Michel Foucault, entretiens
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Description

« Souhaitez-vous qu’on vous nomme historien ? — Je suis très intéressé par le travail que font les historiens, mais je veux en faire un autre. — Doit-on vous appeler philosophe ? — Pas non plus. Ce que je fais n’est aucunement une philosophie. — Alors, comment vous définiriez-vous ? — Je suis un artificier. Je fabrique quelque chose qui sert finalement à un siège, à une guerre, à une destruction. Pour qu’on puisse passer, pour qu’on puisse avancer. » Ce volume rassemble trois entretiens avec Michel Foucault. Il s’y exprime notamment sur son parcours et sur son travail, en des termes simples et directs. Une préface inédite et une étude de Roger-Pol Droit sur l’œuvre de Foucault ouvrent ce dossier. Chercheur au CNRS, écrivain et journaliste, Roger-Pol Droit a notamment publié La Compagnie des philosophes, La Compagnie des contemporains, 101 expériences de philosophie quotidienne (prix de l’Essai France Télévision 2001) et Dernières Nouvelles des choses.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 septembre 2004
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738163516
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, OCTOBRE  2004 15 RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-6351-6
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
www.centrenationaldulivre.fr
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Impressions



Ce qu’on trouve, au commencement historique des choses, ce n’est pas l’identité encore préservée de leur origine, c’est la discorde des autres choses, c’est le disparate. L’histoire apprend aussi à rire des solennités de l’origine .
Michel F OUCAULT , « Nietzsche, La généalogie, l’histoire », in Hommage à Jean Hyppolite PUF, 1971

 
La voix est d’abord sourde, peu audible, méfiante. Elle s’éclaircit et devient nette quand il se trouve en confiance. Ce n’est qu’un détail, infime, parmi cent autres. Jamais pourtant je n’ai entendu personne dire « allô ? » de cette façon-là, à la fois apeurée, attentive, à l’affût. Comme si, la seconde d’après, tout allait devenir possible, une guerre ou un rire, une menace, une demande, quelque traquenard ou une passe d’armes.
Foucault, en disant « allô », était aux aguets. Prêt à tout, à se battre et à esquiver, à jouer ou à mordre. Il me semble qu’il avait cette attitude en tout. Partout, ou presque, il paraissait sur ses gardes. Pas sur la défensive, pas du tout circonspect, prudent ou réservé. Plutôt guetteur, vigilant, prêt à toute éventualité. Je pense à la phrase fameuse de Diogène le Cynique : « Ce que m’a appris la philosophie ? Être prêt à toute éventualité. » C’était cela, oui, l’éventualité. Le sentiment de l’aléatoire. L’acuité du guerrier : qui va là ? ami ? ennemi ? qui me veut quoi ? Mais tout en demi-teinte, à voix basse, étouffée, presque terne : « Allô ? »
À l’opposé, à l’autre bout du spectre, le rire. Les rires, plutôt. Car Foucault en avait une palette très diverse. De convenance : pour prendre congé, pour accueillir, pour remercier, un rire plutôt désinvesti, pas vraiment mécanique mais peu habité. De persiflage : quand un critique lui déplaisait, qu’un adversaire l’avait blessé, se mettait en place un rire sifflant, plus ou moins métallique. Face à l’absurde, à la connerie, aux fronts bas, à l’ignorance crasse, c’était un rire large, sonore, éclatant. Il y avait aussi ce rire d’un autre type qui paraissait le submerger quand un mot, un souvenir, un geste le replongeaient soudain, fût-ce un instant, dans l’univers de la drague et des rencontres de hasard.
Je n’ai fréquenté Foucault que quelques mois, ce qui est bien peu. Cela m’a suffi pour comprendre qu’il y avait en lui de l’insaisissable. Est-ce d’ailleurs de « comprendre » qu’il s’agit ? Non, si l’on entend par là une opération de l’entendement qui conclut, au terme d’un processus rationnel, à un résultat argumenté. Je rassemble ici seulement quelques impressions, voyant bien qu’elles sont anciennes et fugitives. Cela ne me paraît pas un motif suffisant pour les écarter, encore moins pour ne pas leur faire confiance.
Je crois, au contraire, qu’il convient de réhabiliter les impressions. Ce qu’on nomme ainsi, faute de mieux, dit en effet quelque chose qui ne se retrouve, finalement, nulle part ailleurs. Et qui n’est pas nécessairement accessoire ou négligeable. Ton de voix, lumière du regard, posture du corps, façon de se mouvoir ou de se taire, ou de rire, ou de s’habiller, évoquent souvent tout autre chose qu’un détail. Ou plutôt : qui donc a décidé, depuis quand, et comment, ce qui est détail et ce qui ne l’est pas ?

