La Vie de Rutherford
170 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La Vie de Rutherford , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
170 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

« Drôle d'animal que ce Rutherford. Je parle là d'un homme et non des moindres. C'est une espèce de bestiau à visage épaté dont la langue fournie se promène d'un côté et de l'autre du visage, en quête de nourriture. Lorsqu'il en trouve, il lape, il avale, il dévore. » La vie de Rutherford est le premier tome de la trilogie de L'Homme commun. Dans ce roman satirique mené d'une main de maître par Claude Badami, la critique s'exprime à travers le portrait haut en couleur de son personnage principal, Rutherford, individu bestial, chargé de préjugés, conformiste. La satire s'élargira jusqu'à l'expression de la vérité humaine. La quête du bonheur de notre héros l'amènera à adopter une merveilleuse petite fille, qui chamboulera complètement sa vie. Un grand roman.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342165661
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Vie de Rutherford
Claude Badami
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Publibook
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
La Vie de Rutherford
 
Chapitre I
Drôle d’animal que ce Rutherford. Je parle là d’un homme et non des moindres. C’est une espèce de bestiau à visage épaté dont la langue fournie se promène d’un côté et de l’autre du visage, en quête de nourriture. Lorsqu’il en trouve, il lape, il avale, il dévore. L’homme est large aux entournures ; tiré à quatre épingles, il fricote avec ses pantalons qu’il trouve toujours mal taillés, et qu’il range dans sa penderie avec toute l’attention dévolue à une série d’objets éminemment précieux. Sa garde-robe s’étend des vestes longues et fines, en cuir de prix ou en simple matière synthétique, aux vestons briefés par la haute couture. Son cou de taureau supporte les plus lourdes étoffes, et met en valeur les chemises les plus élégantes ; le départ de ses cheveux plantés fermement fait d’ordinaire un effet des plus vigoureux au voisinage d’un col lisse et droit. Rutherford a le pas néanmoins leste, et nul ne le jugerait incapable de quelques galipettes dont on imagine facilement qu’il les exécute dans sa chambre, sur son lit, ou bien, mieux encore, à la surface d’un sol couvert des plus soyeux tapis. Le teint pâle, les pommettes hautes, il regarde fièrement son interlocuteur, et ne trahit jamais la moindre hésitation à l’attaque d’une phrase ; ses mains se lèvent en cadence, et jouent d’une mécanique bien huilée à laquelle on décèle cette dextérité, cette efficience qu’on avait déjà remarquées dans ses moindres actions. L’avantage de son embonpoint le prédispose à tenir des propos gras, mais toujours accorts, et qui laissent une impression de bienséance quasi bourgeoise, où l’on reconnaîtrait quelque dandy moderne à la cravate bariolée, et aux odeurs de Cologne fortement imprégnées. L’homme est peu commun, et pourtant à le voir nul n’envisage que cet homme de tous les jours, ce compagnon du quotidien auquel un chacun se réfère comme à son semblable, dans l’idée qu’il pourra à chaque fois confirmer son inaltérable humeur de bon commerçant, proche d’un citoyen sourcilleux, et scrupuleux sur la valeur des produits, comme de l’accueil. Rutherford connaît son importance, et il en use avec la circonspection adéquate ; il lève le menton légèrement lorsque la question semble indiscrète ou bien étrange, et qu’il a jugé que l’interlocuteur n’avançait pas les thèmes habituels de la conversation entre vendeur et client ; Rutherford est patron d’une boucherie, et il tient lui-même le timon de son entreprise, présent du matin au soir derrière un comptoir fourni, et vêtu d’une invariable blouse de travail, d’un blanc d’infirmier plutôt que de boucher.
Rutherford est devenu ce qu’il est par pure fainéantise ; dans le système scolaire, il ne trouvait aucun cours qui pût retenir son intérêt, faire germer en lui le désir d’une autre vie. Ses parents avaient été dans la vente du bétail, à la campagne ; il décida qu’il deviendrait boucher. Sa décision prise, il avait attendu l’âge de quitter l’école, et s’était aussitôt installé à son compte, dans un magasin de modeste dimension, que ses parents lui avaient laissé à discrétion, avant de repartir tout aussi discrètement de la ville où ils venaient d’arriver, sans y laisser d’autre trace que ce fils, fier de ses origines, et mieux adapté au monde citadin, mais qui ne s’en laissait pas compter sur une certaine morale héritée des larges terres, et d’un contact rude avec les sols et les bêtes. Rutherford promenait un air de satisfaction qui selon lui provenait de ses ancêtres, forts et travailleurs, indépendants et forts en gueule. Sa tête dodelinait toujours lorsqu’il prononçait les mots qui rappellent la vie champêtre, les âges les plus anciens de la civilisation où soc et coutre traçaient le sillon des existences. Il transportait ces indicibles fiertés à la ville, et s’était fait le promoteur d’un goût solide pour les viandes fermes, les poulets nourris sainement, les volailles dépecées à même l’étal, les entrailles fumantes de l’animal chaud encore après l’abattage. Les clients savaient qu’en se rendant chez lui, ils n’auraient que les morceaux choisis, le cœur pur d’une nature encore intacte des dénaturations que lui avaient fait subir les traîtres de la ville.
