Le Dossier Kadaré
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Description

En 2005, le directeur des Archives d’état albanaises, Shaban Sinani, rendait publiques les archives secrètes du parti communiste concernant l’écrivain Ismaïl Kadaré. Ces documents révèlent, à travers le cas singulier du grand écrivain, l’ampleur du système de délations, de menaces, de jugements et de condamnations qui pesait sur chaque citoyen du pays. Ce Dossier Kadaré, publié pour la première fois en Occident, nous permet de découvrir à quel point nous ignorons encore la réalité de la vie sous les régimes communistes. Dans La Vérité des souterrains, Ismaïl Kadaré, au cours d’un long entretien avec Stéphane Courtois, commente, pour la première fois, ces documents. Grâce aux questions précises et informées de l’historien, il revient sur son itinéraire, ses œuvres littéraires, sa vie et sa survie sous le régime d’Enver Hoxha. Sa biographie, son talent et son regard d’immense écrivain font de cet entretien un témoignage unique sur le drame qu’a vécu la moitié de l’Europe. Ismaïl Kadaré, l’un des plus grands écrivains contemporains, est notamment l’auteur du Général de l’armée morte, d’Avril brisé, de L’Hiver de la grande solitude ou du Concert. Stéphane Courtois, directeur de recherche au CNRS, est l’un des meilleurs spécialistes français de l’histoire du communisme. Il est notamment l’auteur de l’Histoire du Parti communiste français et du Livre noir du communisme. Le professeur Shaban Sinani est l’ancien directeur des Archives d’état albanaises.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 mai 2006
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738189677
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , MAI  2006
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
EAN 978-2-7381-8967-7
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Note de l’éditeur

La réalité de la vie quotidienne à l’est du rideau de fer, pendant les années des régimes communistes, reste, en très large part, inconcevable.
En Occident, nous avons de cette époque une vision abstraite. Ceux qui ont vécu sous ces régimes totalitaires ignorent les détails des rouages de la terreur quotidienne et les règles de distribution des menaces, des sanctions ou des encouragements qui concernaient l’ensemble de la société.
Ce livre offre un éclairage nouveau et unique sur cette histoire.
Ismaïl Kadaré est l’un des plus grands écrivains européens. Son œuvre est connue dans le monde entier. Pourtant, il vivait et écrivait dans l’un des régimes communistes les plus durs que le monde ait connus : l’Albanie d’Enver Hoxha.
Décidé à « créer une littérature normale dans un monde anormal », il dut, parfois, jouer avec les règles de ce système que l’on ne pouvait fuir : adhérer au Parti, prononcer son autocritique.
Figure emblématique de la littérature européenne, il a pu sembler être un objet de fierté nationale. En réalité, il subit une surveillance et une menace constantes. Sa vie, ses amitiés, ses écrits furent épiés, disséqués, dénoncés. Plusieurs de ses livres furent interdits. Certains manuscrits confisqués.
Les archives albanaises recèlent des centaines de documents sur le système de surveillance et de contrainte qui fut mis en place. Ils sont encore dissimulés au public tant ils impliquent de personnages toujours importants.
En 2005, le directeur des Archives nationales albanaises, Shaban Sinani, a brisé le tabou et publié, en Albanie, Le Dossier Kadaré  : recueil de documents des archives secrètes du parti communiste. Ce geste a suscité la polémique et lui a coûté son poste. Il s’inscrivait dans le douloureux effort que mènent certains responsables et intellectuels, derrière l’ex-rideau de fer, pour faire connaître la vérité de ces régimes.
Les Éditions Odile Jacob sont fières de présenter ces documents au public. C’est l’une des premières fois que l’on pourra accéder aux archives secrètes et découvrir les rouages et le contenu concret du système de terreur.
Nous avons choisi de présenter une sélection des documents rassemblés par le professeur Sinani, tant les répétitions s’accumulent dans le dossier original, créant un véritable sentiment de cauchemar.
Sauf précision contraire, les notes et commentaires sur ces documents sont ceux de Shaban Sinani.
À la fin du Dossier Kadaré , un long entretien inédit avec l’historien Stéphane Courtois, auteur du Livre noir du communisme , permet à Ismaïl Kadaré de livrer sa vérité sur cette époque, sur ses choix et sur sa perception de la mécanique totalitaire. C’est La Vérité des souterrains qui nous est révélée par cet écrivain hors du commun.
Le Dossier Kadaré
Shaban Sinani
Le livre et la dictature 1

