Lire dans la nuit et autres essais : Pour Jacques Derrida
225 pages
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Description

Jacques Derrida est sans contredit le philosophe qui s’est le plus passionné pour la littérature, sous toutes ses formes (impossibles à formaliser) et en tous genres (impossibles à assigner). Dès les commencements de son oeuvre philosophique, il s’est non seulement engagé à penser la question de l’écriture en tant qu’elle avait toujours été marginalisée et abaissée dans la tradition occidentale, il s’est aussi inlassablement tourné vers la littérature pour élaborer ses propres questions touchant le secret, le témoignage, la promesse, le mensonge, le pardon et le parjure, pour en nommer quelques-unes.
À la littérature, on ne saurait imposer, selon Derrida, des règles, des prescriptions ou des fonctions. Les essais réunis ici s’emploient à examiner plusieurs des propositions du philosophe au sujet de la « littérature sans condition », à commencer par celles qui concernent la souveraineté poétique et qui relient, de manière indissociable, la littérature comme « droit de tout dire » à la démocratie (à venir). Derrida insiste en effet sur la « puissance » du « principe » littéraire, qui permet à la littérature de s’affranchir en interrogeant ses propres règles, voire la loi même, dans une performativité sans précédent.
L’expérience littéraire s’avère aussi le lieu par excellence pour expérimenter toutes les modalités de la représentation et de la délégation sur lesquelles se fonde la démocratie. La littérature est ainsi associée pour Derrida à une certaine (ir)responsabilité, à une manière singulière de penser la question de l’éthique en la dégageant de toute morale et de toute instrumentalisation et, il va sans dire, de tout préjugé. S’appuyant sur Kafka, Bartleby et Abraham, Derrida souligne avec force l’importance que cette question d’une éthique autre revêt pour lui et il n’hésite pas à donner une préséance – préférence encore – à la littérature en ce qu’elle s’avance vers la loi pour en comprendre l’origine. De manière significative, il place la question de l’invention poétique et du langage – de ce qu’il appelle l’idiome, irréductible à toute traduction – au coeur de sa réflexion au sujet de la différence sexuelle et de l’hospitalité.
C’est à cette passion de Derrida pour la littérature que sont consacrés les essais réunis dans cet ouvrage.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 octobre 2020
Nombre de lectures 2
EAN13 9782760642607
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1150€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LIRE DANS LA NUIT ET AUTRES ESSAIS
Pour Jacques Derrida
Ginette Michaud

Les Presses de l’Université de Montréal




Mise en pages: Yolande Martel Couverture: Renato Pengo, Senza titolo , 1994, acrylique, ecoline, photo, 110 × 135 cm (Photo: Lorenzo Trento.) Catalogue Renato Pengo: Opere 1966-1996 (Canova, 1996, n. p.) Frontispice: Renato Pengo, Senza titolo , 1996, acrylique, photo, 100 x 150 cm (Photo: Lorenzo Trento.) (Les images sont reproduites ici avec l’aimable autorisation de l’artiste.) Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Titre: Lire dans la nuit et autres essais: pour Jacques Derrida / Ginette Michaud. Nom: Michaud, Ginette, 1955- auteur. Collection: Espace littéraire. Description: Mention de collection: Espace littéraire Comprend des références bibliographiques. Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200076833 Canadiana (livre numérique) 20200076841 ISBN 9782760642584 (couverture souple) ISBN 9782760642591 (PDF) ISBN 9782760642607 (EPUB) >Vedettes-matière: RVM: Derrida, Jacques. RVM: Philosophie et littérature. RVM: Psychanalyse et littérature. RVM: Démocratie et arts. RVM: Déconstruction. Classification: LCC B2430.D484 M53 2020 CDD 194—dc23 Dépôt légal: 3 e trimestre 2020 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2020 www.pum.umontreal.ca Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).





