Ontologie du devenir : L évolution, l univers et le temps
159 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Ontologie du devenir : L'évolution, l'univers et le temps , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
159 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

« On ne descend pas deux fois dans le même fleuve », disait Héraclite le ténébreux. Car tout s’écoule en un flux permanent : l’eau, les vivants, le temps… C’est le début du cheminement philosophique auquel nous convie Anne Fagot-Largeault. Le devenir paraît impensable dès l’origine de la philosophie. Ce qui devient ne cesse de changer : comment connaître ce qui n’est ni stable ni régulier ? Comment constituer une science du vivant si tout est en mouvement, les individus comme les espèces ? »  Sous la plume d’Anne Fagot-Largeault, des thèmes classiques – l’être et le devenir, le temps, le vivant, l’évolution, l’individu – sont revisités avec une maîtrise qui les rend simples. Elle organise un dialogue passionnant avec et entre les auteurs, anciens et modernes, scientifiques et philosophes, condense en quelques citations lumineusement expliquées des argumentations complexes. L’analyse englobe les sciences, jusqu’à l’astrophysique contemporaine : l’Univers aussi est en devenir. En fin de parcours, bien sûr, c’est de l’homme qu’il est question. Par la science et par l’action, il change la marche des processus naturels, et la question du devenir prend une tournure éthique. Rien de mieux, pour réveiller le goût de la philosophie, que cette pensée de plain-pied avec la vie, qui est au cœur de ce livre. Anne Fagot-Largeault est philosophe et psychiatre, professeure honoraire au Collège de France, où elle a occupé la chaire « Philosophie des sciences biologiques et médicales ». Elle est membre de l’Académie des sciences. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 mars 2021
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738154392
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB, MARS 2021 15, RUE S OUFFLOT, 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5439-2
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Ce livre est né d’une série de cours donnés entre 2006 et 2009 au Collège de France dans la chaire de Philosophie des sciences biologiques et médicales. La version orale de ces cours est en principe accessible en ligne sur le site du Collège de France ; on en trouve également un résumé succinct dans l’ Annuaire du Collège (106 e -109 e années).
La question posée méritait cependant d’être reprise et approfondie. Quelle question ? Celle que Socrate avait jadis lancée à Cratyle : « Mais si tout change sans cesse, aucune science n’est possible ? » (Platon, Cratyle , 440 a).
Depuis les travaux d’Aristote, on résolvait la question en admettant qu’il n’y a de véritable science que de ce qui est stable et qui ne change pas. Les individus meurent, les espèces demeurent : la science ne connaît de l’individu que ce qui tient à son espèce. De l’individu, ou d’un groupe d’individus, on peut raconter l’histoire, mais l’histoire n’était pas tenue pour une science, même si la méthodologie de la recherche historique a plus d’un point commun avec celle que pratique la science.
Cette séparation radicale entre science (en tant que connaissance et explication d’un univers réputé immuable) et histoire (ou recherche sur un passé censé n’obéir à aucune loi) s’est progressivement effacée au cours du XX e  siècle. On s’est aperçu que les espèces vivantes évoluent, que notre planète elle-même a évolué. Sur notre terre les espèces vivantes ont une histoire, la recherche scientifique est donc requise de faire une place à cette histoire. D’autre part, lorsque Pierre Léna était venu nous parler des sciences de l’univers (le 25 janvier 2007), comme il le rappelle ici, c’était pour nous expliquer que ces sciences elles aussi étaient en train de devenir des sciences historiques. L’univers statique de Newton, c’est fini ; on est passé de l’image d’un univers immuable à l’observation d’un univers en devenir. De son côté, Françoise Combes explique comment cette tendance s’est accentuée dans les années récentes. Les textes de ces deux éminents astrophysiciens figurent au chapitre 6 .
Quant aux quelques philosophes qui, au XX e  siècle, ont porté attention à cette historisation de la connaissance scientifique – ainsi Henri Bergson, Alfred Whitehead, Gilbert Simondon – quel est leur message ? Ils nous disent que, plutôt que regarder en arrière et regretter le passé, nous devons regarder devant nous et coopérer avec les agents de l’histoire qui nous porte. Nous sommes les artisans du futur. Nous ne conduisons pas le navire, mais nous pouvons peut-être l’empêcher de s’échouer.
Que soient chaleureusement remerciés ici les collègues qui ont accepté de se lancer dans cette réflexion commune, comme aussi tous les auditeurs et toutes les auditrices de naguère venus assister à ces cours, et constituant le public si particulier et stimulant du Collège de France.
Anne F AGOT- L ARGEAULT , janvier 2021.
CHAPITRE 1
Le devenir impensable : un problème aussi vieux que la philosophie

« Socrate – Mais il n’y a même pas de bon sens, Cratyle, à déclarer qu’il existe une connaissance, si toutes choses se transforment et qu’aucune ne demeure ! »
P LATON , Cratyle 440 a, tr. fr. Léon Robin.

