Roger Bastide ou le rejouissement de l'abîme

Sujets

• Aménagement du territoire
• Sociologie urbaine
• Urbanisme

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 janvier 1985
• Nombre de lectures: 232
• EAN13: 9782296294134
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 11 Mo

Extrait

ROGER BASTIDE
OU LE RÉJOUISSEMENT DE L'ABÎME@L'Harmattan, 1994
ISBN: 2-7384-2781-2ROGER BASTIDE
on
, A
LE REJOUISSEMENT DE L'ABIME
Échos du colloque tenu à Cerisy-Ia-Salle
du 7 au 14 septembre 1992
publié sous la direction de Philippe ÙBURTHE-ToLRA
Éditions L'Harmattan
5-7, rue de L'École Polytechnique
75005 ParisColloque
du Centre culturel international
de Cerisy-Ia-Salle :
ROGER BASTIDE ET LE MULTIPLE
Cultures, intercultures, hétérocultures
Sous la direction de Philippe LABURTHE- TOLRA
Liste des participants:
Séverin-Cécile ABEGA, Marion AUBREE, Suzanne BASTIDE, Christiane
BASTIDE, Guy BELL ONCLE, Charles BEYLIER, Thérèse BLOCH,
Véronique BULTEAU, Christine BUREAU, René BUREAU, Jacquy
CHEMOUNI, Souad CHENAF, Anne CLANCIER, Béatrice
COMPAINGOUHIER, Denys CUCHE, Denise DAUTY, George et Mrs DE VOS,
Françoise DUCARRE, Marguerite DUPIRE, Sylvie FOUGERAY, Jeanine
FRIBOURG, Gérard GRANDIN, Philippe LABURTHE-TOLRA, Camille
LACOSTE-DUJARDIN, Marie LAMOUREUX, Norbert LE GUERINEL,
Henrique LEEMANN, Michel MAFFESOLI, André MARY, Patrick
MAUBERT, Maurice MAUVIEL, Françoise MORIN, Roberto MOTTA,
Emmanuel NGUYEN VAN TU, Marie-Cécile ORT/GUES, Renato ORTIZ,
Marie-Josèphe PARIZET, Maria [saura PEREIRA DE QUEIROZ, François
RA VEAU, Claude RA VELET, Hélène REBOUL, Françoise REUMAUX,
Lucienne ROUBIN, Jacqueline ROUMEGUERE-EBERHARDT, Pierre-Jean
SIMON, Ida SIMON-BAROUH, Pierre TITI NWEL, Muzaffer TUFAN,
Pierre VERGER.
Les noms en italique sont ceux des intervenants, auteurs de
communications.
Ont été empêchés, ont exprimé de vifs regrets, ont envoyé des textes ou
participé à la journée d'hommages à la Sorbonne le 16 septembre :
Sélim ABOU, Georges BALANDIER, Bruno BREVAN, Abdelwahab
BOUHDIBA, Mario CARELLI, Chryssoula CONSTANTOPOULOU, Henri
DESROCHE, Gilbert DURAND, Charles MORAZE, Jean POIRIER, Claude
RIVIERE, Louis-Vincent THOMAS, Jean ZIEGLER.1
LE RÉJOUISSEMENT DE L'ABÎME
Philippe LABURTHE-TOLRA *
«On m'avait défini jadis: celui qui tourne autour de tous les
gouffres, pour sentir la séduction de leurs vertiges, mais qui s'attache
bien au mtlt du navire; il veut écouter les Sirènes, mais pas se noyer».
En ces lignes inédites que révèle ici Françoise Morin, Roger
Bastide se réfléchit devant l'attrait du vide qu'exercèrent sur lui les
événements de mai 68. Ils lui renvoient l'image exemplaire d'Ulysse.
Bastide se trouve entouré de positivistes aux oreilles bouchées.
Pourtant, c'est leur rationalisme qui rame et va permettre à l'Odyssée
du chercheur de se poursuivre.
Nous restons fidèles à cette position du maître. Face aux
restrictions qu'impose la crise actuelle de l'édition, nous avons cru
devoir privilégier ici, hormis quelques confidences, celles des
communications qui, dans la lignée de Leibniz, considèrent le sensible
comme de l'intelligible confus; celles qui traquent le sens et l'unité au
sein du multiple; celles qui assignent au concept la tâche de cerner ou de
saisir difficilement les raisons mouvantes des délires et des affects.
Non certes sans en reconnaître les voluptés. Pour un intellectuel
aussi ouvert à la mystique et aux lettres que Bastide, le souvenir d'un
autre homme attaché au mât devait se superposer à celui du prince aux
mille ruses: l'image du père jésuite qui ouvre l'action à la scène I du
Soulier de Satin. Claudel lui-même ne songeait-il pas à Ulysse?
Toujours est-il que, pour son personnage lié debout sur un bâtiment qui
sombre, attaché à sa croix qui flotte libre sur la mer, la plongée attendue
au sein du gouffre paraît bien n'être qu'ivresse:
Université René Descartes, Paris V, Sorbonne*Philippe IAburthe-Tolra8 -
«Et si je me croyais abandonné, je n'ai qu'à attendre le retour de
cette puissance immanquable sous moi qui me reprend et me remonte
avec elle comme si pour un moment je ne faisais plus qu'un avec le
réjouissement de l'abîme...»
