Le Violon de neige
138 pages
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Le Violon de neige , livre ebook

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Description

Les quatre murs d’une geôle moscovite. Un homme y attend son exécution. Pour lui tenir compagnie, une blatte et cette voix intempestive qui l’accuse, lui, Vladimir Ippolitovitch Vetrov, traître au Parti, au pays, au peuple... Lui, qui a succombé aux mirages de l’Ouest, aux sirènes de Paris, aux discours fraternels. Si en surface rien ne se passe, si l’attente de la mort se développe dans une économie quasi austère, intérieurement, c’est un véritable procès intime qui se déroule donc dans cette cellule, dans l’esprit d’un homme qui a voulu déstabiliser le totalitarisme russe et qui en répond, une dernière fois, devant ses anciennes convictions, ancrées au plus profond de lui-même, depuis toujours assimilées et indéracinables.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2009
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748374216
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0064€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Violon de neige
Michel Louyot
Publibook

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14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Violon de neige
 
 
 
A Paul et à Volodia dans la Lada bleue
 
 
 
L’ombre, prise au sens le plus profond,
est l’invisible queue de saurien que l’homme
traîne encore derrière lui. Soigneusement séparée,
elle devient le serpent sacré du mystère.
Seuls les singes s’en servent pour parader.
 
C.G. Jung, L’Âme et la vie
 
 
 
Prologue
 
 
 
Un après-midi, en plein mois d’août à Paris, dans les années soixante-dix, P., stature immense, petite valise rouge à la main, s’apprête à descendre les marches de l’escalier de la station Latour‑Maubourg. Voilà plus d’une demi-heure que je pense à lui avec l’espoir de le rencontrer, tout en sachant qu’en principe il ne se trouve pas dans la capitale mais passe ses vacances à la montagne. De la terrasse de café où je suis attablé, je l’observe sans qu’il me voie et au lieu de courir ou de le héler, je me recueille, me rassemble et émets un influx vers lui. P. s’arrête sur la troisième ou quatrième marche, hésite, se retourne, remonte l’escalier, comme s’il avait oublié quelque chose, regarde dans ma direction, m’aperçoit. Il y a près d’un an qu’il n’est pas venu dans le quartier. A‑t‑il feint de croire qu’il s’est laissé attirer par moi alors que c’est lui qui m’a enjoint par son pouvoir psychique de me rendre au lieu de rendez-vous qu’il a fixé ?
 
C’est au Foyer Saint-Georges de Meudon que j’ai rencontré l’homme à la petite valise rouge. C’est là que nous peaufinions notre russe. La communauté de Saint-Georges s’était installée dans une villa rose ouverte sur un grand parc ombragé par un cèdre vénérable. On y rencontrait des Italiens rieurs, des Anglais fidèles aux corvées de vaisselle, de jeunes Allemandes libérées, un Japonais qui jouait Bach au violon et écrivait un essai sur l’influence de Dostoïevski dans l’évolution du roman à l’époque de Meiji. Comment les religieux qui animaient Saint-Georges réussissaient-ils à faire de tout ce monde une famille réelle même si elle était provisoire ? Sans aucun doute oncle Kolia et tante Nadia y étaient pour beaucoup dans l’art de réunir russophiles et antisoviétiques, espions et contre-espions autour du feu, des pirojki et des verbes de mouvement. L’Oncle et la Tante étaient secondés dans cette ardente tâche par quelques jeunes femmes liantes telles que Svetlana, Lidia ou Ira qui m’écrivait des lettres à l’humour désenchanté sur papier mauve ou gris selon le degré de désenchantement.
« Je veux me détacher de la vie que je mène en ce moment, ne plus boire de whisky, ne plus boire de vodka, ne plus rien boire, ne plus penser, ne plus pleurer. Vivre. Il me semble que vous êtes intelligent, bien que je ne sache pas ce que cela signifie. Sans doute être capable de ne pas commettre de sottises… Je prévois ce que vous pouvez faire et ne pas faire… Rendez-moi visite, louez un smoking et j’achèterai aux puces un pendentif en argent… J’ai obtenu ma carte de travail, mais je n’ai pas de travail, l’année dernière, c’était le contraire, je suis à Evian, il pleut comme à Peterburg, tout va très bien… La vie continue, je déjeune, je dîne, je parle, je lis, j’écris des lettres… Comme c’est triste ! Avez‑vous lu Regarde, regarde les arlequins ? Je voudrais lire vos vers… Hier, P. est venu avec sa femme et leurs nombreux enfants dans un petit autobus jaune… A présent, c’est l’automne à Meudon, les feuilles tombent dans le parc avec un bruit incompréhensible… » Les lettres d’Ira toutes empreintes de la douleur de l’exil glissaient comme des perles de verre sur le fil invisible du temps qui allait bientôt se refermer sur cette impossible idylle. « Un agent en poste ne peut se permettre le moindre écart, il n’y a que le repos du guerrier entre deux missions qui soit admissible. » Profil en lame de couteau, taille et carrure exceptionnelles, P. jouait de ses apparences frustes. Je l’ai vu lancer un poignard à vingt mètres et le ficher dans le tronc d’un arbre du parc sans sourciller. A vrai dire, l’homme était beaucoup moins simple qu’il ne le paraissait. L’écriture minuscule de P. révélait certes son goût du secret mais aussi un esprit délié qui constituait un atout dans son travail d’investigation. Un charme étrange émanait du contraste saisissant entre les divers aspects de sa personnalité. Et P. en usait avec succès dans l’approche, qu’il s’agisse de recrutement ou de retournement. Savait‑il d’emblée que la partie était gagnée ? Il avait pourtant pris son temps. « Un travail de fourmi. » Et il excellait dans cette tâche minutieuse de collecte et de recoupement des informations, soupesées, vérifiées, mises en perspective. Les Américains avaient tenté de devancer P. Un faux taxi m’avait bringuebalé à deux cents kilomètres à l’heure dans les rues d’un Paris estival désert. Je n’avais pas perdu mon sang-­froid mais décliné le marché. Je restais Français pour le meilleur « et surtout pour le pire » avait ajouté P. qui ne nourrissait aucune illusion sur la marche de l’Histoire ni sur la versatilité des peuples. « Pétainistes en hiver, gaullistes en été. » Cependant le ton gouailleur et sceptique jusqu’au cynisme voilait des convictions d’autant plus solides qu’elles n’étaient jamais déclarées. « Si l’agent secret a quelque chose de commun avec le mystique, c’est la croyance au diable. » Ainsi allaient les conversations jusque tard dans la nuit de Meudon, sous le cèdre ou encore sous les marronniers de la place Stalingrad quand nous regardions ironiques et sans broncher les bulles de bière éclater à la surface de nos verres. Patrick ne savait pas encore qu’il allait rencontrer sous le nom de Paul le 1er mai 1981 Vladimir Ippolitovitch Vetrov dans le petit square moscovite derrière le Musée de Borodino.
 
