Errance
350 pages
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Description

Dans le cadre d’un séjour abbatial, Jérôme di Dio se remémore les différentes étapes de sa vie. De son éducation chaotique marquée par son dégoût pour la religion et par la singularité de ses premières expériences sexuelles, jusqu’à son mariage, et sa vie de couple...

Pour Jérôme, personnage fantasque et avide de nouveautés, ce qui devait s’apparenter à une facétie se transformera finalement en une expérience de recueillement spirituel ; une réflexion sur sa condition d’homme, ses choix de vie et ses aspirations profondes au sein d’une société dans laquelle il ne se reconnaît plus.

C’est finalement Adélaïde, son épouse, qui décidera bien malgré elle de son destin, celui-ci le plongeant dans un monde d’insouciance et de luxure, reflet de sa véritable personnalité, duquel il ne reviendra pas...

Une réflexion sur la vie, la mort et l’intérêt tout relatif de la présence de l’Homme sur terre où sexe, pouvoir et religion symbolisent les piliers d’une humanité stérile, en déclin, et vouée à sa propre perte. Une vision noire, pessimiste, mais factuelle de l’être.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 novembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332982155
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
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Cet ouvrage a été composé par Edilivre 175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50 Mail : client@edilivre.com www.edilivre.com
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
ISBN numérique : 978-2-332-98213-1
© Edilivre, 2015
Connais-toi toi-même, laisse le monde aux dieux.
Socrate
À
Nathalie, Martine, Laurence, Catherine, Laura, Et toutes les autres … mes sources d’inspiration.
Chapitre 1 Le néant après la chimère
Né le 23 juillet 1965, décédé un jour de pluie de l’an 2022.
«parition sur terre, à attendredonc ainsi que s’achève mon insignifiante ap  C’est qu’une bonne âme daigne mettre un terme prématuré à mon existence. Ironie du sort. Moi, l’homme pour qui indépendance a toujours été s ynonyme de liberté, c’est dans la mort que je vais devoir me résoudre à donner ma con fiance aux autres. » Je m’appelle Jérôme di Dio, j’aurais dû fêter mes c inquante-sept ans dans quelques semaines. Hospitalisé en soins intensifs, seule une assistance respiratoire me rattache encore à la vie. Il m’est impossible de communiquer avec quiconque, le syndrome d’enfermement dans lequel je suis plongé rend vain tout espoir : « Quel jour sommes-nous ? Depuis quand suis-je dans cet état végétatif ? Je n’en ai aucune idée. » Seul mon amour de toujours semble ne pas avoir quit té mon chevet, à chaque fois que je reprends conscience, elle est là, disponible , inquiète, anéantie. Mon ange gardien, la femme de ma vie, celle pour qui, malgré mes tourments, mon cœur n’a jamais cessé de battre. Sa présence à mes côtés att este de son amour indéfectible. À la contempler me choyer avec une telle ardeur, je d éplore aujourd’hui d’avoir fait preuve d’autant d’inconsistance envers elle durant toutes ces années de vie commune. Nos enfants, quant à eux, semblent avoir pardonné m es égarements. Bien que brèves, les visites dont ils me gratifient sont attendrissa ntes. Leur emploi du temps, entre obligations professionnelles et impératifs familiau x, ne leur permet sans doute pas de se libérer comme ils le souhaiteraient. Les encoura gements qu’ils expriment et les larmes qu’ils versent me touchent bien plus que je ne l’aurais imaginé. Je regrette de leur laisser cette triste image en guise d’adieu. S elon les critères sociétaux, l’éducation que nous leur avons inculquée est parfaite. Mariés, parents de charmants bambins et jouissant d’une situation stable dans un monde du t ravail pourtant chahuté, ils se sont fondus dans le moule. « Est-ce qu’ils auront un jour la force de se rebel ler, de claquer la porte et de changer de vie ? » Ce n’est pas une nécessité, bien sûr, mais s’ils en ressentent le besoin, ils ne devront pas tergiverser, il y va de la pertinence d e leur action. Quoiqu’il en soit, cela me désole qu’ils me voient dans cet état. Après avo ir personnifié le héros, puis m’être mué en confident, j’ai finalement endossé mon derni er rôle, celui du joker dans Batman, perdant le sens des réalités à en devenir i ncontrôlable : « Je pars satisfait et serein malgré les frasques e t les excès de ces dernières années. De ma vie, je retire d’énormes satisfaction s au rang desquelles mes enfants, bien sûr, et