Ils travaillent au noir
76 pages
Français

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Description


Économie de survie ou fraude massive ? Le phénomène du travail au noir est complexe. Hubert Prolongeau est parti sur le terrain à la rencontre de ceux qui bossent " au black ".
Pour la première fois, ils se racontent...





Officiellement le travail au noir représente en France 5 % du PIB, soit un manque à gagner d'une dizaine de milliards d'euros pour l'État. Officieusement, ce chiffre serait nettement supérieur, avoisinant les 10 %. Qui n'a jamais travaillé au noir ou accepté qu'on travaille au noir pour lui ? Une pelouse à faire tondre, un enfant à garder, une tuyauterie à faire réparer ? Dès que cela nous paraît plus simple, économique ou pratique, nous n'hésitons pas à franchir la frontière légale en oubliant, comme le rappelle la loi, que le travail dissimulé est une infraction passible d'amendes et de poursuites. Mais la réalité du travail au noir devient autrement plus complexe lorsque ce sont des entreprises qui ne déclarent pas leurs salariés ou lorsque, par contrainte plus que par choix, le travail au noir devient, pour certains, la seule façon de survivre. On est alors loin du petit boulot qui dépanne ou du simple service rendu. L'État a beau tenter de légiférer et durcir le ton, la réalité du travail au noir perdure. Pire, elle gagne du terrain et touche aujourd'hui de plus en plus de secteurs.
" Ils ont été faciles à trouver et difficiles à faire parler ", révèle Hubert Prolongeau au terme de son investigation. Parti sur le terrain pour rencontrer ceux pour qui le travail au noir est désormais synonyme de quotidien, le journaliste s'est d'abord confronté à un mur de silence. Le travail au noir, on le pratique mais on n'en parle pas. Motus. C'est finalement sous couvert d'anonymat que la plupart des contacts établis ont choisi de lever le voile sur leur vie professionnelle et accepté de raconter leur histoire.
Modeste a quitté le Rwanda et distribue des prospectus à Paris. Il a longtemps habité dans un squat. Singh, venu du Bangladesh, vend des petites tours Eiffel face à l'esplanade du Trocadéro. Mme Zhou, venue de Chine, travaille depuis plusieurs années dans les ateliers de confection à Aubervilliers. Tadesz, le Polonais, œuvre sur les chantiers. Le travail est là mais tous sont précaires et fragilisés socialement. Pareil pour Marie, la nounou, Mme Carvalo, la concierge, Marie-Jeanne, l'ancienne corsetière de chez Lejaby, qui est devenue femme de ménage après son licenciement. Sillonnant le pays, Hubert Prolongeau dresse le portrait méconnu de cette France silencieuse.
Comment en sont-ils arrivés là ? Peuvent-ils s'extraire de la logique pernicieuse ? Au travers des témoignages recueillis, on découvre des vies entières assujetties à la loi du silence et à l'usure de la précarité.





Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 avril 2013
Nombre de lectures 77
EAN13 9782221129593
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DU MÊME AUTEUR
Documents et essais
La Vie quotidienne en Colombie au temps du cartel de Medellin , Hachette, 1992
Sans domicile fixe , Hachette, 1993 ; Pluriel, 1994
Une mort africaine , Seuil, 1995
Lourdes, sa vie, ses œuvres , Hachette, 1997
Le Curé de Nazareth , Albin Michel, 1998 ; Esprits libres, 2002
Partis sans laisser d’adresse , Seuil, 2001 ; J’ai lu, 2002
La Cage aux fous , Librio, 2002
Comme un veilleur attend la paix : entretiens avec Émile Shoufani , Albin Michel, 2002
Victoire sur l’excision , Albin Michel, 2006
Exclus : Le samu social international , Albin Michel, 2008
Amazonie, une mort programmée ? , Arthaud, 2009
Travailler à en mourir, avec Paul Moreira , Flammarion, 2009
Machiavel , Gallimard, 2010
Les Cent Livres les plus drôles , Librio, 2010
Romans et nouvelles
La Colombe blanche , Le Masque, 1998
L’Œil de Diderot , Librairie des Champs-Élysées, 1998
Le Cauchemar de d’Alembert , Librairie des Champs-Élysées, 1999
La Nièce de Rameau , Librairie des Champs-Élysées, 1999
L’Assassin de Bonaparte , Le Masque, 2001 ; Le Livre de poche, 2005
Leila la nuit , Le Masque, 2003
Le Baiser de Judas , Grasset 2004 ; Le Livre de poche, 2006
La Mort de l’amie , Stock, 2005
Doubles faces , Belfond, 2005
Les papillons n’ont pas de mémoire , Belfond, 2007
Américain, Américain , Flammarion, 2008 ; J’ai lu, 2010
Méfaits divers , Rivages, 2012
Hubert Prolongeau
Ils travaillent au noir
© Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2013
En couverture : © Darren Whittingham / Fotolia.com
ISBN 978-2-221-12959-3
Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales
À Anne-Laure, collègue de bureau…
Avant-propos

