TAV Lyon-Turin Val de Suse
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Description

Au centre de l'attention médiatique pour la forte opposition d'une partie de la population, tandis que pour les récents épisodes de violence accomplis par certains manifestants, la construction de la liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin est gênée depuis beaucoup d'années et le chantier souvent paralysé. L’étude de Kevin Sutton aborde la question en analysant le mouvement de protestation comme l'expression d'une exigence de reconquête territoriale réalisée à travers le rejet du projet. La confrontation avec d'autres contestations (vallée d'Adige) coopère à la définition de celui qui peut être considéré un malaise régional.

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Publié le 17 août 2011
Nombre de lectures 865
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
1
Colloque AISRe-ASRDLF 2010
LE
LYON-TURIN
DANS
LE
VAL
DE
SUSE :
UN
AMENAGEMENT
NOMME
MALAISE
SUTTON Kevin
Laboratoire EDYTEM (Environnements et
Dynamiques des territoires de Montagne)
Université de Savoie
Chambéry
France
kevin.sutton@univ-savoie.fr
Résumé :
(arial 11, italique)
Faire figurer ici un résumé court, 10 lignes maxi.
La basse vallée de Suse s’est singularisée par son mouvement d’opposition au Lyon-Turin.
Cette contestation ne doit pas être réduite à un seul phénomène « Nimby ». Au-delà de la
coloration idéologique donnée à la contestation par certains membres du collectif, nous
sommes bien en présence d’un réel mouvement territorial populaire exprimant les maux et le
mal-être d’un territoire. La réduction du problème à un seul rejet de « l’intérêt général » est
simpliste. La confrontation de cet exemple avec la situation le long de l’axe du Brenner
permet d’identifier la basse vallée comme un territoire singulier. L’enjeu au coeur de celui-ci
réside dans sa capacité à s’inventer une cohérence dans le projet, et non dans le seul rejet.
Là réside un défi de gouvernance multiscalaire : la médiation institutionnelle, spatiale et
sociale.
Mots clés :
(arial 11)
Val de Suse, Lyon-Turin, médiation, espace intermédiaire, conflit
Classification :
JEL
A
ssociation de
S
cience
R
égionale
D
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rançaise
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
2
Colloque AISRe-ASRDLF 2010
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S
USE
:
UN AMENAGEMENT NOMME MALAISE
INTRODUCTION : D’UN QUESTIONNEMENT INSTITUTIONNEL A L’INTERROGATION
DE «
LA GENTE
1
»
La visibilité du projet du Lyon-Turin dans le Val de Suse est paradoxale. Une traversée de
cette vallée n’offre nulle trace de manifestation d’un chantier ferroviaire, hormis des
panneaux «
trivello
2
». L’oeil ne peut cependant pas ignorer la diffusion d’un slogan rythmant
le parcours dans tous les villages depuis Oulx jusqu’aux portes de Turin : «
No Tav !
». Ce
slogan se décline sous la forme de drapeaux (figure 1), de tags, d’inscriptions sur les
versants, d’autocollants sur les voitures...
L’enjeu ferroviaire de ce projet de tunnel de base
n’apparait alors pas comme d’ordre réticulaire, mais bien territorial.
Figure 1 : La négative comme accueil sémantique.
(Photographie d’un balcon orné de drapeaux du collectif ‘No Tav’, Chiomonte, août 2007,
cliché personnel).
Ce mouvement est, dans les médias, souvent résumé au seul collectif ‘No Tav’, dont le nom
est intimement associé aux slogans rythmant la vallée. Or, cette lecture est trop restrictive.
«
Non sono tutti
‘No Tav’. Ci sono ‘No’, ‘Sì’, ‘forse perchè’...
3
». Le Maire de Venaus insiste
sur la dimension composite du mouvement d’opposition. La force du collectif ‘No Tav’ est
d’apparaître au centre d’une nébuleuse territoriale dans laquelle gravitent différents champs
de protestation environnementaux, politiques comme sociaux.
Nous sommes alors en
présence d’une forme d’expression territoriale interrogeant le géographe. Cette contestation
semble traduire une forme de territorialité du rejet. Aussi est-il nécessaire de dépasser les
seules sources institutionnelles pour s’intéresser aux mots des acteurs de ce mouvement.