mon épouse qui, je le sais, n’a jamais cessé de m’aimer malgré mon comportement parfois distant, souvent abscons, touj ours néfaste. » Elle souhaitait me précéder dans la mort, le destin en a décidé autrement. Elle devra dorénavant composer avec mon absence, totale et déf initive. À cinquante-quatre ans, son élégance naturelle et son sens pratique, je ne doute pas de sa capacité à surmonter cette épreuve. En attendant, son assiduit é à mon chevet est un réel réconfort, je regrette de ne pas pouvoir le lui exp rimer, j’en aurais été apaisé : « Tu veux boire quelque chose ? dit-elle en me fixa nt de ses yeux bruns clairs, tout en déposant de son index quelques gouttes d’eau sur mes lèvres. – Si tu savais ! Je meurs de soif, ma bouche est sè che, pâteuse, je la sens nauséabonde, probablement le goût écœurant des médi caments qui me sont administrés, aimerais-je lui articuler. – Je ne supporte pas de te voir dans cet état, cont inue-t-elle. Même si nos relations
ont été compliquées, te savoir proche, disponible, a toujours été de nature à me revigorer. Que vais-je devenir après ta disparition ? J’aurais tellement voulu partir la première, sanglote-t-elle. – Le temps atténuera ton chagrin mais tu ne m’oubli eras jamais car on ne peut faire abstraction, comme ça, d’autant d’années de partage . Tu dois profiter de chaque instant pour ne rien regretter. Tu as déjà commencé à le faire. De belles et nombreuses années t’attendent. Promets-moi d’être forte !, pen sé-je très fort. » Sans doute a-t-elle décelé la teneur de mes propos au fond de mes yeux, toujours est-il que sa réponse à mon mutisme expressif me co mble de bonheur : « Si tu le pouvais, tu me dirais d’être audacieuse et d’affronter l’avenir plutôt que de vivre dans le passé. J’essaierai, je te le promets, lance-t-elle alors, déterminée. » Allongé sur ce lit d’hôpital, inerte, aucun des dia gnostics émis par les médecins ne semble envisager le moindre espoir de guérison. Ma disparition est inéluctable et le plus tôt sera le mieux. Par crainte de l’inconnu, j e dois bien avouer que la douleur de celle qui m’a accompagné durant tout ce temps m’app arait bien secondaire face à mon destin immédiat. C’est dans ces circonstances que l ’on prend conscience de l’insignifiante valeur d’une vie et de l’importance anecdotique des relations humaines. J’aurais aimé laisser une trace indélébile de mon p assage sur terre. Comme beaucoup, c’est dans l’anonymat et l’indifférence que je la q uitterai. Adélaïde reste l’unique amour de ma vie. Même séparés, elle a toujours guidé mes actes. Depuis que nous nous sommes rencontrés, il n’y a pas un jour qui se soit passé sans qu’une pensée ne lui ait été consacrée. C’est sans doute cela l’amour. Pourt ant, je ne le lui ai jamais avoué. Adélaïde aura représenté une lueur de fantaisie dur ant une grande partie de mon existence. Paradoxalement, ce sont nos dissemblance s qui auront constitué le ciment de notre union, mais aussi, les causes de sa fragil ité. Nos personnalités étaient inconciliables mais notre amour profond, c’est prob ablement ce qui explique que nous soyons restés si proches. Pour Adélaïde, le mariage est un TGV, une fois lancé, c’est l’ivresse de la vitesse, le réconfort de la sécurit é. Rien ne peut venir perturber ce bijou de technologie, parfaitement balisé par des textes bibliques pourtant millénaires. Un amour aveugle, éternel. « Comment peut-on croire en de telles fadaises ? Co mment peut-on imaginer une vie de couple sans lassitude, sans déception, sans trahison ? J’ai tenté de me persuader que cela était possible, j’ai été au bout du bout mais j’ai toujours eu besoin de vivre mes propres expériences pour en apprécier leur portée. Ce sont elles qui m’ont permis d’avancer dans la vie, plein d’ardeur et avec le rayonnement qui m’a toujours caractérisé. » Espérer pouvoir partager avec bonheur tout, tout le temps, toute sa vie, avec une seule et même personne est une vue de l’esprit. C’e st pourtant le modèle que les religions voudraient nous imposer en nous faisant p rendre des vessies pour des lanternes. Les liens du mariage ne peuvent gommer l es différences inhérentes à chaque individu, au contraire, ils ne font que les accentuer. J’ai épousé Adélaïde, cela aurait pu être une autre. Nous étions l’un et l’aut re au bon endroit, au bon moment, c’est tout, un simple hasard de la vie. Le bonheur est une utopie et ce n’est certainement pas la religion, que j’exècre, qui per met de l’atteindre. J’ai connu le bonheur et cela m’a rendu honteux, parce qu’aucun i ndividu ne devrait y avoir droit si un seul être sur terre en est privé. Le bonheur se partage, il ne peut être l’apanage de quelques privilégiés. Cette vision du vivre ensembl e est un prérequis à tout épanouissement terrestre. Le confort d’une vie pais ible, eu égard au monde qui nous entoure, est indécent : « De toute façon, la vie sur terre est dérisoire. N otre planète, fugace elle aussi, est noyée dans d’innombrables galaxies dont la complexi té nous dépasse tous. Pour qui nous prenons-nous ? Pourquoi penser petit et égoïst ement ? Cela n’a pas de sens dans l’espace-temps qui nous occupe. »
