La situation économique est très souvent convoquée comme un facteur explicatif décisif des résultats électoraux. Mais ce lien résiste-t-il à l’analyse croisée des résultats électoraux et des données de l’emploi ? Quelle est l’influence réelle du chômage sur les résultats électoraux ? Taddeo a conduit une étude inédite qui permet d’évaluer la corrélation entre le taux de chômage et le vote lors des élections municipales du 23 et 30 mars derniers. En effet, elle se fonde sur l’analyse des comportements électoraux réels et non sur les déclarations obtenues grâce à des sondages, dont l’interprétation est davantage sujette à caution.
TADDEOSCOPE FRANCE | AVRIL 2014Emploi et dynamiques électorales Étude Taddeo
CONTACT TADDEO 137, rue de lUniversité 75007 Paris Julien VAULPRE Directeur Général Julien.Vaulpre@Taddeo.fr
EMPLOI ET DYNAMIQUES ELECTORALES Etude Taddeo – avril 2014 1- Pourquoi cette étude ? La situation économique est très souvent convoquée comme un facteur explicatif décisif des résultats électoraux. Mais ce lien résiste-t-il à lanalyse croisée des résultats électoraux et des données de lemploi ? 2 - Quelle est linfluence réelle du chômage sur les résultats électoraux ? Taddeo a conduit une étude inédite qui permet dévaluer la corrélation entre le taux de chômage et le vote lors des élections municipales du 23 et 30 mars derniers. En effet, elle se fonde sur lanalyse des comportements électorauxréelset non sur les déclarations obtenues grâce à des sondages, dont linterprétation est davantage sujette à caution. 3 - La méthodologie Cette étude conduite par Taddeo sappuie sur la méthodologie suivante : −létude de lensemble des villes métropolitaines de plus de 10 000 habitants, soit 900 communes ;−lanalyse statique et dynamique du taux de chômage par comparaison des résultats des élections municipales de 2008 avec ceux de 2014 aux premiers et seconds tours ; −le croisement des données du ministère de lIntérieur pour les résultats électoraux et des enquêtes emplois de lINSEE pour le taux de chômage.
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4 – Les enseignements de cette étude La capacité dune ville à enrayer la hausse du chômage dépend-elle de létiquette politique de son maire ? Labstention a-t-elle augmenté parallèlement au taux de chômage ? Une corrélation indiscutable existe-t-elle entre le score du FN et le taux de chômage ? Une corrélation indiscutable existe-t-elle entre lévolution du FN et lévolution du taux de chômage ? Sur lemploi comme déterminant électoral, deux écoles » saffrontent traditionnellement : −Les professeurs de sciences politiques démocrates qui estiment que la question économique et sociale est décisive dans le comportement électoralcf. la fameuse phrase it is the economy, stupid »prononcée par le conseiller de Bill Clinton, James Carville lors de la campagne victorieuse de 1992 à lencontre de Bush Père qui se targuait de ses succès militaires et internationaux pour lemporter. −Les politologues conservateurs sont en revanche convaincus que les opinions ont intégré lidée quavec la mondialisation, les gouvernants étaient plus ou moins condamnés à limpuissance dans le domaine économiqueque la question de lemploi ne et fabrique pas » du vote mais que cest sur le terrain des valeurs quil convient de mobiliser lélectorat.Dun point de vue global, les 4 enseignements de cette étude permettent de confirmer des intuitions jusquici non démontrées tout en remettant fortement en cause certaines idées reçues : 1.La couleur politique des maires na pas dinfluence notable sur lévolution du taux de chômage.Les municipalités de gauche comme celles de droite enregistrent en effet une progression du chômage dans des proportions identiques. Dans les villes de plus de 10 000 habitants,du taux de chômage a été de 3,4 pts entre 2008 et lévolution 2014 dans les municipalités de droite comme de gauche. 2.Lidée dune corrélation forte entre abstention dune part, et évolution du taux de chômage dautre part, ne résiste pas à lanalyse.Le niveau du chômage comme sa progression na pas dimpact sur la participation électorale, cest même linverse qui sest produit : la progression de labstention a été la plus forte dans les communes dont le taux de chômage avait le moins augmenté. Autrement dit, la progression de labstention obéit à des déterminants plus structurels. 3.En revanche, lidée dune corrélation forte entre taux de chômage et vote FN se confirme. Surtout, on note bien un lien entre hausse du chômage et augmentation du vote FN. Le vote FN nest plus un vote de crise mais celui de la crise. 4.Ainsi, la logique abstentionniste et celle du vote FN longtemps considérées comme très proches, sont en voie de dissociation.
