Une histoire des mesures des usages de drogues
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Mesurer l’ampleur de l’usage de drogues à l’échelle d’une nation n’est pas une tâche aisée. Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, les éléments de quantification, construits dans une logique d’action, mesuraient autant l’activité des services sanitaires ou répressifs que les usages de drogue. Puis les enquêtes en population générale ont éclairé ce domaine. La question des drogues dans ces enquêtes est ainsi passée en deux décennies d’un statut de thème incongru ou inconcevable à un statut de question de société incontournable. Trois périodes se dessinent, correspondant à chaque fois à des inflexions dans la manière d’envisager le monde des drogues. Une vision morale a été abandonnée au profit d’une approche sanitaire puis sociologique. D’un dispositif cherchant à quantifier l’usage de drogue on est progressivement passé à un système visant principalement à isoler et quantifier les usages problématiques de substances psychoactives, incluant explicitement l’alcool, le tabac et les médicaments psychotropes.

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Langue Français

Extrait

Une histoire des mesures des usages
de drogues
! François Beck*
Mesurer l’ampleur de l’usage de drogues à l’échelle d’une nation n’est pas une tâche aisée. Jusqu’à la fin des années
quatre-vingt-dix, les éléments de quantification, construits dans une logique d’action, mesuraient autant l’activité des
services sanitaires ou répressifs que les usages de drogue. Puis les enquêtes en population générale ont éclairé ce
domaine. La question des drogues dans ces enquêtes est ainsi passée en deux décennies d’un statut de thème incon-
gru ou inconcevable à un statut de question de société incontournable. Trois périodes se dessinent, correspondant à
chaque fois à des inflexions dans la manière d’envisager le monde des drogues. Une vision « morale » a été abandonnée
au profit d’une approche sanitaire puis sociologique. D’un dispositif cherchant à quantifier l’usage de drogue on est pro-
gressivement passé à un système visant principalement à isoler et quantifier les usages problématiques de substances
psychoactives, incluant explicitement l’alcool, le tabac et les médicaments psychotropes.
e lien entre les représentations sur ce graphique paru dans un article toujours en lien avec les avancées Ldes usages de drogues et la façon de la revue Valeurs Actuelles en mai sanitaires consécutives à l’installation
de quantifier les indicateurs relatifs à 1998, l’évolution du nombre de décès de programmes de réduction des ris-
1ces comportements offre, sur une par surdose survenus en Espagne ques (Bergeron, 2004).
période assez courte et récente, un entre 1983 et 1997 est directement et
Disposer d’enquêtes en population excellent matériel pour étudier l’inci- ostensiblement imputée à l’évolution
générale fiables était une réponse dence des évolutions sociétales sur de la législation sur le cannabis, alors
nécessaire au besoin de quantifier les la façon de concevoir les outils de que l’événement majeur survenu au
mesure et réciproquement. début des années 1990 est occulté,
à savoir la mise en place d’une poli-
* CESAMES, Centre de recherche Psychotropes, Mesurer l’ampleur des usages de tique de réduction des risques offrant
Santé mentale, Société (CNRS UMR 8136 Inserm
drogues à l’échelle d’une nation n’est de meilleures conditions de vie aux U611, Université René Descartes Paris V).
pas une tâche aisée. À la fin des usagers de drogues par voie intra- 1. Ses objectifs sont de stabiliser la consom-
mation de drogues illicites, de diminuer la prati-années 1970, les membres de la veineuse, reconnue depuis comme
que de l’injection et de favoriser le suivi médical
Mission d’étude sur l’ensemble des ayant largement contribué à la baisse et l’insertion sociale des usagers. La prise en
charge de la toxicomanie dans un cadre de problèmes de la drogue mettaient observée à partir de 1992. En effet,
réduction des risques et la substitution sont ainsi d’emblée en garde le lecteur une diminution du nombre de surdo- rapidement devenues des mesures essentielles,
sur le caractère changeant d’un phé- indispensables en particulier pour stabiliser les ses avait été constatée dans tous les
personnes séropositives et leur permettre de nomène impossible à cerner statis- pays d’Europe à cette époque malgré
bénéficier des soins médicaux requis par le
