Mathilde
122 pages
Français

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Description

Au début des années 60, Mathilde Malaveix vit avec ses parents et ses frères dans une ferme à St Yrieix. Si la campagne limousine vit à cette époque les grandes mutations des sixties, Mathilde, elle, va subir les effets immuables des lourds secrets de famille. Elle sera la victime des sentiments, et bien plus encore des ressentiments de son père Joseph à son égard. Forcée de fuir, son destin la ramène pourtant là où tout a commencé, et là où tout s'achèvera : la fin de son calvaire. Il fallait la mort de son bourreau pour qu'elle renaisse. Stéphane Bein signe ici un roman cynique, violent, mais d'une tendre cruauté.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 31 octobre 2014
Nombre de lectures 120
EAN13 9782365751889
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Stéphane Bein Mathilde
Roman des terroirs de France
1960
I
... Je donne à bon marché de quoi rire de tout / De quoi rire de tout, plutôt que d’en pleurer / Je ne demande rien pour me dédommager / Que voir sur mon chemin la joie que j’ai semée / Je suis le vagabond, le marchand de bonheur, / Je n’ai que des chansons à mettre dans les cœurs / Vous me verrez passer, chacun à votre tour, / Passer au vent léger, au moment de l’amour... C’étaitLes Compagnons de la chansonsur Paris Inter... Sur une plage il y avait une belle fille / Qui avait peur d’aller prendre son bain / Elle craignait de quitter sa cabine / Elle tremblait de montrer au voisin / Un deux trois, elle tremblait de montrer quoi ? / Son petit itsi bitsi tini ouini, tout petit, petit, bikini / Qu’elle mettait pour la première fois / Un itsi bitsi tini ouini, tout petit, petit, bikini... – Putain mais c’est quoi, cette merde ! *** er Cette année-là, au 1 janvier, on abandonnait nos francs chéris pour de nouveaux francs honnis, alors qu’un mois et trois jours plus tard Cuba obtenait cent millions de dollars non dévalués contre quatre millions de tonnes de sucre par an. Cigare ! Le 13 février, la France faisait exploser la Gerboise bleue dans cette Algérie qui déjà se délitait, menant, après une semaine d’émeutes, vingt morts et la destitution de Massu, le général de Gaulle à faire sa deuxième tournée des popotes, conscient que la tambouille ne prendrait que si l’armée française sortait victorieuse de cet ensablement. Pendant ce temps, en ces derniers mois d’hiver, les paysans français,
précurseurs ou héritiers de la Commune, érigeaient des barricades sur les routes, luttant à leur manière contre l’indexation des prix, merci à la PAC votée l’année précédente. Le mois suivant, le franc est mis à flot alors que la France fuit de toutes parts, après le Cameroun, le Sénégal et le Togo volant de leurs propres ailes. Bientôt suivrait le reste de l’empire, mais on s’accroche à l’Algérie, tandis qu’aux États-Unis on donnait le droit de vote aux Noirs pendant que le Ku Klux Klan faisait ses premiers pas. Un joli mois de mai, où un avion retient toute l’attention de l’URSS et des USA, un peu la nôtre, aussi : U2, pas U2. Nikita accède à la présidence et Eisenhower s’incline. Le 9 juillet, les vacances approchant, les juilletistes découvrent les joies de l’autoroute payante... 1960, le monde, la France. Grandeur et décadence... *** Le vieux Malaveix coupa son transistor qui ne le quittait jamais, même quand, comme à présent, il conduisait son tracteur, un magnifique Massey Ferguson 65 de 1959 flambant neuf, acheté à crédit pour la modique somme de 1 942 733 francs, et qui avait au moins le mérite, malgré son nom imprononçable, d’être fabriquéà Beauvais, en France, comme le scandait le Général. Rouge, bien sûr, avec ses deux 1 tonnes d’acier, ses 4 cylindres et ses 50,5 chevaux faisant le boulot de 62 bourrins , pour seulement 20 litres de fuel à l’heure. Utilité relative puisque Joseph Malaveix élevait surtout des bovins. Cent vingt têtes sur vingt-cinq hectares de prés. Mais depuis peu, on lui avait dit, comme s’il pouvait encore apprendre son métierà cinquante-trois ans, que l’herbe aux vaches on devait la