Guy Debord ou l ivresse mélancolique
49 pages
Français

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Guy Debord ou l'ivresse mélancolique , livre ebook

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Description

Depuis les surprises-parties cannoises d’après-guerre jusqu’à son ermitage auvergnat, le théoricien iconique de La Société du spectacle fut un buveur invétéré.
Au soir de sa vie, Guy Debord présenta son addiction comme « la fidèle obstination de toute une vie ». La consommation quotidienne d’alcools conditionna son rapport au réel, à la création et à la politique. Elle fut à la fois une échappatoire, un pied de nez à la société bourgeoise, une exploration collective des confins de la liberté absolue, le pilier d’un nouvel ethos révolutionnaire, une critique en actes des dérives de la viticulture productiviste.
L’art de boire chez Guy Debord refléta sa mélancolie, déchirée entre la voyance d’une société utopique et les matins ternes des déceptions politiques.

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2017
Nombre de lectures 1
EAN13 9782304046953
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0025€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Guy Debord ou l ivresse mélancolique


Anna Trespeuch-Berthelot

Editions Le Manuscrit 2017
ISBN:9782304046953
Cet ebook a été réalisé avec IGGY FACTORY. Pour plus d'informations rendez-vous sur le site : www.iggybook.com
Table des matières

Présentation de la collection
I.L'ivresse poétique
II.Les années de bohème
III.La métanoïa situationniste
IV.La sociabilité situationniste
V.Savoir-boire
Cannes
Quartier Mabillon, Paris
Quartier des Halles, Paris
Venise
Champot, Haute-Loire
Dans la même collection
"Addictions : Plaisir, Passion, Possession
 
Collection dirigée par Myriam Tsikounas
 
Patrick Baudry, L’addiction à l’image pornographique, 2016.
Pascal Lardellier et Daniel Moatti, Les ados pris dans la Toile, 2014.
Thierry Fillaut, Le pinard des poilus , 2014.
Olivier Christin et Marion Richard, Soumission et dévotion féminine dans le catholicisme , 2012.
Nicolas Pitsos, Les sirènes de la Belle Époque , 2012.
 
© Couverture : Bottle Label Designed by Raftel / Freepik
Présentation de la collection
 

 
Abus d’alcool, troubles du comportement alimentaire, dilapidations de fortunes au jeu, sports à risque ou encore usage immodéré d’Internet, la dépendance se caractérise toujours par une pratique compulsive, la nécessité d’augmenter graduellement les doses, l’apparition d’un ensemble de troubles et de symptômes à l’arrêt de la consommation ou à la cessation de l’activité, la perte de contrôle de soi.
C’est ce moment du basculement, de l’agir à l’être agi, de la quête de sensations et d’expériences hors du commun d’un sujet libre à la résignation à la dépendance d’un malade réifié que nous voudrions saisir ici.
En faisant découvrir ou redécouvrir des textes variés, écrits à des périodes différentes, par des auteurs tout autres qui n’étaient pas dépendants aux mêmes substances, l’objectif est également de montrer que si l’addiction est le propre de l’homme, en revanche, les formes qu’elle prend, le regard qu’on porte sur elle et sur ses usagers varie dans le temps comme dans l’espace et, de fait, nous renseigne en creux sur les normes d’une société, ses peurs, ses espérances et ses désenchantements.
Dans le droit romain, l’addictus était un débiteur, obligé de payer avec son corps la dette qu’il était incapable de rembourser. Au Moyen âge, le terme désignait la servitude dans laquelle tombe un vassal incapable d’honorer ses dettes envers son suzerain… On pourrait multiplier à l’envi les exemples pour prouver qu’à chaque époque l’addiction s’apparente à l’ordalie et se traduit par une prise de risques conduisant celui qui rêvait de « monter à l’assaut du ciel » à la déchéance et l’esclavage.
Mais la frontière entre témérité et conduite à risque est poreuse, et l’addiction est aussi un pharmacon. Considérée comme un remède quand elle atténue les souffrances physiques ou psychiques et élève l’âme, elle devient un poison dès qu’elle précipite la chute, se transforme en réponse inappropriée au « culte de la performance », et, de fait, en question de santé publique. Ainsi l’addiction vise-t-elle à réconcilier les contraires, à éprouver le paradoxe de se sentir vivre par l’assujettissement à la mort et c’est ce comportement funambule que nous voudrions examiner.
Tournée vers une question de société, pluridisciplinaire par ses contributions et le souci d’associer aux sciences humaines l’apport de la médecine, cette collection fait le pari d’un sérieux sans académisme.
 
