Une guerre d apprentissage
290 pages
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Une guerre d'apprentissage , livre ebook

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Description

1939. Cyrille Moustéguy, jeune homme protestant et féru de mathématiques, débarque à Nevers pour son année de Maths élémentaires, afin de s’éloigner de la capitale. La drôle de guerre commence, jusqu’au 10 mai 1940, où tout va s’accélérer. Ces cinq années de guerre bouleverseront sa jeunesse et forgeront la vie qui s’ensuivra.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 30 mars 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748381092
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Une guerre d'apprentissage
Serge Lannes
Publibook

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Publibook
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Un : Paris – Nevers
 
 
 
Certes, il y avait en 1939 plusieurs huissiers à Nevers. Mais vivant en célibataire avec sa sœur et une jeune nièce, il n’y en avait qu’un. Il avait recueilli la fille d’une sœur aînée, prématurément veuve, et qui n’avait que peu survécu à son mari.
A la rentrée des classes, c’était la guerre. L’huissier possédait une grande maison dans la vieille rue de la Courberie ; officier ministériel ou pas, on ne dédaigne pas quelques revenus supplémentaires. Alors Maître Armand Deboncourt louait deux chambres à des scolaires venus d’ailleurs. Et voilà Cyrille, le parisien, devenu nivernais pour une année de Maths Élems au lycée.
C’est Violette, sa mère, qui a répondu à l’annonce de l’huissier. Pourquoi l’a-t-elle exilé ? Il n’a pas mis en doute, pour le moment, les raisons qu’elle lui a données ; c’est plus tard qu’il envisagera une autre version.
Cette guerre, on ne l’a pas encore qualifiée de « drôle ». Dès le début, non seulement on a fait auprès des Parisiens une propagande insistante pour l’organisation de la défense passive, mais on leur a même conseillé vivement de quitter la capitale. La SNCF a formé des trains spéciaux pour ceux qui voulaient se réfugier en province.
Dans cette ambiance, on pouvait en effet trouver vraisemblable que la mère veuille éloigner son fils unique d’une ville qu’elle voyait déjà vouée aux obus ennemis comme l’avait été vingt-cinq ans auparavant Reims, où elle était née. Elle avait encore en mémoire son cauchemar de jeune fille, la cathédrale croulant sous les bombes et livrée aux flammes, la fuite devant les canons. Et pour ce qui est des Allemands, ses parents, des Belges de la région de Bastogne venus en France à la fin du siècle précédent, n’attendaient d’eux rien de mieux que des Prussiens en 70.
Et le père ? Pas de père. Félix Moustéguy, d’une lignée protestante béarnaise, a été tué en 1922 dans un accident de voiture sur la route d’Arreau à Lannemezan, dans les Pyrénées, alors que son enfant n’avait que six mois, Croirait-on, hein, que déjà en ce temps-là ça arrivait ?
Voici donc Cyrille loin de chez lui. « Pourquoi Nevers ? — Pourquoi pas Nevers ? »
Il aurait pu tomber plus mal. Les deux Deboncourt sont gentils et dignes. Comment se fait-il qu’ils ne soient pas mariés, ni l’un ni l’autre ? Qui peut le dire ? Ils sont de ces gens qui ne semblent pas avoir été jeunes… Ils se servent l’un à l’autre d’« âme sœur », et cela leur suffit apparem-ment pour ne pas ressentir les mélancolies de la solitude. Ils tiennent leur train de maison avec compétence et rigueur ; le jeune homme verra même ce monsieur, que doivent tellement redouter les mauvais payeurs, se tricoter lui-même des chaussettes !
Quant à la nièce, Annick, par elle le foyer connaît tout de même de la grâce, de la gaieté et du mouvement. A son propos, Cyrille et l’autre locataire, Laurent Courtioux, trouveront un mot facile, mais expressif : « C’est un mec, Annick ! ». De ce « coturne », il y a peu à dire. Fils de paysans du côté de St Pierre le Moutier, il fréquente le lycée professionnel pour envisager une carrière d’ajusteur. Il est solide, carré, peu apte à nouer des liens intellectuels ou affectifs avec le fragile « Parisien ».
Les conditions matérielles sont ce qu’elles peuvent être vu le lieu et l’époque. La nourriture n’a rien de raffiné, mais est honnête en qualité et en quantité. Question confort, si les lits sont bons et les couvertures suffisantes, par contre les chambres ne sont pas chauffées, et il arrive en plein hiver qu’en se levant au petit matin on trouve l’eau gelée dans le broc de toilette… Pas de quoi faire des sybarites, mais Cyrille n’en tombera pas malade pour autant.
Pensionnaire… Il ne s’en sentait guère la vocation. Ce sera pourtant, et souvent en pire, sa condition pour des années encore.
Ses hôtes, surtout Mademoiselle Clarisse, sont bons catholiques, comme il se doit dans un tel cadre. Le premier soir, à la table de famille, il faut tâcher de faire plus ample connaissance. La brave fille, sur le ton légitimement surpris de la dévote, à Cyrille :
— Ah, vous êtes protestant ? Alors, vous ne croyez pas en Jésus-Christ ?
Devant l’air consterné du jeune homme, Annick pouffe comme on le fait à quinze ans quand on est aussi délurée qu’on peut se le permettre dans une ambiance aussi convenable. Armand sourit discrètement, et Laurent prend l’air incompréhensif qui convient.