De même que l’œuvre littéraire d’Ismaïl Kadaré suscitait, à chaque nouvelle publication, la joie de ses lecteurs, mais aussi inquiétudes et interrogations, de même, les études ayant pour objet cette œuvre et son auteur semblent obligatoirement porteuses d’une part de la tempête et de l’anxiété qui accompagnèrent sa naissance. Parallèlement à l’enthousiasme de ses admirateurs, qui peuplèrent parfois les cachots de l’Albanie communiste, elles éveilleront les attaques les plus virulentes, émanant souvent de ceux qui les y envoyèrent. Leur haine insondable visant l’œuvre de Kadaré tente de réduire à néant toute notre culture en essayant d’amputer l’un de ses liens les plus puissants avec les valeurs universelles.
Le Dossier Kadaré devant lequel nous nous trouvons comporte des documents bien éloignés des études classiques sur un auteur et son œuvre littéraire. Il est constitué de documents issus des archives de l’État, retraçant des épisodes qui sont autant de preuves de la mainmise de l’État et de ses interventions barbares dans l’intimité de la création artistique d’un immense écrivain.
Kadaré est demeuré aux yeux de cet État communiste un incorrigible rebelle, suscitant son incommensurable haine. À ses propres yeux, il fut un écrivain « normal » cherchant à faire de la grande littérature, immortelle, à un moment où tant de choses précieuses et indispensables périssaient. Il redessina douloureusement l’icône d’une Albanie ancestrale, lorsqu’elle était chaque jour profanée et dénaturée par ses dirigeants qui, entre autres, n’hésitaient pas à interner, emprisonner, fusiller les écrivains s’écartant de la doctrine officielle.
Les documents constituant cet ouvrage, que l’auteur, Shaban Sinani, a eu la possibilité de rassembler en tant que directeur des Archives centrales de l’État, recèlent une menace commune, celle du châtiment. Avec une froide détermination, ces attaques contre l’œuvre de Kadaré transpirent la volonté de garder immaculée la ligne du Parti, qui était pourtant depuis longtemps entachée de sang et de boue, et de préserver dans son intégrité un outil qui ne cessait de tout mutiler : l’idéologie politique en vigueur.
Mais ces documents manifestent également la soif de carrière politique et littéraire de leurs auteurs, leur zèle insensé à proclamer sans relâche leur fidélité et leur soumission au Parti. On y rencontre la jalousie, la vengeance, calculées avec une sombre froideur, surtout de la part de collègues. Les hauts fonctionnaires de l’époque n’y échappent pas, ainsi que divers médiocres, envieux et diaboliques, manifestant à chaque phrase leur criminelle brutalité.
À la suite de la chute du communisme, il me semble qu’il devint évident que durant toutes ces années il y avait eu « deux littératures » dans notre pays. Lénine théorisait sur les « deux cultures » de la société bourgeoise, mais il semblerait que ce soit encore plus vrai pour les systèmes socialistes. La « deuxième littérature » est celle qui demeure après la chute de la première, qui s’évapore en même temps que la dictature elle-même.
En Albanie a eu lieu le « phénomène Kadaré », singulier et sans équivalent au sein des autres nations. La littérature de Kadaré réussit à développer toute sa puissance au sein d’une dictature, elle aussi au sommet de sa puissance, sans en être contaminée ni vaincue. Elle devint une valeur autre, au-dessus des valeurs officielles pour tous les Albanais, véritable nourriture spirituelle qui parvint à percer l’isolement et à les rattacher au reste du monde par son universalité.
Mieux aurait valu se taire, diraient d’aucuns. Mais le silence n’est pas littérature, leur rétorquerais-je.
Si cette société, à ses premiers pas, projetait un rêve, un idéal, qui fut aussi chanté par des écrivains, la responsabilité historique et morale incombe à ceux qui violèrent cet idéal, et pas aux poètes qui furent également spoliés de leur sincérité. Nous ne pouvons qu’être reconnaissants à ces derniers de nous avoir indiqué que ce que nous vivions ne ressemblait en rien à cet idéal. En prison nous savions bien qu’en aucun cas il n’eût été préférable d’avoir parmi nous un prisonnier en plus pour un écrivain de moins. Nous ne fûmes pas déçus par ce que hors de nos cellules Kadaré réussit à accomplir.
Lorsque la dictature s’effondra, elle portait aussi les blessures que, par le biais d’un art pur, l’écrivain lui avait infligées au cours d’un long combat.
Ismaïl Kadaré est peut-être l’un des rares artistes à sortir victorieux de ce combat sans s’inquiéter d’être proclamé dissident ou opposant de cette dictature. « Je ne souhaite pas d’autre titre, nous dit-il, que celui d’écrivain normal au sein d’un pays anormal. » En plein combat avec la bête, il lui tournait soudain le dos comme si elle n’eût pas existé pour s’asseoir à son bureau et poursuivre l’œuvre d’écriture que d’autres entamèrent cinq mille années auparavant.
Mais c’est une époque de confusion. C’est l’époque où les inquisiteurs de la dictature se travestissent en avocats de la démocratie et ou les ex-persécutés sont persécutés par d’autres biais, ne serait-ce qu’en se voyant nier leurs peines. Parfois non sans cynisme, la persécution passée est considérée de nos jours comme un privilège… D’autres aimeraient encore l’assimiler à une valeur littéraire et la revendiquent comme un titre de gloire.
À mon sens, la persécution passée ne signifie rien de tel. Elle se contente de nous indiquer qui sut conserver quelques valeurs humaines à cette époque de lutte contre la vie et pour la vie.
C’est également à cela que sert ce livre. Afin de faire la lumière sur ces ténèbres où hommes et œuvres étaient brutalisés, et où certains hommes essayaient de demeurer des hommes et la littérature de la littérature.
Nous avons besoin de tels livres. Ils commencent tout juste à voir le jour.
L’œuvre de Kadaré enfin nous apparaît également blessée, comportant de nombreuses cicatrices et morsures, qui la rendent encore plus imposante. En le confessant aujourd’hui, ce récit ne vole en rien la vedette aux récits de tant d’autres vies et actions héroïques. Au contraire, en feuilletant ce dossier, l’horreur devient d’autant plus palpable. Dans cette mer de souffrances humaines, faite de nos calvaires rassemblés, débouche un fleuve supplémentaire : l’œuvre de Kadaré. On sait que les œuvres sont faites d’âme

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