Le Sang des fleurs
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Le Sang des fleurs , livre ebook

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Description

« L’abeille est un animal doté de caractéristiques surprenantes. L’industrieuse abeille est dépourvue de sexualité, à l’exception de la reine et des bourdons qui la fécondent lors du vol nuptial. Et cependant, cet animal qui manque d’animalité et de sexualité donne un produit dont la récolte se traduit dans le langage de la castration (tailler, couper, châtrer une ruche). Le miel, assimilable à une vomissure, est considéré comme une nourriture d’immortalité, qui ne se corrompt ni ne pourrit. Le miel a des propriétés antiseptiques et peut servir à la conservation des viandes. Le domptage du féminin dans le mariage vise à l’éradication de la lubricité et de la fureur sexuelle pour obtenir la bonne épouse, c’est-à-dire l’ouvrière abeille chaste, travailleuse et nourricière. Gilles Tétart montre dans ce livre foisonnant comment le mythe du miel enseigne que la désexualisation est nécessaire pour accéder à l’incorruptibilité et à l’immortalité par soi-même et non par une descendance. » Françoise Héritier. Gilles Tétart est chercheur au laboratoire d’Anthropologie sociale du Collège de France.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 mai 2004
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738186393
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Gilles Tétart
LE SANG DES FLEURS
Une anthropologie de l’abeille et du miel
Préface de Françoise Héritier
© Odile Jacob, mai 2004 15, rue Soufflot, 75005 Paris
ISBN : 978-2-7381-8639-3
www.odilejacob.fr
Table

PRÉFACE
INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER. L’abeille et l’apiculture Domestication d’un animal cultivé
Couper, bouturer, greffer, faire pousser
Une culture spécialisée
En quel sens les abeilles sont-elles domestiques ?
« Cultiver » le sauvage
Un animal associé à la culture des végétaux
Une identité animale incertaine
CHAPITRE 2. La récolte du miel : tailler, châtrer, castrer
Le sang d’Ouranos et les Méliennes
Châtrer les ruches
Miel, graisse et semence
La viande et le végétal
La viande cultivée
CHAPITRE 3. Miel, ambroisie et autres mets d’immortalité
Le corps des dieux et les ultra-nourritures
La reproduction sexuée : une contrepartie de la corruption
La problématisation du corps pur et son modèle animal : l’abeille
Soma et ambroisie
Le poison : face mortelle de l’ambroisie
CHAPITRE 4. Le miel d’Aristée
La pudeur et le métier à tisser
Le modèle de la Femme-Abeille
Plaisir et vie conjugale
Du miel à l’excrément, de la sexualité à l’anti-fécondité
Du carné au végétal, du putrescible à l’imputrescible
La génération spontanée et le schème de l’autocuisson
CHAPITRE 5. L’abeille et le corps virginal en Grèce ancienne
Une seconde naissance
Les risques liés au passage
De l’abeille au frelon
Les deux bouches
La bouche fermée des thesmophores
L’abeille et le corps virginal
Des Thesmophories qui dégénèrent
Une redoutable féminité
Le venin et le sperme
Des testicules en guise de seins : la vierge nourricière
CHAPITRE 6. Le corps virginal et la catégorie du miel dans l’Occident chrétien
Refuser la maternité
Sang menstruel et maladie
Une saignée allégorique
La libération des chairs
Corps féminin, corps-nourriture et immortalité
Une fécondité détournée
Un allaitement masculin
Une conception par ingestion
De la fille folle de viande à la fille folle de miel
Un accouchement par la bouche
CHAPITRE 7. La guerre, le miel, la fécondité
La fonction guerrière et la fécondité
Le sang des blessures
Un principe conservateur
Une salive médicinale
Le miel et l’hostie
CHAPITRE 8. Représentations modernes d’un aliment « naturel »
Aliments « morts » et aliments « vivants »
Alimentation, maladie et société : un mal exemplaire, l’obésité
L’angoisse d’une alimentation stérilisante
La santé mentale
Une denrée épurante
Un aliment « directement assimilable »
L’abeille : une « pièce libérée » de l’appareil de digestion humain
Des aliments de fécondité
CONCLUSION
Autour de quelques irréductibilités
Le miel et la fécondité
Le féminin rêvé
NOTES
BIBLIOGRAPHIE
Anthropologie, ethnologie, sociologie
Histoire & anthropologie des religions
Miel et abeilles
INDEX DES AUTEURS CITÉS
INDEX DES MATIÈRES
Remerciements
Ce livre est le fruit d’une recherche doctorale dirigée par Françoise Héritier. Je tiens à lui exprimer ici toute ma gratitude pour ce qu’elle m’a offert de connaissance, de confiance et d’encouragements. J’ai une pensée toute spéciale pour Jean-Luc Jamard et Margarita Xanthakou, qui m’ont amicalement entouré et conseillé. Je n’oublie pas la présence de Marion Abelès et l’accueil qu’elle m’a fait à la bibliothèque du Laboratoire d’Anthropologie sociale, ni le soutien amical d’Irène Pennacchioni pour qui j’ai une reconnaissance particulière. Enfin, au moment d’achever la rédaction de ce texte, je pense aussi à Gilles Morel d’Arleux qui m’a chaleureusement fait partager son univers d’apiculteur.
Que soient également remerciés ici tous ceux qui ont bien voulu patiemment relire ces pages.
À Jean-Pierre et Dany, à Odile et Sarah.
 