Éternel insatisfait, curieux et avide de pouvoir pa r nature, l’Homme vit frustré de sa situation sur terre. Cinquante vies et autant de co njoints et de métiers, voilà ce qu’il aimerait expérimenter. Modifier son identité à sa g uise, transformer son visage, aventurer d’autres modes de vie, voilà ce qu’il sou haiterait découvrir. Chaque individu est responsable de son émancipation, les barrières qu’il rencontre sont virtuelles et peuvent disparaitre d’un simple claquement de doigt , la maitrise de son destin est absolue. Chaque décision influence son existence et ce ne sont pas les opportunités qui manquent. Tout au long de la vie des choix se p osent, à chacun d’y répondre en âme et conscience : « Torturé dès mon plus jeune âge, j’ai eu tendance à me complaire dans des pensées nuisibles qui, à défaut de me donner des ré ponses, me procuraient la sensation de vivre pleinement les événements. Et ce ne sont pas mes rapports tourmentés avec la religion, le sexe, les études ou le monde du travail qui ont amélioré cette situation. Sans parler du mariage pour lequel la seule idée de signer un contrat m’a toujours fait froid dans le dos. Vivre avec un partenaire, pourquoi pas, mais en quoi le mariage est-il un mieux ? » Quand tout allait bien, je n’ai eu de cesse de rech ercher des motifs d’insatisfaction et de me persuader que seules les situations obscur es pouvaient me mener à la félicité. Je n’ai été heureux que dans le malheur, les doutes et les difficultés en imaginant le plaisir intense que j’aurais à les surmonter : « C’est dans l’adversité, submergé par le désarroi et la détresse, bien avant d’en venir à bout, que l’on apprécie toute la splendeur du bonheur. Une satisfaction toute particulière que seule la perspective de devoir se dépasser, si l’on souhaite aboutir, est en mesure de procurer. » Le bonheur ne peut être que ponctuel sinon il en pe rd toute saveur. Celui qui s’imagine l’éprouver sans discontinuer n’arrive plu s à en savourer ses bienfaits et cela le rend malheureux. La banalité de la facilité tue l’enchantement. Parfois, le bonheur c’est de décider de mourir. Si ce n’est dans les ca s extrêmes, celui qui choisit de mettre fin à ses jours n’envisage pas le passage à l’acte sous l’angle de la disparition définitive, il cherche avant tout à échapper à une douleur profonde mais ponctuelle. Ce n’est pas forcément la vie qu’il souhaite quitter m ais l’affliction qu’il cherche à fuir. Son vœu le plus cher est de se rater en espérant que le s tracas se soient envolés à son réveil. Avant d’être un geste de bravoure, le suici de est un acte de lâcheté face à l’ampleur des difficultés. Sous certains aspects, l e suicide, qu’il soit mené à son terme ou non, est une forme de bonheur car il permet de f ocaliser l’attention sur soi et donne l’illusion d’un nouveau départ. Le spectre de la mort ne laisse personne indifféren t, il plane au-dessus de nos têtes telle une épée de Damoclès dès le jour de notre nai ssance : « Mais après tout, n’est-ce pas ce qui rend la vie si délicieuse ? » La mort est inéluctable. En théorie, plus tôt on ac cepte cette augure, moins elle devrait nous tourmenter de notre vivant : « Mon heure est venue et bien que je m’y sois prépa ré, ce n’est que face à elle, alors qu’elle me tétanise, que je prends réellement conscience du vide de la mort. Aucune échappatoire, rien n’y fera ; ni fuite, ni a rgent, ni croyance. Au moins sur ce point sommes-nous tous sur un pied d’égalité. » Chacun d’entre nous a déjà envisagé sa propre mort, souvent sous forme de maladie d’ailleurs, mais l’on n’est jamais prêt à s ’y confronter. Peu importe l’âge ou le statut social tout le monde se tourne vers la lumiè re, parce que tant qu’il y a de la vie, l’individu croit qu’il y a de l’espoir. « La mort et la maladie, son incontournable acolyte , ne devraient représenter que les seuls sujets de désarroi et d’épouvante dans la vie… »
Chez Robert, 1997.
