Budapest 1956
326 pages
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Budapest 1956 , livre ebook

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Description

L'auteur, journaliste hongrois, rédacteur de politique étrangère de "Budapest Soir" il y a soixante ans, vous fait revivre les douze jours magiques de la révolution antisoviétique dans un style personnel et direct. Vous lirez ici comment l'énorme monument de Staline fut scié aux genoux, puis traîné, pour être coupé en mille morceaux de souvenir.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 juillet 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342054293
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Budapest 1956
André Farkas
Connaissances & Savoirs

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Connaissances & Savoirs
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Budapest 1956
 
 
 
A la mémoire de mon père Lajos,
qui m’a laissé en héritage la passion de l’écriture
 
 
 
Les traductions des poèmes hongrois sont de l’auteur
Chapitre premier. Le 23 octobre 1956 vu par ma dactylo et Lénine
Ce midi-là, comme tous les jours de la semaine, je descends à l’imprimerie faire le bouclage du journal. Les premiers numéros de Budapest Soir, 1 vendus à la criée dans la rue, doivent sortir des rotatives à quatorze heures. J’aime bien l’odeur chaude du plomb, les courtes lignes régulières éjectées par les linotypes, dont j’admire l’aspect moderne et rapide. Cette odeur chaude, je la connais bien. Je l’avais humée pour la première fois à l’âge de cinq ans, dans la vieille imprimerie du journal Indépendance, 2 que mon père dirigeait à l’est du pays, dans la grande plaine, à Debrecen, ville agricole faussement endormie, toujours ouverte aux sensations du monde lointain. Les machines paternelles du milieu des années trente étaient encore des monotypes. Les braves gars préposés à la composition des articles, fils d’éleveurs de bétail de la région, pas moins forts en orthographe que les professeurs de philo, rassemblaient consciencieusement d’abord les mots, puis les lignes, en les réunissant lettre par lettre, comme les gosses jouent à l’imprimerie avec leurs signes en caoutchouc. Les pages de mon journal à moi, tout en plomb, sont déjà là, ficelées ensemble sur des plaques d’acier, les unes à côté des autres, s’alignant sagement sur une longue table métallique. Les formes contenant le texte ressemblent étrangement aux plaques de cuisson des fours familiaux et, entre nous, nous les appelons comme ça.
 
Le rédacteur de la mise en page, accompagné du contremaître, me prévient aussitôt : « Aujourd’hui, tu n’as pas la priorité camarade Farkas. La politique intérieure prime sur la politique extérieure ». Cet avertissement n’est pas vraiment un scoop. D’habitude, on laisse au rédacteur de la politique étrangère le droit de s’approprier l’emplacement central de la première page et avec lui, en prime, l’honneur du gros titre présenté en manchette, que j’ai l’habitude de gribouiller, selon le choix du moment, avec l’épais crayon correcteur bleu sur une languette de papier journal. Aujourd’hui je ne m’attends pas à une telle faveur. Le contremaître passe son rouleau encré sur la masse de plomb de la première page et il nous copie le texte sur une grande feuille. Sur le décalque humide, je vérifie machinalement la date :
 
Mardi 23 Octobre 1956. Mon œil glisse sur l’article principal du jour :
 
« Notre jeunesse, qui fait de la politique en s’engageant en faveur du socialisme, rejoint les rangs de ceux qui luttent pour la consolidation et l’extension de la démocratie socialiste. Le moment est venu pour le gouvernement de déterminer nos buts et nos devoirs sur le chemin hongrois du socialisme. »
 
Je le relis pour m’assurer du mot : chemin « hongrois » du socialisme.
 
L’article insiste sur la responsabilité des dirigeants du Parti des Travailleurs Hongrois, (nom de baptême du parti unique reçu lors de la fusion des partis communiste et socialiste en juin 1948), sur la responsabilité de ces chefs qui n’ont pas réussi à ajuster l’idéologie aux spécificités hongroises.
 
Ajuster l’idéologie… Quel mot sacrilège ! Nous, les jeunes, nous avions toujours appris, tant à l’école, fréquentée par les enfants de tous, qu’aux séminaires de formation des communistes jeunes et moins jeunes, que l’idéologie ne s’ajustait pas. Ajuster l’idéologie s’appelle « déviation ». La déviation idéologique est plus qu’une faute. Elle est un crime. Entraînant des conséquences graves, allant jusqu’à la perte de la liberté, voire la vie.
 
Les formules aperçues aujourd’hui dans Budapest Soir , où j’ai passé les trois dernières années de ma carrière journalistique, ne m’ont pas surpris. Notre gazette parait l’après-midi et, précautionneux, nous avons tout notre temps pour nous imprégner des tournures de pensée et des formules employées dans la presse matinale. Une présentation tronquée, un commentaire malheureux, qui frôlent la ligne jaune, déclenchent immédiatement les foudres du parti, à savoir l’ire du département de presse du comité central, ou carrément des camarades du politburo. Dans de tels cas, le téléphone arabe fonctionne mieux que le téléphone classique avec ses tonalités souvent absentes et ses fritures dues soit à une ligne défaillante, soit à la malsaine curiosité d’un préposé aux écoutes.
 
