Et la foule se tenait là, à regarder
204 pages
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Description

« Il ne peut s'empêcher de se mettre en colère contre les servantes prêtes à tout, qui grouillent aux alentours des casernes. Une sorte d'exutoire. Le soleil levant doit le trouver pur de toute volonté de révolte. Punaises, cafards, mille-pattes, cloportes, scorpions, les baptise-t-il. À leur image, une autre vermine, attirée par le sang, a dû envahir les plaies de son dos. Les démangeaisons l'obsèdent. Bientôt, il faudra qu'il se gratte. Elles resteraient supportables s'il n'y avait pas les mouches. Des milliers de mouches. Par expérience, il les différencie grâce à la fréquence des vibrations discontinues de leurs ailes. Leurs pattes fourmillent sur ses lèvres, autour de sa bouche, dans ses oreilles, explorant chaque recoin humide de son corps. Les plus intrépides viennent en bande sucer ses larmes, jusque dans les yeux, malgré l'acharnement nerveux des paupières. Il n'en peut plus. Au bord de la crise de nerfs, il lève la tête, et, les mains attachées dans le dos, essaie de les chasser de son visage avant de devenir fou. » Dans une ville du Sud, construite sur deux collines, un condamné à mort marche lentement vers le lieu de son exécution. Tout au long du chemin qu'il doit parcourir, sa mère, les femmes qui l'ont suivi depuis sa province natale, quelques compagnons de route, les soldats, leurs officiers, le gouverneur, sa femme, les représentants du pouvoir religieux, les leaders du commerce local comme la foule massée sur les trottoirs, vivent, avec lui, chacun de ses pas... Le héros ne dit pas son nom, toute précision est inutile : Gilbert Dausse réussit pourtant le tour de force à nous faire vivre ou revivre ces instants que chacun connaît. Un parti pris audacieux, où, sans lieux ni noms, le récit, d'une force de chaque instant, parvient à toucher l'universel : quoi de plus réussi pour évoquer celui qu'on dit mort par amour pour nous ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 février 2016
Nombre de lectures 2
EAN13 9782342048278
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Et la foule se tenait là, à regarder
Gilbert Dausse
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Et la foule se tenait là, à regarder
 
 
 
À ma mère, ou plutôt au souvenir vivant qu’il me reste d’elle.
 
 
 
« Sans amour, je ne suis rien »
Paul (1Co – 13/2)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
I. Dans l’ombre noire des arbres
 
 
 
 
 
