Maman Odile

Yves-Marie Renard

Description

Il est des deuils dont on ne se remet jamais. Celui qu'a éprouvé ma grand-mère maternelle à l'égard de son premier époux, mort au front, au tout début de la guerre de 14, mais déclaré mort officiellement en 1920, en fait assurément partie ! C'est dans le Nord de la France, tout près de Roubaix, que Maman Odile, comme nous l'appelions, a vécu la double occupation allemande sans jamais se remettre à aimer ni son second mari, ni même son propre et unique enfant: ma mère !

Sujets

• Autobiographie
• Récit
• Témoignage

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 octobre 2013
• Nombre de lectures: 20
• EAN13: 9782336326290
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Yves-Marie
Renard

Mama
Odile

n

D’une guerre à l’autre
dans le Nord de la France

Récit

Graveurs de Mémoire
Série :Récits de vie / France

ȱ

ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
©ȱL’Harmattan,ȱ2013ȱ
5Ȭ7,ȱrueȱdeȱl’Ecoleȱpolytechnique,ȱ75005ȱParisȱ
ȱ
http://www.harmattan.frȱ
[e-mail]ȱ
[e-mail]ȱ
ISBNȱ:ȱ978Ȭ2Ȭ343Ȭ01293Ȭ3ȱ
EANȱ:ȱ9782343012933

MamanȱOdileȱ
ȱ
ȱ
ȱ

Graveurs de mémoire

Cette collection, consacrée à l’édition de récits de vie et de
textes autobiographiques, s’ouvre également aux études
historiques. Depuis 2012, elle est organisée par séries en
fonction essentiellement de critères géographiques mais
présente aussi des collections thématiques.

Déjà parus

Culas (Adeline),En Bresse autrefois… Souvenirs de la vie d’antan,
2013.

Atchénémou (Avocksouma Djona),Enterrons la veuve avec
l’enfant. Orphelin en pays tchadien, 2013.
Benacerraf (Armand),Cardiologue et cardiaque. Au cœur d’une vie,
2013.
Brovelli (Claude),De l’AFPà la télé, mes sept vies sur les points
chauds du globe, 2013.

Barbe (Jean- Edouard),Cinquante ans au Quartier latin. Une vie
en musique et en chansons, 2013.

Cathelin (Anne),La Joselito à l’âge d’or du flamenco. Ethnologie
d’une passion,2013.
Mero (Yannette),La petite fille des baraquements. Une enfance à
Saint-Nazaire, 2013.
Pochulu (Marie-Françoise),Lucien Bertin, un Français d’Egypte.
Les routes de l’exil, 2013.


Ces huit derniers titres de la collection sont classés par ordre
chronologique en commençant par le plus récent.
La liste complète des parutions, avec une courte présentation
du contenu des ouvrages, peut être consultée
sur le site www.harmattan.fr