Myriam Tsikounas
directrice de la collection
Comité scientifique
 
Alain Corbin
Julia Csergo
Sébastien Le Pajolec
Didier Nourrisson
Pascal Ory
 
Du jeune provincial débarqué de la Côte d’Azur à Paris, en 1951, au vieux philosophe reclus dans un hameau auvergnat, où il se suicide en 1994, une habitude a accompagné Guy Debord tout au long de sa vie : la consommation quotidienne d’alcools.
Ce fut d’abord une pratique festive et juvénile nimbée de l’imaginaire des Poètes Maudits et stimulée par l’effervescence du quartier de Saint-Germain-des-Prés. Puis la griserie devint une composante essentielle du comportement révolutionnaire et clanique prôné dans les mouvements artistiques et politiques que Guy Debord fonda successivement : l’Internationale Lettriste en 1952 puis l’Internationale situationniste en 1957.
À titre personnel, Guy Debord érigea l’ivresse en flambeau d’une radicalité voulue sans concession. Jeune homme, elle lui servit d’échappatoire dans un monde qu’il abhorrait. Puis la dissonance éthylique s’installa durablement dans son rapport au réel. Elle opéra comme un filtre, voire comme un philtre, qui catalysa sa rage à renverser le monde ancien et à inventer une société nouvelle. Les vertiges de l’alcool le soutinrent dans son élaboration d’une dialectique visant le dépassement de l’idéalisme et du nihilisme.
Cette quête incessante exprimait une profonde mélancolie qui se teinta progressivement en atrabile. Quant à sa lassitude de ce monde, elle muta en refus de la société dont il se retira.
I. L’ivresse poétique
 

 
Guy Debord découvre les plaisirs de l’ivresse à l’adolescence, avec les autres enfants de la bonne bourgeoisie cannoise. Il est alors élevé dans une demeure avec domestiques où l’activité de notaire de son beau-père et la fortune héritée par sa mère assurent à la famille des conditions de vie matérielles confortables. Les beuveries du lycéen se déroulent tantôt dans les « surprises-parties », organisées dans les villas des parents, tantôt dans les bars de la côte d’Azur. Il y appréhende de nouvelles sensations charnelles : l’étourdissement éthylique, indissociable des voluptés du flirt  :
« L’autre soir j’étais à une surprise-partie à l’ambiance étrangement surréaliste. […] Avec l’intention bien arrêtée de me saouler j’ai bu une quinzaine de verres, mélange de gin, de porto et de vin blanc – tout en baratinant une fille sans intérêt qui depuis semble amoureuse de moi [1] . »
Ces enivrements juvéniles relèvent banalement du rite de passage et d’inversion dans la tradition du charivari médiéval. Mais en ces débuts de guerre froide, les conduites à risque de la jeunesse occidentale sont revisitées par Hollywood et incarnées par une icône : le héros de Rebel without a cause ( La Fureur de vivre ). À la sortie du film en France, en 1956, François Truffaut y reconnaît les sentiments, les rêves et les refus qui hantent sa génération :
« Dans James Dean, la jeunesse actuelle se retrouve toute entière […] : pudeur des sentiments, fantaisie de tous les instants, pureté morale sans rapport avec la morale courante mais plus rigoureuse, goût éternel de l’adolescence pour l’épreuve, ivresse, orgueil et regret de se sentir “en dehors” de la société, refus et désir de s’y intégrer et finalement acceptation – ou refus – du monde tel qu’il est [2] . »
Ce portrait reflète trait pour trait l’esprit frondeur du jeune Debord, qui cherche à rompre avec tous les codes de son milieu d’origine – dont il se sent étranger – et qui rêve d’inventer une nouvelle morale et un nouveau mode de vie. Ses conduites excessives sont donc celles d’un adolescent rejetant les normes bourgeoises qui ont structuré son éducation, même s’il continue à bénéficier de la sécurité matérielle qu’elles offrent. Cette ambivalence transparaît dans la lettre qu’il écrit à vingt ans à son ami Hervé Falcou, qui a déménagé à Paris :
« En août mes parents vont en Italie. J’ai refusé de les y suivre. Il est à peu près admis qu’ils me laisseront faire ce que je veux en France mais en ne me donnant que 1 000 francs par jour pour vivre. Et en ne me laissant pas la villa à Cannes – ils me reprochent d’en avoir fait un boxon l’an dernier [3] . »
Mais, au-delà du rite initiatique, il y a ch

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