Il ne ressemble plus à rien ! Lui, si fier de sa pe rsonne, sûr de lui, convaincu de son charme. Je le serre dans mes bras, pour la dernière fois. Son amie m’avait prévenu : « Si tu veux encore le voir en vie, ne tarde pas, il vit ses derniers instants. » Robert n’a que trente-trois ans, j’en ai trente-deu x. Adolescents, nous avons suivi notre scolarité dans le même établissement. Aujourd ’hui, son état cadavérique me désole. Je tente de repousser les idées malsaines q ui, à mon corps défendant, me traversent l’esprit : « Comment puis-je ressentir des sentiments aussi co ntradictoires que l’horreur et le soulagement, presque de l’allégresse, face à la vis ion cauchemardesque de son corps en perdition ? » La maladie est obscène, elle frappe indistinctement , c’est une question de chance. Le regard égoïste que je porte sur Robert me dégoût e, mais c’est plus fort que moi. Je suis juste heureux que la fatalité m’ait épargné. M on tour viendra, certes, en attendant je vais continuer à m’amuser, à partir en vacances, à fréquenter les restaurants, mais aussi à souffrir et à angoisser. « Peu importe ce que l’avenir me réserve, je vais v ivre alors que pour lui tout va s’arrêter, définitivement. » L’agonie de Robert doit être le déclic qui conditio nnera mon existence. Dorénavant, je dois considérer que chaque seconde qui passe est une chance inestimable, un précieux bonus compte tenu de la vie dont Robert a si tôt été privé : « Pourquoi est-il parti avant moi ? Qui dispose du droit de vie et de mort sur les individus ? Personne. » On n’est jamais vraiment prêt à franchir le Rubicon . Même prévenu, l’individu feint l’étonnement au moment d’embarquer pour son dernier voyage. Le vieillard fera valoir sa grande sagesse pour justifier de sa présence, il n’a que rarement conscience du regard condescendant que lui portent ses cadets. Il vit par procuration, coupé du monde réel, se référant à ses souvenirs où, jeune, beau et dynamique, il était irrésistible. Inconscient de son inutilité, il se n ourrit de cette idéalisation du passé qui lui confère une jeunesse éternelle. Pour son bonheu r, il conjugue passé et présent sur le même mode. Victime d’une amnésie temporelle plus ou moins prononcée, il n’en demeure pas moins effrayé par la mort. Et ce n’est pas la confusion de ses réminiscences qui atténue ses craintes de l’au-delà car l’individu, même diminué, continue à craindre la mort par instinct de survie. Le vieillard l’appréhendera égoïstement, sans aucune pensée pour quiconque car plus il vieillit, plus l’égocentrisme le dévore. Il finira même par privil égier, un moment donné, son propre souffle à celui de sa descendance dont il peinera p arfois à se souvenir. Les préoccupations de l’homme actif qui apprend sa mala die sont d’un autre ordre. Davantage conscient des réalités, ce sont les aspec ts familiaux qui vont occuper prioritairement ses pensées. Garantir le bien-être de sa descendance, dans la mesure de ses moyens, telle sera sa priorité. S’il vit seu l, il profitera de ses derniers moments selon ses envies. C’est souvent l’opportunité pour lui de réaliser de vieux rêves, d’en profiter, vite : « Mais est-on en mesure d’apprécier ces moments alo rs que la mort nous attend au bout du chemin ? N’est-on pas plus enclin à se repl ier sur soi-même, à se morfondre de cet injuste coup du sort ? Tout dépend du caract ère de chacun. La finalité étant écrite, chacun doit rester libre de choisir la mani ère de quitter ce monde. L’entourage doit respecter cela. » Le jeune adulte est à mille lieues de ces considéra tions. Il est bien conscient de ce qui l’attend mais, en pleine force de l’âge, ne l’e nvisage que de manière abstraite car, croit-il, rien ne peut lui arriver.