tiquement rendant hasardeuse toute les différences de législation, mais déficit immunitaire.
tentative pour dresser un tableau de
l’usage actuel des drogues en France
(Pelletier, 1978). Le décor, instable
voire improbable, était ainsi planté.
Dans ce contexte, où l’opportunité de
mener des enquêtes en population
générale sur ce thème n’allait pas
de soi, l’absence de quantification
laissait la part belle aux visions les
plus catastrophistes et contribuait à
entraver des approches novatrices du
point de vue des politiques publiques
1(réduction des risques ), mais aussi
du point de vue de l’évolution de la
conception de ce qu’est « la toxico-
manie » et de ce qu’est une « drogue »
(élargissement du champ des dro-
gues à l’alcool et au tabac). Pour n’en
donner qu’un exemple caricatural, Un climat d’overdose
Courrier des statistiques n° 127, mai-août 2009 29François Beck
Figure 1 — Nombre d’interpellations pour usage simple ou usage- dant fortement des circulaires et des
revente, pour le cannabis et les autres stupéfiants, 1980-2001 directives. Ces statistiques peuvent
vite devenir des caricatures des phé-
100000
nomènes à observer. L’examen des
90000 autres stupéfiants
statistiques policières montre par
cannabis80000 exemple que le nombre d’interpel-
70000 lations pour usage simple et usage-
revente de cannabis a régulièrement 60000
augmenté au cours des années qua-
50000
tre-vingt, cette tendance s’accélérant
40000
lors de la décennie suivante, avec
30000 un « creux », en 2001 (cf. Figure 1).
20000 Celui-ci est une conséquence directe
d’un « biais d’activité » : de l’aveu des 10000
instances policières elles-mêmes, la 0
baisse des interpellations enregistrée
cette année-là résulte d’une dimi-
nution de l’activité des forces de
l’ordre. Cette baisse d’activité faisait
suite à une relative démobilisation de
leur part en l’absence de directives
usages de drogues, mais cette mise menées en milieu festif, en prison, claires en matière de lutte contre
en place ne s’est pas faite sans heurts. aux urgences…) ; l’usage de stupéfiants. Inversement,
Les difficultés rencontrées reposent à la hausse de 2002 serait un effet de
la fois sur des contraintes techniques – et enfin les enquêtes en popula- la loi d’orientation et de program-
et sur l’évolution des paradigmes qui tion générale auprès d’adolescents mation pour la sécurité intérieure de
gouvernent la façon de « penser les ou d’adultes. l’été 2002 qui clarifiait les objectifs de
drogues » au cours des quatre derniè- cette lutte (OCRTIS, 2004).
res décennies (Beck, 2006). Les défauts des statistiques admi-
nistratives sont bien connus : elles Plus généralement, dans son exper-
reflètent avant tout l’activité des ser- tise du système d’information sta-
vices sanitaires ou répressifs, ce qui tistique sur les consommations de L’arsenal à disposition
ne reflète que partiellement le phé- drogues, René Padieu (1994) parle à du sociologue
nomène sur lequel ils sont censés ce propos d’« effet de sélection des des addictions
intervenir. Elles sont en quelque sorte statistiques de clientèles », en invitant
le produit d’une construction profes- l’analyste et le lecteur à éviter le glis-
sionnelle. Les recherches basées sur Il existe quatre grandes formes d’en- sement de la « toxicomanie traitée » à
ces statistiques ne mesurent ainsi que quêtes pour étudier ce sujet sensible : la « toxicomanie effective ». Howard
les comportements définis par l’insti- Becker (1963) a pour sa part poussé
– l’exploitation de registres, de sta- tution productrice des données, et assez loin la critique dans Outsiders,
tistiques administratives ; sont en cela victimes du « syndrome en montrant par exemple le danger
2du réverbère » illustrant ainsi la ten- pour le statisticien de s’abriter der-
– l’enquête ad hoc auprès des usa- dance à n’observer que ce qui est le rière des catégories administratives,
gers de drogues (approche ethnogra- plus visible du point de vue de l’acti- imposées a priori, si celles-ci sont de 2phique) ;
vité des services. Par exemple, si une piètres reflets de la réalité (comptage
consigne indique de ne plus prendre d’individus interpellés parmi lesquels – celle menée de façon ad hoc
en compte tel ou tel type d’usagers, certains étaient juste présents sur auprès de populations-cibles dont
ceux-ci sortent des statistiques. le lieu du délit). Dans cet objectif, la on soupçonne un usage de drogues
nécessité de mener des enqu

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