L’absence de dialogue initial a intensifié la production d’argumentaires renforçant les entre-
soi respectifs. Nous avons ainsi cherché à saisir les événementialisations et les
représentations spatiales diffusées à l’échelle de la basse vallée. Le but est de pouvoir
réaliser une confrontation des systèmes de représentations présidant à l’établissement des
discours de chacune des parties. Nous avons alors procédé à divers entretiens durant l’hiver
2009. Ceux-ci viennent renforcer une veille médiatique opérée tant sur les sites internet des
1
« Les gens ». Le mouvement d’opposition au Lyon-Turin utilise ce terme comme fondement de sa légitimité pour
dénoncer la notion de « raison institutionnelle nationale et européenne » légitimant l’action des acteurs
techniques et institutionnels.
2
« Sondage géologique ». Une campagne de sondages est engagée depuis le début de l’année 2010.
3
« Ils ne sont pas tous des ‘No Tav’. Certains sont ‘Non’, ‘Oui’, ‘peut-être pourquoi pas’ ». Propos issus d’un
entretien mené avec le Maire de Venaus le 8 décembre 2009.
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
3
Colloque AISRe-ASRDLF 2010
différentes parties qu’au niveau de leurs présences sur les réseaux sociaux. Ces espaces
virtuels prennent de plus en plus d’importance dans les modes d’appropriation de l’espace
matériel. Ils permettent une instantanéité de la communication en devenant des lieux
d’échanges et d’affrontement, tant à distance que par « murs » interposés.
Figure 2 : Le Val de Suse, une périphérie dans la marche des Nouvelles Traversées
Alpines ?
Si la contestation et le rejet du projet sont particulièrement intenses dans la basse vallée de
Suse, le mouvement n’est pas parvenu à se diffuser en France
4
. A l’inverse, il trouve des
échos dans de nombreuses régions d’Italie animées par des projets d’aménagement
nationaux. Cela montre que la genèse et les fondements de cette conflictualité alpine se
comprennent dans un cadre profondément italien. Or, le Lyon-Turin n’est pas le seul projet
de tunnel de base intéressant l’Italie : la vallée de l’Adige est concernée par le projet de
tunnel sous le Brenner.
L’environnement de ce second projet est animé par un double mouvement de contestation,
dont l’un a été traité avec succès. La situation conflictuelle restante semble souffrir des
mêmes maux que le Val de Suse. Fait intéressant, la même position spatiale unie ces deux
exemples : dans les deux cas, il s’agit de basses vallées, souffrant du « syndrome » de
l’intermédiarité (figure 2). Une forme « d’identité du passage » est, en outre, revendiquée
dans ces deux vallées. Or, ce sont bien deux projets de modernisation de cette fonction qui
constituent le déclencheur d’une forme de crise territoriale. Aussi allons-nous questionner la
4
Une manifestation fut organisée à Chambéry en janvier 2006, mais le mouvement ne rencontra d’écho
qu’auprès de groupes écologistes et d’extrême gauche, non d’universitaires ou de personnalités politiques locales
comme en Italie.
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
4
Colloque AISRe-ASRDLF 2010
possibilité d’une comparaison entre ces deux cas, en nous fondant sur une confrontation de
retours de travaux de terrain suivant les mêmes protocoles.
Cette confrontation de situations italiennes appelle, en fait, une réflexion plus large sur la
notion même de basse vallée. Les événements spatiaux que constituent - avant même leurs
ouvertures
5
- les chantiers des tunnels de base offrent l’occasion d’approcher une forme de
réinvention de la nature territoriale des basses vallées. L’approche moderne identifiait la
concentration et l’extériorisation comme les dynamiques structurant les évolutions des
territoires alpins. Dans cette approche, les basses vallées étaient réduites à une forme de
production territoriale par défaut qui se retrouve indirectement dans la menée initiale des
projets de tunnel de base. Or, à l’inverse, les nécessités du contexte autour de ces derniers
n’appellent-elles pas l’ébauche d’une identification territoriale en soi ?
En somme, à travers ce parcours dans le malaise engendré par le projet du Lyon-Turin,
révélant, en fait, un mal être plus profond et plus ancien du territoire du Val de Suse, nous
nous questionnerons sur l’enjeu territorial sous-jacent à cette débauche de revendications.
Nous proposons ainsi d’interroger une forme territoriale alpine au prisme de l’étude d’une
conflictualité qui ne l’est pas moins. Notre parcours débutera par une étude des crispations
autour du Lyon-Turin comme un conflit de territorialités, notion qui sera au centre de notre
étude. Nous proposerons d’étudier les caractéristiques de l’opposition au projet comme
autant d’expressions de la revendication d’une territorialité que nous pouvons qualifier de
crise. L’invention nouvelle de ce territoire semble, pour partie, le produit de cette situation de
rejet. Aussi est-elle aujourd’hui confrontée au défi du projet à donner à cette identification
territoriale, sur fond de contexte de crise économique, d’élections régionales et
d’accélération de la menée du projet contesté. Le défi posé à ce territoire ne serait-il pas
alors du registre de la gouvernance, pouvant se résumer au travers de l’enjeu de l’invention
d’une intermédiarité en une intermédiation ?