1983, en blocus d’examen.
« Penses-tu qu’il y ait une vie après la mort ? m’i nterroge Robert.
– Non ! Crois-tu réellement en l’existence du parad is et de l’enfer avec un purgatoire pour juger de ton état de grâce ? dis-je, moqueur. – Je ne pensais pas à ça, poursuit-il. Mais peut-êt re existe-t-il quelque chose après la mort ? La réincarnation par exemple, ça te parle ? Tu sais, la migration de l’âme dans un autre corps au moment de la mort ?, complète-t-il, contrarié. – Ah ça ? Pas davantage, je ne crois en aucune form e de renaissance, réponds-je avec insistance. – Je te propose un deal. On ne mourra que le jour o ù on l’aura décrété. On décide aujourd’hui d’être maître de notre destin, qu’en pe nses-tu, suggère-t-il alors. – Bon plan, j’adhère !, lui assuré-je, convaincu. » Nous étions adolescents et la mort n’était pas à l’ ordre du jour. À cette époque, aucune entrave ne semblait pouvoir nous empêcher de vivre longtemps et en bonne santé. Et pourtant, qu’est-ce qui est plus dépriman t que de se voir vieillir ? Lorsque les rides apparaissent, subrepticement d’abord puis eff rontément au fur et à mesure que le temps s’écoule. Les années n’ont aucun respect pour le corps. Au fil des saisons, le physique se métamorphose, immanquablement ; la vue décline, l’embonpoint guette et, peu importe les efforts consentis, la vitalité s’amenuise, doucement mais sûrement. Les excès du week-end se paient chers lorsqu’il fau t reprendre le travail le lundi matin. Plus tard encore, le simple fait de se déplacer dev ient éprouvant et, plus rapidement qu’imaginé, le gâtisme pointe. On devient un poids pour la société. Même la famille porte désormais un regard indifférent sur cette vie ille personne qui radote et que l’on visite uniquement pour se donner bonne conscience. Le cycle de la vie est décidément bien facétieux. On est toujours tributaire de quelq u’un ; la naissance, la maladie et la vieillesse constituant les points culminants de cet état dépendance : « Si les soins et l’attention prodigués aux nouveau x nés en souffrance se justifient, jusqu’à un certain stade en tout cas, qu’en est-il de l’acharnement thérapeutique déployé par le corps médical pour les patients âgés ? Si c’est pour mourir grabataire, je préfère partir maintenant, même à cinquante-sept an s. » Le monde idéal existe, il n’a juste pas encore été inventé ! Un monde où, plutôt que de chercher à prolonger la vie des individus, en dé pit du bon sens parfois, on privilégierait la fougue et le bien-être. Un monde sans déchéance physique où chaque être humain vivrait dans l’abondance et le bonheur. L’idée n’est pas neuve, le réalisateur britannique Michaël Anderson l’a immort alisée dans le film-culte l’Âge de Cristal sorti en 1976. Une civilisation dans un fut ur post-apocalyptique où l’âge des humains est limité à trente ans afin de réguler la surpopulation et de pouvoir gérer les ressources alimentaires. La nature, parce qu’elle fait fi des sentiments pour se focaliser sur l’essentiel, a déjà anticipé ce modèle suivi pa r certains insectes. C’est le cas de la mante religieuse qui dévore le mâle pendant ou aprè s la copulation, sans doute pour y trouver les ressources protéiques nécessaires pour porter les œufs. Si l’on peut parler d’abnégation dans le chef du mâle qui continue à tr ansmettre ses spermatozoïdes malgré la décapitation, c’est donc bien de la survi e de l’espèce dont il est ici question. « Trente ans, c’est peut-être un peu jeune, en effe t. Mais en quoi est-ce raisonnable de repousser les limites physiques pour prolonger d es êtres diminués ne jouissant plus de leurs pleines facultés ? Et puis, où est l’éthiq ue dans ces conditions quand certains accèdent aux soins les plus sophistiqués quand d’au tres meurent de faim. » Adélaïde porte les écouteurs de l’i-Podmes oreilles. Pour m’avoir observé à télécharger illicitement des musiques durant près d e deux décennies elle sait combien je dois apprécier cette attention. Plus jamais je n ’écouterai ces musiques qui m’auront accompagné tout au long de mon existence. J’aimerai s croire en un au-delà divin mais se réfugier derrière un tel espoir me laisse à pens er que la panique prend progressivement le pas sur la raison : « Il est vraiment temps pour moi de quitter ce mond e. Pourvu qu’Adélaïde ne m’ôte pas trop rapidement les écouteurs… et pourvu qu’ell e pense à programmer Still Life
