Existe-t-il une littérature européenne ?
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Description


« Existe-t-il une littérature européenne ? », cette question mobilise un réseau complexe de liaisons plurielles entre les mots, les langues parlées, les textes écrits, les ensembles culturels qui les voient naître, les nations au sens politique du terme et l’Union supranationale européenne en recherche d’identité. Au cœur de la complexité se tiennent les écrivains. Conteurs de récits, hommes et femmes, ils n’ont jamais laissé se perdre l’héritage premier qui fait notre humanité : la parole. Ces récits ne racontent que peu d’histoires, mais selon une infinité de modalités. Parmi celles-ci, la rencontre amoureuse est décisive. Être digne d’amour renvoie chacune et chacun à l’enjeu de sa propre dignité et de celle de l’autre. Enjeu de taille pour notre culture individualiste. En ce sens, le projet européen a davantage besoin de la littérature que d’aucuns le croient.




Richard Miller est docteur en philosophie de l’Université libre de Bruxelles et homme politique libéral. Il est l’auteur de nombreux essais, de monographies d’art et de recueils de nouvelles écrites en langue française et en patois. Par ailleurs, il est un des fondateurs de la maison d’édition « Créations/Europe/Perspectives ».

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 4
EAN13 9782803106110
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EXISTE-T-IL UNE LITTÉRATURE EUROEP ÉENNE ?
R M ICHARD ILLER
Existe-t-il une littérature européenne ?
A - J D D VANT DIRE DE ACQUES E ECKER
Académie royale de Belgique rue Ducale, 1 - 1000 Bruxelles, Belgique www.academieroyale.be
Informations concernant la version numérique ISBN : 978-2-8031-0601-1 © 2017, Académie royale de Belgique
Collection L’Académie en poche Sous la responsabilité académique de Véronique Dehant Volume 100
Diffusion Académie royale de Belgique www.academie-editions.be
Crédits Conception et réalisation : Laurent Hansen, Académie royale de Belgique
Couverture : « Still-life with Books and Musical Instruments », Jan Vermeulen
Publié en collaboration avec/avec le soutien de
Avant-dire
La question que Richard Miller, philosophe, écrivain, citoyen se pose, et nous pose forcément, à l’entrée de ce livre, tout le conduisait à en être le porteur. Il est, en effet, un batailleur de mots, d’idées et de combats politiques. Son action se situe exactement à l’intersection de ces trois démarches, qui sont tellement entremêlées en lui qu’on ne saurait laquelle a été à l’origine des deux autres. Son attitude révèle constamment qu’il est mû par les trois en même temps. C’est l’écrivain en lui qui observe le monde, c’est le philosophe qui l’organise mentalement, c’est le citoyen qui met tout cela en pratique, qui empêche que sa pensée ne demeure stérile, parce qu’elle en serait restée au stade de l’analyse et de la narration. Ces énergies, il les transmue en action grâce à l’engagement politique, impulsé par le souci du mouvement et de la réforme qui en résulte. Lecteur passionné, nouvelliste et essayiste, il n’est pas de ceux qui en restent à l’observation distante et au commentaire gratuit. Il s’est engagé au sein d’une formation pour pouvoir disposer de ses leviers de transformation du corps social. Mais quel est ce corps social, en premier lieu ? Qu’est-ce qui le caractérise plus que tout ? Une activité singulière, le plus souvent solitaire, mais susceptible de l’imprégner durablement. Elle n’est plus aux mains des hommes de Dieu, comme c’est le cas dans d’autres collectivités qui en sont restées à ce stade. C’est même ce distinguo qui fait office, de nos jours, de principale pierre d’achoppement, littéralement de scandale, et qui s’est cristallisé au moment de la condamnation d’un écrivain, premier martyr — ayant heureusement survécu à sa