1
UN CONFLIT DE TERRITORIALITES, UNE GEOGRAPHIE DE LA COMMUNICATION
1.1 «
Un esempio di come le istituzioni non devono communicare col territorio
6
» :
l’expérience de la négation
«
Arroganza !
»
Tel est le mot qui, pour le maire de Venaus
7
, symbolise le projet du Lyon-
Turin dans son rapport au territoire. L’arrogance est présentée comme le symptôme d’un mal
de gouvernance ancré. Cette sensation de non-être institutionnel est le mal premier dont
souffre le territoire à travers ce projet. Le rejet du volet technique traduit plus profondément
l’expression d’un agglomérat de malaises individuels et collectifs autour des évolutions
territoriales que la basse vallée de Suse a connue depuis 40 ans.
Le thème symbolisant le ressenti de cette négation, revenant systématiquement dans le
cours des entretiens, est l’eau (figure 6) : il traduit le processus vécu de désappropriation
spatiale. A la croisée des thématiques environnementale, sanitaire et politique, l’eau est
l’élément reliant les vécus des différents aménagements réalisés dans la vallée, depuis le
barrage du Mont-Cenis jusqu’à l’autoroute A 32 (figure 4). Ce mot est même cité par un
militant ‘No Tav’ comme celui qui caractérise le mieux le projet
8
. La dépossession de la
Cenischia et des sources illustrent la négation de la vie locale par la privatisation globale de
5
Rappelons que seul le tunnel du Lötschberg est d’ores et déjà ouvert à l’exploitation parmi les différents tunnels
de base projetés.
6
« Un exemple de comment les institutions ne doivent pas communiquer avec le territoire ». Propos du Maire de
Venaus. Cf. note 3.
7
Ibid
.
8
Propos recueillis lors d’un entretien avec un habitant de Venaus, militant du collectif No Tav, dans la salle des
fêtes de Venaus, le 8 décembre 2009.
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
5
Colloque AISRe-ASRDLF 2010
la ressource rythmant la temporalité « traditionnelle » des cultures et des estives
9
. La perte
de la maîtrise de l’eau, consécutive aux réalisations des centrales hydro-électriques et des
diverses galeries réalisées pour l’autoroute, scelle la rupture d’un lien identitaire fort entre la
vallée, ses villages et la fonction de passage.
Tous les entretiens révèlent une même exigence : le désir de ne pas confondre la fonction
de passage, symbole d’ouverture, avec la défonctionnalisation apportée par le transit,
symbole d’effacement et de négation. Le territoire de la basse vallée de Suse s’est construit
autour de la fonction de passage, non de corridor. «
Non vogliamo essere un corridorio !
10
».
Cette affirmation du maire de Venaus, qui a tenu à bien se détacher de toute affiliation au
collectif No Tav
11
, est partagée par l’ensemble des personnes enquêtées. Cette donnée
semble avoir été entendue par l’Observatoire mis en place en 2006, puisque le slogan
apposé sur les dernières plaquettes de communication est «
Conosciamo il territorio
12
»
(LTF, 2009). Cependant, la plaquette de communication réalisée pour l’information sur la
campagne de sondages engagée au mois de janvier révèle toute l’ambiguïté sémantique
persistante. Il n’est, en effet, pas question de territoire sur le schéma proposé, mais d’un
corridor objet d’investigation (figure 3). Or ce déni de territorialité locale est l’élément
fondateur du mouvement d’opposition se constituant autour du collectif ‘No Tav’.
Figure 3 : Des sondages pour un corridor.
