Humeurs
298 pages
Français
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Description

Cet essai soumet à l'analyse le phénomène de l'écoulement corporel comme processus créateur dans ce qu'il possède de plus vaste, étrange et troublant. L'art contemporain en est le terrain de jeu symptomatique, scrutant par ses pratiques chacune des failles d'un corps qui se fait œuvre, mais il est surtout celui qui met à jour un regard critique et autorise une lecture plastique, hétéromorphe et transversale de l'art passé, fondant son herméneutique sur une approche affranchie et créatrice.

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Date de parution 01 juin 2011
Nombre de lectures 78
EAN13 9782296463776
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Humeurs
© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-54259-4 EAN : 9782296542594
Claire Lahuerta Humeurs L’écoulement en art comme herméneutique critique du corps défaillant
L’Harmattan
Ouverture philosophique Collection dirigée par Aline Caillet, Dominique Chateau, Jean-Marc Lachaud et Bruno Péquignot Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique ; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou… polisseurs de verres de lunettes astronomiques. Dernières parutions Jean-Paul CHARRIER,Le temps des incertitudes. La Philosophie Captive 3, 2011. Jean-Paul CHARRIER,Du salut au savoir. La Philosophie Captive 2, 2011. Jean-Louis BISCHOFF,Lisbeth Salander. Une icône de l’en-bas,2011. Serge BOTET,De Nietzsche à Heidegger : l’écriture spéculaire en philosophie, 2011. Philibert SECRETAN,Réalité, pensée, universalité dans la philosophie de Xavier ZUBIRI, 2011. Bruno EBLE,Le miroir et l’empreinte. Spéculations sur la spécularité, I, 2011. Bruno EBLE,La temporalité reflétée. Spéculations sur la spécularité, II, 2011. Thierry GIRAUD,Une spiritualité athée est-elle possible ?,2011. Christophe SAMARSKY, Le Pas au-delàde Maurice Blanchot. Écriture et éternel retour, 2011. Sylvie MULLIE-CHATARD,La gémellité dans l’imaginaire occidental. Regards sur les jumeaux, 2011. Fatma Abdallah AL-OUHIBI,L’OMBRE, ses mythes et ses portées épistémologiques et créatrices, 2011. Dominique BERTHET,Une esthétique de la rencontre, 2011. Gérald ANTONI,Rendre raison de la foi ?,2011. Stelio ZEPPI,Les origines de l’athéisme antique, 2011
Et pour ce que les femmes ne se montrent volontiers en public seules, je vous ai choisie pour me servir de guide, vous dédiant ce petit œuvre, que ne vous envoie à autre fin que pour vous adresser du bon vouloir, lequel de long temps je vous porte, [et vous inciter et faire venir envie, en voyant ce mien œuvre rude et mal bâti, d’en mettre en lumière un autre qui soit mieux limé et de meilleure grâce.] Louise Labé à M.C.D.B.L., 24 juillet 1555 Je remercie Éliane Chiron. Pour être ou avoir été présents, mes remerciements vont également à François R. Aubral, Bernard Lafargue, Marc Jimenez, Jacques Abeille, Bernard Andrieu.
 « On ne se baigne pas deux fois dans un même fleuve, parce que, déjà, dans sa profondeur, 1 l’être humain a le destin de l’eau qui coule.»Gaston Bachelard PRÉLUDE Cet essai soumet à l’analyse le phénomène de l’écoulement corporel comme processus créateur dans ce qu’il possède de plus vaste, étrange et troublant. L’art contemporain en est le terrain de jeu symptomatique, scrutant par ses pratiques chacune des failles d’un corps qui se fait œuvre, mais il est surtout celui qui met à jour un regard critique et autorise une lecture plastique, hétéromorphe et transversale de l’art passé, fondant son herméneutique sur une approche affranchie et créatrice. Les humeurs, au sens physiologique (liquides corporels) et symbolique (passions) du terme, s’imposent comme le vecteur privilégié d’une exégèse très singulière, et charrient le corps pour le frayer vers une défaillance qui le fonde : le corps écoulé est épuisé, enrayé dans son fonctionnement, se faisant à lui-même défaut. Défaillant en tant qu’inapte à la représentation, il est ce corps déconnecté de ses forces constitutives qui ne se réinstaure que par sa caducité assumée. Évacuant sciemment tout ce qui relèverait de près ou de loin de pratiques de type performatif trop restrictives, ou plus clairement à caractère sexuel, il s’agira ici de comprendre comment le corps qui coule – dans son universalité interprétative, et en dehors de toute volonté symboliquement et exclusivement 1  Gaston Bachelard,L’eau et les rêves, Essai sur l’imagination de la matière, coll. Biblio Essai, Livre de Poche, éd. José Corti, Paris, 1942, p.13.
