Comprendre les temps qui sont les nôtres : 2007-2013

Paul Jorion

Description

« Lorsqu’en 2007 le monde entra dans la crise qui nous tient depuis enserrés, il m’apparut que la narration et l’analyse des péripéties financières et économiques ne suffisaient pas à nous faire comprendre les temps qui sont les nôtres. Disséquer l’actualité ne pouvait à soi seul faire l’affaire et devait être complété de considérations inactuelles déconnectées du tohu-bohu des événements bruts. La nature est faite d’une certaine façon, la culture des hommes, bien que sertie dans la nature, d’une autre. Toutes deux sont emportées par le flux du devenir, lequel accélère son mouvement dans les époques de “grands tournants“, comme celui-ci. Des frottements et des chocs entre nature et culture jaillit le surréel : l’esprit, l’amour, l’analogie... Pour répertorier ces billets, compacts comme l’aphorisme ou nonchalants comme le “propos“, j’ai créé deux catégories : l’une pour les graves “Questions essentielles“, l’autre pour la très légère “Vie de tous les jours“. Il m’arriva, une fois terminé l’un des billets que l’on s’apprête à lire, d’hésiter, parce que, pour hommes, femmes et enfants, le grave est parfois léger, et le léger, plus souvent qu’à son tour, grave. Du coup, à la lecture de ces textes innocents, l’on sourit, l’on rit, ou l’on pleure, parce que la vie est à rire et à pleurer, et da-vantage qu’hier sans doute aujourd’hui. » P. J. Paul Jorion est anthropologue et sociologue. Il s’est fait connaître du grand public par La crise du capitalisme américain (2007), livre où il annonçait la crise des subprimes. Chroniqueur au journal Le Monde, il dirige la chaire Stewardship of Finance à Bruxelles et tient également un blog où il défend des positions souvent iconoclastes. 

Sujets

• Business
• Economics

Informations

• Publié par: Odile Jacob
• Date de parution: 06 mars 2014
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782738172099
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