condamnation — d’un interdit décrété par une autorité religieuse impérialiste. Il s’agit évidemment de la « fatwa » prononcée à l’encontre de l’écrivain Salman Rushdie, un représentant de ce que certains s’illusionnent pouvoir appeler la « littérature monde » et qui en fait n’existe pas. Tout, aujourd’hui, est mondialisé, à commencer par l’économie, l’industrie, une part considérable de la politique, mais s’il est une activité humaine qui ne l’est pas, et ne le sera pas avant longtemps, c’est la littérature. Longtemps, une écriture sainte a imposé sa vision en Occident. Écriture à laquelle l’opinion publique, au demeurant balbutiante, n’avait pas droit, mais qui fut ébranlée par une Réforme qui portait mieux que jamais son nom, puisqu’elle a imposé le contact direct entre le fidèle et les livres réputés sacrés. De là est parti ce phénomène européen par excellence qu’est la littérature au sens où nous l’entendons, qui cessait d’être confinée dans l’agrément et le divertissement, mais devenait porteuse d’une pensée de plus en plus émancipée. Non seulement libre dans le fond, mais dans la forme. Dès lors redoutable. D’où les interdits qui l’ont condamnée, qu’ils viennent d’autorités politiques ou religieuses. Mais ces sanctions ne l’ont nullement découragée, elles l’ont plutôt stimulée dans son indéfectible besoin de vérité et de justice. Et dans son unité, sa solidarité profonde, en dépit de la diversité des langues dans lesquelles elle s’exprime. Ce défi a même renforcé un phénomène exceptionnel, dont l’européen Richard Miller se réjouit : celui de la traduction, cette opération de l’esprit qui consiste à nier l’obstacle du multilinguisme, et a suscité au contraire un mécanisme langagier qui consiste à tirer de ce caractère composite l’occasion de croiser des langages pour les rendre encore plus expressifs. Certes, comme le reconnaît Richard Miller au terme de son propos, « la littérature européenne a été écrite au sein d’un territoire européen fragmenté, divisé entre nations, séparé par des frontières ». Mais malgré cette fragmentation, elle a affirmé le plus subtil, le plus sensible des héritages communs : celui de la sensibilité, de l’imaginaire, de l’intuition, de la fantaisie. Et c’est par là, par le verbe de Stendhal, de Swift, de Boccace, de Gogol, d’Hoffmann, de Cervantès, de tant d’autres qu’elle se profile aux yeux du monde. Et que, jusqu’à présent, elle décline son identité. Jacques De Decker Secrétaire perpétuel de l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises
de Belgique
Introduction
Existe-t-il une littérature européenne ? Rapidement formulées, deux réponses à cette question sont possibles. La première : oui, une littérature européenne existe. Elle a son origine dans les épopées homériques, et n’a cessé de croître, de se développer, de se diversifier, de se ramifier sur le continent européen. Au cours des siècles, depuis la tragédie grecque et le roman latin, en passant par les récits hagiographiques et les gestes de chevalerie, et ensuite via de grands courants ou écoles littéraires comme le classicisme, le romantisme, le réalisme, le surréalisme, le roman moderne…, la littérature européenne s’est frayé un chemin jusqu’à nous. Elle est bel et bien vivante à travers différentes formes d’écrits : fabliaux, lais, poèmes, nouvelles, pièces de théâtre, romans, pastiches, journaux personnels, correspondance, scénarios… De Homère à Houellebecq, « nous sommes tous — Arno le chante — des Européens ». Sans surprise, la deuxième réponse est : non, il n’existe pas de littérature européenne. Selon ce point de vue, les littératures ne pourraient être que nationales, voire régionales. Toutefois, l’existence d’une littérature européenne est également contestée, de façon plus radicale, par le refus de toute forme de littérature collective — européenne ou autre. Le