Carte de localisation des points de sondage le long de l’axe de la ligne nouvelle
(Document de communication LTF, 2009)
La territorialité peut se définir pour C. Raffestin (Raffestin, 1997 p 165) comme « l’ensemble
des relations qu’une société entretient non seulement avec elle-même, mais encore avec
l’extériorité et l’altérité, à l’aide de médiateurs, pour satisfaire ses besoins dans la
perspective d’acquérir la plus grande autonomie possible, compte tenu des ressources du
système ». Elle est intimement liée à la quotidienneté, comme temporalité et comme notion :
elle en est sa dimension latente, la face qui la sous-tend, sa « structure relationnelle, pas ou
peu perçue » (Raffestin, Bresso, 1982 p 186). La quotidienneté ne saurait se confondre avec
la territorialité, sans que ces deux notions puissent pour autant être dissociées. La
quotidienneté imprègne les lieux et les moments, elle constitue le prisme de lecture des
formes de territorialités et d’épreuve de l’altérité. Or, le sens donné au projet par ses
promoteurs est ressenti comme une négation de cette quotidienneté.
9
Nous reprenons ici la terminologie entendue lors de la série d’entretiens.
10
«Nous ne voulons pas être un corridor! ».
Propos du Maire de Venaus. Cf. note 3.
11
«
Non sono un ‘No Tav
‘». Cette phrase a été répétée trois fois au cours de l’entretien.
12
« Nous connaissons le territoire ». Slogan produit en 2009 par l’Observatoire technique mis en place en 2006.
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
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Colloque AISRe-ASRDLF 2010
1.2 “Englober n’est pas contenir” : visibilités et territorialités
Les événementialisations produites par les différentes parties du conflit révèlent une
superposition de deux processus techniques et de deux réalités sociales d’échelles
différentes. Les lieux de l’événementialisation de la promotion du projet, rythmant le
processus institutionnel, se situent tous dans des métropoles européennes ; ceux de la
contestation se situent majoritairement dans la vallée et dans d’autres « campagnes »
présentant une contestation soeur
13
. Cela se retrouve d’ailleurs dans les chronologies
réalisées par les différents acteurs en présence. L’événement fondateur identifié dans la
chronologie LTF de l’avancée du projet est octobre 1991, soit le sommet de Viterbe, date de
lancement d’une étude de faisabilité détaillée de la liaison Lyon-Turin
14
. A l’échelle des
entretiens réalisés, l’événement fondateur identifié est la première réunion publique
organisée en 1994 dans un cinéma d’Avigliana, en présence du président de la Région et de
son adjointe d’alors, Mme Mercedes Bresso. Cet événement marque l’acte de mise en
visibilité du projet dans le territoire, sans que la date ne soit toujours précisée clairement
dans les propos.
Le rapport à la visibilité du projet est important. Coordonnée à celui de l’effacement et de la
négation, la question du visible/caché anime une part majeure du rapport au projet. Les
grandes manifestations de 2005 et de 2006, ainsi que celles survenues en 2010, traduisent
une volonté de revendiquer la possession du territoire par une action de contestation visible.
La diffusion des symboles de la contestation trouve alors son écho dans celle des «
Presidi
»
‘No Tav’. Un «
Presidio
» est une construction informelle réalisée par le collectif ‘No Tav’,
permettant une visibilité permanente de l’appareil de contestation dans le territoire. Ces lieux
ont vocation à diffuser les discours et les interprétations du collectif, donc à être des lieux
d’échange. Ces campements sont ainsi des points de ralliement et de diffusion des actions
de protestation dans des ambiances plus ou moins festives. Le «
Presidio
» est le lieu
symbolisant le mieux le rapport de la contestation au territoire. Il est à la fois centre de vigie,
pôle de diffusion de l’information, lieu d’échange et de co-présence ainsi qu’espace de
promotion sociale dans le territoire au grés du niveau d’implication physique et temporel
dans le collectif. Ce sont de réels hauts-lieux, symboles de reconquête des non-lieux que
représentaient les bases de chantier envisagées dans la vallée. L’exemple le plus accompli
est celui de Venaus, établi dans le champ faisant face au lieu du fait d’arme fondateur de
tout un pan de la mythologie récente de la vallée : la manifestation du 8 décembre 2005
15
.
13
L’opposition au Lyon-Turin dans la basse vallée de Suse est en contact étroit avec les autres « fronts » de
contestation à des projets d’équipement civils et militaires en Italie. Des drapeaux ‘No Tav’ ont été portés par des
« émissaires » du collectif tant dans les manifestations contre la ligne à grande vitesse entre Florence et Bologne
(Mugello), que dans celles dénonçant le projet de pont sur le détroit de Messine. Il en fut de même lors des
manifestations contre l’implantation d’une base militaire américaine dans le cadre de l’OTAN. Actuellement, le
collectif du Val de Suse tente de renforcer ses liens avec celui de la région de Trente, les ‘No Tav Trento’. Cette
diffusion de l’image ‘No Tav’ n’est pas perçue par les cadres du collectif du Val de Suse comme un
affaiblissement de la lisibilité territoriale du mouvement. L’idée est de dépasser les seuls habits spatiaux pour
offrir à la « résistance » les habits thématiques de la lutte contre les expressions des négations des territorialités
locales, alpines et extra alpines.