© O DILE J ACOB , MARS 2014 15, R UE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-7209-9
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S OMMAIRE
Couverture
Titre
Copyright
Le philosophe H.
Apprendre en se lisant
Le rôle de l’individu et des masses dans la régulation du trafic en Chine populaire
La grande muraille de Chine
Un cheval blanc (chinois) n’est pas un cheval
L’escapade
L’homme qui n’en revenait pas
Marcinelle 1956
La petite fille pauvre
Jack Kerouac (1922-1969)
Comment le Grand Programmeur se trahit
De la prière
Ingmar Bergman (1918-2007)
Ludwig Wittgenstein (1889-1951)
Sir Edmund Leach (1910-1989)
Être mort ou ne pas être mort
La blague du jour
Yosser
Dani (1976-2007)
La bénédiction
Abel et Caïn
Grande tragédie et petit drame
Les deux fautifs
Le quasi-cauchemar
Jacques Brel (1929-1978)
Le cyborg vous parle
La luette
Le premier Thanksgiving
Qui perd gagne ou Freud en Amérique
Villiers-le-Bel et la « voyoucratie »
L’avenir de la Belgique ? (I. Le passé)
L’avenir de la Belgique (II. Le présent)
Édith Piaf (1915-1963)
Jean Pouillon (1916-2002)
La vie d’artiste
Madame la Terre dans sa robe de gala
La mémoire et la lumière
Aide au développement
Alain Robbe-Grillet (1922-2008)
L’homme révolté
Le tournant
Le Loup
Fierté d’une génération ! Non, c’est vrai…
Le bonheur suprême
Claude Lévi-Strauss, penseur
Comment les gens vivaient durant la crise
Edmond Jorion (1917-2002)
Juliette Gréco
Noël
Il y a inégalités et inégalités
Dop Bles (1883-1940)
Les témoins du temps
Une lettre persane
Dolly Parton
Le poète et les décideurs
Rions un peu – Les banquiers
Sur le philosophe H. une fois encore
Le temps de l’adolescence
L’écharpe rouge
En quoi les choses sont différentes aujourd’hui du fait de l’Internet
Un exercice difficile
Les lieux de mémoire
L’omertà
;-)
La casquette
Les apprentis sorciers
La décroissance
L’anglais qu’on entend et qu’on voit partout
Dans ma petite boîte à anomalies
Un autre monde, très, très loin d’ici
Ce qui m’intéresse (une approche quantitative)
Georges Miedzianagora
La famille
L’industrie financière et le bonheur de tous
Antony Hegarty
L’effet Lord Turner
Terre de mission ? Perte de temps ? Voire perte d’âme ?
Pour me faire une opinion
« Rencontres avec des hommes remarquables »
Obama, prix Nobel de la paix
Claude Lévi-Strauss (1908-2009)
Lévi-Strauss : la machine à penser
La religion de Pagnol
« Vous le méritez ! »
Ils ne l’ont pas volé !
« Grand débat sur l’identité nationale »
Éric Rohmer (1920-2010)
Le duc d’Aiguillon, le vicomte de Noailles, le vicomte de Beauharnais et le duc du Châtelet
« Contre-appel du 22 mars »
Une fête de patronage, en 2004
Le fil rouge
L’instinct de survie des peuples
Dennis Hopper (1936-2010)
Les amis qu’on se fait quand on voyage
« Contre toute attente »
Éloge du marché
Claude Chabrol (1930-2010)
Benoît Mandelbrot (1924-2010)
Le capitalisme et l’économie de marché en tant que dysfonctions
Propos indécents
La fenêtre d’opportunité s’est refermée
Le monde où nous vivons
Sidney Lumet (1924-2011)
Du peu d’importance des faits
Les leçons de l’histoire
Marie-France Pisier (1944-2011)
Nucléaire civil : tester plutôt les accidents « qui n’arriveront pas »
La finance s’est disqualifiée
Les petites fleurs qui bordent le chemin
Ce que veulent les marchés et ce que veulent les autres
La chute de l’Empire romain : en direct, grâce à Internet !
Le grain de sable
Le Père Noël n’existe pas !
Verfremdungseffekt
L’attentisme n’a pas payé
Paris : l’histoire à chaque coin de rue
Steve Jobs est mort
Notre système économique est capitaliste
Dexia, le Réel et l’histoire avec un grand H
17 octobre 1961
La parole et le silence
Budapest, novembre 2011
Il y a une alternative
La mouise
L’Empire romain n’est pas mort !
La bataille de Luxembourg
Un truc tordu
Misère de l’arithmétique
Ray Bradbury (1920-2012)
Rituels d’autrefois
Relire « Les pêcheurs d’Houat », trente ans plus tard
La piété de nos jours
Luc de Heusch (1927-2012)
Le retour de l’imprévu
Les vraies questions que se posent les anthropologues
Aveugle dans sa ville natale
Les livres qu’on lira sûrement un jour
Ne pas rater une bonne diversion si l’on en tient une !
La guerre civile numérique
Les civilisations ne meurent pas assassinées : elles se suicident
Tout est nouveau !
Le loulou de Poméranie
Les étrangers qui sont gentils
À Léon Cladel
Vœu pieux
Parler pour savoir ce que l’on pense
Gérard, Brigitte et les autres
Les opérations militaires « compliquées »
Une anecdote mal connue à propos de Moïse
Alceste, mais pas seulement à bicyclette
Brr…
Le Président de Georges Simenon
Pierre Verstraeten (1933-2013)
Stéphane Hessel (1917-2013)
L’orgue de Barbarie
« Toujours de la tactique, jamais de vision stratégique »
Mon inconscient et moi
La mauvaise humeur des programmeurs de la Matrice
Guy Debord (1931-1994)
La fabrication des radeaux
« Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés »
West Hollywood Domestic Partnership
Question de taille
Certains lanceurs d’alerte sont de grands naïfs !
Le dicible et l’indicible
Quand il ne reste au sommet que les courtisans
Drame de la mer
Le don et le contre-don
Front républicain et aléa moral
Les griottiers parmi nous
Le fantôme du respect
Cette nuit, j’ai fait un rêve normal
L’attentisme et ses vertus
Les mânes de Fausto Coppi et de Gino Bartali
Une fin d’après-midi, un 14 juillet
Mon mauvais pressentiment
Des temps troublés
Le drame de l’âge
Attention ! Sentier à pumas !
Jean-Paul Sartre est mort en 1980
Le « meilleur ami » de Jean-Jacques Rousseau
Les garnements de tous les âges
Autres temps, autres mœurs
Heurs et malheurs du tourisme social
Le général Giap est mort
Cambridge, un jour d’automne
« Les gens sont, dit-on, déboussolés. » Une autre façon sans doute d’affirmer qu’ils ont cessé de comprendre les temps qui sont les nôtres.
Comprendre les temps qui sont les nôtres, c’est, de manière déterminante, savoir aussi qu’y faire. Or il faut désormais être prêt à rattraper la balle au bond.
Voici, au fil de sept années de désarroi planétaire, les pistes que j’ai cru découvrir, dans l’ordre où elles se sont ouvertes à moi.
Cambridge, le 19 octobre 2013.
Le philosophe H.

