Ephémère éternité
109 pages
Français

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Ephémère éternité , livre ebook

109 pages
Français

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Description

C'est à un jeune poète de vingt ans, venu d'Alexandrie, que Georges Brassens lança en 1954 : " Chante, Moustaki ! Ta chanson s'envolera... " Quinze ans plus tard, Georges Moustaki confiera au vent ses notes et ses mots : " Avec ma gueule de métèque, / De juif errant, de pâtre grec... "Le Métèque deviendra un succès international, puis un " standard " mondial au même titre que Milord, chanson qu'il avait écrite pour Édith Piaf en 1958.




Il signera aussi quelques merveilles pour Barbara (La longue dame brune) et pour Serge Reggiani (Ma liberté, Ma solitude, Sarah, etc.). Mais, à partir de 1969, suivant le conseil de Brassens, il n'hésitera plus à défendre lui-même son répertoire.




" Mes chansons, confie-t-il, ont le poids de ce que je vis. " Comme autant de pages d'un journal intime mises en musique, elles célèbrent et donnent à aimer tout ce qui fait le sel de l'existence : les rencontres et l'amour, les voyages et la littérature, l'art et la liberté ; elles stigmatisent sans hésiter tous les systèmes humains qui contraignent, humilient, blessent et détruisent ; elles plaident pour une " révolution permanente ".




Artiste tendre s'il en est, " nonchalant qui passe ", Georges Moustaki, sans hausser le ton, ne manque jamais de s'engager avec force dans le seul parti qui vaille sous toutes les latitudes : celui de ses " frères humains ". Car tel est son chant, telle est sa philosophie joyeuse et contagieuse : " Nous avons toute la vie pour nous amuser / Et toute la mort pour nous reposer. "


Éphémère éternité
: un art de vivre décliné en chansons.





Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 mars 2013
Nombre de lectures 101
EAN13 9782749132396
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture

Georges Moustaki

ÉPHÉMÈRE ÉTERNITÉ

Chansons choisies

Édition établie et présentée
par Marc Legras

Prologue de Georges Brassens

COLLECTION CHANTS LIBRES

Direction éditoriale : Jean-Paul Liégeois

Couverture : Lætitia Queste.
Photo de couverture : © Horst Tappe/Fondation Horst Tappe/Roger-Viollet.

© le cherche midi, 2013
23, rue du Cherche-Midi
75006 Paris

Vous pouvez consulter notre catalogue général
et l’annonce de nos prochaines parutions sur notre site :
www.cherche-midi.com

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

ISBN numérique : 978-2-7491-3239-6

dans la même collection

Francis Cabrel, C’est écrit, 2009.

PROLOGUE

Chante, Moustaki !

Il existe encore des poètes. Mais ils se cachent çà et là entre deux pierres ou dans des trous d’aiguille. On les traque sans relâche. (Pères indignés. Faut embrasser une carrière. Gagner sa vie. Que vont dire les gens !)

Ils meurent presque tous très jeunes, les poètes ; et l’homme leur survit, comme on raconte. Bien sûr, un certain nombre échappe au massacre.

Et alors, on les fête comme une victoire nationale. On les cajole, on les appelle « Cher maître », on les prend au sérieux, on se délecte à les écouter chanter leur « sans feu ni lieu » d’avant la ratification (les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux de Richepin ou d’ailleurs). Mais quand ils n’en menaient pas large, on leur fermait la porte au nez. Moustaki en est un. Il a eu vingt ans tout à l’heure et c’est plus difficile qu’on ne le suppose (le petit cheval de Paul Fort dans le mauvais temps, qu’il avait donc du courage !). Il écrit des chansons entre les lignes. Il aurait pu bâcler des insanités et se faire chanter par la canaille lyrique. Il a choisi les chemins escarpés, les chemins coupés. Il fait confiance au public. Il aura sa récompense.

Un temps viendra où les chiens auront besoin de leur queue et de Moustaki, poète inébranlable ; et ceux qui s’apprêtent à le mordre aujourd’hui lui passeront la main dans les cheveux, s’il lui en reste.

Soyez bons pour les animaux, même les tigres. Chante, Moustaki ! Ta chanson s’envolera vers des oreilles. Le temps s’en charge. Tu n’es pas seul. Écoute Guy-Charles Cros :

« Avec des mots chantés à voix profonde et douce,

Avant qu’un peu de terre n’emplisse notre bouche,

Confier à la vie notre lucide amour.