14
Nous nous fondons sur une considération de la chronologie présentée par LTF sur son site internet,
http://www.ltf-sas.com/pages/articles.php?art_id=23
, consulté le 27.06.10.
15
Le dimanche 8 décembre 2005 a été le théâtre d’une manifestation en réaction au déploiement d’un important
dispositif de forces de l’ordre suite à une série de tensions associées à l’essai d’installation du chantier de
reconnaissance de Venaus. Le déploiement policier a transformé le secteur entre Suse, Venaus et Novalaise en
un territoire en état de siège, multipliant les contrôles d’identité, contribuant à renforcer le sentiment de
marginalisation associée au projet de tunnel de base. La manifestation présenta un risque de débordements
violents évités par l’intervention et l’influence des élus municipaux. Outre les habitants venus en famille, des
« professionnels du chaos venus de toute l’Italie» (mots du Maire de Venaus) avaient infiltré les cortèges depuis
les premières tensions de la fin novembre. L’intensité de la confrontation et de la détermination exprimée fut à la
hauteur de l’exaspération éprouvée par les habitants. Cela conduisit les acteurs techniques à abandonner le
champ en question. Le 8 décembre prend, en outre, un sens singulier dans la mémoire du territoire : cette date
correspond à la fondation de la résistance dans le Val de Suse. Si la manifestation n’avait à l’origine pas de lien
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
7
Colloque AISRe-ASRDLF 2010
Figure 4 : la basse vallée de Suse entre ressenti et expression de rejet, visibilités et
territorialités
avec cet événement, l’association mémorielle est presque immédiate, faisant entrer l’acte manifestant dans le
champ de l’acte de résistance.
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
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Colloque AISRe-ASRDLF 2010
La valeur de ces lieux est reconnue par les adversaires du collectif, en témoigne l’incendie
volontaire du «
Presidio
» de Bruzolo survenu le 24 janvier.
1.3 Entre réalités et virtualités : communiquer pour communier
Les «
Presidi
» sont des lieux de communication et de communion. Ils incarnent le symbole
de co-présence sur lequel le mouvement construit sa légitimité. L’erreur originelle de
communication, selon le maire de Venaus, réside dans le choix de la modalité de
présentation et de représentation du projet : une carte sur laquelle « une ligne noire
traversait le Val de Suse, par dessus les maisons des habitants »
16
fut alors présentée aux
habitants. Cette maladresse sémiologique a accompagné la genèse de la rhétorique
moderne opposant la quotidienneté locale à la marche du progrès. Cela contribue à ce que
l’échelle locale, la «
gente
» pour reprendre le terme utilisé dans les propos recueillis,
s’identifie comme l’Autre désigné par son inexistence dans la programmation européenne au
travers de ce discours. Ce premier acte de communication, loin de tisser une base de
dialogue entre des promoteurs du projet - parlant d’horizon européen - et des habitants -
parlant quotidienneté et tradition - a constitué le premier temps de la fracture territoriale entre
la basse vallée et le projet de transit. Ce risque était pourtant bien connu de Mme Bresso,
puisque, dans un article cosigné avec C. Raffestin, le mécanisme du blocage était
appréhendé en des termes prémonitoires (Raffestin, Bresso, 1982).
Devant l’incompréhension première, une sorte de vide de communication s’est instauré.
Aussi ne trouvons-nous aucune référence aux mouvements de contestation dans la
chronologie d’évolution du projet présentée par Lyon Turin Ferroviaire sur son site internet
17
,
ou encore dans son espace communication de Modane. Les dates clés du projet renvoient
toutes à des événements institutionnels. La seule évocation d’une possible tension est la
mention, en août 2006, de la mise en place de structures de concertation comme
l’Observatoire technique et la conférence institutionnelle. Les informations portées par LTF
comme par « La Transalpine »
18
sont avant tout destinées à un public extérieur. Ces sites
parlent de problématiques globales, non locales. Ainsi, la «
gente
» ne trouve pas en ces
acteurs de réels interlocuteurs. L’Observatoire, institutionnalisé postérieurement au
déclenchement de la crise, n’a jamais pu supplanter le collectif comme source de diffusion
d’information à l’échelle locale. La force de ce dernier tient, d’ailleurs, à sa capacité à
occuper l’espace laissé libre par les promoteurs institutionnels. La «
gente
», avide
d’information en raison de l’inquiétude provoquée par la présentation initiale, trouve dans le
collectif une source de diffusion de données occupant cet espace laissé libre.
