Leconte de Lisle Poèmes antiques Alphonse Lemerre, éditeur, s.d.(pp. 306-308).
Les Étoiles mortelles
U n soir d’été, dans l’air harmonieux et doux, Doraitles épaisses ramures ; Et vous alliez, les doigts rougis du sang des mûres, Lelong des frênes et des houx.
O rêveurs innocents, fiers de vos premiers songes, Cœursd’or rendant le même son, Vous écoutiez en vous la divine chanson Quela vie emplit de mensonges.
Ravis, la joue en fleur, l’œil brillant, les pieds nus, Parmiles bruyères mouillées Vous alliez, sous l’arome attiédi des feuillées, Versles paradis inconnus.
Et de riches lueurs, comme des bandelettes, Palpitaientsur le brouillard bleu, Et le souffle du soir berçait leurs bouts en feu Dansl’arbre aux masses violettes.
Puis, en un vol muet, sous les bois recueillis, Insensiblementla nuit douce Enveloppa, vêtus de leur gaine de mousse, Leschênes au fond des taillis.
Hormis cette rumeur confuse et familière Qui monte de l’herbe et de l’eau, Tout s’endormit, le vent, le feuillage, l’oiseau, Leciel, le vallon, la clairière.
Dans le calme des bois, comme un collier divin Quise rompt, les étoiles blanches, Du faîte de l’azur, entre les lourdes branches, Glissaient,fluides et sans fin.
Un étang solitaire, en sa nappe profonde Etnoire, amoncelait sans bruit Ce trésor ruisselant des perles de la nuit Quise posaient, claires, sous l’onde.
Mais un souffle furtif, troublant ces feux épars Dansleur ondulation lente, Fit pétiller comme une averse étincelante Autourdes sombres nénuphars.
Chaque jet s’épandit en courbes radieuses, Dontles orbes multipliés Allumaient dans les joncs d’un cercle d’or liés Desprunelles mystérieuses.
Le désir vous plongea dans l’abîme enchanté Versces yeux pleins de douces flammes ; Et le bois entendit les ailes de vos âmes Frémirau ciel des nuits d’été !