Les Casseurs de cailloux
240 pages
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Les Casseurs de cailloux , livre ebook

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Description

« C'est en connaissance de cause qu'il avait décidé de devenir herbe folle au pays de la mauvaise herbe. Car, pendant des années, il avait lui aussi cassé des cailloux. C'était au Ministère de la Sainte Besogne. Enfin, peu importe le nom, l'enseigne, l'activité, le patron : l'individu salarié passe toujours son temps à casser des cailloux. Ce peut être des cailloux noirs, comme le charbon des mineurs, des cailloux blancs, comme les dossiers des bureaucrates, des cailloux gris, comme ceux des financiers ou des comptables. Mais quoi qu'il en soit, dans tous les cas on se salit. Le destin du salarié, c'est de se salir. Travailler pour le plaisir est une providence, travailler pour de l'argent est une prostitution. » Dans un univers industriel et bureaucratique, à la fois totalitaire et burlesque, la folie du pouvoir est partout, de même que la servitude volontaire des sujets : asservis comme des bêtes de somme, travaillant dans des bureaux ou des usines, ils sont des casseurs de cailloux au destin brisé. Un événement imprévu va bouleverser l'harmonie de ce régime soumis aux ordres d'un mystérieux empereur : un scandale idiot éclate au cœur de l'État et provoque une longue enquête débouchant sur une parodie de procès... Une révolution est-elle seulement possible ? Au-delà de cette dimension politique et sociale, l'intrigue loufoque et les aventures rocambolesques des personnages font apparaître la vie humaine comme une farce tragique où l'homme est un animal qui a peur de la liberté. Avec ce mélange délirant de Kafka et des Shadocks, Pascal Débrégeas joue la carte de l'absurde pour dresser un constat désespérément édifiant mais furieusement jouissif : un vrai régal !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 avril 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342050721
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Casseurs de cailloux
Pascal Debrégeas
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


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Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Les Casseurs de cailloux
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Première partie
 
 
 
Chapitre 1
 
 
 
Parvenu à l’âge d’homme mûr, il ne désespérait pas de découvrir enfin cette planète où les poètes chantaient depuis des siècles qu’il faisait bon vivre. Il avait la conviction que le monde réel, ici et maintenant, n’était qu’un instant de l’humanité, quelque chose d’arbitraire, d’aléatoire, un peu comme l’astéroïde qui, projeté dans le cosmos, finit sa course folle sur la planète Terre. Les lois de ce monde, qui résultaient du pur hasard, ne lui inspiraient aucun respect, aucune confiance. Il se pliait le mieux possible à ses contraintes, essayant de se protéger comme une bête de la grêle qui frappait si souvent, mais il ne pouvait leur reconnaître la moindre légitimité. Au mieux, il se trouvait étranger à lui, au pire, il le détestait, le vomissait, souhaitant ardemment le renverser et le détruire. Mais conscient de son impuissance, il s’en remettait à la poésie et au rêve pour imaginer les contours d’un monde meilleur. En tout cas, il était persuadé que si la vie existait, elle n’avait pu élire domicile dans ce cloaque où il pataugeait depuis des décennies.
 