AVANT-PROPOS
Préférer la littérature
L’«économie» de la littérature me paraît parfois plus puissante que celle d’autres types de discours, comme par exemple le discours historique ou le discours philosophique. Parfois : cela dépend des singularités et des contextes. La littérature serait en puissance plus puissante 1 .
Jacques Derrida, «“Cette étrange institution qu’on appelle la littérature”».
Jacques Derrida est sans contredit le philosophe qui s’est le plus intéressé à la littérature, sous toutes ses formes (impossibles à formaliser) et en tous genres (impossibles à assigner). Non seulement s’est-il, dès La voix et le phénomène , De la grammatologie et L’écriture et la différence , ouvrages tous trois parus en 1967, d’emblée engagé à penser la question de l’écriture en tant qu’elle avait toujours été marginalisée et abaissée dans la tradition philosophique occidentale, il s’est également tourné vers la littérature pour élaborer ses propres questions philosophiques touchant le secret, le témoignage, la promesse, le mensonge, le pardon et le parjure, pour en nommer quelques-unes. Sa critique du signe, de la métaphore, du performatif et des speech acts , des genres, et tout particulièrement de l’autobiographie, du nom propre et de la contresignature, ne laisse pour ainsi dire rien d’intact dans ce qui s’appelle ou qu’on appelle encore du nom de «littérature». En se mettant à l’écoute des écrivains et des poètes, de Rousseau à Genet, en passant par Ponge, Kafka, Cixous et Shakespeare, Derrida a développé une riche réflexion sur la «toute-puissance» de la littérature, cette puissance autre capable de penser et de défaire par sa souveraineté poétique le fantasme de souveraineté politique. La question du poème a tout particulièrement aimanté l’attention de Derrida, qui a longuement médité sur sa blessure muette et les ressources de la langue, de l’ idiome inventé par le poète pour donner voix à ce qui résiste à tout dire, à toute symbolisation. Car la littérature trouve moins dans cette pensée une définition (historique, rhétorique, formelle) qu’une in- finition devançant toute institutionnalisation ou description générique, la «littérature» répondant de cette chose qui «fait toujours autre chose, autre chose qu’elle-même, elle-même qui d’ailleurs n’est que cela, autre chose qu’elle-même 2 ». Aucun philosophe n’a sans doute aussi bien parlé de l’être-jeté du poème, de sa vulnérabilité, de sa fragilité, conférant ainsi à cet être-de-passage toujours clandestin sa familiarité native avec les figures de tous ces «être[s]-sans-défense 3 » – «cela peut être aussi bien le rêve, la langue, l’inconscient, que l’animal, l’enfant, le Juif, l’étranger, la femme 4 », comme il l’écrit dans Fichus .
Les essais réunis dans cet ouvrage sont consacrés à cette passion de Derrida pour la littérature. La forme choisie importe, car tout essai est avant tout lui-même une tentative (même si elle est vouée à l’échec), un «essayer dire 5 », pour emprunter cette expression à Georges Didi-Huberman, chaque fois singulier et à réinventer, s’affrontant à l’épreuve de penser cet infini de la littérature, trop grand pour sa seule voix.
Les deux premiers essais, «Jeter une ligne» et «Le poème et son archive», qui ouvrent (simultanément, pourrait-on dire) le recueil, sont étroitement liés par leur propos sur la poématique du poème et tentent de rester au plus près des questions inquiètes de Derrida au sujet du poème, ce hérisson aveugle traversant la route et exposé, toujours à contretemps, à l’accident 6 . En évoquant l’attrait exercé par le poème en général dans la pensée de Derrida, mais aussi la portée d’un vers unique, un « one-line poem » qu’il publia un jour, je souligne comment se scelle dans la crypte poétique un rapport intime au secret, qui témoigne aussi de l’importance de la mémoire et de l’archive confiées à l’avenir d’une lecture.
