Parfums d enfances
140 pages
Français

Parfums d'enfances , livre ebook

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140 pages
Français

Description

Kim habite la région parisienne, où elle a été adoptée par une famille française à l'âge de cinq ans. A vingt-deux ans, elle retourne en Thaïlande à la recherche de ses racines. Kim, qui apprenait à vivre une deuxième vie, qui observait chaque geste de ce nouveau monde dans lequel elle venait de tomber, et soudain quelque chose l'a envahie lourdement...

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Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2012
Nombre de lectures 51
EAN13 9782296498327
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Parfums d’enfances
Aude Lafait
Parfums d’enfances
Première édition :Feuille de citron kaffir,Éditions de la Lune, 2010 © L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-57023-8 EAN: 9782296570238
Armand Kim avait six ans ce soir-là. Je venais de lui donner un cours de français et j’étais resté pour son dîner d’anniversaire. J’avais proposé à sa mère de cuisiner un plat thaïlandais. J’étais dans la cuisine quand mon élève est entrée. Ses yeux nuit noire et sa capacité à regarder fixement, sans timidité, sans gêne. Kim, qui apprenait à vivre une deuxième vie, qui observait chaque geste de ce nouveau monde dans lequel elle venait de tomber. Elle était là, devant moi, et soudain quelque chose l’a envahie lourdement. Il y avait, virevoltant dans l’air de la pièce, toute son enfance réduite en parfums. La pâte de curry que je venais de préparer brûlait ses narines. Elle est restée figée contre la porte battante, muette, les mâchoires serrées. Elle a fermé les yeux comme dans un éblouissement et tout est remonté en elle. citron kaffir poivre vert lait de coco zeste de citron vert gingembre coriandre ail piment vert citronnelle galanga cumin curcumaSes papilles lui parlent sans doute. Son nez l’enivre et elle revoit cette grande cuisine de l’orphelinat de Maa. La cuisinière si mince devant ses woks énormes. Les vapeurs
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parfumées et les « clic-clac » du couteau sur les planches en bois. Les bouquets d’herbes volumineux que la vieille femme ramenait du marché. Parfois, Kim venait l’aider pendant les récréations ou la sieste du midi. La cuisinière ne parlait pas. Elle lui montrait juste du doigt les choses à rincer, les herbes à effeuiller. Ses petits doigts à elle, agiles, détachaient les feuilles de citron kaffir une à une, lentement, baignant dans leur parfum acidulé. Elles sentent si fort quand on les laisse infuserdans le lait de coco. Je regarde Kim. Ses yeux humides. Je suis au-dessus du gaz. Tous les parfums sont là. Kim est submergée puis bientôt noyée par eux et, enfin, elle laisse s’échapper quelques larmes. Elle se sent à la fois portée, aimée par ces parfums, mais aussi meurtrie. Comme s’ils venaient ranimer les souvenirs et brûler sa cervelle d’enfant déracinée. Je vois cela dans ses yeux. Je suis quelqu’un de plutôt distant, de timide, mais je lâche mes ustensiles et m’approche d’elle. Je m’accroupis à sa hauteur et lui prends doucement les mains : « Ça va aller, Kim », lui dis-je en thaï. Elle pose sa tête contre mes mains aromatisées et elle pleure. Elle pleure le manque et le vide qu’ont laissés ces parfums pendant de longs mois. Cet après-midi de cuisine est resté en moi et en Kim comme une blessure douceâtre, savoureuse pourtant. J’avais invité Kim à grimper sur un banc à mes côtés à la table de travail et lui avais appris à cuisiner le curry thaïlandais aux crevettes. De belles et énormes crevettes bleues avec des reflets d’or, qui venaient de notre pays. Le soir au coucher, les cheveux de Kim devaient encore sentir le lait de coco mêlé aux épices.
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Était-ce le jour de ses six ans auprès de moi ou déjà à l’orphelinat avec la cuisinière qu’avait commencé à naître son amour de la cuisine ? Le père et la mère de Kim avaient pleuré, tellement nous avions épicé le plat, et tous les deux, nous nous lancions des regards moqueurs et complices. Père adoptif « Son nom de naissance est Kim », avait commencé par dire la directrice de l’établissement, madame Wan. C’était une femme posée, extrêmement douce et qui parlait lentement. Je crois qu’elle faisait tout son possible pour nous rassurer. Nous étions arrivés de Paris trois jours auparavant. C’était notre première entrevue avec le contact direct de l’association d’adoption en France. Nous devions régler de nombreuses questions administratives avec elle avant de pouvoir rencontrer Kim. Ma femme n’avait presque pas dormi de la nuit. La chaleur insupportable de l’été thaïlandais venait s’enrouler au creux de notre hiver continental. L’angoisse que Kim ait déjà été placée, la peur face à l’incapacité de communiquer avec elle. Elle m’avait réveillé à trois heures du matin : « Et si elle n’acceptait pas de venir avec nous ? » Je l’avais doucement entourée de mes bras et lui avais murmuré quelques mots rassurants. Malgré le sommeil qui me happait, j’avais veillé jusqu’à ce qu’elle se rendorme, son corps nerveux lové contre le mien. « Kim a en elle un profond désir de vivre. Elle est très créative, inventive. Toutefois, comme elle est très attachée à deux autres orphelines de l’établissement, le
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départ ne va pas être facile pour elle. Elles sont toutes les trois très angoissées. Ces derniers temps, nous avons remarqué que Kim se sépare des deux autres, qu’elle cherche à s’isoler. Parfois, elle chante pour elle-même, elle semble se préparer au départ à sa manière. Je pense qu’il lui faudra du temps pour s’adapter. Ne la brusquez pas, surtout. » Que croit-elle ? Que je vais agripper la petite par le bras et la fourrer dans mon sac ?!! Nous comprenons que les visites se font régulièrement tous les trois jours. Nous pourrons voir Kim et l’emmener une fois hors de l’orphelinat. Je commence à réaliser que tout va aller très vite et je ressens soudain une montée d’angoisse. Quel père vais-je être avec cette enfant ? Serai-je le même père avec elle qu’avec mon fils ? Saurai-je lui exprimer mon amour au-delà des mots, au-delà de ses souffrances d’enfant abandonnée ? Et si je ne savais pas l’aimer ? Des gouttes de sueur perlent le long de mon torse et dans mon dos ; je ne vais jamais y arriver. Nous sortons enfin de l’orphelinat. J’ai la nausée et mes jambes tremblent, je dois m’arrêter. Ma femme se retourne, je cherche son regard pour me rassurer et me soutenir. Sans cette profondeur dans ses yeux, je chancellerais. Je fais maintenant quelques pas maladroits et me blottis dans ses bras, cherchant son cou, là où se cache l’odeur de vanille. Nous restons longtemps enlacés en silence sur les berges du Mae Nam Ping. Et puis tout s’enchaîne : les analyses de sang, la dizaine de vaccins obligatoires, les entretiens avec des médecins, la responsable de l’association, notre entrevue
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