Tradition antique et tolérance moderne : Textes choisis et présentés par Philippe Despoix et Georges Leroux

Raymond Klibansky

Description

Ce volume, qui souligne le dixième anniversaire de la mort de Raymond Klibansky (1905-2005), rassemble les principaux textes que le philosophe a écrits sur plus de six décennies. Ces textes illustrent les étapes du parcours exceptionnel de ce grand érudit de la tradition platonicienne formé à Heidelberg et réfugié à Londres à partir de 1933. Proche d’Ernst Cassirer, collaborateur à Hambourg de la Bibliothèque Warburg puis à Londres du Warburg Institute, pour lequel il coédita, entre autres ouvrages, le Corpus Platonicum Medii Ævi (1940-1962) latin et arabe ainsi que le fameux Saturn and Melancholy (1964), Klibansky devint professeur à l’Université McGill à Montréal en 1946.
S’ouvrant sur sa conférence inaugurale de 1932 qui traite du rapport entre philosophie et histoire, le recueil convoque près de 25 siècles d’histoire de la pensée, de l’Antiquité à la Renaissance et de l’époque moderne jusqu’à la fin du xx e siècle. Il offre des textes parus à l’origine dans quatre langues différentes ainsi qu’un document d’archive et propose également une biographie intellectuelle de l’auteur préparée par les directeurs de l’ouvrage. Un riche appareil de notes ainsi qu’une bibliographie des travaux de Raymond Klibansky complètent cet ouvrage.

Sujets

• Philosophie et théologie
• Philosophy

Informations

• Publié par: Presses de l'Université de Montréal
• Date de parution: 19 septembre 2016
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782760636446
• Langue: Français

Extrait

Pensée allemande et européenne collection fondée par Guy Rocher dirigée par Philippe Despoix et Augustin Simard
Universels quant à leurs préoccupations critiques, les ouvrages publiés dans cette collection pluridisciplinaire sont indissociables de l’univers intellectuel germanique et centre-européen, soit parce qu’ils proviennent de traditions de pensée qui y sont spécifiques, soit parce qu’ils y ont connu une postérité importante. En plus des traductions d’auteurs aujourd’hui classiques (tels Simmel, Weber ou Kracauer), la collection accueille des monographies ou des ouvrages collectifs qui éclairent sous un angle novateur des thèmes propres à cette constellation intellectuelle.
Raymond Klibansky
Tradition antique et tolérance moderne
Textes choisis et présentés par Philippe Despoix et Georges Leroux
Les Presses de l’Université de Montréal