À la littérature, on ne saurait assigner, selon Derrida, des règles, des prescriptions ou des fonctions. Les essais réunis ici s’emploient à examiner plusieurs des propositions du philosophe au sujet de la littérature, à commencer par celles qui concernent la souveraineté poétique et qui relient, de manière indissociable, la littérature comme «droit de tout dire» à la démocratie ( à venir ). Dans «“Le pouvoir de tout dire et de tout cacher…”: la littérature en democrisis », ces propositions sont discutées à l’aune d’une fiction d’Hélène Cixous, Manhattan , où l’on suit le fil de l’abdication (renoncement, délégation, déposition, «abdénégation», selon le mot inventé par Cixous) quant au fantasme ou symptôme du pouvoir de la littérature. On y voit comment, de manière très étrange, une monarchie spectrale continue toujours de hanter la démocratie dans une résistance de la souveraineté qui n’est pas si facile à penser, encore moins à analyser. Je tente d’y affûter la distinction entre le droit et le pouvoir, et peut-être encore davantage celle qui passe entre le pouvoir ( power ) et le pouvoir (puissance), entre le pouvoir et toutes les forces différentielles qui s’y affrontent (autorité, légitimité, loi, d’une part; potentialité, force virtuelle, puissance de la puissance, d’autre part). Comment dénombrer, identifier et même imaginer ces « puissances-autres » de la littérature si – et c’est là l’expérience que la littérature et la psychanalyse partagent – la force et la faiblesse, le pouvoir et l’impouvoir, la puissance et la powerlessness ne s’opposent jamais simplement mais s’allient et se relancent? Quelle valeur accorder au « plus de puissance» de la littérature, expression à considérer ici dans toute son équivoque?
Mais que peut, au juste, la littérature en « democrisis »? Si ce jeu de mots résonne certes comme un lapsus un peu laborieux, le mot cherche aussi à faire entendre l’ébranlement nécessaire des limites entre les langues et qui passe précisément par la prise en compte de la singularité de l’expérience littéraire. Car il faut comprendre ici «expérience» au sens fort du terme et non dans l’acception courante que lui a forgée toute une tradition philosophique supposant un ego et ses propriétés (perception, intentionnalité, conscience, sens, etc.). C’est, on l’aura compris, ce qui m’importe ici au premier chef et que je tente de suivre dans le «principe» littéraire: soit l’étrange contradiction, la structure paradoxale de la chose appelée littérature qui la maintient en l’air , qui lui permet de s’affranchir en déposant sa souveraineté, institution sans institution, fondation sans fondement, convention capable de questionner ses propres règles, voire la loi même, dans une performativité sans précédent. C’est sur cette question que la littérature et la démocratie se croisent au plus près, d’autant que – et c’est la question qui est abordée dans «Après l’Auteur porté disparu, qui ou quoi signe?» – l’expérience littéraire s’avère le lieu par excellence pour expérimenter toutes les modalités de la représentation et de la délégation sur lesquelles se fonde la démocratie. La question de la représentation, des représentants de représentants, qui trouve son laboratoire en quelque sorte dans la fiction, prend dans ce contexte une indéniable portée politique. Si Derrida s’y intéresse particulièrement sur le plan philosophique et politique, c’est parce qu’elle attire son attention sur le type de délégation qui se joue le long de la chaîne littéraire, en l’occurrence entre les instances de l’auteur, de la personne réelle, du sujet de droit, d’un côté, et le je fictif, narrateur, personnage, héros, de l’autre. C’est en ce sens que les questions «quasi philosophiques» et «quasi politiques» portées, œuvrées par la littérature, importent à Derrida: parce qu’elles s’occupent, peut-être à la place de la philosophie, de questions (la femme, l’animal, les apories de la vie la mort 7 ) que la tradition philosophique dominante n’a pas pu prendre au sérieux.
La littérature est aussi associée pour Derrida à une certaine (ir)responsabilité, à une manière singulière de penser la question de l’éthique en la dégag

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