Justice sans châtiment : Les commissions Vérité-Réconciliation
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Description

Sous l’influence combinée du terrorisme, de la libération sexuelle, du trafic de drogue et des drames liés à l’immigration, la loi pénale semble devenir de plus en plus répressive. Et pourtant, à côté de cette vague de sévérité, tout un courant libéral vise à l’atténuation, voire à la suppression des châtiments. Le droit pénal est ainsi en constant déséquilibre entre la défense de l’ordre social et le respect de la personne humaine. Les crimes de masse, par la gravité des atteintes aux droits de l’homme et le nombre de victimes qu’ils comportent, sont une lentille grossissante de cette contradiction. L’exemple récent du Rwanda et de son chevauchement de juridictions illustre bien les problèmes qui se posent lors de la chute de régimes coupables d’exactions massives. Une branche nouvelle du droit s’est même constituée : la « justice transitionnelle ». C’est dans ce contexte que sont apparues des commissions Vérité-Réconciliation, en Afrique d’abord, puis en Amérique du Sud. À quoi servent-elles ? Comment fonctionnent-elles ?À quels problèmes permettent-elles de remédier ? Quel bilan tirer ?Une des premières études en français portant sur cette méthode originale pour panser les crimes de l’histoire. Avocat à Paris, Étienne Jaudel est secrétaire général de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 février 2009
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738197924
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© ODILE JACOB, FÉVRIER 2009
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9792-4
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Préface
Les commissions Vérité-Réconciliation : une nouvelle forme politique