Concentré dans sa réflexion, il observait en même temps du haut d’une terrasse le va-et-vient de camions sur un chantier. Cela l’amusait et le distrayait d’assister au cortège monotone de ces engins énormes qui venaient déverser à tour de rôle des tonnes de cailloux dans des pelles mécaniques. Si le passage fastidieux des semi-remorques lui faisait penser à un long corbillard, l’activité des grues et des bulldozers avait plutôt une allure de cirque qui l’égayait. Avec les équipes d’ouvriers qui, d’un côté, portaient de lourds chargements sur leurs épaules, et de l’autre, cassaient des cailloux à coups de pioche, on aurait presque dit une chorégraphie moderne. Certes, il manquait un chef d’orchestre et de la musique, mais avec un peu d’imagination, on pouvait penser que la ligne mélodique était dans ce bruit industriel lancinant, rythmé par les à-coups réguliers des marteaux-piqueurs, tandis que le chef d’orchestre était ce conducteur de travaux qui manœuvrait la grue. Tout semblait parfaitement synchronisé, les machines et les hommes se comprenaient sans un couac, la circulation des tracteurs était réglée comme du papier à musique, tout était huilé à la façon d’une symphonie. Le ballet incessant des camions arrachait une poussière qui rappelait les fumigènes pulvérisés sur les plateaux de music-hall. Les ouvriers en uniforme, qui répétaient tous les mêmes gestes avec une cadence métronomique, ressemblaient à des petits rats de l’opéra. La mise en scène était soignée, avec un choix de couleur différencié selon les lieux. Au centre, les grues et les pelles mécaniques étaient de teintes vives, tandis qu’à la périphérie, les convois de camions étaient sombres et austères.
 
Mais derrière cette apparence de fête foraine, l’envers du décor était moins reluisant. Quand on observait dans les détails, les scènes étaient tristes, voire lugubres. Les engins de chantier passaient leur temps à arracher de l’herbe folle et à déverser des cailloux à la place. Cela donnait l’impression d’une gigantesque cérémonie d’enterrement, les ouvriers étant devenus de simples fossoyeurs, de vulgaires agents de pompes funèbres. Sans doute qu’avant ces travaux de terrassement et d’assainissement, il y avait une prairie, une zone de friche herbeuse et vagabonde, peut-être quelques bidonvilles avec de la mauvaise herbe. La mission de ce chantier semblait être d’effacer tout souvenir de la verdure, herbe folle ou mauvaise herbe, avec un acharnement méthodique et industriel qui faisait peur. Les casseurs de cailloux s’activaient comme des forcenés, après que les machines avaient éradiqué toute trace d’herbe. Dans une poussière suffocante, ils brisaient de gros rocs pour en extraire des cailloux qu’ils répandaient sur le sol devenu une steppe sèche et aride. Seules des gouttes de sueur tombant de leurs fronts moites venaient mouiller la terre. Mais l’acidité de cet arrosage empêchait évidemment à la moindre herbe sauvage de repousser.
Ainsi ils allaient, ramassant, cassant et piochant, comme des automates et des pelles mécaniques, au milieu de la fumée et des bruits métalliques. Au bout d’un moment, on ne distinguait plus les hommes des machines, les machines des hommes, tout se confondait dans un nuage sulfureux et toxique. Ces casseurs de cailloux ne pensaient plus, ne respiraient plus, ils n’étaient plus que des insectes aveugles, rivés sur une chaîne de montage absurde. Malgré leurs grands bras qui s’agitaient comme des grues et l’énergie frénétique qu’ils dépensaient, il n’y avait plus rien d’humain en eux. La vie semblait les avoir abandonnés. Elle était partie ailleurs. Orphelins, ils n’étaient plus que des ombres effacées. Était-ce un rêve ou la réalité ?
 
Secoué par ce spectacle, Joseph Milan continuait d’observer et de réfléchir. Juché sur une terrasse qui surplombait le chantier, il se sentait dans la même posture que les « Voyeurs » sculptés de la cathédrale Notre-Dame de Paris, ces gargouilles aux figures mi-animales, mi-humaines, qui passaient leur temps à scruter les pèlerins avec des expressions tantôt ironiques et gouailleuses, tantôt sataniques et loufoques. Il aimait ces personnages pour leurs trognes grotesques et horribles, leurs corps à la fois monstrueux et humains, bêtes fantastiques au bec et aux ailes de l’aigle, aux pattes griffues du lion et à la queue du serpent. Mais au-delà de leur apparence physique, il appréciait surtout leur regard détaché et lucide sur un monde plein de folie et de fracas, de démence et de drôlerie.