YvesMarie Renard

Maman Odile


D’une guerre à l’autre dans le Nord de la France

Récit















L’Harmattan

Ilȱestȱinutileȱd’inventerȱdesȱhistoiresȱ
ȱlaȱvieȱs’enȱcharge.ȱ
ȱ
ȱ
ȱ

Incipitȱ

Tuȱn’asȱpasȱbienȱdormiȱcetteȱnuitȱ?ȱTuȱignoresȱpourquoiȱ
maisȱmoiȱjeȱleȱsaisȱ!ȱJeȱsuisȱvenueȱtoutȱprèsȱdeȱtoi,ȱtuȱn’asȱ
pasȱbronché,ȱtuȱn’asȱmêmeȱpasȱremué,ȱtuȱneȱt’esȱaperçuȱdeȱ
rien.ȱCeȱn’estȱpasȱsurprenant,ȱjeȱsuisȱmorteȱdepuisȱ
soixanteȱans,ȱmonȱcorpsȱaȱdisparuȱetȱc’estȱtantȱmieuxȱcarȱ
jeȱneȱl’aimaisȱguère.ȱSeulȱmonȱespritȱvoyageȱdeȱnulleȱpartȱ
versȱnȇimporteȱoù…ȱCetteȱnuit,ȱilȱestȱvenuȱteȱrendreȱ
visiteȱ!ȱ
ȱ
JeȱsuisȱtaȱgrandȬmère,ȱcelleȱqueȱtoi,ȱtonȱfrèreȱetȱtaȱsœurȱ
appelaientȱ«ȱMamanȱOdileȱ»ȱ!ȱC’estȱtaȱmèreȱquiȱaȱvouluȱ
queȱl’onȱm’appelleȱainsi,ȱcommeȱsiȱelleȱtenaitȱparȱcetteȱ
affabulationȱenfantine,ȱàȱmeȱrappelerȱqueȱjeȱfusȱtout,ȱsaufȱ
uneȱmèreȱ!ȱȱ
ȱ
Jeȱn’aiȱjamaisȱdésiréȱtaȱmèreȱ!ȱȱ
ȱ
Duȱhautȱdeȱtesȱcinqȱans,ȱàȱl’âgeȱqueȱtuȱavaisȱlorsqueȱjeȱ
suisȱmorte,ȱj’aiȱcruȱdevinerȱqueȱtuȱt’enȱapercevaisȱetȱyȱaiȱ
vuȱuneȱformeȱdeȱcomplicitéȱqueȱjeȱn’aiȱpasȱoubliée.ȱC’estȱ

pourȱcetteȱraisonȱqueȱjeȱsuisȱvenueȱtoutȱprèsȱdeȱtonȱlitȱ
cetteȱnuit.ȱJ’yȱsuisȱvenueȱpourȱteȱraconterȱmaȱvieȱouȱplutôtȱ
laȱblessureȱdeȱmaȱvie.ȱȱ
ȱ
Tuȱcroisȱsavoirȱbeaucoupȱdeȱchosesȱsurȱmoi,ȱmaisȱtuȱ
ignoresȱl’essentiel.ȱOnȱaȱbeaucoupȱgloséȱsurȱmonȱcompteȱ
etȱtonȱautreȱgrandȬmèreȱs’yȱestȱemployéeȱavecȱdéliceȱetȱ
malice,ȱavantȱmêmeȱqueȱmonȱcercueilȱneȱseȱreferme.ȱȱ
ȱ
Surtoutȱ:ȱneȱteȱméprendsȱpasȱsurȱmesȱintentionsȱ!ȱȱ
ȱ
Jeȱneȱsuisȱpasȱvenueȱauprèsȱdeȱtoiȱpourȱm’excuser,ȱniȱ
mêmeȱpourȱmeȱjustifier.ȱCesȱattitudesȱetȱcesȱrepentirsȱneȱ
meȱressemblentȱpasȱ!ȱJeȱmeȱmoqueȱaussiȱdeȱceȱqueȱtuȱ
pourrasȱpenserȱdeȱmoiȱlorsqueȱtuȱaurasȱtoutȱentendu.ȱ
Maisȱauȱmoinsȱtuȱsaurasȱ!ȱȱ
ȱ
MamanȱOdileȱ
ȱ
ȱ
ȱ
Postȱmortemȱȱ
ȱ
*
Ilȱyȱquelquesȱmois,ȱtuȱesȱvenuȱsurȱmaȱtombeȱàȱJuvardeil .ȱ
Jeȱt’aiȱvuȱ!ȱTuȱasȱluȱleȱpetitȱpanneauȱqueȱlaȱmairieȱaȱfaitȱ
déposerȱsurȱleȱmarbreȱdélabréȱdeȱmaȱsépulture.ȱTeȱ
souviensȬtuȱdeȱceȱquiȱyȱétaitȱécritȱ:ȱ«ȱLaȱconcessionȱdeȱcetteȱ
tombeȱarriveȱàȱexpiration,ȱsiȱvousȱsouhaitezȱlaȱrenouveler,ȱ
adressezȬvousȱàȱlaȱmairieȱ».ȱTuȱasȱhésitéȱunȱmoment,ȱpuisȱ

*
ȱJuvardeilȱ–ȱcommuneȱduȱMaineȬetȬLoireȱ

10

tuȱasȱtournéȱlesȱtalons…ȱTuȱasȱbienȱfaitȱ!ȱIlȱestȱinutileȱdeȱ
prendreȱsoinȱdeȱmaȱtombe,ȱjeȱn’yȱsuisȱplusȱdepuisȱtrèsȱ
longtemps.ȱJeȱsuisȱnulleȱpartȱ!ȱȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ
ȱ