C’est là notre travail sans trêve et notre fête,

Notre raison de vivre et de mourir poète,

Notre unique et divin recours. »

Georges Brassens
Mai 1954

INTRODUCTION

Du temps de vivre
au temps de la mémoire

Sa vie est un long voyage commencé dans la seule librairie française d’une ville aux odeurs de jasmin et de maïs grillé : Alexandrie. Fils de cette cité bruissant de tous les idiomes de la Méditerranée, Georges Moustaki a grandi dans la langue française en rêvant d’une capitale dont lui parlaient livres, films et chansons : Paris, découverte un jour de l’automne 1951 ; Paris, une escale dont il fera son point d’ancrage.

Milord, par Édith Piaf, transforme ce figurant de la chanson, courant le cachet dans les cabarets de la rive gauche, en auteur à succès. À moins de trente ans, ses droits d’auteur lui permettent une sorte de préretraite dans l’île Saint-Louis où il pose son bagage. Cultivant l’oisiveté, mère de tous les délices, il y égrène amours, amitiés… et chansons qui attirent l’oreille de Barbara, Serge Reggiani, jusqu’au jour où un nouveau succès braque les projecteurs sur sa « gueule de Métèque ».

En phase avec les idées et l’esprit d’une jeunesse aspirant à un monde neuf, fraternel, libre et joyeux, avec sa barbe de sage et ses « cheveux aux quatre vents », il a le profil idéal du grand frère, de l’amant ou de l’ami de cœur.

Tissant ses couplets dans la lignée d’une chanson française privilégiant l’idée et le bel ouvrage, il commence à parcourir le monde, nous le rapporte avec ses mots et les sonorités glanées auprès de ses amis musiciens de Méditerranée, d’Amérique latine, des Antilles, du Japon.

Chacun de ses disques est le chapitre d’un journal intime mis en musique, porté par les mélodies, célébrant un lieu, un moment, une rencontre, ou stigmatisant les blessures et les travers de l’époque. Ce « nonchalant qui passe » à l’esprit vif témoigne à sa façon, sans hausser le ton, engagé dans le seul parti qui vaille sous toutes les latitudes, celui de l’Humain.

Les plus populaires parmi ses quelque trois cents chansons jalonnent nos souvenirs, nos intimes cheminements. Du temps de vivre et d’aimer au temps du regard sur l’autre et sur le monde, puis au temps de la mémoire, elles sont ici quelques dizaines : comme un bouquet, des plus évidentes aux plus discrètes. Pour peu que l’on soit disposé à se laisser surprendre une nouvelle fois en les lisant, elles apparaissent comme si les années avaient glissé autour d’elles sans toucher à leur fraîcheur, à leur éclat.

Marc Legras

« Il n’y a pas un art de la chanson,
mais mille façons d’en faire une. »

Entretien avec Georges Moustaki

Marc Legras : Tes premiers couplets datent-ils de ton adolescence à Alexandrie ?

Georges Moustaki : J’étais passionné par le jazz — dixieland, be-bop — et très imbibé de chanson française : Charles Trenet, Henri Salvador, Yves Montand, Édith Piaf, Georges Guétary, Jean Sablon. Tous ceux que j’écoutais à la radio. Quand je me promenais, je m’amusais à inventer des chansons, oubliées dès que j’arrivais à l’endroit où je me rendais. Je ne notais rien mais me plaisais à imaginer que j’étais capable de fredonner des choses qui deviendraient des chansons. Le hasard a voulu, peu après mon arrivée à Paris, que j’improvise quelques notes en forme de mélodie sur laquelle mon beau-frère, Jean-Pierre Rosnay, a mis des paroles. C’est devenu ma première chanson. Il ne s’agissait pas d’un pas vers une vocation mais d’une chose née des circonstances, du moment.

 

À l’époque, tu as failli publier un recueil avec une préface de Georges Brassens.

Un éditeur concurrent de mon beau-frère, poète et fondateur des éditions JAR (Jeunes Auteurs Réunis), m’a proposé de publier mes premiers textes. J’ai demandé à Brassens de les préfacer, ce qu’il a aussitôt fait. Mes motivations étaient floues. Je commençais à progresser dans l’idée de faire un pas vers le métier et j’avais besoin d’un recueil pour entrer à la SACEM. Le garçon qui se voulait éditeur n’a pas persévéré. J’ai en mémoire quelques bribes de ces chansons qui n’ont jamais pesé le moindre poids dans mon répertoire.