PRÉFACE
 
Quelque chose dans le titre de cet ouvrage provoque immanquablement chez le lecteur la surprise et l’intérêt. Il s’agit bien sûr du rapprochement qui y est fait entre le sang et le miel par le truchement des fleurs dont le nectar est, chacun le sait, impliqué dans le travail mystérieux qui aboutit à la régurgitation du miel par l’ouvrière. Mais ce n’est pas la littéralité brutale de l’image qui nous ébranle et nous émeut, c’est plutôt l’intuition que nous paraît somme toute évident le bien-fondé de ce rapprochement.
L’ambition de Gilles Tétart vise à l’élucidation du travail opéré par l’esprit de nos prédécesseurs depuis les temps grecs jusqu’aux temps modernes dans le monde occidental (avec quelques incursions comparatives vers d’autres mondes, y compris des temps contemporains) et sur lequel se fonde notre impression d’évidence. Ce travail de la pensée a procédé de l’observation et de l’analyse des faits concrets de la vie et de la tâche des abeilles mais aussi des qualités spécifiques du miel, faits qui ont été associés de façon complexe et raffinée à des données physiologiques de la vie humaine ou à des faits de nature cosmologique (Sirius et la canicule, par exemple), et de façon plus abstraite à des notions : pureté, virginité, fécondité, imputrescibilité vs  pourriture, mortalité… qui constituent un horizon de questions essentielles pour l’humanité.
L’abeille –  melissa  – est un animal doté de caractéristiques surprenantes. Le terme « animal » heurte toujours quelque peu lorsqu’il est appliqué à un insecte, ne serait-ce que du fait que, comparés aux animaux vrais d’Aristote, ces animaux-là manquent de sang et ne sont ni chassés ni tués pour être consommés. Outre cette difficulté de la représentation ordinaire, des traits spécifiques observés chez l’abeille font qu’elle est perçue comme un animal situé dans le prolongement du règne végétal. On la cultive, on ne l’élève pas, comme en témoignent les termes modernes de l’apiculture : couper, bouturer, tailler, greffer… parce qu’elle n’est pas domesticable, pas susceptible d’apprentissage, qu’on ne contrôle pas sa reproduction. L’apiculture se contente de cultiver au mieux un animal sauvage considéré comme un outil vivant de la fabrication d’une substance bonne pour la consommation humaine. L’industrieuse abeille est par ailleurs dépourvue de l’exercice de la sexualité, à l’exception de la reine et des bourdons qui la fécondent lors du vol nuptial. L’ouvrière est virginale, chaste, et cependant nourricière. Le miel qu’elle régurgite et enferme dans des alvéoles de cire fournit à la fois la nourriture de la ruche, celle des larves et, sous forme de gelée royale, la nourriture qui transformera une larve en future reine. Et cependant, cet animal qui manque d’animalité et de sexualité donne un produit dont la récolte se traduit dans le langage de la castration (tailler, couper, châtrer une ruche), ce qui assimile le miel à d’autres substances, imputrescibles elles aussi, qui sont la semence et la graisse. On est déjà au cœur de multiples antinomies et embranchements possibles dans les cheminements de l’imaginaire.