planter. Alors il la plantait, la récoltait, et les limousines broutaient. Transistor toujours, quand il rentrait à la maison, quand la mère lui servait le repas, à lui, d’abord, et ses cinq enfants, ensuite. Habitude prise pendant l’occupation, cherchant à capter d’outre-Manche la voix grésillante du Général. Ce même Général qui, après les avoir sauvés, les avait mis dans la panade. Transistor quand, à la veillée, la maman lisait, que les garçons jouaient aux cartes, que la Mathilde, la cadette, faisait la vaisselle dans l’évier. Des nouvelles, des chansons et, depuis peu, de nouvelles chansons. De la merde. Il y avait longtemps qu’il la travaillait, cette terre ; la grattait, comme il aimait à le dire. Depuis quand ? Depuis toujours. Le certif à douze ans, et aux champs pour aider le père qui était fatigué depuis qu’il avait fait la guerre de 14. À Salonique, d’abord, puis dans l’Est de la France, en Forêt Noire, ce gâteau que petit Joseph aimait tant et que le père refusait de voir à sa table, sans jamais dire où il avait creusé sa tranchée. Il en était revenu alcoolique, comme beaucoup, mais pas infirme, comme peu. Vingt litres de gros rouge pour que la chair à canon sorte de son trou en uniforme gris et godillots fabriqués chez Montreux à Limoges, fusil Chassepot obsolète en main et baïonnette en pointe, face à des Allemands bien nourris, presque gras, toujours plus que les rats que le père becquetait, possédant la grosse Bertha et des casques à pointe paratonnerre. On avait regagné l’Alsace et la Lorraine, oui, mais
à quel prix... Le père en avait gardé quelques séquelles : le coude se levant aisément et la main leste. Et puis le vieux avait cassé sa pipe. Un coup de trop et dans le trou. Joseph, seul fils de la fratrie, avait hérité de la ferme, et comme il ne savait faire que ça, il faisait ce qu’il savait faire. Depuis le jour de sa naissance, en ce 31 août 1907, jour de la conclusion de la Triple-Entente entre la France, le Royaume-Uni et la Russie pour prévenir une guerre qui n’aurait pas lieu, il avait été élevé, comme le cul noir du père, pour nourrir la famille. Certificat d’études en poche, il alla à la terre, sur les quinze maigres hectares de son père. Joseph Aimé Malaveix rencontra Adèle Blanche Dumontier le jour de ses vingt-deux ans à lui et de ses vingt et un ans à elle. Enfant, il jouait avec elle, alors que son frère, Jean, s’occupait de sa mère, veuve depuis longtemps et jamais remariée. On ne fréquentait que peu les Dumontier, on prétendait que la vieille avait tué son mari. Il n’y avait bien sûr aucune preuve, mais venant d’une fille Parraud, rien n’était impossible, vu que les filles Parraud étaient toutes malfaisantes. Quoi qu’il en soit, Parraud, Dumontier, ou tout ce qu’on voudra, la dot était alléchante. Dix hectares jouxtant ceux des Malaveix, l’affaire était plus belle que la mariée. La noce eut lieu un mois plus tard et cinq mois après, le 21 mars 1930, naissait Joseph Malaveix junior, que tous s’accordaient à appeler Jojo. Deux ans plus tard naissait dans la cuisine de la ferme familiale Léon Joseph. Assistée par la vieille Solange, tantôt sage-femme tantôt faiseuse d’anges, la mère Malaveix avait mis deux heures à libérer le marmot qui ne voulait pas quitter sa mère. D’ailleurs, aujourd’hui encore, à vingt-huit ans, Léon Joseph ne quittait pas les jupes de sa mère, au grand désespoir du père qui le pensait pédé. À vingt-sept ans, Joseph fut l’heureux papa de Louis Aimé. Suivit l’année du Front Populaire et de ses congés payés qui n’intéressaient que les salariés de la ville; l’année aussi d’Aimé Joseph, né dans le pré un jour de fauchage alors qu’Adèle Blanche fanait le foin coupé. Quatre garçons, qui auraient pu être huit si les années impaires n’avaient pas porté malheur à la famille. On avait besoin de bras pour l’agriculture, ici la relève était assurée ! Et puis il y a eu la guerre, la drôle, qui n’était drôle que pour ceux qui ne sont pas montés au front. Engagé en 39, prisonnier en 40, évadé en 41, Joseph regagnait Saint-Yrieix en 42, se découvrant papa d’une petite Mathilde juste née.
