Mémoires d’un déraciné, physicien, citoyen du monde
135 pages
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Description

« Ma carrière de physicien a commencé à 24 ans et a été plus complexe que celle de la plupart des jeunes scientifiques français. J’ai souhaité, ici, dans ce livre, en décrire les facettes multiples, depuis l’arrivée du jeune émigré venu en France à l’âge de 7 ans qui choisit la France comme patrie et survit à la déportation, jusqu’aux activités politiques, humaines qui m’ont amené à devenir aujourd’hui un homme actif dans l’enseignement des sciences donné aux enfants, et angoissé par l’utilisation des applications technologiques de la science sur l’avenir de l’humanité. L’ambition de ce livre est de montrer l’extraordinaire édifice de la physique des particules né en un siècle et d’éclairer la menace imminente qui pèse sur tous les trésors de la civilisation accumulés pendant des millénaires, si nous ne changeons pas totalement la façon dont l’humanité gère ses richesses matérielles, spirituelles, sa créativité et l’éducation qu’elle donne à ses enfants. Je n’ai pas hésité à décrire des tentatives qui ont relevé d’un rêve de courte durée, comme les recherches de sons fossiles dans des objets antiques. » G. C. Georges Charpak est prix Nobel de physique et auteur de nombreux grands succès de librairie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 juin 2008
Nombre de lectures 2
EAN13 9782738198181
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur chez Odile Jacob
De Tchernobyl en tchernobyls , avec Richard L. Garwin et Venance Journé, 2005.
L’Enfant et la Science. L’aventure de « La main à la pâte » , avec Pierre Léna et Yves Quéré, 2005.
Soyez savants, devenez prophètes , avec Roland Omnès, 2004 ; « Poches Odile Jacob », 2005.
Devenez sorciers, devenez savants , avec Henri Broch, 2002 ; « Poches Odile Jacob », 2003.
Enfants, Chercheurs et Citoyens (sous la direction de), 1998.
Feux follets et Champignons nucléaires , avec Richard L. Garwin, 1997 ; « Poches Odile Jacob », 2000.
La Vie à fil tendu , avec Dominique Saudinos, 1993.
© ODILE JACOB, 2008, AVRIL 2010
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9818-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Première partie
Déraciné
Georges Charpak
Chapitre premier
Tribulations d’un immigré d’Europe centrale

Né en 1924, dans une bourgade de la plaine ukrainienne, j’ai été profondément marqué par les pérégrinations que m’imposèrent des accidents géographiques, politiques et culturels.
Je suis venu au monde à quelques dizaines de kilomètres de la frontière, imposée aux forces bolcheviques en 1922 après leur défaite contre les forces polonaises soutenues par les Alliés vainqueurs de l’Allemagne. Cette région fut ravagée pendant des années par des groupes d’ethnies ou de convictions diverses se livrant des batailles parfois féroces : Ukrainiens nationalistes, Polonais, anarchistes, comme ceux commandés par Makno qui fut un héros pour les militants du monde entier.
J’ai passé deux années à Haïfa, en Palestine, où mes parents ont cassé des cailloux. Ils sont revenus en Pologne en 1928 pour des raisons mystérieuses qui devaient conjuguer la lassitude d’un travail très pénible et les maladies de leurs enfants.
En 1926, un Ukrainien, Petlioura, a été poignardé en France par un jeune homme, Samuel Schwartzbard, rescapé de la guerre menée dans l’armée française. Il était décoré, se sentait français, mais ne pouvait tolérer que le chef des forces militaires ukrainiennes, qui avait tenté pendant deux ans d’édifier une Ukraine indépendante, vive des jours tranquilles en France où il s’était réfugié, alors qu’on lui attribuait le massacre de dizaines de milliers de juifs. Ce fut un cas célèbre en 1926. Le jeune homme fut acquitté par la cour d’assises française. Son nom est oublié, mais Petlioura est aujourd’hui célébré comme un héros national par les Ukrainiens. Il a fait l’objet d’une cérémonie franco-ukrainienne à l’Arc de Triomphe, les parlementaires français ayant été leurrés par des immigrés ukrainiens. Cette affaire m’a convaincu qu’il serait utile d’enlever de leur piédestal des centaines de faux héros, glorifiés dans de trop nombreux pays, alors qu’ils ont perpétré des massacres massifs au cours des guerres du dernier siècle et des aventures coloniales sanglantes. Il faut rééduquer la race humaine, ses enfants en premier lieu, pour que leur respect aille à ceux qui ont édifié des civilisations admirables, respectables et respectées, dont nous pouvons être fiers, quelle que soit notre citoyenneté ou notre origine.

Figure 1 – La ville de ma naissance, Sarny. C’était un ghetto et une garnison à la frontière de l’Ukraine polonaise et de l’Union soviétique. J’y naquis le 8 mars 1924, mais fus déclaré le 1 er  août 1924 à Dubrovytsya, ville qui n’était pas un ghetto et où mes parents voulaient que je sois élevé, dans un lieu d’ethnies variées.

Figure 2 – J’eus la chance de quitter la Pologne à l’âge de 7 ans, en 1931, échappant ainsi au sort de la population. Les Einsatzgruppen massacrèrent un million et demi de juifs à leur entrée en Union soviétique. Sarny fut un centre de massacre.

Figure 3 – La photo montre un soldat allemand exécutant d’une balle dans le dos une femme tenant son enfant.

Figure 4 – J’ai retrouvé les nazis en 1944, lorsque je fus interné à Dachau où je devins terrassier, creusant des fosses communes pour les déportés qui y étaient poussés depuis l’Est, une tentative ultime pour camoufler les crimes. J’ai été délivré par l’armée de Patton. Un soldat américain en 1945, devant un charnier à Dachau-Allach.

Figure 5 – Cette photo me montre peu après ma délivrance lorsque je reviens à Paris, décidé farouchement à tout oublier et à étudier pour réaliser mon rêve : devenir un scientifique.
La France était un pays où l’on pouvait étudier dans les meilleures conditions, sans argent, si l’on avait la chance d’avoir une famille qui mettait l’éducation au-dessus de tout.

La France, patrie d’accueil
Je suis frappé de la part du hasard, souvent heureux, dans ma vie. Arrivé en France à l’âge de 7 ans, j’ai cru entrer au paradis ! Entre les héros qui avaient défendu Dreyfus et les antisémites qui ne se consolaient pas de sa réhabilitation, il y avait une masse immense de gens tolérants. Je me suis immergé dans mon école communale à Paris et, au bout d’une année, je parlais le français. J’ai même contraint petit à petit mes parents à le parler à la maison. Je parlais aussi cinq ou six langues dont le polonais, appris pendant deux ans dans une école communale en Pologne ukrainienne. J’ai conservé longtemps des bribes de toutes ces langues, ce qui m’aurait permis d’être plus tard portier dans un hôtel cosmopolite et, en tout cas, m’a probablement sauvé la vie pendant la guerre.
La grande majorité des juifs d’Ukraine a été massacrée dès l’entrée des troupes allemandes en URSS 1 . J’ai quelques rares parents qui ont survécu dans les forêts avec les partisans. On peut comprendre que je ne me sente pas attaché à cette terre et n’aie pas la fibre ukrainienne, ni même la fibre polonaise : la majorité de la population juive vivant dans ce lieu frontière où je suis né a subi le même sort.
J’ai trouvé une patrie lorsque je suis arrivé en France, déraciné et apatride, j’ai pu, sans difficulté, partager avec mes camarades de classe la plupart des héros français qui rendent fier d’appartenir à ce pays. Après avoir surmonté l’obstacle de la langue, je me suis passionné pour Jules Verne, Alexandre Dumas, parmi bien d’autres, qui ont façonné ma culture littéraire.
Je réussissais bien en géométrie. J’avais de bons maîtres. Après un parcours aisé à l’école primaire, jusqu’au cours complémentaire, je sautai deux classes et entrai au lycée Saint-Louis, proche de mon domicile, l’année précédant le baccalauréat. J’ai surmonté sans difficulté mon retard dans les matières littéraires qui étaient enseignées dans des sections du lycée où la plupart des élèves n’étaient guère brillants en sciences, car ils devaient apprendre le grec et le latin, passage obligatoire pour l’élite intellectuelle.
Nous étions en 1939, la guerre qui couvait éclata.
J’étais passionné par les mathématiques. J’entrai en première année de mathématiques spéciales au lycée Saint-Louis en 1941. J’avais 17 ans. La victoire allemande m’empêcha de vivre la vie d’un lycéen absorbé par ses études.
La catastrophe nazie bouleversa ma vie.
Nous avions vécu à Paris pendant quelques années dans une chambre de bonne. Je partageais mon lit avec mon petit frère, André, plus jeune de quatre ans. Nos parents vivaient sobrement de petits boulots, couture à domicile pour ma mère, livraisons en vélo dans Paris pour les boutiques alimentaires juives pour mon père. Mais rien au monde ne leur aurait fait rater un concert des chœurs de l’Armée Rouge en tournée. Cela leur rappelait les chants qui avaient bercé leur enfance. Ils lisaient avec passion la grande littérature russe, Tolstoï, Dostoïevski, suivant la tradition du peuple russe. Je me souviens que, quand ma mère prenait un taxi, elle s’adressait au chauffeur directement en russe, car les émigrés avaient investi cette profession. Mes parents avaient suivi quelques années de collège en Russie, ils parlaient un russe parfait à la maison quand ils voulaient que leurs enfants ne les comprissent pas. J’ai gardé la nostalgie de cette langue admirable, plus tard, en prison à Montpellier, j’ai entrepris de l’étudier. Que faire de mieux en prison à 18 ans qu’apprendre le russe, les mathématiques, préparer votre évasion et refaire cent fois le monde avec les sept occupants de votre petite cellule ?

Figure 6 – En 1931, j’arrive en France avec mon frère André, qui devint acteur et cinéaste.
En France, nous baignions dans les remous d’une vie politique agitée. Entre 1932 et 1940, le fascisme menaçait de l’extérieur et de l’intérieur. Un certain nombre de partisans du régime hitlérien purent donner libre cours à leur idéologie pendant l’occupation allemande en participant avec zèle à la tentative d’extermination des juifs.
Pour ma part, influencé par certains camarades d’école, dès mon plus jeune âge, je suis entré dans des organisations antifascistes comme les « Faucons rouges », annexe du parti socialiste, et les « Auberges de jeunesse », dont l’inspiration était nettement socialiste, ou anarchiste, ou trotskiste. À 15 ans, pendant la fièvre politique de 1936, j’allais dans les usines en grève réciter des poèmes de Prévert et des chœurs parlés, ou participer à des chorales.
Lorsque, en 1941, le régime de Vichy imposa les étoiles jaunes aux juifs, tout naturellement avec mes parents nous décidâmes de nous y refuser. Mes fréquentations politiques rendirent aisée l’acquisition de cartes d’identité fr

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