Ce matin, j’avais déjà parcouru les autres journaux. Leur style était identique au nôtre. La Nation Hongroise 3 , quotidien du Front Populaire, citait avec pathos les paroles de Sándor Petöfi, notre grand poète populaire, tué en 1849 sur le champ de bataille par les soldats russes du Tsar, venus à la rescousse de l’empereur autrichien François-Joseph, contre la domination duquel s’était soulevé en 1848 toute la nation hongroise   :
 
Le peuple de Hongrie redeviendra
Aussi pur qu’il le fut jadis,
Se lavant de l’infamie des autres,
Après avoir subi leurs vices.
 
Et le journal insiste sur « son propre enthousiasme au sujet des propositions du Cercle Petöfi, visant à l’éclosion de la démocratie socialiste. » Il souligne sa « satisfaction concernant la réadmission au parti et au gouvernement d’Imre Nagy, et au sujet de la remise en liberté de certains de nos camarades ayant lutté pour les idées de Lénine ».
 
La Gazette Littéraire, 4 l’hebdomadaire de l’Union des Ecrivains, parue exceptionnellement avant son jour habituel, publie ce matin l’appel solennel des auteurs hongrois. Celui-ci sonne comme un ultimatum : « Nous exigeons une politique nationale indépendante, guidée par les idées du socialisme »
 
Parmi les quotidiens nationaux, Le Libre Peuple, 5 organe central du Parti des Travailleurs Hongrois, est le seul à tergiverser dans un style mi-chèvre, mi-chou : « Nous devrions admettre que toutes les revendications ne sont pas réalisables, ni immédiatement, ni même à court terme », pour aussitôt se contredire : « Cela nous incite à réclamer votre confiance, car nous avons l’intention de satisfaire toutes les exigences justes de la jeunesse. »
 
Mes collègues, dont le métier est de suivre la politique intérieure et les évènements du pays, m’ont prévenu tôt le matin : attention il y de l’électricité dans l’air. Ça risque de chauffer. Il est vraiment curieux, presque enivrant que, soudain, nous puissions parler dans notre pays de « politique intérieure. D’évènements ». Celui qui n’a jamais vécu dans un régime socialiste à la mise en scène soviétique, aura du mal à comprendre la phrase qui précède et la nature grisante de ces mots. Dans une telle configuration sociale, la politique intérieure n’est rien d’autre que la codification pratique d’un dogme. Point. Dans une telle configuration, les évènements non agréés par le parti unique n’ont tout simplement pas lieu d’être. Donc ils n’existent pas. Sous la houlette de Iossip Vissarionovich Staline, en présence de l’Armée rouge, libératrice en 1945, transformée aussitôt en force d’occupation nombreuse et visible, la Hongrie est devenue, tout comme les « pays frères », le clone plus ou moins abouti de l’Union soviétique. Et si la Hongrie est devenue le clone de l’URSS, c’est parce que ses dirigeants, tous anciens exilés moscovites, rentrés au pays natal dans les bagages de l’armée russe, furent les clones de Staline et de son entourage. Militants du mouvement communiste international depuis leurs années tendres, si la tendresse a ici un sens, formés soigneusement à Moscou pendant de longues années à leurs futures fonctions, ils ont mis leur pays natal en coupe réglée au service de l’hégémonie d’une puissance étrangère.
 
Comme ils le disaient, « dans l’intérêt du peuple… »
 
Et maintenant, c’est le peuple qui n’en veut plus. Ni de leur méthodes, ni de leurs résultats désastreux, ni de leurs personnes. La jeunesse, surtout, refuse en bloc. Refuse et revendique.
 
Les revendications, évoquées dans les journaux de ce matin, avaient été imaginées, proposées, commentées et débattues depuis un bon bout de temps. Toujours en vase clos, par des participants sagement installés dans des salles de réunions. Les idées, fussent-elles inhabituelles et surprenantes dans notre univers cantonné sous une chape de plomb, ne débordaient jamais dans la rue.
 
Hier, le lundi 22 octobre 1956, pour la toute première fois, le mot d’ordre fut prononcé sans hésitation : Demain tous à la manif ! Les exigences sont sans équivoque. Elles furent rédigées la veille dans deux endroits différents, sur l’incitation et avec l’accord unanime de très nombreux participants. Le creuset principal des idées nouvelles est le Cercle Petöfi. Voilà qu’apparaît ici une nouvelle fois le nom du grand poète, porté en étendard par les esprits frondeurs. Ce club de réflexion, formé dans la première moitié de 1955 par un groupe d’étudiants, fut rejoint peu à peu par des intellectuels, des dirigeants de l’économie, des hommes politiques et aussi par certains cadres du parti unique, désireux de changement. Il est devenu, principalement à partir de juin 1956, le centre de la contestation contre la gestion mesquine, suicidaire des satrapes adoubés par Moscou. Les réunions du Cercle, en présence d’une foule toujours grandissante, traitaient un par un tous les sujets préoccupants : le développement excessif de l’indust

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