Aux racines du transhumanisme : France, 1930-1980
159 pages
Français

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Aux racines du transhumanisme : France, 1930-1980 , livre ebook

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Description

Le transhumanisme a le vent en poupe. Les prouesses et promesses conjuguées de l’informatique et de la biologie se chantent sur tous les tons à la une des médias. En bref : l’homme de demain ne nous ressemblera guère ! Mais cette chanson n’est pas nouvelle. Même revue par la technologie, elle parle toujours, in fine, d’eugénisme et de sélection, thèmes tabous que l’on agitait déjà dans les années 1930. On se demandait alors jusqu’où iraient les machines et si l’homme, dépassé par la science, ne pourrait pas en outre être modifié par elle. Quand le physiologiste Alexis Carrel, prix Nobel 1912, milite pour un eugénisme actif, Jean Rostand évoque le « surhomme » et Teilhard de Chardin l’ « ultrahumain ». Les racines du transhumanisme ne sont pas exclusivement françaises, mais elles ressortent avec une étonnante netteté de cette analyse, qui les montre croisant et recroisant les autres grandes idéologies du siècle dernier. Les technologies les plus « avancées » posent en termes nouveaux des questions débattues depuis un siècle : l’histoire des idées décrit parfois des boucles inattendues. Alexandre Moatti, ingénieur en chef des Mines, est chercheur associé en histoire des sciences et des idées à l’Université de Paris (Paris-Diderot), habilité à diriger des recherches. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 février 2020
Nombre de lectures 4
EAN13 9782738151339
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , MARS  2020
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5133-9
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
INTRODUCTION
Un transhumanisme français ?