C’est une journée comme une autre pour Louis Lambert. Ce matin, il est parti de chez lui après avoir pris une douche dans le bac que lui a réparé un ami plombier, à qui en échange il avait rendu le service de lui faciliter l’entrée en crèche de son petit dernier : Louis Lambert est employé à la mairie de Levallois-Perret et y a quelque influence. Il petit-déjeune sur la terrasse terminée par un maçon qu’il a déclaré seulement pour un quart du temps effectué, se garantissant ainsi contre un accident. La table sur laquelle il pose son bol a été dénichée dans un vide-grenier. Quand il a fini, il met dans son sac le livre qu’il est en train de lire, acheté devant le marché à un vendeur installé sur des tréteaux. En sortant, mécontent, il enlève de sa boîte aux lettres les prospectus qu’y a déposés un démarcheur.
Descendant la rue Victor-Hugo pour aller vers la mairie, Louis Lambert achète quelques marrons à un marchand ambulant. Il passe en face du Kiloutou devant lequel attendent une dizaine de Polonais. Au coin de la rue, un immeuble est en construction, sur le chantier duquel s’active une majorité d’ouvriers de couleur. Il entre dans la mairie et regarde le portrait de son patron, Patrick Balkany, condamné à 230 000 euros d’amende pour avoir utilisé à son seul profit du personnel municipal.
À midi, il déjeune dans un petit restaurant. Il y a trois serveuses et deux hommes en cuisine. Si l’après-midi, Louis a un petit creux, il va généralement acheter un Coca et un Mars à un vendeur à la sauvette qui est là tous les jours et propose aussi des souvenirs de Paris en fer-blanc.
Ce soir, Louis ira au théâtre, et glissera un euro de pourboire à l’ouvreuse. En attendant la baby-sitter, fille d’un de ses amis qu’il paie vingt euros la soirée, il grignote une pizza apportée par un livreur et se demande quelle chemise mettre parmi celles que lui a repassées cet après-midi sa femme de ménage non déclarée.
Le plombier et le maçon, le vide-grenier, le livre vendu au marché, les prospectus déposés dans sa boîte, le vendeur de marrons puis celui de Coca et de Mars, les ouvriers qui attendent devant le Kiloutou et ceux qui sont déjà sur le chantier, le détournement d’employés municipaux, les cuisiniers du restaurant, le livreur de pizzas, la femme de ménage non déclarée, l’ouvreuse qui touche ses pourboires et la baby-sitter payée de la main à la main : en une journée Louis Lambert aura rencontré ou pu rencontrer une quinzaine de travailleurs au noir, certains avérés (ceux qu’il emploie lui-même), certains tolérés (les vide-greniers), les autres (livreurs, serveurs…) œuvrant dans des secteurs très gangrenés par la pratique.
Bon, allez, on se dit tout : vous aussi, non ? Comment, non ? Jamais ? Je n’y crois pas. Vous avez peur de le dire, c’est ça ? Bon, je commence. L’été dernier, j’ai voulu faire creuser une tranchée dans mon jardin. J’ai contacté une entreprise : j’attends encore son devis. Alors, après une semaine, à la boulangerie, j’ai vu la petite annonce d’un homme faisant des travaux de jardinage. Il est venu avec une pelleteuse, et m’a fait ça dans l’après-midi. Nous étions convenus d’un prix, 400 euros. Le moment venu, il m’a dit que si ça m’arrangeait, il prendrait du liquide, ce qui me coûterait un peu moins cher. Les billets ont changé de main.
L’année dernière, mes parents ont été hospitalisés. Il nous a fallu, à nous leurs enfants, reprendre leurs comptes. Depuis une vingtaine d’années, ils employaient un jardinier qu’ils avaient payé en salaire puis en chèques emploi service. Chez un autre employeur, ce jardinier a eu un accident du travail pour lequel il a été immobilisé et a touché des indemnités. Afin de ne pas les perdre, il a convaincu mes parents de le payer désormais au noir. Ils ont accepté, et l’ont donc rétribué pendant cinq ans illégalement, jusqu’à ce que nous nous en apercevions, constatant d’ailleurs par la même occasion que ledit jardinier maquillait certains de leurs chèques pour en décupler la valeur.
En novembre dernier, j’ai voulu faire réparer les freins de mon vélo. Il était midi et demi. L’ouvrier était seul, et il m’a fait la réparation sur-le-champ, en allant chercher de nouvelles plaquettes dans la boutique. Puis, au moment de partir, son patron n’étant pas revenu de sa pause déjeuner, il m’a dit que je n’avais qu’à lui donner vingt euros. Normalement, cela m’aurait coûté le double. Pas vu, pas pris…
Alors, vous, maintenant ? Rien, jamais, vraiment ? Pas une baby-sitter payée de la main à la main, pas de petits travaux faits par des voisins bricoleurs, pas de coup de main d’un plombier ami quand, en urgence, votre chasse d’eau fuit, jamais une après-midi de travail sur votre mur abîmé effectué par un petit-neveu maçon à qui on refile un billet de 50 euros en fin de journée « parce que le pauvre, il a quand même bien travaillé… » ? Allons ! Un peu de franchise, que diable ! Le travail au noir, tout le monde en croque. Sans toujours en être vraiment conscient, d’ailleurs : où est le mal à rendre service, quand tout est plus pratique, quand tout est plus simple… ?
Fléau grandissant pour les uns, ajustement structurel spontané pour d’autres, le travail au noir représentait en 2000 1 3,3 % de la richesse produite en France, soit 70 milliards d’euros. En 2010, ce chiffre était monté à 5 %. Les quatre cinquièmes du travail au noir relèvent d’entreprises ayant pignon sur rue. 30 à 40 % des artisans fraudent régulièrement. Et beaucoup estiment qu’en fait la plus grande partie du travail au noir vient de particuliers : gardes d’enfants, bricolage, femmes de ménage… 3 % des gens interrogés par la SOFRES en 2010 avaient recours au travail au noir dans leur vie quotidienne, chiffre forcément sous-évalué, tout le monde ne confessant pas spontanément une activité illégale. Au niveau mondial, les chiffres explosent. Le travail au noir d’après un rapport de l’OCDE de 2009 concernerait plus de la moitié de la population mondiale : les trois quarts des travailleurs en Afrique subsaharienne, les deux tiers en Asie du Sud et du Sud-Est, la moitié en Amérique latine, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et près du quart dans les pays en transition.
La dénomination de « travail au noir » viendrait du Moyen Âge (les serfs allaient travailler en cachette du seigneur à la tombée de la nuit, donc au noir…). C’est une pieuvre. Même si la majorité des infra

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