Effacer les traces
Parmi les impressions qui me restent en mémoire, à trente ans de distance, il y a Foucault en noir, un matin d’hiver, à l’entrée de la Bibliothèque nationale, un peu essoufflé, échauffé, venant de descendre de vélo, parlant vite, avant de s’immerger pour la journée dans les livres. C’était peut-être – je ne sais plus – la première fois que je l’ai vu. J’étais évidemment impressionné de rencontrer celui que nous étions, depuis plusieurs années, quelques-uns à lire avec passion. Nous l’avions surnommé « la cantatrice chauve », avec une affectueuse et admirative ironie. Et qu’il vienne à vélo, cela m’avait frappé. Un sens du corps, un souci de l’effort, du muscle, de la sveltesse, mais sans ostentation, comme un jeu, une manière de promenade, une façon aussi de musarder dans la ville. L’impression qu’il était toujours libre.
Impression confirmée, à tort ou à raison, par son apparente disponibilité. Il y a des gens qui n’ont jamais de déjeuner libre avant le trimestre suivant, et parfois le temps d’un café, avec un peu de chance, mais seulement le mois prochain. J’étais très surpris que Foucault, sollicité, célèbre, déjà mondialement connu, donne toujours le sentiment, quand on souhaitait le rencontrer, de ne rien faire le lendemain. Il semblait laisser son interlocuteur choisir le jour et l’heure, comme si lui avait eu tout son temps disponible, et rien d’autre à faire. C’était feint, mais non sans élégance.
Ainsi pouvait-on déjeuner. Notamment au Mercure Galant , derrière la Bibliothèque nationale de la rue de Richelieu, restaurant aujourd’hui disparu. Cet endroit semblait correspondre à Foucault. Il y avait là, en effet, un curieux mixte de décor classique et d’univers insolite. Ce que confirme sa réaction aux questions que je lui posais, à cette époque, en ces lieux. Ce qui m’intéressait : son rapport à Kant. Il avait traduit l’ Anthropologie du point de vue pragmatique . Ce travail avait été, à côté de l’ Histoire de la folie , sa thèse complémentaire. Et puis, en apparence, plus rien. Pourquoi ? Comment ? N’y avait-il pas quelque chose, malgré tout, qui perdurait en sous-main ? Ces interrogations visiblement l’irritaient assez vite. Une réponse coupante tombait : « En ce moment, je m’intéresse aux portes des chiottes dans les casernes allemandes du XVIII e siècle. » Classique, oui, et décalé tout ensemble. Modernité traversée de mélanges.
Même impression dans l’appartement de Foucault, au dernier étage d’un immeuble moderne, pas loin du métro Vaugirard. La première fois que je suis venu, tout m’a paru curieusement moderne. J’étais même étonné, je ne sais pas pourquoi, que la cuisine ait un micro-ondes et que Foucault y prépare lui-même, en sous-pull blanc à col roulé, un plat de poulet, légèrement crémé. Et puis il m’a expliqué en riant comment le mur du fond, qui avait l’air d’une bibliothèque fixe, coulissait pour faire communiquer cet appartement avec celui, mitoyen, occupé par son compagnon. Selon les visiteurs, la cloison était fermée ou bien ouverte.
Dans le décor contemporain, presque design, de cet appartement baigné de lumière, subsistait donc, avec cette cloison coulissante, quelque chose d’une ombre ancienne. Jeu de forbans, cachette, trappe, césure. Ce n’est pas le clin d’œil à l’histoire ancienne des portes dérobées et des passages secrets qui est ici en question. Ce n’est pas non plus le soin que mettait Foucault à ne vivre au grand jour que de façon sélective. C’est quelque chose de plus difficile à saisir, peut-être plus intéressant.
Il semble que chez Foucault existent un peu partout des tiroirs secrets, des arrière-plans masqués. Non pas que son œuvre soit ésotérique, évidemment. Pas question de l’inscrire dans la lignée des occultistes et autres auteurs cryptés. Mais les relations d’un livre à l’autre, par exemple, généralement se dérobent. Les continuités sont masquées. Dans la vie de l’homme, il me semble qu’il en a été de même. Si Foucault a tant de visages, qui souvent ne se raccordent pas, ou si mal, c’est aussi qu’il voulait effacer les traces, organiser des blancs, laisser des silences. C’est aussi une façon d’être libre.
Et il y avait beaucoup de liberté chez Foucault, de façon toujours singulière. J’ai été surpris, les fois où je l’ai rencontré chez lui, par ses postures. Il avait, en parlant, des manières non figées, peu communes, de se prendre le crâne d’une seule main, ou de replier une jambe, ou encore de laisser pendre un bras. Je ne vois pas là, simplement, des signes de décontraction, les attitudes détendues de quelqu’un qui est chez soi et qui peut, tout en parlant, s’asseoir sur sa jambe ou s’affaler à moitié sur le canapé.
Certes, il y avait de cela. Mais aussi autre chose. Comme une gestuelle du corps autrement codée que dans les conventions qui régissent aussi la décontraction. Une libre façon de se tenir autrement, quitte à perturber l’ordre des postures dites normales du corps en société. Peut-être faudrait-il rapprocher ceci de tout ce que Foucault étudia du dressage des corps dans la société disciplinaire, où il s’agit justement de restreindre ou d’annuler la part de mouvement corporel libre et spontané.
Ce qui est curieux, c’est que jamais, autant que je m’en souvienne, ces postures atypiques, ces manières de se tenir différentes ne don naient l’impression d’un quelconque laisser-aller. Foucault pouvait être dégingandé, il n’était jamais avachi ni vautré. Parce qu’il y avait en lui, me semble-t-il, comme une vigilance toujours en éveil, quelque mouvement organisant toujours un retrait, une distance. Impossible de l’imaginer inattentif, impossible aussi de l’imaginer tout bonnement simple.

Fièvre et affairement
Quelque chose en lui devait demeurer indéfiniment inaccessible. C’est ainsi, en tout cas, que je me l’imagine. Comme s’il s’ingéniait en permanence à creuser une distance envers les gens. Au premier abord, son extrême affabilité remplissait

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