Or, qui sait si cette sage assomption de la folie ne serait pas ce
qui permit justement de demeurer raisonnable? La béance, thème
central chez Claudel, ordonne pour lui le monde à l'Eros divin. Plus
humainement, sur le plan conceptuel, la faille de l'art, de la foi ou de la
passion, comme l'a déjà mis en lumière le Kant de la Critique du
Jugement, empêche la raison de devenir totalitaire, c'est-à-dire
déraisonnable. Le vertige est proche du doute, qui est âme et moteur de
la science moderne. La prise en compte des pensées marginales aussi
bien que la crainte d'être trompé empêchent l'adhésion naïve à tout
Savoir Absolu constitué. L'habitude et la pratique du délire amènent à
le sentir, à le discerner dans la morgue de certaines prétentions
péremptoires dites scientifiques. Le regard distancié, relativisé, conduit
à respecter la place du désordre, à sauver la science du dogmatisme. A
préférer, par un réflexe acquis comme d'instinct, les analyses modérées
d'Aron à la dialectique passionnelle de Sartre.
Mais n'est-ce pas alors défier la certitude de soi des Vadius et des
Trissotin? Un certain établissement (au sens pascalien du mot, bien
sûr) ne pardonnera jamais à Bastide et à ses disciples d'être resté en
retrait des partis scolastiques à la mode, et des dogmes canonisés
comme théorie. TIfaut s'être trompé de concert, et rester ainsi à jamais
compagnons de route de longues erreurs. L'audace ou le courage de
leur avoir dit non se paie cher. Le C.N.R.S. a refusé toute subvention à
ce colloque, et les demandes d'éclaircissement à ce sujet sont restées
sans réponse de la part de son directeur. En tête de son classement
figurait une réunion sur le droit médiéval espagnol.
Cependant, si l'on en croit B. Badie et M. C. Smouts, c'est la
dissolution des empires et des souverainetés qui caractérise le
Retournement du monde actuel, au profit d'allégeances inattendues,
souvent ressurgies du passé sur fond d'anomie ou de mixages. Terreur
des désordres ou vertiges de la liberté, joie des gouffres? Cette
actualité, comme on le verra par les pages qui suivent, donne sa vraie
modernité à la pensée critique hors mode qu'incarnaient lesrecherches
aventureuses et pourtant scrupuleuses de Bastide. Pensée hors ThéorieLe rijouissement de Z'ab1me - 9
au sens de paradigme universel, mais non sans théorie au sens
scientifique d'éclaircissement partiel et provisoire, quoique exemplaire.
Sans doute, ici comme sur le plan politique, les totalitarismes vont-ils
désormais se dissoudre pour faire place à des allégeances plus lâches
entre familles d'esprits. Ainsi se trouvèrent regroupés en affiliation à ce
colloque nombre de ceux qui s'inspirent de celui qui, peut-être à l'instar
de Socrate, refusait de "faire école".
Il a malheureusement fallu sabrer parmi les communications
données studieusement à Cerisy, trente et une, voire davantage, si l'on
ajoutait celle des intervenants empêchés par des problèmes de santé ou
d'administration, tels les professeurs Bouhdiba, Constantopoulou,
Durand, Poirier, Thomas, ainsi que les conférences du 16 septembre,
journée internationale d'hommage à la Sorbonne. Plusieurs, mais ce ne
fut pas un critère déterminant, excédaient les préalables de limite
assignée aux interventions. Le texte de certaines ne nous est pas
parvenu à temps. D'autres se recoupaient ou paraissaient plus
marginales. L'ensemble est évoqué ici, et tout sera publié au fur et à
mesure dans les cahiers de Bastidiana, mais sans les discussions
souvent approfondies qui les suivirent. L'on ne trouvera ici qu'échos,
morceaux choisis, extraits, fragments des riches heures de Cerisy.
Les critères qui ont présidé à la présente sélection ont été fonction
d'une double préoccupation: celle de dégager l'apport de Bastide à
l'histoire ou si l'on préfère à la construction conceptuelle de la
sociologie; celle de souligner son rayonnement dans des domaines
d'application en donnant la préférence qui leur revenait à nos hôtes et
invités étrangers. D'où le regroupement des textes retenus en deux
parties bien classiques: théorie et pratique.
Le recueil se devait de s'ouvrir, me semble-t-il, sur Bastide lui.
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