En pensant à ces « Voyeurs » et aux casseurs de cailloux qui trimaient comme des bêtes, il se souvint soudainement de son malheureux copain et collègue, Albert Duchêne, qu’il avait connu au Ministère de la Sainte Besogne. Il était bien tenté d’y retourner, rien que pour lui rendre hommage. Son souvenir le hantait souvent depuis un dramatique événement. Mais c’était affreusement pénible de revenir dans cet ancien lieu de travail, autant dire ce bagne, ce pénitentiaire. Il avait laissé là-bas pas mal de plumes et d’illusions. Heureusement, il avait la faculté de pouvoir y retourner clandestinement, comme un fantôme qui se balade dans une vie antérieure, ou un assassin qui revient sur les lieux de son crime. Il pouvait aussi choisir d’y aller au grand jour, en se présentant officiellement au guichet du personnel, sous prétexte de répondre à une offre d’emploi. Il savait en effet depuis peu que le Ministère recrutait de nouveaux ouvriers casseurs de cailloux. C’était une aubaine à saisir, l’occasion idéale pour y refaire un petit tour, histoire de blaguer un peu avec les anciens copains. Ce serait amusant de prendre le café avec eux. Il pourrait à nouveau les inviter dans son ancien bureau 109.
Certes, il reconnaissait qu’il n’y avait rien de glorieux à retourner dans cette tôle, que sa posture altière de « Voyeur » de Notre-Dame avait une autre allure, plus héroïque, plus libre, mais enfin, il savait que tout était réversible, que ce passage dans le royaume du salariat ne serait qu’une brève parenthèse s’il était déçu. D’avance, il trouvait assez drôle de se prêter au petit jeu du recrutement. Le déguisement en casseur de cailloux lui permettrait de voir si l’ambiance de son ancien service avait changé, et puis il aurait enfin des nouvelles d’Albert et des autres.
Mais cette perspective le mortifiait quand même. Car derrière le simulacre de divertissement, il y avait des souvenirs traumatisants. Revenir dans ce bagne, c’était encore affronter l’autorité, l’ordre établi, la bêtise à l’état brut. Or, c’était cet ordre imbécile qu’il avait cherché à fuir un jour, un ordre qu’il maudissait, qui le révoltait, qu’il abominait, car il l’avait toujours rabaissé à l’état de mendiant ou d’esclave. Et c’était bien de nouveau en esclave qu’il s’imaginait, s’il revenait au Ministère de la Sainte Besogne.
Même s’il les aimait bien, tous ses anciens collègues lui donnaient la détestable impression d’être des esclaves soumis, des insectes poinçonnés à une chaîne de production absurde, idiote, qui ne produisait rien, sinon du vent, de la poussière et de la tristesse. Il ne les blâmait pas, car il savait qu’ils n’avaient pas le choix, mais il n’enviait pas leur sort, et d’avance avait honte de leur ressembler. Autrefois, il avait trop connu cette existence pitoyable. Il s’était juré de ne plus jamais recommencer, même si le prix à payer était cher, le chemin de crête étroit, pour celui qui voulait tenter de résister et de s’affranchir de la Sainte Besogne. Il était bien placé pour le savoir. Mais par sympathie pour Albert et les copains, il était prêt à surmonter ses réticences et ses redoutables angoisses. Revenir sur les lieux d’un drame n’est jamais une partie de plaisir, même pour une gargouille à la figure de diable.
 
Que s’était-il donc passé dans ce bureau 109 pour expliquer son effroi, pour justifier que son âme fut tétanisée jusqu’à la panique ? Pourquoi avait-il cherché à fuir désespérément cet endroit pour se réfugier, tremblant, en haut d’un rocher, un peu comme l’aurait fait un rapace épuisé par le harcèlement des meutes et des tirs de chasseurs.
 
 
 
Chapitre 2
 
 
 
Il est vrai que son expérience au Ministère de la Sainte Besogne n’avait

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