11

1.ȱODILEȱHAROUXȱWattrelosȬ1890Ȭ1912ȱ

Lesȱadultesȱetȱsurtoutȱlesȱparentsȱs’imaginentȱqueȱlesȱ
petitsȱenfantsȱneȱpensentȱpas,ȱsinonȱauxȱchosesȱ
essentiellesȱ:ȱleȱseinȱouȱleȱbiberonȱetȱplusȱtard,ȱleȱ
jambonȱetȱlesȱfritesȱdansȱleurȱcornetȱdeȱpapier,ȱlaȱ
limonadeȱetȱlesȱbeignetsȱauxȱpommes…ȱlesȱrécomȬ
pensesȱpossiblesȱetȱlesȱpunitionsȱcertaines.ȱȱ
ȱ
Ilsȱvoientȱbienȱqueȱnousȱpleuronsȱsouventȱpourȱrien,ȱ
queȱnousȱsourions,ȱqueȱnousȱrionsȱaussi,ȱmaisȱilsȱ
imaginentȱqueȱcesȱréactionsȱetȱlesȱsentimentsȱquiȱlesȱ
dictentȱneȱsontȱqueȱdesȱmanifestationsȱpuérilesȱetȱ
passagèresȱquiȱneȱdoiventȱrienȱàȱlaȱréflexionȱetȱneȱ
méritentȱàȱceȱtitreȱaucuneȱattentionȱparticulière.ȱIlsȱ
fontȱdoncȱsemblantȱd’yȱrépondreȱenȱimitantȱduȱ
regard,ȱdeȱlaȱvoixȱouȱdesȱgestes,ȱnosȱdésirsȱetȱnosȱ
répulsions,ȱenȱyȱmettantȱunȱterme,ȱsouventȱbrutal,ȱ
uneȱfoisȱleurȱpatienceȱconsommée.ȱCetteȱattitudeȱ
étaitȱtrèsȱrépandueȱdansȱmaȱfamille,ȱcommeȱdansȱ
tousȱlesȱmilieuxȱmodestesȱetȱouvriersȱduȱNord,ȱauȱ
siècleȱdernierȱ;ȱmilieuxȱpourȱlesquelsȱlesȱurgencesȱduȱ

quotidienȱ:ȱleȱlait,ȱlesȱpatates,ȱleȱboulotȱetȱlaȱbièreȱneȱ
laissaientȱqueȱpeuȱdeȱtempsȱauxȱréflexionsȱsavantesȱ!ȱȱ
ȱ
Jeȱm’appelleȱOdileȱHarouxȱetȱjeȱsuisȱnéeȱàȱWattrelosȱ
dansȱleȱNord,ȱleȱ20ȱavrilȱ1890.ȱOdileȱHaroux,ȱetȱnonȱ
OdileȱBrocvieilleȱcommeȱc’estȱécritȱsurȱleȱpasseportȱ
queȱtuȱdétiens,ȱetȱdont,ȱcommeȱtuȱasȱpuȱleȱconstater,ȱ
j’aiȱarrachéȱtoutesȱlesȱpages,ȱsaufȱlaȱpremièreȱ!ȱȱ
Jeȱneȱvoisȱpasȱl’intérêtȱqu’ilȱyȱauraitȱpourȱtoi,ȱniȱpourȱ
quiconqueȱaujourd’hui,ȱdeȱsavoirȱpourquoiȱjeȱmeȱ
suisȱfaitȱdélivrerȱunȱpasseportȱparȱlaȱmairieȱdeȱ
Roubaixȱenȱ1945ȱetȱdeȱconnaîtreȱl’usageȱqueȱj’enȱaiȱ
faitȱparȱlaȱsuite.ȱTuȱn’enȱsaurasȱpasȱdavantageȱcetteȱ
nuit.ȱ
ȱ
ChezȱlesȱHaroux,ȱonȱétaitȱdouzeȱ!ȱDouzeȱenfants,ȱ
sansȱcompterȱlesȱmortsȱnés,ȱouȱàȱpeineȱnés.ȱȱ
ȱ
J’aiȱpasséȱtouteȱmonȱenfanceȱàȱvoirȱmaȱmèreȱ
s’allongerȱpuisȱseȱrelever,ȱseȱrallongerȱàȱnouveauȱenȱ
soupirantȱetȱseȱreleverȱencoreȱenȱgémissant,ȱavecȱàȱ
chaqueȱfoisȱuneȱboucheȱdeȱplusȱàȱnourrirȱetȱunȱ
derrièreȱdeȱplusȱàȱtorcher.ȱLeȱpèreȱlui,ȱtouteȱcetteȱ
marmaille,ȱçaȱneȱsemblaitȱguèreȱleȱdéranger.ȱDansȱleȱ
tramȱàȱchevaux,ȱdèsȱcinqȱheuresȱduȱmatinȱpourȱallerȱ
àȱl’atelierȱetȱdeȱretourȱàȱlaȱmaisonȱversȱseptȱheuresȱ
duȱsoir,ȱdansȱlesȱeffluvesȱdeȱbièreȱ;ȱleȱbruitȱduȱ
dedans,ȱlesȱpleurs,ȱlesȱenviesȱetȱlesȱdisputesȱdesȱunsȱ
etȱdesȱautresȱneȱleȱconcernaientȱguère.ȱȱ
ȱ

