La transversalité du continent américain

Louise Bénat-Tachot, Mauricio Onetto Pavez, Clotilde Jacquelard

Description

Dans le fil de la célébration de la première circumnavigation de Magellan-Elcano (1519-1522) et du renouvellement historiographique qui l’a accompagnée, cet ouvrage engage une réflexion sur les enjeux historiques et géopolitiques posés par la configuration géographique du continent américain. En effet, cette immense barrière de 30 000 km de côtes s’étendant vers les pôles a posé, dès les premiers temps de la découverte, la question lancinante de comment la traverser ou la contourner pour atteindre les Indes Orientales si convoitées. Cette quête est à l’origine de bon nombre des modalités d’établissement des Européens sur ce continent.
Cet ouvrage s’attache à étudier les voies réelles comme utopiques tracées par les Européens, et surtout par les Ibériques, pour prendre la mesure et surmonter l’obstacle continental. Quelles furent les stratégies mises en œuvre pour relier les espaces et les groupes humains ? Comment les acteurs européens, métis, indigènes ou africains ont-ils pensé cette Amérique transversale éloignée des centres de pouvoir européens ? La quête du passage (« paso »), étudiée dans ses différentes séquences temporelles et à différentes latitudes du continent, explicite parfaitement l’idée de transversalité est-ouest. Il est tout aussi intéressant de la penser appliquée à la projection de pôle à pôle. Les représentations cartographiques, réelles comme spéculatives sont étroitement associées à la réflexion proposée.
En résumé : en quoi l’immense barrière américaine a-t-elle ouvert une nouvelle histoire du monde ?

Sujets

• Temps Modernes
• Histoire

Informations

• Publié par: Le Manuscrit
• Date de parution: 19 décembre 2022
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782304054118
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 5 Mo

Extrait

Sous la direction de Louise Bénat-Tachot, Clotilde Jacquelard, Mauricio Onetto Pavez
La transversalité du continent américain
Lectures géopolitiques ( xvi e - xviii e siècles)
Fabrica Mundi
é ditions Le Manuscrit Paris


ISBN 978-2-304-05411-8
© Éditions Le Manuscrit, décembre 2022
Couverture : © Carte portugaise de l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud attribuée à António Pereira par Armando Cortesão, ca. 1545, avec l’aimable autorisation de la John Carter Brown Library.


Dans la même collection
Les Processus d’américanisation, Tome 2 - Dynamiques spatiales et culturelles , Louise Bénat-Tachot, Serge Gruzinski, Boris Jeanne, 2013.
Les processus d’américanisation, Tome 1 - Ouvertures théoriques , Louise Bénat-Tachot, Serge Gruzinski, Boris Jeanne, 2012.


La collection Fabrica Mundi
La collection Fabrica Mundi explore les processus d’américanisation à l’œuvre dans le Nouveau Monde depuis le xvi e siècle jusqu’à nos jours.