 
Les soldats, quelle que soit l’armée à laquelle ils appartiennent, doivent obéir. L’exécution immédiate des ordres est leur raison d’être. Sans ce respect dogmatique du commandement, ils redeviendraient des non-soldats, relégués définitivement au sous-rang de marchands, tenanciers, dresseurs de chevaux ou simples paysans. Donc, par la force des choses, condamnés à mener une vie misérable, en dehors de toute ambition de prendre un jour du galon. Mais, l’expérience aidant (car en ce temps-là le service actif durait plus de vingt ans), chacun d’eux, faute de promotion, se mettait à la recherche d’un poste le plus éloigné possible des champs de bataille, et se retrouver un beau jour muté dans les effectifs de police urbaine d’une province de troisième classe, complètement pacifiée, relevait d’un coup de chance inespéré. Cette nuit, les vétérans, affectés à la garde du palais royal ne courent aucun danger. De plus, sa position stratégique, au plus haut de la ville, à l’intérieur des remparts, les met à l’abri d’une mauvaise surprise. Les seuls désordres possibles pourraient, à la rigueur, provenir des femmes rassemblées dans l’ombre noire des arbres.
Serrées au centre de la place, elles cherchent à passer inaperçues. Leur désir serait de disparaître. L’une d’elle a essayé d’expliquer que, trop nombreuses, elles se feraient remarquer. Une seule suffirait pour assurer le guet ! Elles ont refusé. A l’unanimité. L’attente, loin du drame, deviendrait vite plus insupportable que le danger d’être arrêtées, battues, emprisonnées, puis, le lendemain, proposées au plaisir de la garnison. Par prudence, elles ont choisi le coin le plus sombre. Levant les yeux vers le ciel, elles regrettent les étoiles. Certaines, plus éclatantes, renforcent la luminosité inquiétante de la nuit. Par bonheur, juste au-dessus de leur tête, une constellation en forme de cerf-volant ranime les souvenirs d’une veillée au bord d’un lac proche de leur village. Un vrai bonheur. L’Homme-seul était au milieu d’elles. Ses paroles d’amour éternel les transcendaient d’allégresse. Ce soir, d’un commun accord, elles gardent le silence. Tous nouveaux gémissements de douleur viendraient grossir les souffrances mortelles déjà prisonnières du cœur. Pourtant, une musique insolite, proche du recueillement, trouble les respirations naturelles du vent. Les voix psalmodient à l’unisson. Elles prient. A sa manière. Au rythme de leur respiration. En accentuant à chaque reprise les deux premiers mots de la courte supplique qu’il leur a apprise. Tout à coup, voulant s’assurer que leurs oreilles ne les trompent pas, deux des sentinelles en faction à l’extérieur de la porte d’entrée s’avancent de quelques pas. Surprises par cette manœuvre, elles prennent peur. Les murmures d’action de grâces s’arrêtent d’un coup. Les soldats, constatant que rien ne bouge, se gardent de traverser la rue et regagnent leur place sans plus s’occuper d’elles.
Soudain, elles se sont mises à chanter. On aurait dit qu’elles se payaient notre tête, déclarent-ils, lorsque le chef les interroge sur ce qu’ils ont remarqué depuis sa dernière ronde. Un rapide contrôle de la situation suffit à le rassurer. Elles ne semblent ni plus nombreuses ni plus agressives, et aucun rebelle n’est venu les rejoindre. Il ne se passera rien jusqu’au lever du jour, leur dit-il, sauf si, d’ici là, un leader réussissait à les entraîner dans une action subversive en pensant qu’ils n’oseraient pas se battre contre des femmes. Ses ordres succincts vont dans ce sens : ouvrir l’œil. L’arrivée d’un groupe d’hommes armés doit être immédiatement signalée. Une intervention rapide, avant que la manifestation ne dégénère, est toujours préférable. Pour l’instant, ces femmes, qu’en cas de danger ils n’hésiteront pas à massacrer, restent inoffensives.
Qu’elles n’aient pas l’intention de perturber le service d’ordre paraît évident. Là n’est pas la question ! Les soldats se moquent ouvertement de leur présence. Cette attitude dépasse la mesure. Les plus revanchardes auraient souhaité qu’une délégation conduite par un centurion vienne s’inquiéter du motif exact de leur présence, en pleine nuit, cachées dans l’ombre noire des arbres de la place. Cependant, toutes les autres pensent que c’est mieux ainsi. Les soldats ne se seraient pas contentés de les faire reculer. Ils les auraient dispersées. Une sanction définitive qu’elles n’osent imaginer. Ne pas être présentes quand l’Homme-seul sortira libre serait la pire des choses. Cette idée fixe leur ferait accepter n’importe quelle humiliation, comme celle qu’elles ont ressentie lorsqu’elles ont supplié ses proches (des infâmes, pensaient-elles alors sous le coup de l’émotion, des traîtres ignobles capables de l’abandonner au pire moment) de rechercher la prison où il avait été incarcéré. L’un d’entre eux, après avoir expliqué sa version des faits, accepta. Il était revenu de son enquête nocturne dans un état de complète désespérance. Au bord du suicide. Maintenant, il pleure au milieu d’elles. Je l’ai renié, gémit-il. Je l’ai renié trois fois. Il l’avait prédit à la fin du repas en s’amusant de mon arrogance. J’ai croisé son regard. Son sourire d’amour aurait dû me donner le courage de rester près de lui. Comment pourrai-je continuer à vivre avec le souvenir de cette trahison ? Ses amies entreprirent, tour à tour, de le rassurer. Tu as menti, lui dirent-elles. Rien de plus. Simplement menti. Tu devais remplir ta mission. D’ailleurs, les informations qu’il avait rapportées étaient essentielles. L’Homme-seul était en vie et une simple escorte le gardait à l’intérieur de la cour principale de l’ancien palais royal. Un choix de détention surprenant. D’aucunes, voulant croire à l’avenir, pensaient qu’un prisonnier ne justifiant pas d’être enfermé dans une cellule verrouillée serait libéré au petit matin tandis que d’autres, plus réalistes, soupçonnaient que le gouverneur, allergique aux manifestations de force, tenait à surveiller lui-même la sécurité de cet agitateur politique auquel il destinait, dès l’aube, une mort des plus spectaculaires.
Les soldats partagent cet avis. D’habitude, les rebelles de marque sont conduits à la forteresse Antonia et celui-ci, d’après les rumeurs de caserne, est très dangereux. Il se dit roi. Dimanche dernier, une foule en délire l’avait escorté lors de son entrée solennelle par la porte des sources. Le lendemain matin, les rues étaient encore jonchées des milliers de branches arrachées aux arbustes à feuilles persistantes poussant à l’extérieur des remparts. Depuis cette manifestation populaire, affirmaient les rapports de police, des centaines de francs-tireurs le suivent prêts à prendre sa défense. Ils ajoutaient, mettant en garde les chefs sur de possibles désordres, qu’hier matin, cette troupe d’indésirables avait détruit les étalages des marchandes de produits régionaux installés à la porte du temple. Toutefois, ce que constatent les sentinelles ne mérite pas un tel alarmisme. Les femmes, facilement identifiables grâce à la mauvaise laine grise de leurs manteaux que les belles de la ville refuseraient de porter, n’ont rien d’une armée en marche. Deux hommes suffiraient à les disperser. Quant à l’autre harangueur de foule, il a subi sans un geste de révolte les coups de fouet jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, il s’évanouisse. De plus, au moment de la relève, leurs camarades présents à son arrestation racontèrent de drôles d’histoires. Une bande de casseurs, munie d’épées et de gourdins, les avaient suivis, s’agglutinant en un rassemblement impossible à interdire puisque des représentants du pouvoir local marchaient à leur tête. En arrivant au jardin du pressoir, de l’autre côté de la rivière, où les fauteurs de troubles passaient la nuit, ces braillards, de plus en plus excités, se mirent à crier des injures de toutes sortes. La bagarre semblait inévitable. Il s’était alors opposé à toute effusion de sang, refusant de perdre un seul de ses compagnons. Et, plus surprenant, il avait recollé l’oreille droite qu’un des siens (celui justement qui pleure au milieu des femmes) avait coupée au commis du grand prêtre venu l’arrêter : geste d’une réelle charité car le pauvre homme, ainsi estropié, couvert de honte et de ridicule, devenait inapte au culte, donc à servir ses maîtres.
L’Homme-seul refuse de reprendre conscience. Il ne veut pas quitter son rêve. Ouvrir les yeux ou faire le moindre geste ranimerait la haine de ses bourreaux. Il préfère retrouver sa mère. Elle seule saurait adoucir les douleurs de son dos. Les soldats ont frappé fort. Par bonheur, il ne se souvient pas des derniers coups de fouet, lorsque les lanières torsadées s’obstinèrent à cingler les plaies sanglantes, déjà ouvertes. Une fois, par sa faute, il avait supporté le même supplice. Un accident. Se promenant au-dessus de la vieille carrière, il perdit l’équilibre. Les rochers lui déchirèrent le dos. Les blessures, graves, le tinrent au lit une dizaine de jours. L’interdiction d’y retourner n’attendit pas les premiers soins. Il désobéit peut-être pour la première fois de sa vie. De cet endroit solitaire, il dominait la maison de ses parents, l’ateli

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