Le Pinard des Poilus
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Le Pinard des Poilus , livre ebook

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Description

Père la Victoire pour les uns, vecteur de dépendance alcoolique pour d’autres, le pinard, servi comme boisson hygiénique et complément alimentaire pendant la Première Guerre mondiale, a fait l’objet de débats passionnés et enfiévrés au cours et à l’issue du conflit. Qu’en était-il de sa distribution au front ? Quelle place occupait-il dans le quotidien et l’imaginaire des poilus ? Des récits de combattants aux avis des médecins en passant par le théâtre ou l’image, les documents retenus dans ce recueil témoignent de la complexité du regard porté sur ses bienfaits et méfaits en 1914-1918. Ils montrent également que les connaissances scientifiques d’une époque donnée, prises aux jeux contradictoires de l’économie et de la morale, peuvent induire des politiques et des actions porteuses d’effets pervers. Professeur d’histoire contemporaine en Politiques sociales et de santé publique (université de Bretagne Sud), Thierry Fillaut est chercheur associé au Centre de recherches historiques de l’Ouest. Auteur de nombreux travaux sur le boire et l’alcoolisme, il livre ici une nouvelle analyse de l’addiction tant commentée des Poilus au pinard, fondée sur la résonance entre un regard contemporain et des textes d’époque.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 février 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782304242324
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Thierry Fillaut
Le Pinard des poilus
Addictions : Plaisir, Passion, Possession
Éditions Le Manuscrit Paris


Dans la même collection
Olivier Christin et Marion Richard, Soumission et dévotion féminine dans le catholicisme , 2012
Nicolas Pitsos, Les sirènes de la Belle Époque , 2012
Pascal Lardellier et Daniel Moatti, Les ados pris dans la Toile. Des cyberaddictions aux techno-dépendances , 2014


© Éditions Le Manuscrit, 2014
© Couverture : Dessin sans titre ni signature qui illustre un article de Louis Payen, intitulé « Le Pinard », paru dans les Annales politiques et littéraires , 2 décembre 1917, n° 1797, p. 489.
EAN : 9782304042320 (livre imprimé)
EAN : 9782304242324 (epub)


« Addictions : Plaisir, Passion, Possession »
Abus d’alcool, troubles du comportement alimentaire, dilapidations de fortunes au jeu, sports à risque ou encore usage immodéré d’Internet, la dépendance se caractérise toujours par une pratique compulsive, la nécessité d’augmenter graduellement les doses, l’apparition d’un ensemble de troubles et de symptômes à l’arrêt de la consommation ou à la cessation de l’activité, la perte de contrôle de soi.
C’est ce moment du basculement, de l’agir à l’être agi, de la quête de sensations et d’expériences hors du commun d’un sujet libre à la résignation à la dépendance d’un malade réifié que nous voudrions saisir ici.
En faisant découvrir ou redécouvrir des textes variés, écrits à des périodes différentes, par des auteurs tout autres qui n’étaient pas dépendants aux mêmes substances, l’objectif est également de montrer que si l’addiction est le propre de l’homme, en revanche, les formes qu’elle prend, le regard qu’on porte sur elle et sur ses usagers varie dans le temps comme dans l’espace et, de fait, nous renseigne en creux sur les normes d’une société, ses peurs, ses espérances et ses désenchantements.
Dans le droit romain, l’ addictus était un débiteur, obligé de payer avec son corps la dette qu’il était incapable de rembourser. Au Moyen âge, le terme désignait la servitude dans laquelle tombe un vassal incapable d’honorer ses dettes envers son suzerain… On pourrait multiplier à l’envi les exemples pour prouver qu’à chaque époque l’addiction s’apparente à l’ordalie et se traduit par une prise de risques conduisant celui qui rêvait de « monter à l’assaut du ciel » à la déchéance et l’esclavage.
Mais la frontière entre témérité et conduite à risque est poreuse, et l’addiction est aussi un pharmacon . Considérée comme un remède quand elle atténue les souffrances physiques ou psychiques et élève l’âme, elle devient un poison dès qu’elle précipite la chute, se transforme en réponse inappropriée au « culte de la performance », et, de fait, en question de santé publique. Ainsi l’addiction vise-t-elle à réconcilier les contraires, à éprouver le paradoxe de se sentir vivre par l’assujettissement à la mort et c’est ce comportement funambule que nous voudrions examiner.
Tournée vers une question de société, pluridisciplinaire par ses contributions et le souci d’associer aux sciences humaines l’apport de la médecine, cette collection fait le pari d’un sérieux sans académisme.
Myriam Tsikounas
Directrice de collection : Myriam Tsikounas
Comité scientifique : Alain Corbin, Julia Csergo,Didier Nourrisson, Pascal Ory