Cyrille rectifie comme il peut. Il ne se sent pas encore très armé pour des explications théologiques. Le protes-tantisme qui est son milieu naturel depuis quelques années, il ne l’a jamais vécu comme une secte bizarre. Minoritaire en France, oui, mais rien moins que clandestin. Pas facile de se retrouver dans un milieu assez refermé sur lui-même pour ignorer à ce point sa famille spirituelle.
Non, ses parents n’étaient pas russes.
— Pourquoi ce prénom ? Ah, il y a eu trois grands saints orientaux dont c’était le nom ? Excusez-moi, mademoiselle, mais les saints, nous, vous savez… L’alphabet cyrillique ? C’est comme ça qu’on appelle cette drôle d’écriture ? Eh bien, vous m’en apprenez, ce soir. Quant au choix des prénoms pour les nouveau-nés… (Oui, oui, je suis baptisé ; si le baptême protestant est valable pour vous ? Écoutez, il faudra le demander à votre curé) ; où j’en étais ? Ah oui, pourquoi on m’a appelé ainsi ? Sais pas. Aucun Russe dans mes ancêtres. Alors, mon nom de baptême, comme vous dites, ne va pas très bien avec mon patronyme du Sud-Ouest, mais on s’y habitue. Ah oui, vous, “Clarisse”… Les Franciscaines… Vos parents… Pas par hasard… Vous auriez dû devenir religieuse ? Pas de commentaires.
Pour parler des siens, il sera on ne peut plus discret. Pas question de raconter la petite cousette rémoise séduite à Paris par l’étudiant en dentisterie passant plus de temps au D’Harcourt qu’à la fac et s’intitulant « professeur de danse » sur ses papiers. Enfin, bon, il a « régularisé », tout en continuant, après le mariage conventionnel, de papillonner d’une fleur à l’autre pendant le temps qu’il lui restait à vivre. Sa légitime et son gosse, sa mère s’en occupait.
Passons sur la suite. Comment parler de cette veuve de vingt ans avec son môme sur les bras, aux trente-six métiers et mille misères, et de ses tentatives malheureuses, pendant des années, pour se trouver un statut social réputé régulier, au prix de deux remariages ? Tout cela serait difficilement compréhensible pour ses hôtes d’une autre planète. Ce grand collégien longiligne, aux cheveux clairs, aux yeux bleus derrière ses lunettes de myope, au visage régulier, va leur sembler un peu à part, un peu trop secret, mais tant pis.
Qui pourrait lui donner tort ? Lui-même a déjà tellement de mal à trouver ses repères. Il est intelligent ? Bon, mais de quelle intelligence ? Être doué pour l’étude, il le pressent, n’offre pas encore une arme suffisante pour décrypter le monde compliqué des êtres et des choses au milieu desquels il lui faut évoluer.
Il n’en est pas à une contradiction près. Ses incertitudes, il lui faut les confronter à la rigueur qu’il met à observer les règles. Dans le jeu, il est hostile à toute tricherie ou même fantaisie. Et la panique le saisit devant tout risque de se mettre en infraction avec ce qui est autorisé.
Il ressent péniblement, aussi, tout incident ou accident, même bénins, face auxquels il devrait improviser des comportements non prévus ; ou tout conflit avec autrui, proche ou non, troublant douloureusement la paix intérieure et extérieure qu’il recherche avant tout. Ce genre d’événement le laisse profondément perturbé et il retourne inlassablement dans sa tête, souvent pendant une partie de la nuit suivante, ce qui est arrivé, ce qu’il a dit, ce qu’il aurait dû dire, ce qu’il aurait dû faire, quelle suite il donnera, comment il rétablira la situation, malheureux qu’il est de ne pas arriver à retrouver sa sérénité… D’ailleurs, c’est fréquemment qu’il laisse son imagination vagabonder en une espèce de théâtre d’ombres où des faits, des personnages, des dialogues sortis du néant lui font une seconde vie fantasmatique.
Au total, il se sent profondément hédoniste, bien avant de connaître ce mot. C’est un sensuel, au sens le plus général : gourmand de tout, nourriture, sons, couleurs, formes, spectacles de l’art ou de la nature, habiletés du langage, beauté des corps, plaisirs tactiles… ; jusqu’à l’algèbre, la géométrie ou la physique, qui revêtent pour lui un aspect esthétique par-dessus la jouissance intellec-tuelle. Il est par contre bien plus lent à assimiler les abstractions de la philosophie et de la métaphysique.
 
Braves Deboncourt, bien installés sur vos rails, quel est donc ce curieux spécimen de lycéen qui vient de débarquer chez vous ?
Or Cyrille, malgré les difficultés de l’exil et du temps, ne sera pas malheureux chez eux. Et Nevers lui offrira des compensations à son déracinement.
La musique, d’abord. Il ne garde qu’un souvenir lointain des tentatives maternelles, du côté de ses huit ans, pour lui faire acquérir des talents musicaux ; d’abord le violon, mais ç’a été un échec total ; alors on a essayé le piano, qui aurait certainement marché si les difficultés financières de Violette ne l’avaient pas contrainte à mettre fin aux leçons, à son grand regret et au chagrin du garçon, qui s’était trouvé là une source d’épanouissement.
Dommage, car, hérédité ou éducation, il a baigné dans les sons. Il a été bercé, lorsqu’il vivait avec sa mère,

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