II
Joseph Malaveix coupa son transistor. On entendait depuis quelque temps des musiques indigènes venues des États-Unis, tout comme ce chewing-gum qui vous gâchait la mâchoire, ces cigarettes blondes infumables et leur Coca-Cola qui vous remuait les tripes à en roter à tout bout de champ. Rien de bon n’était venu de ce pays qui prétend nous avoir libérés alors que le maquis, La Violette l’avait déjà fait. Américains encore, non pas ceux du Sud, pas ceux de Colomb, pas ceux de Vespucci, mais ceux du Nord, qui arrivèrent avec leur plan Marshall, comme si nous étions une colonie. Ai-je une tronche de Togolais ? gueulait le père en remplissant son verre. La France ! avait hurlé le Général. Et les Américains avaient quitté la place. Il n’empêchait que son beau tracteur, son Massey Ferguson sur lequel il était juché, était américain, lui, et il ne s’en plaignait pas. Comme quoi, il y a du bon en toute chose. Joseph Malaveix coupa son transistor en voyant approcher à pas mesurés, évitant flaques, boues et mottes, un homme en habits du dimanche, qui venait de tirer son corps trapu d’une Citroën DS aussi noire que son costume. – Alors, père Malaveix, il est content de son engin ? – Mon engin, petit, répondit Joseph Malaveix, il fonctionne du feu de Dieu et c’est pas madame Malaveix qui s’en plaindra. – Et il en est où des semences ? – Les semences elles tarissent avec le temps ! – Z’êtes un marrant vous, père Malaveix ! Celui qui parlait au père Malaveix – qu’on appelait le père depuis la mort de son père, et comme on appellerait aussi Jojo à la mort du sien -, celui qui était descendu de la même automobile noire que le Général, celui-ci était Eugène Dunion. Il était le progrès, il était à lui seul l’homme qui connaissait le futur de l’agriculture, celui qui savait mais n’en disait rien, taisant que le prompt endettement des agriculteurs conduirait à leur disparition comme jadis avaient disparu les dinosaures. Mais le profit était là et Eugène Dunion était payé à la commission. Depuis que l’INRA était entré dans la danse en 1946 avec son VAT, sa valeur agronomique et technologique qui conduira ses chers apprentis-sorciers si scrupuleux
à manipuler des chromosomes (à grand renfort d’un arsenal de rayons X, de radioactivité, d’ultraviolets ou encore de substances chimiques mutagènes), à asservir les agriculteurs et à donner naissance à ce Monsanto qu’heureusement Joseph Malaveix ne connaîtra pas, seules les semences inscrites au catalogue étaient autorisées et, cette année, les variétés de pays, nos belles semences paysannes, un peu rustiques peut-être, étaient interdites à la vente. – Oh, vous pouvez continuer à les cultiver, avait lancé amicalement Eugène Dunion, mais elles ne pourront pas quitter l’enceinte de votre ferme ! – Mon père les cultivait, son père avant lui et qui sait encore avant... Et c’est vous qui allez m’empêcher de les vendre au marché ? s’insurgeait Joseph Malaveix. – Ce n’est pas moi monsieur Malaveix, c’est la loi ! avait conclu Dunion. Que pouvait-il faire face à la loi, sinon s’incliner ? Et comme tout le monde, il courba l’échine et acheta les plants du catalogue. Qu’y pouvait-on ? Au sortir de la guerre, la France avait faim. Alors l’INRA inventa la pomme de terre BF 15 en 1947, puis le blé Étoile de Choisy en 50, les ray-grass d’Italie avec Rina et Rita en 1957, le maïs hybride Inra 258 en 1958, l’orge d’hiver à paille courte Arès en 1959 et le colza Sarepta en 1960, remplissant peu à peu le fameux catalogue, constituant sa principale source de revenus. Une manne dont certains se demandaient si elle n’était pas au détriment de cette France qui, justement, avait faim. – Vous leur faites manger quoi, à vos bêtes ? – De l’herbe, pardi ! – Il faut semer, monsieur Malaveix... – Et qu’est-ce que vous voulez que j’aille semer ! Y a de l’herbe partout ! répondit Joseph Malaveix en montrant l’horizon d’un large geste circulaire du bras. – Du trèfle, de l’incarnat, du sainfoin, des lupins, de la vesce, du lotier... répondit le commercial en caressant du plat de la main l’herbe grasse à ses pieds, d’un air dégoûté. Vous appelez ça de l’herbe, vous ? Vous leur faites bien manger n’importe quoi, à vos bêtes ! – Ben ça fait belle lurette qu’elles paissent ici et elles ne s’en sont jamais plaintes ! ironisa le père Malaveix. – Prenez donc du ray-grass d’Italie, en plus c’est bon pour l’ensilage. Un court silence se fit. Le père Malaveix, soucieux, réfléchissait à la proposition d’Eugène Dunion. Il ne pouvait pas louper le train de la modernité, rester un agriculteur d’un autre âge bien qu’il se demandât à quoi lui servirait de planter de l’herbe alors qu’elle poussait toute seule et que les vaches s’en contentaient depuis que l’herbe était herbe et les vaches vaches. Le court silence fut bientôt rompu par un
cri de femme dans le lointain. Joseph tourna la tête et vit s’approcher une jeune femme, blonde comme les blés qu’il fauchait à la Saint-Bernard et qui, agitant le bras, l’appelait pour le déjeuner. D’un signe de la main il lui fit comprendre qu’il arrivait. – Elle est à vous cette enfant ? demanda Eugène Dunion qui ne la quittait plus des yeux. – Si on veut... répondit laconiquement Joseph Malaveix sous le regard interrogateur du semencier qui reprit bientôt : – Allez, prenez moitié luzerne, moitié ray-grass... Et Joseph Malaveix signa, planta et récolta son herbe à la Saint-Barnabé.
III
Joseph Malaveix entra dans la salle principale de la ferme, cette pièce rustique qui servait à la fois de cuisine et de salle à manger. Il passa ses mains sous l’eau, les essuya à un torchon rouge et blanc à carreaux et gagna sa place en bout de tableà côté de sa mère qui, depuis près de douze ans, n’avait pas quitté son fauteuil. À sa suite, tandis qu’il rompait le pain après y avoir tracé promptement un signe de croix de la pointe de son couteau, ses quatre fils s’assirent, suivis de Mathilde de l’autre côté de la table. La mère apportait la soupe grasse, confectionnée avec un reste de pot-au-feu de la veille, et servit la tablée avant de s’asseoir à la gauche de son époux. Le père attrapa au centre de la table un frontignan de cinq étoiles. Il ôta le bouchon de plastique translucide et fit couler le liquide rouge bordeaux dans son verre de cantine, ces Duralex gigognes au fond desquels ses gosses s’amusaient jadis à lire leur âge. Jojo imita son père et servit ses trois frères. Le père porta le verre à ses lèvres, émietta son quignon de pain dans sa soupe et lança sans lever la tête : – Quand un homme vient à la ferme, je te conseille de ne pas sortir de la maison... Tu m’entends, Mathilde ? Mathilde baissa la tête, le père avala une cuillerée de soupe, puis une autre avant de reprendre sans lever les yeux : – Tu pourrais répondre quand je te parle. Sa soupe finie, il retourna la cuillère dans le creux de l’assiette creuse et la remplit de vin jusqu’à couvrir le couvert. La bouteille vide, la mère se leva, l’empoigna par le goulot et alla la glisser sous l’évier. En fin de semaine, en gagnant le bourg, elle l’amènerait avec ses petites sœurs à la consigne. – Tu pourrais aider ta mère, après tout, elle t’a mise au monde. Tous regardaient tour à tour le père et Mathilde, tous savaient que le vieux abusait, mais tous restaient silencieux. On ne se mettait pas en travers du père Malaveix, tout comme on ne contredisait pas son père avant lui. – Tu m’entends Mathilde ! reprit Joseph en haussant le ton, plongeant son regard vers la jeune femme qui, de profil, n’osait tourner la tête vers le patriarche. Tu pourrais répondre à ton père ! s’insurgea le vieux Malaveix devant le mutisme de
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