Aux racines du transhumanisme. C’est une approche historique que nous souhaitons faire ici : approche historique d’un sujet contemporain (par ailleurs largement médiatisé) – le risque d’anachronisme existe. L’analyse est pourtant nécessaire : les discours actuels sur la technique, comme d’autres types de discours, manquent d’historicité, et relèvent parfois d’un éternel retour des arguments 1 . Remettre un concept dans sa filiation historique peut permettre, parmi d’autres moyens, de dégonfler son aura contemporaine, en même temps qu’éclairer son utilisation tous azimuts.
De fait, la base de départ est mouvante. Le mot transhumanisme recèle quelques ambiguïtés sémantiques. Retenons, pour l’usage contemporain : accélération de « l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer la condition humaine par l’augmentation des capacités physiques et mentales des êtres humains 2  », cette accélération étant rendue possible par « l’émergence et la convergence de techniques telles que la nanotechnologie, la biotechnologie, les techniques de l’information et de la communication et la science cognitive (NBIC) 3  » ; une des caractéristiques de cette accélération étant « le concept de singularité technologique, c’est-à-dire l’avènement d’une intelligence artificielle qui “dépassera” les capacités du cerveau humain ».
Mais après cela, le risque existe qu’on n’ait rien dit. Car l’usage du mot dépasse largement sa définition : il est enrôlé dans de grands récits – d’exaltation ou d’alerte, ou même, curieusement, les deux mêlés . Il joue le rôle de métaconcept brandi en lieu et place d’autres concepts notoirement mieux définis, les prenant sous son ombrelle : il recouvre l’intelligence artificielle (qui progressivement en vient aussi à être enrôlée comme métaconcept), laquelle recouvre elle-même, entre autres choses, le big data, la robotique, etc. Le concept de transhumanisme relève-t-il de la science ? Un chercheur en intelligence artificielle ou en génétique en viendrait-il à dire qu’il travaille sur des projets transhumanistes ? Le transhumanisme est certes une ligne directrice pour divers mouvements collectifs ou, de manière plus subtile, pour diverses entreprises californiennes et leurs fondateurs – notamment de tendance libertaire : c’est avant tout un mouvement culturel, accessoirement philosophique. Est-ce pour autant, au niveau scientifique, un sujet de recherche ? Sans doute pour certains bio-informaticiens ou certains généticiens, qui se situent à la convergence NBIC ; mais en parlent-ils eux-mêmes et assument-ils ce concept ? Le connaissent-ils, et si oui l’utilisent-ils ? S’ils ne l’utilisent pas, est-ce à dessein, soit qu’ils le trouvent trop imprécis et veuillent s’en prémunir, soit qu’ils le trouvent trop dangereusement connoté et préfèrent « faire du transhumanisme sans le dire » ( en faire, toujours ; n’en parler, jamais ) ? Toujours est-il que le mot est peu présent dans les sciences dites dures (informatique) ou molles (biologie), mais qu’il remplit l’espace en sciences humaines, principalement en philosophie 4 . À cet égard, tout se passe comme s’il existait une alliance objective pour invoquer (et parfois promouvoir ou mettre en garde contre) une doctrine culturelle et philosophique, entre d’une part divers mouvements militants, de grandes entreprises du Net et leurs dirigeants, et d’autre part certains philosophes universitaires qui y verraient matière à réfléchir, toujours et encore, sur la nature humaine ; sans oublier divers essayistes, voire polémistes, non scientifiques du domaine, non philosophes, mais qui observent ce mouvement, fascinés, faux lanceurs d’alerte car participant en fait à la diffusion du concept.
Hors ses fondements de recherche effective, qui restent à caractériser – car du transhumanisme on pourrait dire que ceux qui en parlent n’y travaillent guère, et ceux qui y travaillent n’en parlent guère  –, le concept reste vague, et proche de l’idéologie. D’ailleurs, la terminaison en -isme ne serait-elle pas un marqueur de l’idéologie, technoprophétique ou technocritique ? Il est en tout cas souvent chargé d’affects : les milieux « bioconservateurs 5  » l’abhorrent – par exemple certains milieux catholiques qui voient dans le mot transhumanisme l’aboutissement d’une dénaturation de la procréation, en en faisant le synonyme de PMA et GPA ; à l’inverse, certains transhumanistes (ou « bioprogressistes ») ôtent délibérément tout rattachement du mot à la technique et aux modifications de l’homme, pour l’intégrer à une philosophie de la liberté, dans une ère nouvelle qui s’ouvre inexorablement et fera le bonheur de l’homme. Autant dire qu’en effet la base de compréhension contemporaine commune du terme transhumanisme est fragile.
*
Qu’en est-il, a fortiori , de la compréhension que l’on peut avoir du terme, projeté dans le passé ? Si mouvante que soit l’assise contemporaine du concept, notre défi sera de faire la part de considérations que l’on peut qualifier de transhumanistes au sein de discours très englobants du XX e  siècle français. Les difficultés ne manquent pas. Ainsi, si l’emploi contemporain à profusion du mot aide à distinguer le concept dans des discours plus généraux (sur la génétique, la robotique, l’intelligence artificielle, le big data…), tel n’est pas le cas dans la période précédente.
Prenons un exemple. Un des articles fondateurs, en France en tout cas, de l’analyse socioanthropologique de la révolution informatique est celui du R. P. Dominique Dubarle (1907-1987), dominicain, doyen de la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris, qui s’est beaucoup intéressé à la cybernétique. Cet article de 1948 du Monde , souvent cité, pose de réelles questions, dont certaines sont toujours actuelles face aux objets techniques contemporains. Il reste dans un registre d’analyse et de questionnements – parfois contestables (par exemple sur l’analogie très poussée entre ordinateur et cerveau humain, via les mémoires, les synapses, etc.). Il comporte cependant une phrase aux accents transhumanistes, à propos des nouveaux calculateurs : « […] les premiers balbutiements de cette technique nouvelle attestent déjà un évident surclassement des pouvoirs organiques du cerveau de l’homme. » Certes, l’ordinateur calcule incomparablement plus vite et mieux que l’homme ; cependant la phrase va plus loin dans son emphase, mettant sur le même plan d’une part le cerveau et ses capacités organiques, d’autre part une puissance calculatoire, prélude à une potentialité de « décision » et de « connaissance ». Elle verbalise ce que nous considérons comme un marqueur du transhumanisme : une assimilation entre l’homme et la machine (qui s’appuie parallèlement sur une analogie poussée entre informatique et biologie), la comparaison se faisant en défaveur du premier – c’est bien le concept de « singularité 6  » avant la lettre. La crainte ou l’exaltation, ou tout simplement l’évocation d’un pouvoir supérieur au pouvoir de l’homme – fût-il créé par lui ! –, constitue une empreinte transhumaniste, dans la mesure où elle met en évidence un plan différent de l’humain tout en étant lié à lui, voire en émanant. Cette évocation d’un pouvoir supérieur à celui de l’homme participe d’une vision d’un homme amoindri (ou diminué) – toujours et encore cette crainte du sous-homme, formulée différemment, et que nous retrouverons ; à l’inverse, l’exaltation de ce pouvoir supérieur participe d’une vision d’un homme augmenté – parce qu’il peut bénéficier de ces puissantes machines, ou parce qu’il a été capable de les concevoir.
Ainsi les concepts contenus dans le terme transhumanisme contemporain peuvent-ils aussi, dans des discours antérieurs, n’être pas spécifiquement désignés par un terme : il faudra faire preuve de discernement dans notre analyse des origines discursives du concept – se garder du piège d’« interpréter les sources pour y découvrir les signes de présence de ce qu’on y projette 7  ». On pourrait être tenté de chercher la différence de nature (un homme différent, une « rupture anthropologique ») plutôt que de degré ; mais ce distinguo est ténu, d’autant que les transhumanistes contemporains (et de tout temps, serait-on tenté de dire) plaident la différence de degré, là où un observateur plus neutre verrait une différence de nature 8 . Aussi, parmi les nombreux discours sur l’homme et la machine (par exemple la « querelle du machinisme » des années 1930), sur la cybernétique (années 1960-1970), mobiliserons-nous uniquement ceux qui spécifient ou laissent entendre un autre type d’humain 9 , en l’exaltant, en le redoutant, ou simplement en l’évoquant.
En dehors des discours où il nous faudra déceler cette notion d’ homme augmenté , il se trouve que le terme transhumanisme lui-même a une histoire. Si l’acception contemporaine est bien sûr liée à l’état actuel des technologies, nous examinerons quelles furent ses acceptions dans l’histoire – par exemple chez l’ingénieur Jean Coutrot qui l’utilise en 1937 : sont-elles fondamentalement différentes 10  ? S’il est nécessaire de distinguer le transhumanisme de 2019 et celui de 1939, ce mot n’es

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