La communication est ainsi le terrain d’identification de l’altérité. Ce champ devient espace
de communion pour le mouvement de contestation, ce qui contribue à placer le collectif ‘No
Tav’ au centre de la visibilité d’un fait territorial qui ne saurait s’y résumer. La distance du
langage des institutions tranche avec l’efficacité des discours produits ou traduits dans la
vallée. Cette communion se construit autour de l’investissement des différents espaces de la
communication. Une traversée de la basse vallée de Suse offre un panorama de la vigueur
de la contestation. Celle-ci est tout autant manifeste dans l’espace matériel que dans
l’espace virtuel. Si, en 2006, une sitographie
19
révélait une faible visibilité de l’opposition par
l’entrée française « Lyon-Turin », et une visibilité un peu plus importante par l’entrée italienne
« Torino-Lione », l’omniprésence virtuelle des sites contestataires est aujourd’hui prégnante.
Le collectif ‘No Tav’ sait très bien utiliser les réseaux sociaux afin d’accroître sa visibilité et la
16
«
C’era una linea nera da Torino a Lione sopra le case dei cittadini, dei Valsusini.»
. Propos du Maire de Venaus
Cf note 3.
17
Cf. note 14.
18
« La Transalpine »
est le groupe d’intérêt français constitué pour promouvoir le projet du Lyon-Turin. Le
pendant italien est la
«
Transpadana
». Le site de « La Transalpine » :
http://www.transalpine.com/
; le site de la
«
Transpadana
» :
http://www.transpadana.org/
.
19
Travail réalisé dans le cadre de mon année de Master 2 Recherche.
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
9
Colloque AISRe-ASRDLF 2010
diffusion de sa lecture des événements. La page « Facebook » du mouvement en est une
illustration. Animée de fréquents « posts » sur son mur et connaissant un nombre d’ « amis »
croissant, la page est un moteur de partage de photographies, de dessins et d’opinions tout
autant qu’un terrain de joute à distance avec les défenseurs du projet. Ce média gagne
toujours plus de place par rapport à l’échange de mails par liste de diffusion. Nous avons, en
effet, pu noter une baisse d’intensité des échanges par messages électroniques ordinaires
en parallèle à une croissance d’activité sur la page sociale du collectif. La structuration du
mouvement d’opposition au Lyon-Turin sur ce site de réseau social tranche, d’ailleurs, avec
celle du mouvement de promotion constitué en réaction, appelé ‘Sì Tav’. La présence sur ce
média est stratégique, en témoigne l’interdiction de la page ‘No Tav’ obtenue le 4 février
2010. Cette suppression a, d’ailleurs, contribué au renforcement de la structuration du
collectif dans cet espace, traduisant de nouveau l’importance du moteur réactif comme
principe de cohésion du mouvement d’opposition.
2
UNE TERRITORIALITE DE CRISE
2.1 Le rejet comme (recon)quête territoriale
Le rejet est la composante principale de la somme de revendications composant l’opposition.
Le champ sémantique utilisé par le mouvement est très majoritairement de tournure
négative. Les différents slogans mentionnés dans la première partie de cet article l’illustrent.
Nous le retrouvons dans la façon dont les membres du collectif et les sympathisants parlent
de leur positionnement. La formule la plus fréquemment rencontrée est «
Non siamo…
». La
définition de l’être du mouvement est ainsi la négative, comme expression de rejet et de
réaction. Le principe de cohésion est alors l’identification d’une altérité perçue comme
menaçante, et l’identification visuelle et cognitive d’un soi fondu en une surface territoriale.
Le recours à une analyse de la sémiologie graphique utilisée par le collectif dans ses
représentations du Val de Suse est intéressant (figure 5). La surface remplace ici le figuré
linéaire noir du projet initial ou bleu du corridor sujet à sondage. Ces représentations
identifient le territoire par sa forme politique telle que définie par le périmètre de la
Communauté de Montagne de la basse vallée de Suse
.