Préambule
La question ontologique, l’argument ontologique. La philosophie première, ou « science de l’Être en tant qu’être » (Aristote, Métaphysique , III, 1 et V, 1). Qu’est-ce qu’une ontologie ? « Ontologie du devenir » : un oxymore ?
Qui est ce Cratyle, que Socrate interpelle dans le dialogue de Platon qui porte son nom ? C’était un Athénien, qui avait étudié avec Héraclite, le philosophe d’Asie Mineure (Héraclite d’Éphèse), et ce Cratyle fut l’un des maîtres du jeune Platon. Cratyle professait, selon ce que la tradition nous apprend, un « héraclitéisme radical 1  ». Certes, nous n’avons pas les œuvres d’Héraclite, mais plusieurs témoins de l’antiquité rapportent que ce philosophe, Héraclite, aurait dit « qu’on ne saurait descendre deux fois dans le même fleuve ». Pourquoi ? Parce que la seconde fois le fleuve a coulé, ce n’est plus la même eau, et soi-même, d’un moment à l’autre, on est différent. Cratyle se serait signalé par son aptitude à surenchérir sur ce que disait Héraclite, en affirmant qu’on ne peut pas même une seule fois descendre dans le même fleuve. Pourquoi ? Parce que, pendant que vous descendez dans le fleuve, le fleuve coule, donc d’un instant à l’autre il n’est plus le même ; et vous-même, dans l’acte de descendre qui est un acte posé dans le devenir, vous bougez.
Aristote nous dit que, dès sa jeunesse, Platon se serait familiarisé avec les idées héraclitéennes, d’après lesquelles – je cite Aristote – « les choses sont en flux perpétuel et ne sauraient donc être objet de science » (987 a). Il nous dit aussi que Cratyle lui-même en était venu à penser qu’il ne sert à rien de vouloir dire quoi que ce soit de sensé, parce que la moindre affirmation aussitôt proférée est déjà en retard sur ce dont elle parle ; aussi se contentait-il, à la fin de sa vie, de remuer le doigt : le silence, comme réponse au glissement perpétuel du devenir (1010 a, 10-15).
Dans le dialogue qui porte le nom de Cratyle , Platon met en scène deux interlocuteurs : Hermogène et Cratyle, qui parlent du langage. Hermogène soutient que les dénominations sont conventionnelles. On dit qu’un cheval est un cheval, et qu’un homme est un homme, mais on pourrait aussi bien appeler « homme » ce qui est un cheval, et « cheval » ce qui est un homme, cela n’aurait aucune importance, c’est affaire de convention. La thèse d’Hermogène est donc celle de la relation arbitraire entre le signe linguistique et la chose désignée par le signe. Cratyle, au contraire, soutient que les mots sont ajustés aux réalités, et que l’on peut donc apprendre quelque chose sur les réalités à travers les mots. La thèse de Cratyle appelle, peut-on dire, une philosophie du langage : c’est, pour ainsi dire, Benveniste rectifiant Saussure 2 . Socrate, dans cette discussion, est appelé comme arbitre. Il semble pencher en faveur de Cratyle, et avec Cratyle se met à chercher en quoi les mots nous éclairent sur la nature des choses. Ils se lancent dans une grande recherche sur les étymologies, et ils en viennent à dire que si ceux qui ont fait la langue, à savoir nos ancêtres – car nous héritons d’une langue – si nos prédécesseurs ont bien travaillé, alors les mots de notre langue nous apprennent quelque chose sur le réel. Mais supposons que la réalité change : alors, si l’on conserve les mêmes mots, on est induit en erreur. Il faudrait donc changer les noms, mais ce travail consistant à modifier les noms pour les ajuster à une réalité changeante n’a plus de sens si la réalité change tout le temps, et si les mots courent après avec toujours un retard puisque le réel continue de changer. Ils concluent que pour connaître la réalité, il vaut mieux s’adresser à la réalité elle-même, plutôt que de chercher dans la langue la vérité du réel.
Derrière ce récit qui l’illustre, voici la question ontologique : « Qu’est-ce qui est  ? », qu’est-ce qu’il y a dans notre monde, qu’est-ce qui perdure dans l’être, qu’est-ce qui cesse d’être ? René Descartes, dans son poêle, met en doute la réalité de tout ce qui l’entoure, et bute sur l’évidence que s’il doute, il existe, il est (« je doute, donc je suis  » ). Cette position est radicale, le problème est ensuite de sortir du doute : comment prouver que je ne rêve pas mon fauteuil, et que mon poêle est là réellement ?
Le logicien et philosophe contemporain William van Orman Quine est moins radical, il admet qu’à première vue le monde dans lequel il évolue quotidiennement est réel. Il résume la situation en disant : «  A curious thing about the ontological problem is its simplicity. It can be put in three anglo-saxon monosyllables : “What is there ?” It can be answered, moreover, in a word – “Everything”  » (Quine, 1953, I). Traduisons : « Une chose curieuse à propos du problème ontologique est sa simplicité, il peut être formulé en trois mots : What is there ? (Qu’est-ce qu’il y a ?), et la réponse tient en un mot : Everything (Tout). »
Mais Quine prévient aussitôt son lecteur que « ce n’est pas si simple », qu’il y a des précautions à prendre, et qu’il a lui-même l’intention de faire usage du rasoir d’Occam , c’est-à-dire, de ne pas reconnaître l’être à certaines entités dont il considère qu’elles ne l’ont pas pleinement : ainsi Pégase, le cheval ailé – c’est un exemple chéri des logiciens – mais nous pourrions aussi bien dire : Tintin, ou Gaston Lagaffe. Tintin est-il ? Non, c’est un être fictif, un personnage de bande dessinée, une création de Hergé ! Il n’est pas véritablement. Quine pense que, si l’on est un philosophe sérieux, on doit éliminer de son ontologie les superflus. D’autres superflus, beaucoup plus importants et traditionnellement plus disputés que les personnages de roman, sont les termes universels, qu’on appelle aussi les universaux . Est-ce que la beauté – la beauté en soi – est ? Il y a de beaux tableaux, de belles personnes, de belles situations, de belles musiques, mais est-ce qu’il y a la beauté en soi ? Quine répond : non, suivant en cela la doctrine d’Arist

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents