Chronotopie
210 pages
Français

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Description

« Chronotopie » désigne le caractère indissociable des relations que nous entretenons avec le temps et l’espace mais qui sont vécues différemment d’une société à l’autre. Ainsi, au Brésil, pouvons-nous parler d’un espace par excès et d’un temps par défaut, un rapport qui s’inverse au Japon. Quant à la Chine, elle présente une congruence entre l’espace (immense, comme au Brésil) et le temps (long, comme au Japon). Cette chronotopie est ensuite questionnée à travers trois formes artistiques (littérature, cinéma, théâtre) qui explorent des virtualités et inventent des possibles. Énoncées avec clarté, ces réflexions inédites permettent de mieux comprendre la complexité des sociétés contemporaines.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 février 2023
Nombre de lectures 3
EAN13 9782902039371
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À la lectrice, au lecteur
Maurice Godelier
Médaille d’or du CNRS
Prix de l’Académie française
L’anthropologie est la seule science sociale qui impose aux chercheurs de s’immerger de façon prolongée dans les modes de vie et de pensée d’une autre société que la leur et dont ils n’avaient jamais eu l’expérience dans leur existence. Peu à peu, l’anthropologue, s’il a réussi à nouer des liens d’amitié et de travail avec ceux qui l’avaient accueilli parmi eux, découvre et comprend leurs façons de penser et d’agir, et peut alors en témoigner parmi nous. Ce n’est pas seulement de leur temps présent qu’il va témoigner, car une grande part de l’identité d’une société est faite d’un passé toujours présent et de récits, de moments de gloire ou de blessure, à vif dans la mémoire.
Dans le monde où nous vivons, et où l’hégémonie séculière de l’Occident est en train de disparaître, mais n’est pas oubliée de ceux qui l’ont subie, où des puissances nouvelles revendiquent de continuer à se moderniser sans plus s’occidentaliser, la connaissance de ce que font et sont les sociétés autres que les nôtres, est plus que jamais importante et doit être partagée par les jeunes générations.
C’est pour ces raisons que l’initiative de créer une nouvelle maison d’édition, Dépaysage, et de la consacrer en priorité à la publication d’ouvrages d’anthropologie est à la fois une entreprise courageuse et importante. On n’en saura jamais assez sur les autres, et grâce à eux, sur nous-mêmes.


 
 
Éditeur Amaury Levillayer, PhD
Réalisation éditoriale Joël Faucilhon — numérisation Marie-Laure Jouanno — conception graphique ; réalisation et adaptation de l’illustration de couverture Éric Levillayer — correction © Olivier Mazoué — logotypes
Première de couverture : chronophotographie d’Étienne-Jules Marey, vers 1890. Adaptation par Marie-Laure Jouanno. Pour la réalisation de cet ouvrage, les éditions Dépaysage ont reçu le soutien financier du Centre national du livre.
Édité par © Éditions Dépaysage, 2023
ISBN (papier) : 978-2-902039-36-4 ISBN (epub) : 978-2-902039-37-1
En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du code de la propriété intellectuelle du 1 er  juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.


François Laplantine
Chronotopie
Réflexions d’un anthropologue sur le temps et l’espace