La collection Pensée allemande et européenne est parrainée par le Centre canadien d’études allemandes et européennes (CCEAE, Université de Montréal). Elle publie des ouvrages évalués par les pairs et reçoit l’appui du Deutscher Akademischer Austausch Dienst (DAAD). www.cceae.umontreal.ca/La-collection-du-CCEAE
Mise en pages: Yolande Martel Epub: Folio infographie Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Klibansky, Raymond, 1905-2005 Tradition antique et tolérance moderne (Pensée allemande et européenne) Comprend des références bibliographiques. Texte en français traduit de l’anglais, de l’allemand et de l’italien. ISBN 978-2-7606-3642-2 1. Philosophie. 2. Platon. 3. Klibansky, Raymond, 1905-2005. I. Despoix, Philippe, 1957- . II. Leroux, Georges, 1945- . III. Titre. IV. Titre: Tradition antique et tolérance moderne. V. Collection: Pensée allemande et européenne. B995.K55 2016 191 C2016-940518-4 Dépôt légal: 3 e trimestre 2016 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2016 www.pum.umontreal.ca ISBN (papier) 978-2-7606-3642-2 ISBN (ePub) 978-2-7606-3644-6 ISBN (PDF) 978-2-7606-3643-9 Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
Table des matières
Raymond Klibansky (1905-2005) Esquisse d’une biographie intellectuelle
Remerciements
Note des éditeurs
I
PHILOSOPHIE ET HISTOIRE
Le caractère philosophique de l’histoire
II
DE L’ANTIQUITÉ À LA RENAISSANCE
Kairos et théologie de l’histoire
La découverte d’un texte platonicien inconnu de l’Antiquité classique
Néoplatonisme et christianisme
«Regagner Athènes à partir d’Alexandrie?» Entretien avec Christian Jacob
L’école de Chartres
Copernic et Nicolas de Cues
Démonstration, vérification, justification
Philosophie, science et astrologie au Trecento européen Entretien avec Francesco Barocelli
Les aventures de la mélancolie
III
TOLÉRANCE ET LIBERTÉ
La correspondance inconnue de Leibniz avec des savants et des hommes de lettres anglais
John Locke, Lettre sur la tolérance
Jan Patočka
Le trésor de Kandahar
IV
REGARDS RÉTROSPECTIFS
À l’occasion du cinquantième anniversaire de la Nuit de Cristal
Discours à l’occasion du prix Lessing de la Ville de Hambourg
Souvenirs d’Ernst Cassirer Entretien avec Thomas Göller
La notion de Kulturwissenschaft
Notes complémentaires des éditeurs
Bibliographie
Raymond Klibansky (1905-2005) Esquisse d’une biographie intellectuelle
Né à Paris, le 15 octobre 1905, d’une famille juive originaire de Francfort, Raymond Klibansky fit ses études primaires en français dans une école du X e arrondissement. Son père, Hermann Klibansky, était négociant en vins. En 1914, la Première Guerre mondiale contraignit la famille à rentrer en Allemagne et le jeune élève fut d’abord inscrit au Goethe Gymnasium de Francfort. En 1920, âgé de quinze ans, il obtint de son père la permission de fréquenter l’école d’avant-garde d’Odenwald, fondée par Paul Geheeb. Tenue en haute estime par des intellectuels comme Thomas Mann ou Ernst Cassirer, qui y envoyèrent leurs enfants, cette école favorisait une pédagogie ouverte et libérale. La devise en était un vers de Pindare: «Deviens celui que tu es.» Conservé dans ses archives, le bulletin du jeune Klibansky, portant les remarques personnelles de Geheeb, montre un élève discipliné et talentueux. La culture était transmise par l’étude de grands écrivains, comme les poètes Hölderlin et Goethe, mais aussi les poètes et philosophes grecs et romains. Dans ses souvenirs publiés, Raymond Klibansky rend hommage à cette pédagogie de la liberté, qu’il oppose à la tradition autoritaire de l’Allemagne wilhelminienne 1 .
En 1923, Raymond Klibansky entreprit ses études universitaires à Heidelberg, qui demeura le foyer intellectuel et spirituel de toute sa vie. Quand il s’y installe, la République de Weimar connaît son apogée. La fréquentation de maîtres tels que les philosophes Heinrich Rickert (1863-1936) et Karl Jaspers (1883-1969) instille en lui des convictions républicaines profondes et l’éloigne du pessimisme dont se nourrit le fascisme qui imprègne déjà la culture allemande. Son parcours philosophique personnel ne semble cependant redevable ni du kantisme du premier ni de la psychologie existentielle issue de la «philosophie de la vie» ( Lebensphilosophie ) du second. Sur ses relevés d’inscription, nous notons la présence de