Le Pinard des poilus
Pinard : « Se dit généralement d’un vin commun et au point de vue militaire de tous les vins en général 1 » . C’est avec cette définition que le pinard fait officiellement son entrée à l’Académie le 15 juin 1933. Une entrée saluée avec humour et une pointe d’ironie quelques jours auparavant dans L’Ouest-Éclair par Le Petit Grégoire qui s’insurgeait que cette admission sous la Coupole, par une « Commission du dictionnaire [qui] se compose exclusivement de civils » , ne soit assortie d’une cérémonie à la hauteur de l’hommage à rendre « à celui qui, pendant 52 mois, a sauvé le moral des armées de terre et de mer », ce « vin français qui se consomme sous les balles », qui « en quarts, en bidons ou en litres, a été durant la tourmente le héros infatigable, le créateur permanent de la “furia francese”… » et qui « montant chaque jour en première ligne, escortant les bataillons d’assaut, revigorant les artilleurs, jetant un rayon de soleil sur les têtes désorientées […] a, sans jamais cesser ses bons offices, mis du cœur au ventre des Poilus 2 ».
Un hommage digne de celui que lui rendra deux ans plus tard le maréchal Pétain selon lequel « le vin a été, pour les combattants, le stimulant bienfaisant des forces morales comme des forces physiques » et a « largement concouru, à sa manière, à la Victoire 3 ».
Tous, y compris parmi les anciens combattants, n’étaient pourtant pas convaincus qu’il fallait à ce point encenser le pinard et moins encore en faire un « père la Victoire ». Notamment certains antialcooliques qui estimaient qu’en soutenant la consommation de vin et en favorisant les distributions aux troupes sur le front, les élites scientifiques, les élus et les Pouvoirs publics avaient fait le jeu du lobby puissant des producteurs et des marchands de vin. C’était l’avis du D r Maurice Legrain, apôtre de l’abstinence, selon lequel :
Il fallait être envoûté jusqu’aux moelles par les fallacieuses promesses de l’alcool, […] pour tolérer la distribution officielle de l’eau-de-vie aux troupes, pour accepter les présents intéressés du commerce [et] pour laisser abreuver nos blessés et nos malades par des substances qui n’avaient de généreuses que le nom, mais qui contribuèrent à entretenir un appétit maladif contracté au front par des hommes souvent restés très sobres jusque-là !
Le plus triste, continuait-il, fut « qu’ils rencontrèrent l’approbation d’hommes qui, dans leur désintéressement patriotique, se devaient d’adopter une attitude sans équivoque », entre autres, les Académies qui « resteront longtemps responsables de la marée alcoolique qu’elles laissèrent en leur nom déferler sur le pays » en propageant « les propos les plus inattendus sur le compte de l’alcool et sur celui du vin hygiénique. Il eût été bien sot le malheureux déjà conquis par le vin de ne point continuer à s’en étourdir, au nom de la science ! 4 »
Aujourd’hui, à n’en point douter, la tendance serait plutôt à accréditer la thèse d’une alcoolisation excessive, sinon massive, des troupes tant les quantités consommées – au bas mot 180 litres de vin par homme et par an, en ne tenant compte que de la ration réglementaire en vigueur au milieu de la guerre – semblent difficilement compatibles avec les normes actuelles de santé publique. Sans doute, serait-on aussi plutôt enclin à défendre la thèse selon laquelle la distribution d’alcool aux troupes, sous ses deux formes principales, le vin et l’eau-de-vie, le pinard et la gnôle, relevait délibérément de la volonté des autorités civiles et militaires de maintenir le moral des combattants, de les doper pour tenir et monter à l’assaut, d’annihiler leur esprit critique.
La question de la consommation du vin par les poilus est plus complexe. Ce serait un anachronisme que de juger celle-ci à l’aune de nos conceptions présentes du « risque alcool » et plus encore, du point de vue de l’alcoologue, d’isoler la période de guerre des temps qui la précèdent et de ceux qui lui succèdent. La légende du vin, celle du vin-aliment, boisson nationale et naturelle antagoniste de l’alcool, ne naît pas avec le pinard des tranchées : elle s’élabore dès les débuts du premier antialcoolisme, sur les cendres de la défaite de 1870 et de celles de la Commune ; elle rebondit ensuite à l’heure où retentissent outre-Atlantique les sirènes de la prohibition. De même, la croisade antialcoolique qui argue des dangers aux frontières pour dénoncer la menace intérieure de l’alcool, c’est-à-dire des boissons spiritueuses, qui fait vibrer la corde patriotique et participe à édifier une « culture de guerre » en mobilisant la population contre cet « Autre ennemi, son invasion, ses progrès, ses méfaits, sa carte de guerre 5 », n’est que l’acmé d’un combat moral engagé bien des années auparavant : la guerre lui donne ses moments de gloire, avec l’interdiction de l’absinthe en 1915, mais ses victoires sont surtout symboliques 6 . Il ne faut pas oublier enfin que la bataille contre l’alcool est une bataille de l’intérieur quand bien même elle est menée vigoureusement dans la zone des armées.
Établir les faits est donc nécessaire et, pour tenter de mieux saisir la place qu’occupe le

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