Derrière les iris...
79 pages
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Description

C’est le même combat que mènent les hommes et je suis convaincu qu’en chacun de nous sommeille un combattant. Les armes utilisées sont certes différentes mais les issues aussi fatales les unes que les autres. Le temps ne nous appartient guère, il nous broie et nos aïeux l’ont qualifié d’épée à double tranchant. C’est une vérité actuelle pour tout le monde…

Informations

Publié par
Date de parution 27 avril 2020
Nombre de lectures 1
EAN13 9782312072753
Langue Français

Extrait

Derrière les iris…
Omar Kazi Tani
Derrière les iris…
Roman
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2020
ISBN : 978-2-312-07275-3
A mes trois iris,
La conscience vient au jour avec la révolte » Albert CAMUS (L’homme révolté)
Chapitre 1. Le Berceau
– C’est le seul souvenir que tu gardes de ton père ?
– Oui … je crois… enfin… non, il y en a d’autres ! Tiens par exemple celui-là, je pense que ce n’est pas le seul mais c’est le plus marquant, oui… tu as raison. C’est le plus beau, le plus intense des souvenirs ! Cela remonte à… Je ne sais plus au juste. Mahmoud ! Errodjla , voilà les paroles prononcées par mon père le jour de mon échec à l’examen de sixième. Il avait cinquante ans et moi douze. C’est encourageant de telles paroles, cela te donne envie de réussir dans la vie ; et depuis ce jour, retentit en mon être cet acte de bonté et de tolérance, jusqu’à imprégner mes fibres. D’ailleurs…
– Je n’en doute pas ! Je pense à toi depuis longtemps Mahmoud !…
– Mais il fait froid. Entrons, veux-tu ?
Le vent glacial qui soufflait depuis quelques heures mit un terme à notre discussion. Nous entrâmes à la maison en empruntant le sombre et étroit couloir, juste éclairé par une faible lueur. Dans la pénombre, je m’aperçus que ce visage que je croyais connaître, m’était en fait étranger : il avait quelque chose de secret, ce nez busqué et ces pommettes proéminentes, des lèvres charnues et l’étincelle du regard dessinaient un profil irrésistible. Délicatesse ou virilité, tendresse et agressivité se mêlaient. Mahmoud était là, il pesait de tout son poids. Je me retrouvais chez lui, j’allais le découvrir peut-être !
Le thé brûlant me tira de ma torpeur et je me mis de nouveau à observer l’homme qui accrochait mon regard. Plus que ses traits, m’intéressait sa voix mélancolique, rauque et envoûtante. Il parlait avec ferveur et ses mots étaient forts. C’étaient à la fois des discours et des exemples vivants. Il maîtrisait bien les préceptes religieux et abordait avec conviction les problèmes qui secouaient le monde. Les théories savantes devenaient dérisoires.
– Comment trouves-tu ce thé ? Sans doute pas aussi bon que celui de ma pauvre mère. Sais-tu qu’elle a souffert avant de mourir ? Trois ans déjà ! Comme le temps passe vite ! Elle n’a pas eu le temps de me voir et finalement je n’ai vécu à ses côtés que quelques secondes… Pas plus.
Mahmoud détourna la tête, il chercha furtivement dans sa poche puis utilisa le revers de sa manche pour éponger une perle qui dégoulinait sur sa joue mal rasée. Il eut alors une attitude humble et devint serein. Les larmes que l’on verse en souvenir d’une mère, remplacent bien des baumes. Il se ravisa, servit du thé et se mit à sourire paresseusement, comme s’il sombrait dans le temps, cherchant à faire corps avec son passé, un passé sans doute bouleversant. Un long soupir gonfla sa poitrine et le souffle qui s’en échappa ressemblait à une lamentation.
– J’en garde des souvenirs… D’elle aussi. Une mère ne se remplace pas et ce qu’on dit nos aïeux, n’est pas aussi déplacé que ne le pensent certains. Des épouses, on peut en avoir jusqu’à quatre, des enfants, tu n’as qu’à faire le compte en multipliant par quatre ou cinq. Une tribu !
Son rire clair résonnait dans cette pièce froide et humide, il la réchauffait par sa candeur et sa simplicité. Il n’avait pas fini de m’étonner, et ce qu’il disait était tellement juste que j’y adhérais sans effort. Le flot de ses paroles berçait mon univers.
– Te sens-tu capable d’avoir plusieurs épouses ?
– Ma mère disait… Mais que disait-elle au juste ? Elle a dit tellement de choses, elle a même dit ce que les autres taisaient. Ses silences étaient communion. Près d’elle je sentais sourdre une source chaude appelée charité. Même lorsque certains l’ennuyaient, elle les étiquetait en leur distribuant des sobriquets. Les femmes sournoises étaient affublées du surnom le plus cocasse qui puisse exister. Elle disait Choumia d’une de mes belles-sœurs, la plus âgée, celle dont mon père critiquait la démarche du canard.