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4.1 - Depuis le début de la crise, lévolution du taux de chômage est-il différent selon les municipalités de gauche ou de droite ? La crise économique a éclaté en 2008, soit lannée marquant le début de la précédente mandature municipale. Nous avons donc souhaité analyser lévolution du chômage dans les villes à laune de létiquette politique du maire. La progression du taux de chômage est-elle plus importante dans les municipalités de gauche ou de droite ? Dans lensemble des communes de 10 000 habitants et plus, le chômage a augmenté en moyenne de 3,4 points, passant de 7,3% à 10,7% sur la période 2008-2013. En moyenne, et comme le montre le tableau ci-dessous, ces chiffres ne varient quasiment pas entre les municipalités de gauche et celles de droite : les taux de chômage au départ (en 2008) et à larrivée se révèlent en effet très proches, si bien quelévolution moyenne de ce taux est identique quelle que soit la majorité siégeant au conseil municipal.E v o l u t i o nm o y e n n ed ut a u xd ec h ô m a g ee n t r e2 0 0 8e t2 0 1 3 s e l o nl ac o u l e u rp o l i t i q u ed el am u n i c i p a l i t é Ev o l u t i T a u xd ec h ô m a g eT a u xd ec h ô m a g e o n m o y e na up r e m i e rm o y e na ut r o i s i è m e m o y e n t r i m e s t r e2 0 0 8t r i m e s t r e2 0 1 3 n e M u n i c i p a l i t é sd e 7,4 10,8+ 3,4 g a u c h e M u n i c i p a l i t é sd e 7,1 10,5+ 3,4 d r o i t e Communes de 10 000 habitants et plus
Droite et gauche semblent subir le chômage dans les mêmes proportions. On peut donc affirmer que, sur les communes de 10 000 habitants et plus, la couleur politique de lexécutif local na pas eu dinfluence sur la hausse du chômage en cinq ans, période qui coïncide avec le mandat municipal 2008-2014. Plusieurs hypothèses peuvent être convoquées pour expliquer cette absence de différences significatives : −la droite et la gauche ne sont pas parvenues à imposer leurs solutions respectives pour lutter contre le chômage ; −les municipalités, de gauche comme de droite, apparaissent donc pareillement armées (ou désarmées) face au défi du chômage. Ces résultats sont dautant plus intéressants que lobservation du marché du travail montre que les politiques demploi innovantes permettent dinfléchir significativement les dynamiques demploi. Le cas spectaculaire de Vitré en Ille-et-Vilaine, dont le taux de
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chômage nest aujourdhui que de 6%, démontre quil est possible, grâce à la mise en place dun écosystème favorable de parvenir à la création demplois. 4.2 - Le taux de chômage a-t-il eu un effet sur la participation électorale ? La thèse selon laquelle les personnes au chômage ont moins tendance à se rendre aux urnes lors des élections est régulièrement citée pour expliquer, au moins en partie, une abstention massive. Cette corrélation suppose en effet que le fait dêtre exclu du monde du travail, donc dune certaine façon être marginalisé au sein de la société, pousserait à se mettre en retrait de la vie démocratique, selon la même logique que celle qui explique le phénomène des non-inscrits. Pourtant, lorsquon prête attention aux chiffres du chômage de ces dernières années ainsi quà la participation aux élections municipales, ce raisonnement ne tient