Généalogie des barbares
179 pages
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Généalogie des barbares , livre ebook

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Description

De tous côtés, aujourd’hui, resurgit le mot « barbare ». Pour parler du terrorisme ou pour critiquer l’Occident. Pour désigner les massacres du xxe siècle ou pour annoncer l’avenir qui menace. Pour dire la violence extrême ou le vandalisme ordinaire. Que signifie donc ce terme ? à quoi sert-il ? Pour le comprendre vraiment, il faut remonter le temps, reconstituer les aventures d’un vocable aux mille sens. Il faut revenir à sa naissance chez les Grecs, retracer ses mutations romaines, chrétiennes, médiévales, suivre ses éclipses, ses renaissances, ses contradictions jusqu’à nos jours. D’Homère à Freud, de Platon à Nietzsche, de saint Paul à Michelet, cette grande enquête historique, philosophique et littéraire dessine les lignes de force de la représentation des barbares et de la barbarie dans la pensée occidentale. Avec ce livre, on n’emploie plus « barbare » de la même manière et on dispose de clés essentielles pour envisager autrement la barbarie contemporaine. Roger-Pol Droit est chercheur au CNRS, directeur de séminaire à Sciences-Po et membre du Comité national consultatif d’éthique. Chroniqueur au Monde et au Point, il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont L’Oubli de l’Inde, La Compagnie des philosophes ou encore 101 Expériences de philosophie quotidienne.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 octobre 2007
Nombre de lectures 7
EAN13 9782738192011
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, OCTOBRE 2007
15, RUE S OUFFLOT, 75005 P ARIS
www.odilejacob
EAN 978-2-7381-9201-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Pour l’Oiseau, qui les attendait
Précisions et mode d’emploi

Majuscule et guillemets
J’écris systématiquement barbares, sans guillemets ni majuscule, quel que soit le contexte, sauf quand il s’agit de désigner, par exemple, le terme « barbare ». L’absence de majuscule initiale se justifie à mes yeux par le fait que les barbares ne se rattachent à aucune appartenance nationale, linguistique ou ethnique qui permettrait d’exiger qu’on respecte l’usage courant pour des cas semblables. On écrit normalement les Allemands, les Perses, les Grecs ou les Peuls, mais il n’y a pas de raison d’écrire les Barbares, dans la mesure où ceux-ci ne parlent pas une seule et même langue, n’appartiennent pas à un seul et même pays ni à une seule et même ethnie. Je ne conserve donc la majuscule que dans les citations de textes qui l’emploient.
Quant aux guillemets, ils m’ont paru également inutiles, même dans les phrases où je ne prends pas à mon compte certains sens du terme. Dans la mesure où ce livre porte tout entier sur les représentations multiples des barbares et de la barbarie dans l’imaginaire occidental, il m’a semblé superflu de prendre des distances. L’objectif des analyses qui suivent est de jeter sur les divers sens, passés et présents, du terme barbare une lumière assez nette pour qu’on puisse espérer qu’aucune confusion ne soit possible.

Notes et bibliographie
Les notes sont toutes renvoyées en fin de volume, où elles sont numérotées par chapitre. Elles contiennent soit les références des citations figurant dans le texte, accompagnées parfois du texte original (en translittération pour le grec), soit des remarques complémentaires, qui peuvent être négligées sans dommage à première lecture.
La bibliographie est classée par thèmes et commentée. Ceux qui le souhaitent pourront ainsi approfondir l’enquête sur tel ou tel point de leur choix.
Ces choix répondent à un objectif double : permettre une lecture fluide et simplifiée de l’ensemble, indiquer à ceux qui le veulent les outils nécessaires à une analyse plus détaillée.
On pourrait faire une histoire des limites, de ces gestes obscurs, nécessairement oubliés dès qu’accomplis, par lesquels une culture rejette quelque chose qui sera pour elle l’Extérieur ; et tout au long de son histoire, ce vide creusé, cet espace blanc par lequel elle s’isole, la désigne tout autant que ses valeurs. Car ses valeurs, elle les reçoit, et les maintient dans la continuité de l’histoire ; mais en cette région dont nous voulons parler, elle exerce ses choix essentiels, elle fait le partage qui lui donne le visage de sa positivité ; là se trouve l’épaisseur originaire où elle se forme.
Michel Foucault
Préface à Histoire de la folie
(Plon, 1961, p. III)
 
Rien de plus compliqué qu’un Barbare.
Gustave Flaubert
Lettre à Sainte-Beuve,
décembre 1862
Introduction
Temps anciens, temps futurs