Le matin, dès après le lever, et après s’être astiqué des deux côtés de la pièce, devant et derrière ayant droit selon lui aux mêmes rigueurs d’une brosse crissante et franche, et un simple peignoir sur le dos, il allait tout droit à ses couteaux, planches et récipients qu’il frottait tant et plus jusqu’à ce qu’un lustre étincelant parvînt à lui arracher un rictus satisfait. Le métier est selon lui la définition de l’homme ; et faire bien ce que l’on fait ressemble à une parfaite existence, telle qu’un bon citoyen, appliqué à agir justement, est en droit et en devoir de vivre. Alors tout est sujet à l’inspection des détails, la minutieuse fouille des moindres recoins ; l’étal est débarrassé des indices de la veille, sang maculé, débris d’os, bouts de papier d’emballage, et nettoyé pour une nouvelle journée de labeur ; il est très tôt, six heures et demie, et Rutherford est là, courant pieds nus dans son magasin, à déplacer tel tabouret d’équarrissage de la viande, tel ustensile pour pendre les carcasses, tel paquet contenant les nouvelles lames, haches et crocs ; tout cela en virevoltant, et de sorte qu’en le voyant de devant son comptoir on eût pu croire à quelque danse méconnue, constater un art personnel et maîtrisé.
Pense-t-il seulement qu’il nourrit le cœur de l’humanité, et il jubile en son for intérieur, applaudissant à un art qui retient l’homme d’aller aux rudes batailles avec la sauvagerie des tueries anciennes, où l’homme et la bête se trouvaient confrontés, et contraints à une lutte sans merci ; heureusement, ces temps révolus, en parfait homme du monde, il pouvait, lui savant en l’art de concocter les pièces et d’associer les morceaux, présenter à un public friand tout le délice de bêtes tuées en sécurité, dans la tranquillité ouatée des abattoirs. L’homme louche légèrement, et ses lunettes lui paraissent parfois comme un obstacle entre lui et la bonne compréhension d’une carcasse dépecée, vers laquelle il se penche d’un visage sérieux, interrogateur, en accordant à chaque partie cet œil vif et grand ouvert, jusqu’à même un face-à-face avec l’œil de la bête, tout tourné qu’il est vers l’introspection de sa viscosité, fraîcheur, clarté de vue, comme signes certains de son honnêteté. Rutherford aime les animaux francs, au regard sans ignominie, et qui lui disent sans ambages qu’ils seront d’excellentes viandes à rôtir, qu’ils ne trahiront pas l’attente invisible et pressante des ventres vides. Lorsqu’il est dans la rue, au milieu des automobiles, ses narines flexibles et toujours parfaitement lustrées inspirent un air vicié par les moteurs sans marquer le moindre déficit en bonne humeur, tout au souci qu’il est de son étal, forme et dimension des blocs de viande émis par le ventre des camions ; seule occasion où Rutherford, fort satisfait de la largeur de l’engin, s’enorgueillit d’appartenir à une civilisation qui lui offre ces carcasses ouvertes, qu’il regarde silencieusement défiler et qu’il aide quelquefois à porter jusqu’au grand réfrigérateur qui leur tient lieu d’antichambre.
Rutherford est assis derrière son comptoir, l’œil livide ; il n’a pas vendu le moindre quartier depuis une heure et sa vue semble s’obscurcir, s’évanouir, se détendre à l’infini ; sa voix, lorsqu’il émet un grognement d’insatisfaction passager, est frêle, caverneuse, insipide ; la viande lui est inodore, le ventre de la bête sans tripes, quand le client, oublieux de son échoppe, s’évade vers quelque autre occupation. Rutherford éternue et se tourne du côté de la fenêtre, son nez collé à la vitre, ses genoux regroupés et pliés de dépit. Le moindre nuage lui augure d’une perte en bénéfices, le moindre tremblement sonore lui rappelle le pas de l’inconnu franchissant le seuil de son univers. S’il entend alors appeler, crier, hurler le quartier, tanche, rumsteck, gigot, ou côte, de l’autre côté de sa lente et sourde déchéance, il renifle à nouveau, gesticule inopinément, éructe sans honte, et se précipite, un rire écarlate aux lèvres, vers la bouche qui a proféré ces vénérées paroles. L’homme se pose, écarte les jambes, prend le morceau, et accompagnant ses gestes d’une raclure constante de la gorge, tranche à plaisir, découpe tendrement la chair moite, plongeant délicieusement le large couteau dans le nom qui vient de lui être commandé, presque offert. Nul habitué ne s’étonne plus s’il lui glisse une tranche supplémentaire, au prix habituel, quand de l’œil noir qu’il arborait Rutherford rejaillit vainqueur, et que premier à arriver, un client sait que toute inquiétude vient d’être bannie, et qu’une véritable envie de vivre s’est peinte, illuminée partout, au visage, sur les murs où pendent des trophées, des têtes de taureaux tranchées et vivaces au-dessus de sa tête.
Rutherford a un certain sens des bienséances ; il ne transige pas sur les codes de l’apparence vestimentaire ; tout écart – marques noirâtres sur des chaussures claires, pull-overs mal embouchés, traces d’ébats, encolures mal mises, plis intempestifs – reçoit aussitôt de sa part une réprimande lisible à ceux qui lui prêtent une attention parfois convoquée de force ; il se penche alors ostensiblement, marque une moue légère mais décisive, puis d’une voix évasive répète la demande du

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents