, se dressent 853 menhirs, plus grands que ceux du Ménec, mais moins bien alignés.
Sur une éminence de quarante-quatre mètres d’élévation : le Mont Saint-Michel ; il y a, là, sur un tumulus, une chapelle dédiée à saint Michel. Les femmes des marins viennent demander au saint une traversée favorable pour leurs maris.
La vue qu'on a, en cet endroit, est fort belle : vers le nord-est, les alignements de Carnac, ceux de Kermario à l'est ; enfin, plus loin, encore, ceux de Kerlescan (262 menhirs) ; cette quantité prodigieuse de menhirs apparaît dans une prairie couverte de bruyères, qui maintenant commencent à fleurir ; lorsqu'elles ondulent, on dirait des frissons roses passant sur le vert des près. Enfin, dans la lande immense, des forêts de pins jettent sur cette verdure une teinte plus sombre. Du côté du sud, la mer ouvre ses perspectives infinies. Tout au large, une bande plus sombre encore : Belle-Ile-en-Mer. Sur tout cela, le charme des tons gris, un gris-perle sur lequel se silhouettent les maisons de Carnac.
La cloche de neuf heures appelle les fidèles au culte. Lorsque sonnent de nouveau les cloches pour la grand'messe, à dix heures, je vais jeter un coup d’œil dans l’église paroissiale, – un édifice du XVI

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