Quand donc avons-nous entrevu que plus rien, désormais, ne nous protégerait de la barbarie ?
Est-ce quand l’Europe, à partir d’août 1914, se transforma en un immense champ de massacre ? Quand on vit, par millions, de jeunes hommes vaillants croupir sans comprendre, dans la boue, des mois et des mois, avant de mourir éventrés dans des plaines lunaires sous un déluge de bombes ?
Est-ce quand des Allemands éduqués, modernes, parfois pieux, toujours de bonne compagnie, décidèrent de mettre à mort, jusqu’au dernier, tout un peuple qui avait pour principal inconvénient d’avoir inventé Dieu, la loi et l’histoire ? Quand on vit, par millions, des femmes et des enfants juifs arrêtés, parqués, frappés, humiliés, déportés, marqués, dépouillés, gazés, brûlés, effacés ?
Est-ce quand la patrie du socialisme construisit d’immenses camps pour accueillir, par millions, les ennemis du prolétariat, et les faire mourir de faim, de fatigue et de froid dans des solitudes glacées et lointaines ? Quand on vit les lendemains qui chantent se construire sur des charniers, de faux procès, des dénonciations arbitraires, des consignes absurdes ?
Le XX e  siècle fut bien ce que Nietzsche avait annoncé : le siècle des guerres. Aux deux tueries mondiales, il faut ajouter et le Goulag et la Shoah pour avoir un aperçu de ce siècle sans pareil, qui s’ouvre sur le génocide des Arméniens et se clôt sur celui des Tutsis et des Tchétchènes, après les charniers amoncelés par les Khmers rouges. Jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, il n’y eut tant de meurtres en si peu de générations. Au point que parler de progrès est devenu compliqué.
Sans doute la barbarie n’a-t-elle pas d’âge. Ses exploits sont attestés, de longue date, sous toutes les latitudes, de la Chine à l’Inde et de l’Occident à l’Orient. Les tortures et les bûchers de l’Inquisition, la destruction massive des Indiens d’Amérique du Sud et de ceux du Nord, les crimes innombrables de la traite des esclaves noirs, les massacres perpétrés tout au long des guerres de colonisation en sont des signes parmi d’autres.
Toutefois, la conjugaison des discours humanistes, des sciences triomphantes, des espoirs de révolution libératrice avec l’entassement de monceaux de cadavres, voilà la marque unique de notre temps. Et, si barbarie n’a pas d’âge, si elle est coextensive à l’humanité, cela n’empêche nullement qu’existe une dimension historique de la conscience qu’on prend de son existence, et des formes de représentations où elle se manifeste. Discerner les lignes de force de cette histoire des représentations, tel est l’objet de cette « généalogie des barbares ». Scrutant le passé, elle a quelque souci de l’avenir.
Car chacun sait que le XXI e  siècle s’est ouvert avec les attentats du 11 Septembre, l’intensification de la menace terroriste, la multiplication des prises d’otages, des chantages, des haines. On voit resurgir, comme autant de silhouettes réelles, des profils dont on pensait que la disparition était acquise et le retour impossible. On voit s’organiser et se renforcer les ennemis de la démocratie, de l’égalité des sexes, de la liberté de conscience et d’expression. Toutes les formes de violence sont en cours d’accroissement et d’intensification. Il suffit d’ouvrir le journal. Papier, radio, télé ou web, il dit la même chose : demain pourrait être pire qu’hier.
À tel point qu’il est difficile de se défaire du sentiment tenace que la civilisation a échoué, se révélant incapable d’empêcher les plus monstrueux des crimes. Échec d’autant plus effrayant qu’il ouvre sur l’éventualité permanente de la répétition du pire. Si l’impossible, une fois, a eu lieu, il fait désormais partie du possible. Donc, il peut revenir. Du coup, s’il est encore vrai que la civilisation n’est pas tout à fait perdue, que les forces de paix ne sont pas entièrement défaites, que l’histoire, peut-être, n’est pas dévoyée à jamais, il convient de prendre au sérieux la barbarie.
Mais savons-nous de quoi nous parlons ? Savons-nous ce que « barbares » et « barbarie » veulent dire ? Nous le croyons. Voilà des termes partout présents, constamment utilisés, mobilisés en mille circonstances. Pourtant nous ignorons leur complexité, leur profondeur historique. Nous ne savons pas vraiment de quel héritage ces mots sont chargés, ni quels problèmes ils posent à la réflexion. L’objet de ce livre est de mettre en lumière les articulations de cette longue histoire, pour nous donner les moyens de savoir de quoi nous parlons.
Car des barbares, aujourd’hui, paraissent surgir de partout. Dans la réalité comme dans l’imagination. Dans l’histoire comme dans l’actualité. Dans les faits divers aussi bien que dans la réflexion philosophique. Rarement, sans doute, ils firent autant de bruit. Jamais, pourtant, on ne se soucia si peu de ce qu’ils signifient, et des questions multiples qu’ils devraient susciter.
Il semble que l’on parle des barbares, et de la barbarie, sans interroger le sens des vocables. Comme si ces vieux mots étaient des évidences à la disposition immédiate de tous, des lieux communs simplement partagés. C’est évidemment une erreur. On a tort de croire simple, univoque, facilement maniable un terme si ancien, et si chargé d’histoire, que le terme « barbare ». Il a traversé des époques dissemblables, en s’imprégnant à mesure d’une multitude de sens. On a oublié cette diversité. On ne prête guère attention au bourdonnement terrible, à la cacophonie effarante dont le mot est rempli et comme saturé. Voilà ce qu’il fallait commencer à mettre en lumière.
Il était nécessaire d’aller voir comment les barbares hantent, avec des visages disparates, les textes d’innombrables auteurs à travers les siècles, depuis les tragédiens de la Grèce classique jusqu’aux anthropologues d’aujourd’hui, en passant par les juristes de la romanité, les humanistes de la Renaissance, les historiens de notre XIX e  siècle ou les penseurs contemporains. Sous des habits neufs, les barbares surgissent régulièrement dans les représentations collectives de l’histoire occidentale. On les voit, à des moments charnières, jouer des rôles de premier plan dans l’imaginaire politique et la constitution de l’identité collective.
Ces barbares de l’imaginaire, qui sont-ils ? Est-il possible de comprendre comment ils se succèdent ? De

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