25 MARS 2007
Le philosophe H. est un cas difficile parce qu’il nous confronte, non pas à nos contradictions mais à nos insécurités : serions-nous prêts à refuser de serrer la main de quelqu’un que nous qualifierions pourtant de « grand » homme ou femme ? Le philosophe H. nous oblige à faire ce choix parce qu’il fut un grand philosophe et un être détestable.
J’aimerais bien qu’il n’y ait pas de grande littérature d’extrême droite : j’aimerais bien que Céline ait mal écrit, ou, plus précisément, j’aimerais bien qu’il y ait quelque chose dans le style de Céline que je puisse répudier. Hélas non, il y a de la grande littérature d’extrême droite et je suis obligé d’admirer Céline comme auteur, et cracher mentalement sur la personne que fut ce même auteur. C’est inconfortable, je le sais.
Le philosophe H. nous force à la même chose, parce qu’il existe effectivement un courant de la philosophie moderne surgi de l’extrême droite de la scolastique, celle où l’on aime Dieu parce qu’on le craint. On aimerait bien encore qu’aucune partie de la philosophie ne doive être rejetée, et pourtant la voici.
H. met le doigt sur les failles de la philosophie et l’attaque en utilisant les meilleurs outils que celle-ci a affûtés au fil des siècles. La plupart des philosophes ont maintenu un silence complice à propos de ces failles. Il reprend l’argument sceptique que de toutes prémisses on peut déduire une conclusion comme son contraire. Kojève, qui fut élève de Heidegger avant de devenir le grand hégélien que l’on sait, souligne que l’argument est imparable. Mais H. reprend l’argument sceptique sous sa forme scolastique, c’est-à-dire herméneutique, que tous les commentaires se valent : tout discours n’est que bruit devant l’omniscience de Dieu.
Par ailleurs, H. comprend que l’acceptation par les philosophes que l’on parle de « philosophes présocratiques » est le cheval de Troie dont il a besoin (à mon sens, il faudrait dénoncer « philosophes présocratiques » comme un mauvais jeu de mots), et répète après eux que le monde est essentiellement inconnaissable. De Thalès à Parménide, il ne s’agit en réalité que de cosmogonies simplistes et dogmatiques car fondées sur la sentence (fermée sur elle-même) et non sur le syllogisme (à l’enchaînement potentiellement infini).
Le philosophe H. est né dans une pauvreté abjecte, où il a aussi grandi. Il ne serait pas allé à l’école sans la générosité des curés qui ont perçu son intellect d’exception. C’est la philosophie de ces curés qu’il a érigée en système : celle où penser est dangereux. Relisez-le, il écrit à chaque page : « Je vais maintenant vous demander de penser, mais d’abord, tremblez. » C’est sa manière à lui de remercier les curés.
Rendons grâce à Dieu qu’il existe des curés généreux et critiquons le philosophe H., non pas l’homme mais son système. Ce