Comme le lait, le miel n’implique dans sa fabrication aucune technique culinaire. Dans les deux cas, il s’agit d’un aliment produit par l’organisme, mais l’un est une sécrétion, l’autre un excrétat. Le miel, en somme, selon la formule de Gilles Tétart, est une « vomissure consommable ». Malgré ce caractère particulier, qui devrait l’assimiler à une déjection, le miel est considéré comme une nourriture d’immortalité, celle des dieux, car elle ne donne pas de déchets (on n’observe pas d’excréments dans les ruches), elle est obtenue sans feu par la cuisson interne de la fermentation du nectar des fleurs, et parce que cette nourriture d’origine végétale ne se corrompt ni ne pourrit. On observera même que le miel a des propriétés antiseptiques et qu’il peut servir à la conservation des viandes. À l’opposé, la nourriture ordinaire des hommes – qui sont mortels –, qu’elle soit végétale ou carnée, aboutit toujours à l’excrément et à la putréfaction. Mais cet aliment d’immortalité qu’est le miel est, comme le vin obtenu par fermentation, une substance apte à provoquer les fonctions génésiques. Dans le mythe grec, Kronos qui amputa son père Ouranos et fut amputé à son tour par son fils, était gorgé et ivre de miel. Et l’on connaît leur descendance.
Mais d’où viennent ces abeilles virginales dont la production nourricière est assimilable à la semence ? L’observation, qui suscite la théorie de la génération spontanée, les fait apparaître, comme les autres mouches, des viandes putréfiées. Quand Aristée fut puni du viol d’Eurydice par la perte de ses ruches, c’est en faisant le sacrifice des bougonies qu’il obtint de nouveaux essaims, grâce à des taurillons et des génisses immolés mais non consommés et abandonnés à pourrir au soleil. Ainsi l’abeille qui produit cette nourriture imputrescible d’immortalité qu’est le miel provient-elle de la putréfaction de viandes gorgées de sang. Nous voilà encore pris dans des réseaux d’associations entre sexualité, immortalité et putréfaction.
Or, par ailleurs, le viol est dans l’imaginaire grec la consommation d’un miel non mûri qui peut se changer en fiel. Le miel mûri est celui de la bonne fécondité, qui vient avec la domestication de la sexualité féminine dans le cadre du mariage, domestication qui implique chasteté et pudeur. La jeune fille close doit passer au statut d’épouse ouverte. La fermeture physique de son corps et son enfermement au fond de la maison garantissent sa fécondité future. L’analogie avec l’abeille est presque immédiatement donnée par le langage. Le terme « nymphe » désigne de la même manière la fiancée humaine et la larve d’abeille, comme thalamos désigne à la fois le lit nuptial et la cellule alvéolaire, ou hymen la membrane féminine et l’opercule de cire de l’alvéole. La jeune fille et l’abeille doivent franchir un seuil. Et la fécondité nourricière (le lait) suppose le préalable de la chasteté et de la continence, verbale, alimentaire, sexuelle. Le domptage du féminin dans le mariage vise à l’éradication de la lubricité et de la fureur

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