lecteur n’aurait affaire 1 qu’à des œuvres solitaires , impossibles à corseter dans un cadre commun. Sans vouloir juger cette conception du texte littéraire, ni les qualités intrinsèques de telle ou telle œuvre, force est de constater que lasolitudel’œuvre, revendiquée, voire érigée en concept, ne résiste pas à de l’usure du temps — autrement dit à l’historiographie littéraire. Malgré son rejet de toute référence au nationalisme et à la nation, André Breton est un auteur de langue française dont l’œuvre « appartient » à la littérature française. Semblable intégration historique — qui n’est pas réservée au seul art littéraire — influence, qu’on le veuille ou non, la pérennité d’une création littéraire. Des « redécouvertes » sont certes possibles (Christian Dotremont déclarant qu’il y a urgence à lire Emmanuel Bove). Redécouvertes favorisées par des cercles de connaisseurs, des filiations théoriques, des groupements de fidèles…, à l’instar d’Oulipo. Cependant, dans l’immense majorité des cas, c’est l’intégration souhaitée ou non à un ensemble littéraireetextra-littéraire, c’est-à-dire à un ensemble politico-culturel désigné par la langue majoritaire, qui détermine si un texte continuera d’être lu, publié, étudié, traduit… On le sait, l’argument décisif invoqué pour nier l’existence d’une littérature européenne est l’inexistence d’une langue européenne majoritaire commune. De même que sur le plan politique c’est par défaut d’une véritable citoyenneté européenne qu’un citoyen italien, grec, français, polonais…, est considéré comme étant un citoyen européen, ce serait sur le plan littéraire par une forme d’extension semblable que l’on parle d’une littérature européenne, alors qu’il n’existe que des littératures italienne, grecque, française, polonaise… C’est pourquoi généralement, celles et ceux qui contestent l’existence d’une littérature européenne ont pour limites de leurs réflexions les seules littératures nationales. Un tel point de vue qui croit opposer à une impossible diversité européenne, la transparence d’une unité nationale, est néanmoins d’une parfaite indigence. C’est oublier, en effet, que l’assimilation des écrits littéraires à l’expression de la nation s’effectue très souvent en opposition à différentes composantes de la population nationale — comme c’est le cas en Belgique. Sans compter que le rejet d’une communauté européenne de la littérature, arcbouté au maintien des littératures nationales, s’accompagne sournoisement d’une échelle implicite des valeurs, entre les pays de « petite » littérature — parce qu’exprimée dans une aire linguistique restreinte — et les pays de « grande » littérature, comme le sont « naturellement » la France, l’Angleterre, l’Allemagne. « Naturellement » signifiant en ce cas « culturellement, économiquement et politiquement » ! À cet égard, le théâtre d’Henrik Ibsen, sommet de la littérature et du théâtre modernes, même s’il est écrit en norvégien (rigsmål), constitue une exception remarquable. Mais pour une telle exception, combien d’œuvres ont-elles été renvoyées aux limites territoriales de leur minorité linguistique ? Certes, la traduction est une clé, nous le verrons — elle l’a d’ailleurs été pour Ibsen. Mais ne brûlons pas les étapes, car traduire, entrer
en « zone de traduction » selon l’expression très forte d’Emily Apter, n’est pas anodin, et fait porter sur le concept d’universalité, dans le contexte actuel de mondialisation, des interrogations 2 nouvelles . Les deux réponses : « Oui, la littérature européenne existe » et « Non, elle n’existe pas » sont insuffisantes et naïves. À nous de tenter d’avancer parmi cette complexité formée des rapports multiples entre l’Europe et ses territoires, entre l’Europe et ses passés, entre l’Europe et ses langues, entre l’Europe et ses cultures, entre l’Europe et ses populations.