(Perry Blake) à mes funérailles ! » Frivole durant une grande partie de mon existence, mes centres d’intérêts ont quelque peu évolué ces dernières années m’interroge ant sur les raisons, futiles, de la présence de l’Homme sur terre. Après avoir fait le tour de la question, il parait évident que la vie telle que nous la connaissons résulte d’ un improbable concours de circonstances issu d’un processus purement biologiq ue transmis par des organismes vivants de génération en génération. La structure d e notre planète, la chute d’astéroïdes et ses réactions chimiques en chaîne c onstituant la seule théorie acceptable pouvant expliquer la vie sur terre et so n évolution. « Le créationnisme n’est à considérer que comme une vaste plaisanterie pour adultes attardés. » Le monde n’a pas été créé par une ou plusieurs divi nités, le paradis n’existe pas, pas plus que l’enfer et aucune armée de vierges n’a ttend avec convoitise mon passage de vie à trépas, ni le mien ni celui des fous d’All ah d’ailleurs. « Sur base de cette théorie, peut-on encore qualifi er de nation éclairée un peuple qui croit avec plus de ferveur en la conception virgina le du Christ qu’en l’évolution des espèces ? » Sur cette misérable terre qui ne représente rien à l’échelle de l’univers, l’homme est en quête de bonheur, inaccessible chimère qui passe pour les uns par l’argent et le pouvoir et pour les autres par des croyances, souve nt empreintes de mysticisme, avec pour objectif ultime l’accession à la paix intérieu re : « Mais qu’emporterons-nous dans la mort ? Nos quest ionnements resteront forcément sans réponse et nos quêtes, par insatiabi lité, ne seront jamais assouvies. Que nous aura amené cette recherche effrénée de pro spérité, qu’elle soit humaine, matérielle ou spirituelle ? » Il ne faut pas croire que la crédulité soit l’apana ge d’une couche désœuvrée de la population. De nombreuses personnalités ont fait et font aujourd’hui encore appel aux forces occultes pour se soulager de leur phobie de la mort. François Mitterand avait déclaré, le 31 décembre 1994, lors de ses derniers vœux télévisés aux français : « Je crois aux forces de l’esprit. Je ne vous quitterai pas. » On apprendra alors qu’il consultait régulièrement d es astrologues pour des conseils sur sa vie privée, avec des implications sur sa vie politique. Sans émettre le moindre jugement, on s’étonnera qu’un homme politique de so n envergure, subtil et cultivé comme il l’était, ait pu se laisser aller à de tell es considérations. Peut-être l’approche de sa mort programmée a-t-elle accentué davantage e ncore ses réflexions d’outre-tombe ? D’autres personnalités en vue à travers les siècles ont également eu recours à des astrologues, c’est notamment le cas de Catherin e de Médicis qui s’en référait à Nostradamus ou, plus récemment à Ronald Reagan. À l eur décharge, une référence telle qu’Hippocrate fera de l’astrologie l’un des f ondements de la médecine. De même, Platon tiendra les astres pour « vivants divins et éternels ». « Qui suis-je dès lors pour porter une opinion sur cette doctrine ? » Il n’empêche, au crépuscule de ma vie mes convictio ns restent entières : « Qu’il s’agisse d’astrologie, de dogmes religieux, de superstition ou de tradition, je reste définitivement réfractaire à tout ce qui touc he au fantastique. » Adélaïde réapparait, un café à la main. Elle est ce rnée et semble épuisée. Nerveuse, elle s’approche et pose ses lèvres douces et humide s sur les miennes avant de me chuchoter au creux de l’oreille : « C’est trop difficile ! Pour en avoir discuté ense mble à de nombreuses reprises, je sais ce que tu attends de moi. Assister impuissante aux derniers moments de ta vie est de toute façon au-dessus de mes forces. Je m’arrang erai plus tard avec ma conscience. Je réalise qu’il est bien plus aisé d’ê tre à ta place qu’à la mienne. Ce que je m’apprête à faire est horrible mais je le fais p our nous. Je devrai juste apprendre à vivre avec. Tu me donneras le courage nécessaire po ur cela, n’est-ce pas ? ajoute-t-
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