éjaculatoire – produit dans sa fuite un basculement vers l’art en acte. Comment ce corps percé perméable et défaillant devient, par le truchement d’un dispositif plastique, le corps puissant de l’œuvre en process ? De nombreux auteurs du champ de l’art et des sciences humaines ont abordé, de manière souvent ponctuelle, le thème des sécrétions corporelles dans leurs recherches, certains en ont d’ailleurs donné une approche originale. La psychanalyste Luce Irigaray notamment a délimité la singularité et les différences d’approche des hommes et des femmes face aux sécrétions, et leur impact en particulier dans le caractère social et les phénomènes d’incorporation des hiérarchies sexuelles. Dans un ouvrage surLes femmes, la pornographie, l’érotisme, elle écrit : « Cette “horreur” du sperme que des femmes vous ont dit éprouver ne me semble pas une réaction qu’elles auraient de manière spontanée. À moins, mais c’est souvent le cas, que l’homme n’utilise son sperme comme un instrument de domination, en particulier en le faisant 2 entrer en rivalité avec le lait.» . Sous cet angle d’analyse, les hommes auraient un rapport problématique à leur sperme, et, ne sachant pas vraiment comment se situer envers lui, ils ressentiraient l’éjaculation comme une perte vitale engendrant une angoisse archaïque d’improductivité, une “dispersion de l’intérieur de leur corps”, une “liquéfaction de leur consistance”. À cela s’ajoutent les traces honteuses de leur jouissance qui font tacheet stigmatisent l’interdit de la masturbation. Pour les femmes au contraire, le sperme serait perçu comme un fluide, « comme liquide s’écoulant du corps, 2  Luce Irigaray, inUn regard écoeuré/fasciné,Les femmes, la pornographie, l’érotisme, sous la direction de Gilles Lapouge et Marie-Françoise Hans, coll. Libre à elles, éd. du Seuil, Paris, 1978, p.302.
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comme flux signifiant le désir ou la jouissance. Elles le supportent plus difficilement lorsqu’il est imaginairement rapproché des fèces, de la défécation. Or n’est-ce pas ainsi que l’éprouvent beaucoup d’hommes ? […] Leur difficulté à aimer-désirer leur sperme, les hommes ne la font-ils porter – parmi tant d’autres…-, aux femmes ? Et les scènes de films pornographiques où les hommes barbouillent, enrobent, maculent le corps de la femme de sperme, ne signifient-elles fréquemment une sorte de revanche agressive ? Ou le dépôt triomphal, sur elles, de ce que, secrètement, ils éprouvent-réprouvent comme souillure ? Ces gestes, qui pourraient être beaux, s’exercent dès lors comme signes de domination, voire 3 d’abjection… » . Luce Irigaray offre ici une analyse pertinente du rapport des hommes et des femmes à leur sexualité par le biais de leurs sécrétions et de la gestualité complexe qu’elles induisent. Elle souligne également, dans une veine théorique marquée de militantisme féministe, que le sentiment de s’écouler en pure perte reste une angoisse profondément masculine et étrangère au féminin, à moins, bien entendu, que les hommes ne reportent et ne guettent en elles les signes extérieurs de cette angoisse, affirmant ainsi par opposition leur puissance à eux. Ce problème d’un certain rapport au corps se pose essentiellement dans la culture occidentale, et il s’était avéré lors d’une étude préalable sur la 4 pornographie que le rapport des couples aux sécrétions 3 Luce Irigaray,ibid, p.303. 4  Voir Claire Lahuerta,Nobuyoshi Araki, photographe de l’Extrême Orient : témoignage complexe d’une mutation, inNude or Naked ? érotiques ou pornographies de l’art, Revue d’Esthétique Figures de L’Art n°4, sous la direction de Bernard Lafargue, éd. Eurédit, 1999, p. 267-284.
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s’exerce selon des modalités très différentes dans d’autres cultures, en particulier au Japon.Mais bien au-delà des sécrétions comme thématique c’est leprocédé sécrétoireimporte dans les œuvres qui humorales. Ainsi le corps qui coule, qui « s »’écoule, reste souvent dans les représentations mentales des hommes comme des femmes un corps fuyant, en pure perte, négatif et non performant. Dans la réalité physiologique, le corps en ruine va indiscutablement et irrémédiablement vers sa propre mort. Éprouvant l’hypothèse, à la suite des conclusions d’Irigaray, que le corps qui coule peut être envisagé autrement qu’en pure perte, cet essai entrevoit l’idée que la sphère artistique perçoit ce phénomèneétrangement inquiétantcomme étant inversement positif d’écoulement et fédérateur d’une métamorphose, d’une transfiguration qui ferait basculer le corps organique naturel vers un corps archaïque et créateur, archétypal et hybride. Ce que chacun percevrait comme le comble de l’horreur dans une situation quotidienne – un corps qui coule de manière hémorragique et sans interruption, se vidant de sang, d’eau ou de n’importe quelle substance – devient un spectacle fabuleux, séduisant et extraordinaire sur la scène artistique. L’horreur n’est plus incompatible avec le sublime, peut-être même y est-elle mêlée… C’est ce moment de basculement, de transfiguration, suivi de l’émergence d’un corps nouveau, anadyomène, qui, ici, fait œuvre.
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