pas. Ainsi, entre le premier tour des élections municipales de 2008 et celles de 2014, labstention a progressé de 3 points sur lensemble du territoire (passant de 33,46 à 36,45%, chiffres France entière). Or, il apparaît que laugmentation de labstention nest pas corrélée au dernier taux de chômage mesuré (troisième trimestre 2013). Il ny a pas de lien entre le niveau de chômage et lévolution de labstention. Labstention a été plus forte et a davantage progressé, non pas dans les communes présentant le plus fort taux de chômage (14% et plus) mais dans les villes les moins touchées. E v o l u t i o nd el a b s t e n t i o na up r e m i e rt o u rd e sé l e c t i o n sm u n i c i p a l e se n t r e 2 0 0 8e t2 0 1 4s e l o nl et a u xd ec h ô m a g ea ut r o i s i è m et r i m e s t r e2 0 1 3 T a u xd a b s t e n t i o nT a u xd a b s t e n t i o nE v o l u t i T a u xd ec h ô m a g e m o y e na up r e m i e rm o y e na up r e m i e ro n a ut r o i s i è m e t o u rd e sé l e c t i o n st o u rd e sé l e c t i o n sm o y e n t r i m e s t r e2 0 1 3 m u n i c i p a l e s2 0 0 8m u n i c i p a l e s2 0 1 4n e M o i n sd e8 %39,7 42,0+ 2,3 8 à 9, 9 %41,4 43,7+ 2,3 1 0à 11 , 9 %40,0 42,5+ 2,5 1 2à 13 , 9 %36,3 38,6+ 2,4 1 4 %e tp l u s39,7 40,9+ 1,2 Communes de 10 000 habitants et plus
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Il nexiste pas non plus de lien entre lévolution du taux de chômage et lévolution du taux dabstention. Comme en atteste le tableau ci-dessous, rien ne permet de valider cette hypothèse. E v o l u t i o nd el a b s t e n t i o na up r e m i e rt o u rd e sé l e c t i o n sm u n i c i p a l e se n t r e 2 0 0 8e t2 0 1 4s e l o nl é v o l u t i o nm o y e n n ed ut a u xd ec h ô m a g ee n t r e2 0 0 8 e t2 0 1 3 T a u xd a b s t e n t i o nT a u xd a b s t e n t i o nE v o l u t i E v o l u t i o nd ut a u x m o y e na up r e m i e rm o y e na up r e m i e ro n d ec h ô m a g e t o u rd e sé l e c t i o n st o u rd e sé l e c t i o n sm o y e n 2 0 0 8 - 2 0 1 3m u n i c i p a l e s2 0 0 8m u n i c i p a l e s2 0 1 4n e + 3 po i n t se t 40,7 42,8+ 2,1 m o i n s + 3 à 3, 9p o i n t s40,3 42,8+ 2,5 + 4 à 4, 9p o i n t s38,1 40,4+ 2,3 + 5 po i n t se tp l u s38,3 40,2+ 1,9 Communes de 10 000 habitants et plus
En définitive, on ne peut établir, au moins entre 2008 et 2014, de lien entre évolution du taux de chômage et de la participation aux élections municipales. Les villes où le chômage a progressé ne sont pas devenues plus abstentionnistes.
4.3 - Le taux de chômage et sa hausse ont-ils eu un impact direct sur le vote frontiste aux élections municipales ? Si le taux de chômage nexerce pas une influence directe sur la participation aux élections, peut-on supposer quil favorise une couleur politique plutôt quune autre, et notamment le FN ?Lorsquon observe les résultats du Front National lors du premier tour des dernières élections municipales et le taux de chômage existant dans les villes,une corrélation très nette apparaît. Ainsi, dans les communes de 10 000 habitants et plus où se présentait une liste frontiste, les résultats du FN sont fonction croissante du taux de chômage: inférieur à 14%(13,5%) lorsque le chômage natteint pas 10%, supérieur à 20% lorsque le chômage dépasse les 12% (22,6% pour un taux de chômage supérieur à 14%).