– Tu dis Choumia ?
– Tu peux dire aussi la sournoise ! Es-tu conscient du danger que peut représenter un être sournois ? Quelqu’un qui vit dans l’ombre et guette les autres, n’agissant jamais au grand jour. Je n’aime pas Choumia pour tout le mal qu’elle peut encore faire. Ma mère était affectueuse, attentionnée. Ma Choumia, sournoise, égoïste, légère et mesquine.
– Combien en as-tu connu de ce genre ?
– Une seule, la plus malfaisante, la plus insignifiante aujourd’hui… Je te dirai un jour. Le soleil déclinait et le vent cessa. On entendait le bruissement des feuilles du peuplier voisin et au loin, quelque écho de bêlements. Les troupeaux rentraient.
– Assurément, j’avais trouvé un homme, celui par qui j’allais recevoir la plus belle leçon d’humilité ; celui qui allait m’apprendre à accepter les préjugés nés de la rancœur et le mépris des autres. Je retrouvai en lui l’image du réel et je m’aperçus dès lors qu’il fallait admirer la beauté de la vie dans un visage, dans les bruits qui nous entourent et dans les silences de nos destins. Les leçons d’humilité sont celles que l’on retient le mieux, n’est pas humble qui veut, comme n’est pas sauf qui peut.
– J’ai demandé qu’on nous prépare du couscous et il y a du bon lait frais. Mon grand-père s’est nourri de cette façon quarante ans durant et il a vécu plus d’un siècle. Sa femme était aussi simple que lui, elle n’avait rien d’une Choumia elle !
Il éclata de rire et fut secoué comme pris d’un malaise. Bientôt des bribes de mots incompréhensibles me parvenaient et, prêtant attention, les jurons se firent plus précis. Plus que de la souffrance, ses râles exprimaient une impuissance douloureuse.
Mahmoud pleurait à chaudes larmes, il vouait à une créature absente une haine féroce et un ardent amour peut-être. Que de choses simultanées ! Des frissons traversèrent mon échine et je découvrais à mon tour le destin poignant d’un homme auquel la vie avait réservé un sort peu enviable. Mahmoud était lucide, il était fait de cette pâte malléable, tantôt tendre, tantôt dure, tout dépendait de ses souvenirs.
Pendant que je fixais le mur pour me donner contenance, lui, imperturbable, secouait ostensiblement la tête comme pour se préparer à la lutte sans merci qu’il allait livrer. En me jetant un burnous, il m’annonça que la saison allait être plutôt fraîche.
– La nuit sera longue, couvre-toi. Ce burnous appartenait à mon père, il est fait de laine et te tiendra chaud !
La faim et le froid, mais aussi et surtout l’atmosphère qui régnait dans cette pièce ont donné au couscous une fine saveur. Les mets les plus simples sont encore prisés et les moments les plus profonds sont ceux que l’on partage dans la sérénité.
Mahmoud mangeait doucement, ses mâchoires robustes donnaient à son visage une apparence de tranquillité mesurée. Ses gestes sobres et précis révélaient un exquis raffinement et son mutisme laissait deviner une réelle détermination. Aucune parole ne fut prononcée durant le repas, chacun de nous évitant le regard de l’autre, les yeux fixés sur les fonds du plat et de l’estomac. Une rasade de lait clôtura ce festin et la pièce assombrie par la fumée de nos cigarettes, ressemblait à une planète inconnue dont les habitants, ombres incertaines, survivaient grâce à l’espoir qu’ils conservaient. Le silence rendit le contact plus intense. On est plus petit dans le bruit que dans le silence. Le bruit dérange et disperse ; le silence, lui, engendre et nourrit.
Ce fut un moment de répit, comme si, libéré de je ne sais quel tourment, Mahmoud déposa le lourd fardeau de ses douleurs, une charge injustement répartie entre les hommes. Il ressemblait à Atlas ne pouvant plus soutenir les milliards d’injustices. Il était transparent, net et sobre ; une puissance magique se dégageait de cet être longtemps considéré comme marginal. Mais ne sommes-nous pas tous des marginaux ? Il suffit de compter le nombre de naufragés à la recherche d’une île pour le savoir. D’autres sinistrés qui, ne trouvant pas l’or à leurs pieds, vont, pionniers, loin le chercher. C’est pour eux, une satisfaction spirituelle, propre, née dans la solidarité, le don de soi et l’amour de la vie. Le meilleur refuge de ces êtres demeure la grisaille de leurs tendres pensées, derrière leurs yeux, dans ce monde à part où s’épanouissent leurs regrets, sans cesse nourris d’amertume et entretenus par l’insatiabilité de leurs espoirs.
C’est ainsi que l’on se méprend sur un être, que l’on fige ses pensées et qu’on étouffe le souffle d’autrui. L’injustice gagn

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