 

La préface de Brassens n’était-elle pas plus longue que ce qui figure au dos de la pochette de ton album « Le Métèque » (1969) ?

Je n’aurais pas amputé une ligne de Brassens ! J’avais dix-neuf ans lorsqu’il a écrit : « Il aura vingt ans tout à l’heure » ; on l’a transformé en « Il a eu vingt ans tout à l’heure » quand le texte a été publié.

 

Pour entrer à la SACEM, il t’a donc fallu passer l’examen en vigueur à l’époque.

On enfermait le candidat dans une pièce et on lui donnait un titre à partir duquel développer. Pour moi : La Loire est si jolie. J’ai brillamment (!) commencé : « La Loire est si jolie quand se lève le jour./La Loire est si jolie miroir de notre amour. » C’est drôle comme ça m’est resté. J’ai oublié la suite, qui n’a pas plu à ces messieurs de la commission !

Pour la musique, il fallait harmoniser et développer un thème donné. Je n’avais pas voulu me donner le mal d’apprendre la musique pour passer un examen, convaincu qu’on pouvait écrire des chansons sans connaître la théorie. Prestigieux exemples à l’appui, je confortais ma paresse. J’ai donc échoué, après avoir rempli ma portée de notes prises un peu au hasard, ce qui a dû faire bien rire les examinateurs. J’ai, depuis, beaucoup étudié la musique et l’étudie encore, mais elle reste toujours pour moi un obstacle. Je rêverais d’être de ceux qui, face à la partition, la chantent dans leur tête ou dont la main sur l’instrument suit le regard.

J’ai pu jouer proprement de la guitare, du piano, de l’accordéon, mais je n’ai jamais accédé à une sorte de virtuosité, ni même atteint ce que fait n’importe quel pianiste de bar en fumant une cigarette ou en pensant à autre chose. J’ai eu beau travailler consciencieusement instrument et théorie, je n’ai jamais pu les assimiler profondément.

Pierre Mac Orlan avait, lors d’un prix du Disque, voté pour Eden Blues enregistré par Irène Lecarte et m’avait reçu pour me féliciter. Il était un de mes supporters alors que j’avais écrit trois chansons ! « Si je faisais ma biographie, je la ferais en douze chansons, disait-il à l’époque. Je suis capable d’aller au bout d’un roman, d’un essai mais les chansons ça ne se commande pas. » Je ne connaissais pas grand-chose en matière d’écriture de paroles, mes talents de guitariste étaient vraiment limités. Avec le peu de moyens dont je disposais, je ne sais par quel miracle l’idée, inspirée par le roman de John Steinbeck À l’est d’Éden, est devenue la chanson Eden Blues.

 

Cette chanson reflète une ambiance. Elle a un cadre, des personnages.

Elle a également une mélodie ! Mon point fort peut-être. Je n’ai pas la science de l’orchestration. Mais celle des mélodies, oui. Aznavour m’a un jour soufflé à l’oreille : « Joue ta mélodie d’un doigt au piano et, si elle tient le coup, garde-la ! » Il prêchait un convaincu.

 

On se souvient de la version d’Eden Blues par Édith Piaf.

Yvette Giraud – belle tessiture et très beau phrasé – l’a très bien enregistrée entre-temps. Édith Piaf a commencé par enregistrer Un étranger, puis, comme elle voulait me mettre en valeur, elle a réuni dans un 45 tours Eden Blues, Les orgues de Barbarie et Le gitan et la fille, composée en pensant à elle avant de la connaître. Je la voyais la chanter sans penser que cela pourrait se réaliser un jour. Comme cette dernière chanson est très longue, le disque (Édith Piaf chante Jo Moustaki, 1958) ne comporte que trois titres. Elle a puisé dans ce que j’avais écrit et interprété des chansons nées à son contact : Un étranger, T’es beau, tu sais (paroles d’Henri Contet), Monsieur Lewis (jamais enregistrée), Milord, Faut pas qu’il se figure (paroles de Michel Rivgauche) dont elle a fait refaire la musique par Charles Dumont après notre séparation.