Prologue
Ce livre que je commence à écrire alors que je me trouve confiné chez moi, à Lyon, en raison de la pandémie du « coronavirus » se propose de réfléchir à l’une des questions les plus complexes qui soient : le rapport que nous entretenons avec le temps et l’espace et, plus complexe encore, les relations respectives entre ces derniers.
Ce qui m’apparaît à partir de nombreux séjours effectués pendant une quarantaine d’années au Brésil, en Chine et au Japon est que ces relations ne sont pas universelles. Ce ne sont pas des invariants ; elles ne cessent de se transformer. Toutes les sociétés et toutes les époques ne pensent pas, et d’abord ne perçoivent pas, ces deux dimensions de l’expérience individuelle et collective à la manière de Kant qui les appelle les deux « formes a priori de la sensibilité ». Si formes il y a, elles n’ont rien d’ a   priori car elles ont une genèse, elles se composent puis sont susceptibles de se décomposer et de se recomposer.
Les philosophes et les psychanalystes privilégient le temps et ont tendance à considérer l’espace comme un motif extérieur subalterne : Platon, saint Augustin, Hegel, Heidegger ou encore Bergson dont le travail consiste à affranchir ce qu’il nomme la « durée d’une opération de spatialisation du temps ». Les géographes et avec eux les urbanistes, les architectes et les anthropologues partent de l’observation de l’espace appelé aussi un « site ». Nous retrouvons ici la distinction entre la description , qui est d’abord description de l’espace et est étroitement liée à la vue, et le récit qui, lui, génère du temps. L’anthropologie s’est constituée dans une matrice topographique et visuelle, et l’anthropologue – qui est d’abord un ethnographe – se considère comme un observateur. Très différente de ce fameux « regard anthropologique » est la démarche psychanalytique qui, elle, concentre son attention sur l’écoute et cherche à restituer une histoire génératrice de symptômes. De l’espace du cabinet psychanalytique, il n’y a pas grand-chose à dire si ce n’est qu’il est l’un des lieux privilégiés de l’écoute. Un psychanalyste ne saurait être sourd alors qu’il peut fort bien être aveugle – le mien l’est d’ailleurs devenu à la fin de l’analyse très freudienne à laquelle je me suis soumis pendant six ans. Quant à l’analysé, il peut fort bien fermer les yeux tout au long de la séance. Une seule chose importe : parler, raconter, remémorer le temps.
Deux mises en perspective vont être proposées dans ces pages :
- Le temps et l’espace ne seront pas considérés comme des données à la manière kantienne, mais construits et produits par une activité, laquelle peut, comme c’est le cas dans la période de confinement, se trouver limitée et contrainte.
- L’espace n’est pas conçu – et d’abord perçu – par toutes les cultures comme un « environnement », un cadre, un contexte, un objet impersonnel en somme, appréhendé à partir d’un sujet antérieur et supérieur qui commence presque toutes ces phrases comme en français par « moi, je ». Cette conception est étrangère à la société et à la langue japonaises, par exemple.
Les catégories de pensée et d’analyse dans lesquelles nous organisons notre rapport au monde et aux autres sont d’abord des catégories de langue. Elles ne peuvent être considérées comme universelles, métahistoriques ou métaculturelles. Le sujet que la philosophie européenne qualifie de « transcendantal » est en fait grammatical et occidental. L’abstraction d’un temps neutre et universel et d’un espace lui aussi neutre et universel qui seraient les mêmes partout et pour tous résulte d’une opération consistant à forcer des expériences qui nous sont étrangères à entrer dans un cadre conceptuel logocentré et européocentré. Loin de ce temps et de cet espace réifiés, je m’intéresserai à des réalités vécues inscrites dans une culture et une histoire. Afin d’ouvrir un horizon de connaissance dans lequel le temps et l’espace ne sont plus considérés comme deux « dimensions » ou « domaines » distincts, j’aurai recours dans une première partie à deux notions :
- celle de « chronotopie 1  », dont Mikhaïl Bakhtine a montré le caractère heuristique dans Esthétique et théorie du roman 2 .
- celle, japonaise, de ma, qui n’a aucun équivalent dans les langues européennes et n’est pas une abstraction mais une relation concrète : l’intensité lumineuse du soleil qui croît ou décroît selon les moments de la journée et les saisons (temporalité), et transforme ce que l’on aperçoit dans l’entrebâillement d’une porte à deux battants (spatialité). Ma réunit ce que les langues européennes ont tendance à séparer. Il nous permet de penser enfin les états intermédiaires et de penser ensemble les dynamiques de l’entre et de l’entre-deux : l’interstice et l’intermittence.
Dans le domaine des sciences humaines et sociales, Élisée Reclus, l’un des fondateurs de la géographie moderne et aussi militant anarchiste, a, me semble-t-il, trouvé le mot juste : « La géographie n’est autre chose que l’histoire dans l’espace, de même que l’histoire est la géographie dans le temps 3 . » Je me suis aperçu par observation et plus encore par imprégnation au fil de mes recherches au Brésil, en Chine et au Japon, que les rapports entre le temps et l’espace ne sont pas vécus de la même manière. L’espace brésilien est un espace immense. Un espace en quelque sorte par excès par rapport à un temps par défaut. Ce rapport chronotopique s’inverse lorsque nous nous déplaçons au Japon, pays qui manque singulièrement d’espace mais qui, en revanche, a une très longue histoire. Quant à la société chinoise, elle présente une espèce de congruence entre l’espace (immense comme au Brésil) et le temps (de plusieurs millénaires comme au Japon).
La démarche qui sera la mienne dans la deuxième partie de ce livre s’inspire de la méthode proposée par l’anthropologue Junzô Kawada sous le terme de « triangulation des cultures 4  ». L’anthropologie est résolument comparative, mais les comparaisons menées par la plupart des anthropologues n’envisagent le plus souvent que des confrontations dualistes entre le « Nord » et le « Sud », l’« Est » et l’« Ouest », ou alors à l’intérieur d’une même aire culturelle. La « triangulation des cultures » permet d’éviter qu’une société soit la référence perceptive et cognitive, c’est-à-dire la mesure d’une autre. Elle nous incite à être vigilant au risque des dichotomies simplificatrices conduisant à la majoration des différences ou alors à des complémentarités fictives, ce qui ne favorise guère, dans un cas comme dans l’autre, la connaissance et la compréhension réciproques.
Mes recherches ont d’abord été consacrées pendant une vingtaine d’années à l’étude des relations entre la France et le Brésil. À un certain moment, j’ai compris qu’il pouvait y avoir un risque d’enfermement dans un tel face-à-face ; seule une troisième culture peut agir comme médiation des deux autres. Ce sont les recherches que j’ai entreprises en Chine et surtout au Japon qui, en définitive, m’ont permis de mieux comprendre le Brésil.
-
La troisième partie de ce livre est très différente. Elle reprend la même thématique des relations vécues à l’espace-temps, mais la déplace dans la création d’un certain nombre de formes artistiques. Ces dernières procèdent à une intensifica

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