Littérature européenne ou littérature de l’Union européenne
Tout d’abord, doit-on parler d’une littérature européenne ou de littératures européennes ? Quand on utilise le pluriel, sont visées les diverses littératures développées dans les différentes langues du continent européen. Cela signifie qu’au singulier « la littérature européenne » intégrerait l’ensemble de celles-ci, et que cet ensemble serait doté d’une unité établie sur le principe suivant : en leur fond, les littératures française, italienne, anglaise, belge, slovène… partagent une cohérence. Suffirait-il de juxtaposer les histoires des littératures européennes/nationales pour obtenir, de façon quasi alchimique, l’histoire de la littérature européenne ? Cette approche ne résout rien. Un point cependant doit être précisé. La littérature européenne n’est pas la littérature de l’Union européenne. Elle ne l’est pas géographiquement. Si tel était le cas, il faudrait en exclure Henrik Ibsen (ce serait regrettable, quand on sait combienUne Maison de poupéea contribué à faire avancer dans le monde les combats féministes). Nous « perdrions » également Knut Hamsun, ou Tarjej Vesaas dont le romanLes Oiseaux dit de la manière la plus impitoyable qui soit l’incompatibilité entre l’homme et le réel. Sans oublier l’extraordinaire fonds littéraire islandais, d’origine orale, constitué des différentesSagas. Perdus également, les Suisses Benjamin Constant, Jean-Jacques Rousseau, Charles-Ferdinand Ramuz, Tristan Tzara, Friedrich Dürrenmatt… Sans compter qu’avec le Brexit récemment décidé par le peuple anglais, nous serions dépouillés de Shakespeare, de Dickens, des sœurs Brontë et de l’impressionnante chrestomathie des poètes, romanciers et dramaturges anglais ! Et ce, même si un éventuel contre-Brexit écossais rendait à l’Union européenne l’inventeur du roman historique européen, Walter Scott, ainsi que l’auteur deL’Île au trésor… Semblable approche n’a évidemment pas de sens. Plus sérieusement, si parler dans les circonstances actuelles d’une littérature de l’Union européenne n’est guère possible, ceci concerne aussi les gestionnaires de l’Union européenne. Nous vivons en effet un moment important de la construction de l’Union, celui — pour reprendre un titre de Nathalie Sarraute — de « l’ère du soupçon ». Un soupçon qui ne se limite plus au discours des anti-européens, ni aux craintes des eurosceptiques, mais un soupçon qui gagne une grande part du peuple européen ; certains s’en réjouissent, d’autres dont je suis, le déplorent et le combattent. Mon point de vue est le suivant : si la construction de l’Union européenne a besoin de retrouver un nouveau souffle, un nouveau départ, un nouvel enthousiasme (un nouvelincipit, dirait-on en littérature), c’est notamment parce que les gestionnaires européens se sont « royalement » désintéressés de la culture. Cela ne signifie pas que personne n’ait tenté, voire réussi des 3 4 expériences culturelles européennes , ou n’ait proposé des projets à vocation européenne . Mais les dirigeants, eux, se sont désintéressés de la culture, de la pensée, de la création artistique et littéraire de l’Europe. Avec les conséquences en termes de désadhésion citoyenne que l’on constate aujourd’hui. Celles et ceux qui considéreraient que mes propos sont excessifs peuvent désormais se référer au livre remarquable de Renaud Denuit, intituléPolitique culturelle européenne : « (…) le 13 décembre 2007 à Lisbonne : les Chefs d’État et de gouvernement signent le traité par lequel ils renoncent enfin, pour la culture, à la règle de l’unanimité au Conseil ». On pouvait dès lors espérer une politique culturelle et un budget beaucoup plus offensifs. Il n’en fut rien : « dans le cadre budgétaire pluriannuel 2007-2013, le programme Culture pèse 400 millions d’euros pour 7 ans ». C’est-à-dire, moins d’un euro par citoyen européen durant sept ans ! Et Renaud Denuit de conclure sur ce point : « Tout cela au nom de la crainte que le misérable budget consacré à la culture par l’UE puisse porter atteinte aux politiques culturelles nationales et 5 générer une dynamique d’uniformisation ou d’homogénéisation(…) . » Peut-on s’étonner dès lors que dans un monde globalisé et techno-médiatisé, les Européens, que nous sommes, semblent de moins en moins savoir qui ils sont, et en tout cas, de moins en moins savoir qu’ils sont Européens ? Un nouveau départ, que je continue à croire possible, est nécessaire ; à la condition d’affirmer
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