 
 
 
 
 
Prépare‑toi Vetrov  ! Bruits de grilles que l’on ouvre et referme, cliquetis des clés dans les serrures, et le gardien qui se racle la gorge et crache sur les dalles, impossible de discerner son visage dans le demi-jour blafard, quel dieu quel diable a jeté le mauvais sort sur la Russie qui fut, qui est, qui risque d’être longtemps encore une immense prison ? Aucune hargne dans la voix éraillée du gardien dont je ne perçois que la silhouette et qui n’ose pas me regarder. Sait‑il de quoi je suis accusé ? Se demande‑t‑il si un jour ce ne sera pas lui qu’un autre gardien appellera au petit matin ? La Russie est coutumière de ces agissements-là ! Sans doute est‑ce pour cette raison que l’ordre est chuchoté, à peine audible, par ce type veule qui pourtant n’est pas tout à fait inhumain, un type pareil à des millions d’autres croisés dans les trains, à l’aller et au retour, côtoyés au camp, quelle différence entre les gardiens et les prisonniers, entre les politiques et les droit commun, c’est peut-être en cela que nous différons des nazis, chez nous tout est vague, imprécis, personne ne sait qui fait quoi, les rôles sont interchangeables, chacun passe son temps à dire et faire le contraire de ce qu’il pense, pourquoi aurais‑je fait exception, quelle impudence d’avoir cru pouvoir me distinguer, émerger de la masse, accéder à l’élite, sortir du pays, jouer ma propre partition ! Et quelle désillusion ! Inexorable, le destin qui une fois pour toutes a marqué les Russes, me ramène à la condition commune, prépare‑toi Vetrov, l’heure de vérité a sonné !
 
Prends ton temps ! Veut‑il faire durer le plaisir, est‑il venu en avance pour en savoir plus sur ce qui se trame dans le crâne d’un type dans ces moments‑là ? Lire les dernières pensées de Vetrov, cela vaut le dérangement ! Il y a des tas de gens un peu partout dans le monde qui, s’ils étaient informés de l’événement, paieraient cher pour être à sa place ! Aurait‑il reçu quelque instruction quant à la manière de mener cette dernière conversation ? Et si j’accouchais d’une ultime et sensationnelle révélation ? Rien n’est à négliger. Un instant de faiblesse et les plus coriaces finissent par se mettre à table. Un dernier petit secret, Vetrov, et voilà le gardien promu directeur de la prison ! Notre patrie soviétique s’est toujours montrée généreuse vis‑à‑vis des délateurs. Prends ton temps Vetrov. Prends tout le temps qu’ils daignent t’accorder. Il est à toi ce temps, ne le dilapide pas. La cellule est un lieu idéal pour une confrontation finale, ne néglige rien, observe tous les recoins, ouvre toutes grandes les vannes de la mémoire !
 
Une vraie tornade, souvenirs anciens et récents qui s’agitent, se soulèvent, se télescopent. L’annonce du gardien a mis en branle un processus de remémoration d’une acuité que je n’ai pas connue de toute ma vie. C’est le dernier spectacle auquel j’ai la chance d’assister et j’en suis à la fois le spectateur, l’acteur et le metteur en scène. Vais‑je enfin obtenir la réponse aux questions qui m’ont longtemps hanté ! Quel genre de type es‑tu vraiment Vetrov ? Le gardien s’est assis sur un tabouret dans le couloir. Il continue à marmonner un galimatias inarticulé, comme s’il avait la gueule de bois. Et lui quel rôle prétend‑il jouer ? Celui de souffleur ? Et ses maîtres, qui furent les miens, sont-ils assez naïfs pour croire être les auteurs de la pièce qui se joue ? Il craint toujours de me regarder, allume une cigarette après avoir esquissé le geste de m’en offrir une. Est‑ce la première fois qu’on lui demande d’accomplir ce sale boulot ? Ce n’est pas le moment de le plaindre. Il a toujours exécuté les ordres qu’on lui intimait. Il n’est qu’un infime rouage de l’énorme machine à broyer les humains qui peup

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