Est-il possible de rendre la justice sans châtier ? Une justice sans châtiment est-elle encore une justice ? C’est à ces embarrassantes questions que s’attaque le livre que l’on va lire ; et l’on peut rendre grâce à Étienne Jaudel de les avoir abordées de façon concrète en recensant les expériences existantes. En avocat et en militant des droits de l’homme, il a évalué les commissions Vérité-Réconciliation par rapport au procès dont elles révèlent les limites. Peut-être attend-on trop de la symbolique judiciaire pour mettre un terme à une phase de violence collective. Or cette symbolique est aussi puissante que circonscrite par un objectif limité. Certes, le rituel judiciaire est « assignataire », comme disent les anthropologues, en ce qu’il attribue une place fixe à chacun et signifie à tous leurs limites ; il met ainsi fin au sentiment de toute-puissance que procurait l’impunité sanguinaire des tyrans. Mais il ne peut satisfaire totalement les attentes de reconnaissance des victimes ni relancer l’échange politique. Parce que des deux finalités de vérité et de réconciliation, affichées par ces commissions, le procès pénal ne peut en poursuivre qu’une seule : la vérité, et encore ne s’agit-il pas de la « vérité vraie » mais de la vérité judiciaire, c’est-à-dire de la réalité des crimes imputés à une personne dénommée. Le juge statue en effet à partir d’une préqualification de la réalité, à la différence de l’historien, qui cherche à adapter sa méthode à la singularité de sa matière, et au contraire des participants, qui livrent le récit subjectif de leur malheur, « leur vérité ».
Ensuite le procès pénal ne se prononce que sur les agissements de personnes : les droits de l’homme prennent donc difficilement en considération les groupes, ce qui fait peser sur eux une lourde suspicion d’individualisme. Ces conditions restrictives rendent le jugement pénal inadapté et font courir à une démocratie encore jeune le risque qu’une application rigoureuse de la loi fragilise encore davantage ses fondements – fiat justitia pereat mundus . Comment rendre alors justice à ce que le procès laisse échapper ou ne peut atteindre ? Comment restituer à l’âme humaine sa subtilité et à la politique son tragique ? Comment tirer le meilleur de la justice sans être assujetti aux servitudes de la procédure ? C’est ce pari que relèvent les commissions qui ont intéressé Étienne Jaudel.
Certaines, comme le rappelle notre auteur, innovent en convoquant des notions comme celle du pardon, notion religieuse d’origine essentiellement chrétienne (ce sur quoi avait insisté Jacques Derrida), qui tout au plus peut inspirer le politique mais qui lui est difficilement transposable. La justice pénale consiste à rechercher une équivalence juste, en mettant en rapport deux ordres de grandeur pour établir la « commensurabilité » d’un événement, d’une chose, d’un acte, d’un bien. Le pardon relève d’un registre qui excède cette équivalence, qui puise son fondement dans la gratuité d’un geste qui n’est commandé par rien si ce n’est le désir de pardonner. Les termes de justice et de pardon, que ces commissions ont parfois rapprochés, sont non seulement distincts mais même, par certains côtés, inconciliables. Ce qui est de l’ordre de la justice, c’est d’attribuer une peine ; ce qui est de l’ordre du pardon, comme le rappelle son étymologie en français, relève du don. D’où la critique récurrente de mélange des genres, adressée aux commissions Vérité-Réconciliation.
Assigner à la justice le double objectif de la punition et de la réconciliation, c’est lui demander d’assumer le cycle court et le cycle long du jugement, pour reprendre l’expression de Paul Ricœur 1 , de célébrer en même temps la séparation et les retrouvailles, d’organiser dans un même événement la condamnation et le banquet eschatologique qui nous réunira tous à la fin des temps. Au risque de bousculer l’ordre naturel des choses ; l’une des deux fonctions peut se trouver « contra-cyclique », comme disent les économistes et risque de ne pas atteindre son but, pire, de renforcer le sentiment d’injustice. Peut-être faut-il respecter le cycle de la mémoire qui n’a pas le même tracé que celui de la justice : tandis que le temps dans un cas prescrit l’accusation, dans l’autre, au contraire, il mature la plainte ; tandis que l’un renforce l’oubli, l’autre accumule le ressentiment.
Une telle confusion entre ces différents registres juridique, psychologique et théologique est peut-être inéluctable, mais elle nous oblige à distinguer ce qui relève du droit et ce qui appartient à la politique, ce qui doit demeurer au plan individuel et ce qui doit être traité par le collectif, ce qui est du domaine de la religion et ce qui est de celui de la cité. D’où la nécessité de penser politiquement la réconciliation, non plus seulement éthiquement ou psychologiquement : ces commissions peuvent être analysées comme une authentique « forme politique », destinée à mettre en forme, en sens et en scène la coexistence collective après un épisode de violence politique.
La réconciliation ne se confond ni avec la peine, qui demeure l’apanage du pénal, ni avec le pardon, qui est de l’ordre religieux, ni avec le récit de soi, qui relève du domaine thérapeutique. La réconciliation est un acte politique que les commissions mettent en scène en organisant la confrontation de toutes les parties dans un espace neutralisé et orienté vers l’idée de justice (ce que le philosophe du droit argentin Carlos Nino appelle la principled reconciliation 2 ). Ces commissions, qui interviennent dans des circonstances exceptionnelles, n’ont plus la peine comme enjeu mais bien plutôt la reconnaissance mutuelle . C’est une fonction première, fondamentale au sens propre du terme, qui se pose comme la condition de possibilité de toute communauté politique.
La réconciliation demeure une idée qui n’a pas de forme ? Ces commissions relèvent le défi de lui en donner une. Comment ? Essentiellement par la parole, d’une tonalité particulière qui n’a pas la technicité et la performativité de celles qui sont prononcées à l’audience, ni la confidentialité d’une parole privée puisqu’elle est mise en scène de manière politique. Ayant eu l’honneur d’être invité à observer les travaux de l’instance Équité-Réconciliation mise en place au Maroc, j’ai assisté à la scène suivante : une femme, à l’audition publique de Marrakech, raconte ce dimanche où son jeune fils lui dit qu’il allait assister à un match de football et qu’elle fut appelée en fin d’après-midi par les urgences de l’hôpital. En réalité, son fils était allé participer à sa première manifestation et avait été abominablement frappé par la police. Il devait décéder dans les bras de sa mère « avant le coucher du soleil », non sans lui avoir demandé pardon de mourir aussi tôt. Le récit de cette femme, dans un tel cadre, lui a permis de ponctuer une histoire d’autant plus douloureuse pour elle qu’elle était restée béante, inachevée. Cette histoire racontée en public, sur une estrade et retransmise à la télévision, a trouvé vingt ans après son véritable épilogue : son fils était bien une victime de la répression des « années noires », et sa mémoire servira à fonder un nouveau Maroc. Il n’a plus à s’excuser. L’audition publique par l’instance Équité-Réconciliation permit à cette femme d’accorder son histoire individuelle à la grande histoire collective. La disparition porte une blessure éternelle au récit : c’est un crime contre le roman de nos vies qui interdit toute ponctuation, et empêche donc les victimes de mettre un point final à une histoire douloureuse. Le corps du délit, c’est le récit familial condamné aux tourments infinis du doute et des supputations 3 . Oui, nos vies sont enchevêtrées, et toutes le sont avec l’histoire qui est non le tissu mais l’écheveau, l’instrument qui les lie entre elles. C’est dans ce croisement assumé de nos vies que se relance l’échange politique, les commissions Vérité-Réconciliation tentant de définir de nouvelles règles du jeu et de se mettre d’accord sur une nouvelle grammaire politique qui permet la concordance des temps individuels et collectifs.
Cette forme politique de la commission Vérité-Réconciliation doit à la fois apaiser les brûlures de l’histoire et préparer l’avenir, ce qui lui donne une dimension constituante . Lors de la même audition publique qui se déroulait sur une tribune entre le drapeau marocain et une effigie du roi Mohammed VI, un militant, arrêté les armes à la main et torturé, a lancé : « Nous avons un contrat avec le roi ! » Il ne remet plus en cause la monarchie mais prétend participer à la redéfinition du lien politique entre le souverain et le peuple. Andrea Lollini a insisté sur la dimension constituante de ces paroles échangées, et notamment de l’aveu, qui fondent un nouveau pacte politique 4 .
Ces commissions Vérité-Réconciliation prennent acte de ce que l’exigence de justice individuelle ne pourra être complètement honorée, qu’il demeurera toujours de l’irréparable, de l’irracontable, de l’insolvable. Elles peuvent tout au plus s’efforcer de les combler un pe

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