On connaît peut-être l’anecdote à l’origine de Milord : quelques vers sur une nappe de papier dans un restaurant. Pointant le mot milord, elle me dit : « La chanson est là. » Elle m’a donné l’envie de dévider la pelote de laine pour voir où elle aboutissait. La porte de l’inspiration entrouverte, j’y suis entré. Tout m’a paru simple, évident, rapide. J’ai peut-être, ensuite, modifié un adjectif ou deux. Milord, dans sa structure, sa facture, semble s’inscrire dans le répertoire de Piaf depuis toujours. Quand je relis Milord, je me demande ce qui m’a fourni ce développement, ce vocabulaire.

 

Il y a eu deux versions musicales de Milord

Marguerite Monnot, modeste et scrupuleuse, avait composé deux mélodies pour nous donner le choix. Comme elle était timide, elle ne les a jouées que pour Édith. Exclu de la présentation, de la pièce voisine, je tendais l’oreille sans savoir qu’il y avait deux mélodies. Quand Piaf est venue la chanter, je n’ai pas reconnu la mélodie qui m’avait interpellé et qui me rappelait l’ambiance des bars d’Alexandrie fréquentés par les soldats anglais. C’était un peu insolent de ma part de contredire ces deux géantes, mais j’insistais pour écouter celle qui n’avait pas été choisie. Édith, parce qu’elle ne voulait rien me refuser, a accepté de mauvaise grâce de reprendre la chanson dans sa deuxième version. Elle l’a apprise très vite et me l’a chantée quelques minutes plus tard. Je dois préciser, en hommage à son honnêteté et à son intégrité, qu’elle m’a dit que j’avais eu raison d’insister : la deuxième musique correspond vraiment aux paroles.

Une chanson comme Eden Blues me paraissait réussie, mais Milord a fait mouche tout de suite : ça m’a donné la certitude qu’elle ferait date dans ma vie, ma carrière, dans l’œuvre de Piaf. Ça nous a donné un enthousiasme commun, très chaleureux. Je franchissais une étape tout en ignorant où elle me mènerait. À l’époque, Dalida et Lucien Morisse, son mari ébloui par Milord, m’ont demandé une chanson. Dalida, adorable et qui me rappelait notre Égypte natale, n’a sans doute pas compris quand j’ai dit que je ne savais pas comment on fait et qu’il me fallait un déclic. Piaf, qui s’était entichée d’elle, m’a dit : « Écris une chanson pour moi et nous la lui donnerons. » C’était très généreux de sa part, mais la chanson La Fille aux pieds nus, sur une musique de Marguerite Monnot, n’était pas faite pour elle. Ça s’entend et elle l’a quelque peu malmenée. La suite a voulu qu’au lieu de répondre aux demandes d’autres artistes j’ai préféré continuer à écrire et composer sans courir après le succès ou après les vedettes.

Écrire des chansons, pour moi, ça n’est pas un métier. Il n’y a pas un art de la chanson, mais mille manières d’en faire une. Tu peux commencer par la fin, le milieu, mettre des paroles sur une musique ou vice versa. J’ai rêvé de couplets que je n’avais plus qu’à mettre sur le papier au réveil, et j’en ai écrit d’autres au milieu de la nuit, dans un train, au cours d’un repas. Il n’y a ni technique ni recette, ni clé non plus. Parfois, je suis resté des mois, des années sans écrire. Ou sans le faire savoir, s’il m’arrivait de le faire. Pour moi, il faut qu’une chanson vienne irrésistiblement ou qu’elle soit claire dans ma tête. Quand j’écris en prose, c’est un travail quotidien. S’agissant de chanson, je n’ai pas de discipline. Je n’ai jamais, en quarante ans de scène, fait exactement deux fois le même spectacle. J’en esquissais les grandes lignes pour prendre mes marques, éviter de me lancer dans un brouillard total, mais je n’ai jamais, comme certains de mes confrères, suivi une liste de chansons collée sur ma guitare.

 

Privilégier le jaillissement, la spontanéité, le plaisir de créer est une constante chez toi. Tu mentionnes rarement ton bagage étoffé par des études d’analyse musicale à la Schola Cantorum ; tu parles peu d’un cours classique que tu as suivi à l’Académie de la guitare, ou de ton initiation à la fugue, à l’harmonie, au contrepoint par Michel Puig, compositeur de musique contemporaine.