Introduction
Introduction en français
D epuis 2017, la célébration du passage du détroit de Magellan et de la première circumnavigation (1519-1522) est l’occasion de multiples rencontres pour les historiens chercheurs au niveau international. Elle coïncide avec le développement de nombreux courants historiographiques depuis la fin du siècle dernier qui proposent des approches méthodologiques et épistémologiques nouvelles. Par exemple l’étude des territoires de frontières, les histoires connectées, les histoires croisées, l’histoire atlantique, l’histoire du Pacifique, l’histoire globale, etc. Dans tous les cas, il s’agit de dépasser le cadre de l’histoire nationale pour mieux appréhender des espaces élargis et les relations géopolitiques que ce changement d’échelle manifeste et éclaire.
Nous engageons dans cet ouvrage une réflexion sur les enjeux historiques et géopolitiques qu’a posé la configuration géographique du continent américain depuis sa découverte et les processus d’établissement des Européens dans ce continent en utilisant le concept de transversalité. Ce concept, en usage pour la géométrie ou l’anatomie, a été utilisé ces dernières années par la sociologie du travail 1 . Cependant, il nous semble pouvoir avoir une réelle opérativité dans le champ historique, même s’il suppose d’être utilisé avec prudence. De fait, l’historien Pierre Chaunu fut le premier à parler d’un océan transversal, dès les années 60, pour définir l’espace maritime traversé par Colomb. Il s’opposait en cela à l’océan austral, parcouru par les Portugais, et aux eaux septentrionales 2 .
La transversalité telle que nous la proposons à la réflexion a donc avant tout une définition géographique et géopolitique, à savoir une dynamique orientée ( trans-versalitis ) d’est en ouest. En effet l’axe longitudinal du continent américain pose aux Espagnols la question de sa traversée comme une forme d’urgence dans la quête des épices et des îles Moluques, avant même de pénétrer le continent lui-même. La notion de transversalité s’accompagne de deux idées centrales : d’une part l’idée de flux, d’élan qui peut supposer des stratégies plurimodales, d’autre part elle relie ensemble des points qui peuvent présenter d’énormes différences, géographiques, mais aussi sociales et culturelles. Créer une transversalité impose d’établir des ponts, des maillages, des connexions qui tendent à mettre à distance, et les hiérarchies (verticales), et les schémas centre/périphéries, sans les abolir. Ainsi la traversée du continent américain (une ruée vers l’ouest avant l’heure) est pensée de façon allogène par les Européens en général et les Ibériques en particulier dans le but d’atteindre l’Asie, mais l’opération elle-même a supposé un ensemble de dispositifs, de stratégies, d’agencements face à l’obstacle rencontré qui ont le plus souvent échappé au « contrôle » de la couronne d’Espagne.
La transversalité a donc été d’abord une projection, avec sa dimension imaginaire, voire utopique, tant du point de vue géographique que social ou religieux. Le concept même de « conversion » n’implique-t-il pas ce lien qui est à la fois une transmutation et une coordination des êtres, tout comme les espaces du monde peuvent être reliés les uns aux autres, dans un même mouvement ? L’origine étymologique ( lat. vertere action de tourner) les rapproche et la question mérite d’être posée. La dynamique de la transversalité est donc un processus complexe appliqué au monde, une façon d’opérer, de relier des espaces, des séries de faits ou de groupes humains en changeant d’axe, et, dans tous les sens du terme, en changeant de sens, dans une sorte de tournoiement du monde permis par les circulations… Elle ne consiste ni dans un écrasement, ni dans une superposition, ni dans une prédation systématique, c’est une dynamique coordinatrice, interrelationnelle, connective selon les domaines où on la pense. Cette pensée transversale se trouve bien sûr en butte avec l’axe central du monde colonial : la pratique de la réduction et l’imposition des formes du pouvoir impérial. Si la projection transversale est aisée à saisir s’agissant de la géographie américaine, dans ses formes et ses effets, elle est plus complexe dans le domaine des pratiques. Les Européens n’ont cessé de relier les espaces en en transférant l’image de l’un à l’autre ; c’est un mouvement complémentaire et opposé à celui de la découverte. Il existe donc une transversalité des imaginaires qui entre en tension avec l’idée de l’inouï, du nouveau, mais aussi de la désillusion.
L’essentiel de cet ouvrage s’attache à l’étude des voies tracées par les Européens, et surtout par les Ibériques, que l’émergence du continent américain a imposé d’inscrire à la surface du gl obe. Sans être le plus grand, c’est le continent le plus allongé, le seul à s’arc-bouter sur les deux pôles. Cette position bi hémisphérique a, dès les premières expéditions, posé la question du « passage » vers l’Asie : soit on le traverse, soit on le contourne. Si la quête du « paso », qui est étudiée dans cet ouvrage sous ses différentes séquences et à différentes latitudes du continent, explicite parfaitement l’idée de transversalité est-ouest, il est tout aussi intéressant de la penser appliquée à la projection du sud sur le nord, en reliant le pôle sud (et son exploration) au pôle nord pour en imaginer et en démontrer la symétrie et affirmer ainsi l’existence du détroit d’Anian, selon les cosmographes et les géographes du xvi e siècle.
Panamá et le nœud de l’isthme furent un autre espace plus stratégique encore, vis-à-vis duquel les Ibériques se posèrent la question de l’inter océanité du continent américain et de sa transversalité, tout comme les Français, les Anglais et les Hollandais qui partageaient cette quête. De ce point de vue, le détroit de Magellan fut un espace névralgique, mais il ne fut pas le seul.
L’importance de ces passages est examinée dans les différents chapitres dans une perspective géopolitique. Ils permettent d’apprécier la mise en place de ces espaces de synchronisation et de médiation des idées, des savoirs et des spéculations qui se sont progressivement mis en place. C’est donc un concept dynamique qui combine des dispositifs politico-économiques (étatiques ou privés) et des représentations cartographiques qui articulent l’échelle globale, continentale et locale.
Quels furent les enjeux géopolitiques de la bi océanité du continent américain à l’époque moderne ? En quoi cette immense barrière de 30 000 kilomètres de côte a-t-elle ouvert une nouvelle histoire du monde ? Quelle relation peut-on établir entre ces passages ou leurs d ifférentes projections pour penser une Amérique transversale ? Comment les acteurs, européens, métis, indigènes ou africains, les ont-ils mis en œuvre ? Telles sont les questions que le concept de transversalité nous a suggérées qui se trouvent étudiées dans ce livre sans oublier de prendre en compte l’évolution des objectifs impériaux.
Dans une première partie, les auteurs présentent les passages explorés ou rêvés et les espaces inscrits en Amérique qui ont ouvert vers le monde asiatique. Dans une deuxième partie, les auteurs s’attachent à montrer que cette transversalité sans cesse à l’œuvre a permis de construire la continentali té de l’Amérique, en la traversant de part en part, en reliant Belém à Quito, Acapulco à Veracruz, Potosí à l’océan Atlantique, le Chili à la côte argentine. Tous ces tracés ont fait exister l’Amérique comme continent, même si ces voies de pénétration et de communication se sont parfois estompées, voire éteintes, trop longues, trop difficiles, trop dangereuses, aux yeux de la Couronne.
Il restait à interroger la transversalité au niveau des images et des imaginaires géographiques ou sociaux. La cartographie des espaces rêve la richesse, la cartographie des âmes rêve le succès de la catéchèse, la cartographie du monde rêve de nouveaux continents, de nouvelles îles et les Amazones vont d’un point à l’autre du globe. La circulation des imaginaires et des utopies n’est pas que mentale, elle met en mouvement les pratiques, sacralise les espaces pour les rendre communs et les lier les uns aux autres, ici et là-bas. La transversalité, concept-image, peut donc se définir par sa puissance d’intégration et sa plasticité connective. Elle nous semble être une des dynamiques de cette première mondialisation ibérique.
Introduction en espagnol
Desde 2017 la conmemoración del descubrimiento del estrecho de Magallanes y de la primera circunnavegación (1519-1522) ha supuesto la celebración de numerosos encuentros de historiadoras e historiadores a nivel mundial. Coincide con el desarrollo de numerosas corrientes historiográficas desde finales del siglo pasado, que proponen nuevos enfoques metodológicos y epistemológicos. El estudio de los territorios fronterizos, las historias conectadas, las historias cruzadas, la historia atlántica, la histo