14

ȱ
«ȱToutȱça,ȱc’estȱl’affaireȱdesȱbonnesȱfemmesȱ!ȱ»ȱComȬ
meȱilȱdisaitȱ!ȱEtȱcommeȱàȱlaȱmaisonȱlesȱbonnesȱ
femmes,ȱçaȱneȱmanquaitȱpasȱ:ȱavecȱlaȱsienne,ȱlaȱsœurȱ
deȱlaȱsienne,ȱmesȱsœursȱaînéesȱetȱsaȱpropreȱmère,ȱleȱ
compteȱyȱétaitȱlargementȱ!ȱ
ȱ
Àȱl’heureȱduȱdîner,ȱversȱseptȱheures,ȱnousȱétionsȱtousȱ
rangésȱàȱnotreȱplaceȱautourȱdeȱlaȱtable.ȱNousȱnousȱ
tenionsȱdeboutȱenȱl’attendant,ȱprêtsȱàȱnousȱasseoirȱ
sitôtȱqu’ilȱenȱdonneraitȱl’ordre,ȱraidesȱcommeȱdesȱ
ciergesȱdeȱPâquesȱdevantȱlaȱmarmiteȱbouillanteȱdeȱ
soupe,ȱdansȱlaquelleȱmaȱmèreȱjetaitȱauȱdernierȱ
momentȱetȱsurȱunȱseulȱregardȱduȱpère,ȱdesȱmorceauxȱ
deȱpainȱrassis,ȱcommeȱonȱjetteȱduȱgrainȱauxȱpoules.ȱȱ
Luiȱs’asseyaitȱenfin,ȱseȱlissaitȱlaȱmoustacheȱenȱsilence,ȱ
enȱrelevaitȱlesȱbordsȱpourȱneȱpasȱlesȱtremperȱdansȱlaȱ
soupe,ȱouvraitȱtoutȱgrandȱsonȱcouteau,ȱseȱtaillaitȱuneȱ
trancheȱdeȱpainȱplusȱlargeȱqueȱsaȱmainȱetȱsansȱ
prononcerȱunȱseulȱmotȱpointaitȱl’indexȱdansȱsonȱbolȱ
videȱpourȱqueȱmaȱmèreȱleȱremplisseȱaussitôt.ȱ
ȱ
Ensuiteȱseulement,ȱvenaitȱnotreȱtourȱ!ȱ
ȱ
Maȱpauvreȱmèreȱajustaitȱlesȱlouchesȱduȱmieuxȱqu’elleȱ
pouvait,ȱAliceȱetȱJulienȱlesȱaînés,ȱtendaientȱleursȱbolsȱ
avantȱtousȱlesȱautres,ȱdeȱpeurȱdeȱmanquerȱ:ȱenȱcesȱ
tempsȬlàȱlesȱaînésȱétaientȱprioritairesȱparceȱqu’enȱâgeȱ
deȱtravaillerȱetȱc’estȱpourȱçaȱqu’onȱservaitȱcesȱdeuxȬlàȱ
avantȱlesȱautres.ȱ

15

ȱ
Moi,ȱj’étaisȱlaȱsixième.ȱMonȱto