Quelques conseils glanés ici ou là m’ont sûrement guidé. Comme la recherche du mot exact, héritée de Brassens : j’ai une démarche un peu analogue à la sienne, sans son exigence. Dans le choix des mots, des thèmes, je songe plus ou moins consciemment à son approbation. En me demandant, parfois, s’il m’approuverait. Une rime enrichie a un indéniable charme musical. Une chanson a son rythme propre et, plus elle en contient dans son écriture, moins on a besoin de le souligner. À mes débuts, un auteur à succès, qui écrivait des mots sur la musique et non l’inverse comme moi, m’a conseillé de faire rouler les syllabes sur la musique. « Certains mots chantent et d’autres déchantent », affirmait-il. Imageant son propos de façon méridionale, il m’a transmis un peu de sa manière de faire. Pour Rachel Thoreau, éditrice et auteur pour des gens comme André Claveau, il fallait quasiment commencer une chanson en connaissant sa fin. Elle m’a donné le sens de la chute. Henri Crolla pouvait reprendre douze fois une chanson qui ne le satisfaisait pas pleinement. Simplement parce qu’il pensait pouvoir aller ailleurs ou plus loin, m’affirmait-il. Ça me titillait d’autant plus que, généralement, heureux d’avoir trouvé une musique, je m’en tenais à elle.

Toutes les paroles portent une musique. L’inverse est vrai. C’est la base. Pour le reste, appelons ça comme l’on veut : hasard, grâce, inspiration ? La surprise passée, la chanson finie, j’ai l’impression que je ne saurais pas en écrire d’autres. Je ressens toujours mon manque de savoir-faire après plus de quarante ans de pratique. Trois facteurs entrent dans l’écriture d’une chanson, ai-je répété jusqu’au radotage : l’émotion, l’émotion, l’émotion. La seule recette que je connaisse et reconnaisse tient en une phrase de Reynaldo Hahn : « Il ne faut pas chanter plus haut que son cœur. »

 

Eden Blues et Milord constituent deux jalons importants de ton parcours d’auteur. Quel est le suivant ?

Le Métèque a changé ma vie. Encore aujourd’hui, des gens m’affirment gentiment qu’ils connaissent toutes mes chansons. Ils citent Le Métèque… et rien derrière ! Entre-temps, j’ai rencontré Barbara – lien d’amitié et de travail – qui m’a présenté à Serge Reggiani. Je n’imaginais pas qu’il existait encore des gens de sa stature. Après Piaf, on devient difficile ! Nos chansons m’ont sorti de la retraite où, à trente et quelques années, je me confinais avec volupté.

 

À la fin des années 1960, tu écris pour Serge Reggiani qui prend également quelques-unes des « belles au bois dormant » dans tes tiroirs.

Ma solitude, Votre fille a vingt ans, Fleurs de méninges (cosignée avec Émile Noël) existaient déjà. Ma liberté, écrite sans, lui date de cette période. Je lui reconnais une partie de la paternité de Sarah, qu’il m’a demandée, même si j’ai tenu la plume, choisi les mots, le déroulement. J’ai transcrit une chose communiquée par ma relation avec cet homme que j’admirais depuis le film Les Amants de Vérone et mes quinze ans. Que ma petite histoire intime rejoigne mon trajet de chanteur ou d’auteur, lors de notre rencontre, m’a plu. Il est très important d’admirer les gens pour les servir. Serge Reggiani suggérait quelques thèmes avec sa sensibilité et, mis en condition, vivant un peu dans son ombre, je m’identifiais à lui. Nous avions beaucoup de points communs. Requiem pour n’importe qui est née de cette situation : la chanson n’a pas été écrite pour lui, mais pour nous. Il l’a enregistrée alors que je la chantais sur la scène de Bobino. Nous étions deux compagnons de route sur le même chemin, et j’avais à cœur de rester uni à notre lien.

Écrites pour lui, Madame Nostalgie, Tes gestes, Ce soir, mon amour, Les amours sans importance (cosignée avec Jean-Loup Dabadie), La vieillesse portent la marque d’une sensibilité dont j’étais très imprégné. Je ne l’ai pas habillé en confection, n’ai pas écrit pour lui mais avec lui. Je ne pensais pas à mon vocabulaire mais au sien. Ou bien à lui apporter quelques éléments avec lesquels il était moins familier. Je l’ai englobé dans le processus créatif.

 

À partir du Métèque, les albums se suivent au rythme d’un par an. La question du renouvellement de ton propos se poset-elle à un moment ou à un autre ?

Non. Je suis sorti du Métèque par de nouvelles rencontres, de nouvelles tentations ou inspirations.

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