Nous voyons ici une rupture nette
apparaître entre les deux parties de la vallée de Suse. La «
Valle di
Susa » identifiée dans
ces représentations se résume à la partie « résistante », soit la partie basse. Ce territoire
n’est pas un corridor : il est ponctué de marques d’appropriation s’exprimant sous la forme
de l’identification de l’échelle d’articulation du collectif et du mouvement, l’échelle
communale. La représentation de droite est caractéristique des attributs du mouvement. Le
nom de ce territoire côtoie l’acteur « maître d’ouvrage » de cette identification. Cette forme
sert d’abstraction au territoire, alors représenté comme terre de résistance unie autour du
collectif ‘No Tav’ qui revendique ainsi une forme d’appropriation de cet espace. Le recours
aux toponymes communaux permet d’identifier cet ensemble comme une somme de lieux.
Un de ceux-ci est singularisé dans cette représentation, Venaus, constitué en « République
Libre » en souvenir des faits d’arme des mois de novembre et décembre 2005. Ces
représentations témoignent ainsi d’une manifestation de l’appartenance à un territoire
comme de son appropriation identitaire et politique. Mais elles révèlent dans le même temps
la dimension insulaire donnée à ce territoire : cette singularisation autour du thème de la
« résistance » contribue à renforcer le caractère de « village gaulois » revendiqué par
l’utilisation de la figure d’Astérix sur les drapeaux aux côtés de celle du paysan braillard. Elle
exclut par là même des communes qui se sont impliquées dans l’opposition au projet,
comme Chiomonte ou Gravere, et qui appartiennent à la haute vallée. Cet enfermement est,
en outre, un des pans contribuant à alimenter les discours ‘Sì Tav’ cherchant à décrédibiliser
le mouvement dans l’espace médiatique national et local.
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
10
Colloque AISRe-ASRDLF 2010
Figure 5 : L’iconographie ‘No Tav’ comme identification du territoire par sa forme
(Documents ‘No Tav’ disponibles sur la page « Facebook » du collectif)
Les adversaires du mouvement le revoient alors à l’apparence d’irresponsabilité partisane
hors des réalités du monde, en considérant qu’il s’exclut de lui même. Cette posture
excluante est ainsi utilisée par les promoteurs du projet pour justifier les difficultés du
dialogue formalisé. Le fondement de la contestation est un rejet du principe même du tunnel
de base et de la ligne à grande vitesse/capacité
20
. Cet élément est important à considérer,
car il permet de ne pas limiter la lecture du mouvement d’opposition au projet du Lyon-Turin
à une simple position NIMBY. Un mouvement NIMBY refuse les nuisances potentiellement
apportées par un projet, sans remettre pour autant en question le fondement de ce dernier.
Le rejet exprimé dans le Val de Suse est tout autre, comme l’illustre le slogan historique
«
Ne’ qui Ne altrove
21
».
Si les opposants rejettent le principe du projet, l’Observatoire rejette le principe de la
renégociation du fondement de l’ouvrage du fait que cette prérogative n’appartenait pas à
son champ de compétence. L’Observatoire est ainsi un prisme de la diaphonie à l’oeuvre.
Les communes de la basse vallée qui se sont initialement impliquées dans la structure
avaient pour objectif de revenir sur le principe au fondement de l’ouvrage ; l’Observatoire
avait pour mission de discuter de l’établissement du tracé et des modalités de réalisation du
chantier. Les sorties successives des représentants des communes de la structure
témoignent de l’absence de volonté réciproque d’entente sur l’objet même du dialogue. Cet
épisode fut ressenti dans le territoire comme une nouvelle preuve de l’arrogance
institutionnelle, et, chez les promoteurs, comme une nouvelle manifestation de
l’irresponsabilité des représentants locaux.
2.2 Le «
Principe Responsabilité
» comme quête de légitimité
Le thème de la responsabilité se trouve au coeur de toutes les manifestations et de tous les
discours autour du projet. Chaque partie se réclame de l’intérêt général, et cherche, ainsi, à
20
La qualification du projet a évolué au gré de la réaction suscitée par le rapport à la vitesse. Aux origines du
projet, il était question, en Italie, d’une «
Linea ad’Alta Velocita
» (Ligne à Grande Vitesse). Or, la référence à ce
degré de vitesse fut
le support du rejet sémantique donnant naissance à l’appellation du collectif ‘No Tav’ (Non à
la Grande Vitesse). La «
TAV
» portait le projet vers le seul transport de passager, ce qui ne rendait pas compte
de son orientation complète. Elle est ainsi devenue la «
TAC
», soit un projet de ligne à haute capacité. Ce
changement d’appellation permit de faire une place au trafic marchandise dans l’appellation. La réception dans la
basse vallée en a été une assimilation «
TAV=TAC
». Ce changement a été perçu comme une volonté de
déguiser un projet localement inacceptable en un objet de communication porteur de politique des transports
« durable » auprès de l’extérieur. Aussi cela a-t-il été perçu comme une nouvelle manifestation de mépris.