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S c o r em o y e nd uF r o n tN a t i o n a la up r e m i e rt o u rd e sé l e c t i o n sm u n i c i p a l e s s e l o nl et a u xd ec h ô m a g ea ut r o i s i è m et r i m e s t r e2 0 1 3 25
20
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0Taux deMoins de 8%8 à 9,9%10 à 11,9%12 à 13,9%14% et pluschômageScore moyen du Front NationalCommunes de 10000 habitants et plus dans lesquelles se présentait une liste Front National au premier tour des élections municipales de 2014
Une forte corrélation existe également avec lévolution moyenne du taux de chômage entre les deux dernières élections municipales : plus le chômage a augmenté entre 2008 et fin 2013, plus le vote frontiste est élevé en 2014. S c o r em o y e nd uF r o n tN a t i o n a la up r e m i e rt o u rd e sé l e c t i o n sm u n i c i p a l e s d e2 0 1 4s e l o nl é v o l u t i o nm o y e n n ed ut a u xd ec h ô m a g ee n t r e2 0 0 8e t 2 0 1 325
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0Evol. taux+ 3 points et moins+ 3 à 3,9 points+ 4 à 4,9 points+ 5 points et plusde chômageScore moyen du Front NationalCommunes de 10000 habitants et plus dans lesquelles se présentait une liste Front National au premier tour des élections municipales de 2014
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A titre dexemple, voici six communes qui, à des taux de chômage différents, ont enregistré des scores très hétérogènes pour le Front National au premier tour des élections municipales de 2014. Ainsi, à Elancourt, ville avec un taux de chômage plutôt faible, le FN na engrangé que 7,5% des suffrages exprimés.A contrario, la situation exceptionnellement précaire de Hénin-Beaumont en matière demploi ou même celle de Frontignan semblent avoir contribué à lélection dun maire frontiste. S c o r ed uF r o n tN a t i o n a l T a u xd ec h ô m a g ea ua up r e m i e rt o u rd e s t r o i s i è m et r i m e s t r e2 0 1 3é l e c t i o n sm u n i c i p a l e sd e 2 0 1 4 E l a n c o u r t6,7 7,5 R e n n e s8,5 8,4 L i l l e11,5 17,2 A m i e n s13,0 15,6 F r o n t i g n a n17,5 19,7 H é n i n - B e a u m o n t17,9 50,3 Les résultats du Front National au premier tour des élections municipales de 2014 sont effectivement corrélés au taux de chômage et à sa hausse. Labsence de lien entre taux, évolution du chômage et abstention, dune part, et la corrélation entre chômage et vote FN, dautre part, nous livrent plusieurs enseignements :Pendant longtemps, labstention et le vote FN étaient analysés comme deux variantes dun même vote de rejet– qui au fond étaient des expressions différentes dun même sentiment, celui du refus des partis et candidats en présence.Mais ces résultats nous indiquent que la dynamique de labstention et celle du vote FN sont désormais de natures différentes : >Labstention est la manifestation dune insatisfaction par rapport à une offre politique ; >Le vote FN nest plus un vote de retrait vis-à-vis de la classe politique, un vote clandestin mais un vote revendiqué comme un choix parmi dautres, le vote des invisibles a fait soncoming out; >A partir du moment où, dans les communes dans lesquelles le niveau de chômage est élevé – ou a fortement progressé – on nobserve pas de poussée abstentionniste alors que le vote FN lui progresse, laquestion dun transfert délecteurs potentiellement abstentionnistes vers le FN, et donc dun vote FN qui dans une certaine mesure limite labstention, se pose. >Dit autrement : lexplication classique qui voudrait que la progression du vote FN soit le résultat dune abstention massive, les abstentionnistes étant réputés moins susceptibles de voter FN que la moyenne des votants, ne semble pas résister à cette étude. −La corrélation entre le niveau du chômage, son évolution et le vote FN, en fait un parfait vote de crise ou, pour être plus exact, le vote de la crise économique.
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Alors que les propositions économiques de Jean-Marie Le Pen étaient très influencées par lidéologie néo-libérale, Marine Le Pen a changé la vitrine économique du parti.Elle a adopté la rhétorique dun Etat interventionniste qui parle aux catégories populaires se sentant elles-mêmes délaissées par un Etat jugé lointain et impuissant. Ce virage social constitue une clé de compréhension fondamentale pour expliquer son succès auprès des catégories populaires et dans les communes les plus touchées par le chômage, cette attractivité nest pas nouvelle, elle trouve un nouvel ancrage lors de ce scrutin.La progression du chômage est donc un accélérateur du vote FN dont les moteurs sont connues : une proximité sémantique entre Marine Le Pen et un électorat populaire qui estime quelle dit comme on pense » et qui valorise des catégories qui vivent dans leur fierté passée.