philologues réputés comme Ludwig Curtius (1874-1954) et Otto Regenbogen (1871-1966) qui confirment son orientation vers les études classiques. Après un court séjour à Kiel, où sur la recommandation de Karl Jaspers il fut, de mai à octobre 1924, l’assistant du sociologue Ferdinand Tönnies (1855-1936), Raymond Klibansky entreprit ses études doctorales à Heidelberg, auprès du philosophe et helléniste Ernst Hoffmann (1880-1952). Comment a-t-il choisi Hoffmann? Sans doute et même certainement en raison de son intérêt de départ pour la pensée de Nicolas de Cues, que Hoffmann avait entrepris d’éditer et avec qui il s’associa de manière étroite par la suite, comme le montrent ses premiers travaux publiés 2 . On pense notamment aux premières éditions de Nicolas de Cues, qu’ils réalisèrent en collaboration 3 .
La formation de Raymond Klibansky, son Bildungsroman , doit tout au milieu intellectuel de Heidelberg qu’il fréquenta assidûment 4 , comme en témoigne son récit autobiographique de 1991. Même s’il ne fut jamais proche du cercle du poète Stefan George (1868-1933), dont l’influence était alors à son zénith, il en reconnut l’importance littéraire. George faisait la promotion d’un nouveau Reich , fondé sur des valeurs spirituelles et s’exprimant dans un lyrisme exacerbé, ce qui donna lieu à beaucoup d’ambiguïté avec la montée du national-socialisme, mais Klibansky n’adhéra jamais à ce projet poético-politique. Qui était ce poète charismatique chargé de conduire le peuple? Lui-même, sans doute, répondit Klibansky. Parmi ses amis durant cette période de formation, il faut mentionner d’abord Walter Solmitz 5 (1905-1962), qu’il retrouva plus tard à Hambourg auprès d’Ernst Cassirer. Il faut ensuite rappeler son amie Lotte Labowsky (1905-1991) 6 , avec qui il travailla sur le corpus platonicien et le poète Karl Wolfskehl (1869-1948), très proche de Stefan George 1 . Marianne Weber, veuve du sociologue Max Weber, l’accueillit dans sa maison et contribua pour beaucoup à l’intégration du jeune savant dans la société littéraire de Heidelberg. La critique wébérienne de la subjectivité et la recherche d’un idéal scientifique dégagé des convictions personnelles laissèrent chez lui des traces indélébiles, et Klibansky rendit souvent hommage à cette femme plus tard.
La biographie intellectuelle de Raymond Klibansky représente un itinéraire complexe, mais on peut y découper quelques grands segments principaux: l’étude des œuvres de Nicolas de Cues (1401-1464) et de Maître Eckhart (c. 1260 - c. 1328), la recherche sur le platonisme médiéval et le projet d’édition du Corpus Platonicum présenté à l’Institut Warburg, la tradition littéraire et philosophique de la mélancolie et l’idéal moderne de la tolérance, en particulier dans l’œuvre de John Locke. Ce découpage laisse de côté plusieurs intérêts complémentaires, bien représentés dans sa bibliographie. Celle-ci se constitue, d’une part, d’un ensemble très riche d’éditions de textes anciens et modernes et de commentaires et, d’autre part, d’une somme d’études, publiées dans des revues spécialisées et dans des ouvrages collectifs. Le choix de textes que nous présentons ici se veut fidèle aux grandes orientations de la vie intellectuelle de Raymond Klibansky et nous les signalerons dans la suite de cet exposé.
1. Premières influences à Heidelberg
Le milieu intellectuel où se forme le projet philosophique de Klibansky est celui de la République de Weimar. Comme Walter Laqueur le remarque dans son étude 7 , les sociologues qui représentent le projet intellectuel de cette période avaient en commun un cadre de référence: Max Weber, Ferdinand Tönnies, Georg Simmel, Ernst Troeltsch et, à certains égards, Max Scheler partageaient tous un intérêt fondamental pour la question de la sécularisation. Pour la plupart bien formés en histoire des religions et en théologie, ces penseurs élaboraient chacun de leur côté des recherches qu’on pourrait aujourd’hui regrouper sous la catégorie de la philosophie de la culture. Comment en effet accéder à une représentation de la culture et de la subjectivité dégagée des cadres de la métaphysique spéculative? Wilhelm Dilthey considérait cette sociologie comme une gigantesque chimère, et les théoriciens de la culture consacrèrent beaucoup d’énergie à défendre leur approche théorique. Ils