21
« Ni ici Ni ailleurs ». Ce slogan fait partie de l’iconographie initiale du mouvement, mettant en scène la figure
d’Astérix.
Le Lyon-Turin dans le Val de Suse : un aménagement nommé malaise
11
Colloque AISRe-ASRDLF 2010
légitimer sa posture. Le conflit autour du Lyon-Turin est une illustration du « Principe
Responsabilité » entendu par H. Jonas comme « […] un tout autre concept de responsabilité
qui ne concerne pas le calcul
ex post
facto
de ce qui a été fait, mais la détermination de ce
qui est à faire ; un concept en vertu duquel je me sens responsable non en premier lieu de
mon comportement et de ses conséquences, mais de la
chose
qui revendique mon agir»
(Jonas, 1990 p. 132). Cette définition résume la justification prônée par le mouvement : la
chose qui revendique leur agir est ici le droit à vivre en un territoire en-soi qui ne soit ni une
banlieue de Turin ni un faire-valoir de la haute vallée. Nous retrouvons ici l’importance du
ressenti de la négation, et l’identification d’un être de territorialité propre.
L’action des édiles municipaux se retrouvent au coeur de cette interrogation. La position du
maire de Venaus en est une illustration intéressante. Maire de la commune la plus
symbolique de la contestation, associé aux temps forts de l’invention de la mythologie du
mouvement avec les événements de 2005
22
, il est aujourd’hui confronté au défi de la
négociation des compensations dans un climat d’impossible déclaration ouverte auprès d’un
certain nombre de ses administrés. Le terme compensation est, en effet, un tabou : les
négocier revient à manifester l’acceptation du principe de l’ouvrage. Or, le rejet de ce
fondement reste la pierre angulaire du mouvement. Les compensations posent, en contre
point de l’opposition au principe, le défi de l’invention de la vallée en territoire de projet. Cette
démarche a débuté par un engagement des édiles dans la rédaction du plan stratégique
d’aménagement pour la vallée. Fort de ce document, la contestation institutionnelle
territoriale propose un positionnement projet contre projet, dépassant la posture projet contre
rejet. En revanche, ce renversement ne permet pas de régler la situation de l’Observatoire,
structure se retrouvant
de facto
affublée d’un handicap originel. Il permet cependant de
dépasser l’incompréhension pour tendre vers un désaccord d’orientation programmatique
pour la vallée. L’identification de la basse vallée comme territoire de projet est la marque
d’un tournant permettant de porter le débat sur le champ de l’efficacité de la dépense
publique, donc du sens du bien commun. La question des compensations permet de projeter
la dimension « territoire de projet ». L’idée portée par les édiles locaux n’est pas de se
contenter de financements de « terrains de sport », mais de demander le financement
d’équipements structurants pourvoyeurs d’emplois sur le long terme, permettant ainsi
d’assurer une vie à ce territoire intermédiaire.
Si le collectif s’est lui aussi porté sur cet argument en dénonçant, en écho avec les
opposants au Bologne-Florence et Rome-Naples,
« les pratiques mafieuses
de LTF et de
RFI dans l’attribution des lots », cela restait encore dans la rhétorique du ‘No’. L’inscription
«
No Tav No Mafia
» placée sur les hauteurs d’Avigliana l’illustre. Démontrer et revendiquer
une « responsabilité » est une obsession de la construction des discours du collectif. La
figure 6 représente le cheminement scalaire de l’argumentaire rendu au cours d’un entretien
avec un militant ‘No Tav’
23
, dont le propos est un condensé de la structure discursive du
collectif. Son argumentation est structurée autour de la justification de son engagement dans
le mouvement : son choix n’émane pas d’un égoïsme territorial, mais d’un souci de justice
spatiale. La menée du projet du Lyon-Turin est, pour lui, « un exemple de l’injustice dans le
monde ». Or, le discours se centre par la suite essentiellement sur une dénonciation du
contexte italien, montrant l’importance du référent national dans la construction de la
situation conflictuelle. Le Val de Suse est identifié comme une terre de convergence
d’intérêts spéculatifs déterritorialisants, qui fait de cette vallée un symbole nécessaire de
rejet de pratiques de gouvernement « mafieuses ».
22
La première élection de Nilo Durbiano comme Maire de Venaus date de 2004.
23
Cf. note 8.
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