Comprendre le « debout congolais » - Commentaire hymnologique et perpectives
596 pages
Français

Comprendre le « debout congolais » - Commentaire hymnologique et perpectives , livre ebook

-

596 pages
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Description

Le mot Indépendance rime pour les uns « comme une chanson douce », pour les autres la sourde dissonance d’un châtiment sordide placardé au tableau d’honneur des recalés et des exclus au développement. Lorsque la couleur et la musique des mots cessent et font soudain place au silence, puis au brouhaha, la rumeur et le mécontentement gagnent le plus grand nombre. Ainsi se décline en sourdine la musique des grands maux qui s’épuise sous le poids de la honte et de la misère. Dans Debout Congolais, mots et expressions se bousculent, dissimulent derrière l’eurythmie musicale et les flots ininterrompus de la conscience générationnelle, la déconstruction du néant, du vide. Le mot renvoie à un autre qui s’en sert comme la liane de nos forêts pour se balancer dans une futaie de mots dont les plus flamboyants, quand l’heure aura sonné, termineront leur vie foisonnante sur le bûcher ardent aux senteurs de café tropical. Pour que la respiration de l’écrit ne soit pas troublée par la violence et les tensions inhérentes aux périodes de crise, je trouve dans l’adversité l’opportunité d’imaginer les temps nouveaux et la responsabilité définie par la protection du périssable confié à notre garde. Me rappelant sans cesse que la dépendance va à contresens de l’esprit de l’Indépendance, les valeurs de sagesse, loin de nous ouvrir à l’indécision qui laisse accumuler les profits de l’incertitude et du manque de solution adéquate, nous introduisent à la connaissance d’une existence nationale patriotique, aux instants fugitifs d’un présent quotidiennement mouvant mais connaissable. Elles sont capacités à orienter le devenir vers l’idéal du développement, saisi dans la cohésion nationale et la cohérence territoriale que les Congolais projettent à l’horizon d’une promesse ; elles rendent l’existence accessible à l’action et permettent de trouver des repères sur lesquels refonder la recherche de l’inespéré.
Théologien protestant calviniste, anthropologue et historien des religions, après ses études d’Ingénieur technicien géomètre topographe (Unaza/IBTP-Kinshasa) et de photogrammètre (ITC/Enschede- Hollande), Yomo Djeriwo Etiti étudia la théologie (Faculté de Théologie réformée Aix-en-Provence/France) et présenta une thèse de doctorat en 1992 à l’Université de Paris IV-Sorbonne. Pour lui, sonder l’âme des mots est le chemin qui est en l’homme et qui mène vers l’altérité pour aménager le crédible du pays Congo sans hypothéquer l’avenir du Temps qui vient. La dimension spirituelle anime, inspire et convainc l’auteur de la capacité de l’homme à rendre l’existence accessible à l’action constructive, sans risque d’échouer sur les récifs émergés de nos angoisses, même quand la mort nous nargue en coulisse avec son sourire en demi-lune de malice. Le rêve, loin d’offusquer nos efforts et de provoquer leur inanité, dope nos motivations.

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Informations

Publié par
Date de parution 28 septembre 2015
Nombre de lectures 432
EAN13 9782823113242
Langue Français

Extrait

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© Editions Persée, 2014

 

Pour tout contact :

Editions Persée — 38 Parc du Golf — 13856 Aix-en-Provence

www.editions-persee.fr

 

À la gloire de Nziam (Dieu) qui « crée le vouloir et le faire »,
À Fière Passy et Sophia Djeriwo qui m’ont porté à l’existence,
À mes enfants, Etiti, Jérémie, Guillaume,
Emmanuel, Sophia et Piertild,
Et à tous ceux qui m’ont encouragé,
soutenu et aimé,
ma sincère reconnaissance.

 

 

 

Préambule

Très frappé de l’inculture patriotique d’un grand nombre de nos compatriotes, mêmes les plus instruits, très étonné aussi de constater la grande difficulté éprouvée par de grandes personnes à comprendre le Débout Congolais, j’ai pensé être utile en publiant

COMPRENDRE LE « DEBOUT CONGOLAIS »
Commentaire hymnologique et perspectives de construction
du Congo démocratique
.

Le cours des événements n’a fait qu’ajouter complexité sur complexité, ignorance à l’ignorance. Je conseille la lecture, voire l’étude complète de ce livre. En quelques jours, votre connaissance de l’histoire du Congo se trouvera considérablement enrichie et le désir de construire motivé. Pour la pensée comme pour le vin, le temps qui passe bonifie le meilleur et dégrade l’ordinaire. Dans un contexte de crise persistante, je souhaite que cette prise soit ­l’occasion de se ressourcer, de retrouver l’élan d’une ambition pragmatique et tenace, capable de favoriser l’épanouissement de tous. L’originalité de ma démarche réside surtout dans le choix du sujet en dehors de la fièvre des célébrations. Je crois ainsi rendre service à ceux qui, loin des postures idéologiques et des discours ­dogmatiques, veulent encore saisir les enjeux de l’Indépendance et participer à l’émergence d’un Congo nouveau, résolument indépendant.

L’Indépendance, mot qui rime pour les uns « comme une chanson douce », sonne pour les autres la sourde dissonance d’un châtiment sordide placardé au tableau d’honneur des recalés et des exclus au développement. Et la musique douce cesse et fait soudain place au silence, puis au brouhaha lorsque la rumeur et le mécontentement gagnent le plus grand nombre : tous ne disent mot parce qu’ils mangent leur pain comme des orphelins de mauvaise veine, avalant de l’air exprès pour boucher la faim ; en plus de se sentir condamnés à l’ignorance entretenue, ils doivent conjuguer leurs errances, y compris spirituelles, en patois, en français ou en anglais ; la soupe est servie telle une bouillie indigeste qui s’étrangle en crissant sous les dents cassées par l’usure du temps et érodées par le vent des sifflets d’une gent bien nantie ; des néo-guides spirituels autoproclamés et finauds, obnubilés par l’appât du gain, mystifient avec ostentation la masse crédule, et se couvrent d’oripeaux comme des stars du showbiz. Tandis que le soleil décroît sous le crépuscule des ombres sur un tas d’immondices, la masse famélique, trop occupée à jouer à sa survie, ne sait ni jouer ni chanter la musique des filons. Ainsi se décline en sourdine la musique des grands maux qui s’épuise sous le poids de la honte, la misère et la peine de ces gueux en disgrâce.

Je me suis longtemps interrogé sur la nature de la mission de celui qui écrit, de l’agencement de mots que constitue l’écriture littéraire ! Il y a un secret au cœur des mots. Il suffit de lire, scruter, pour entendre, voir et comprendre. Il y a dans les mots des images et des bruits, la place de nos peurs et de quoi nourrir nos cœurs. En effet, depuis sa naissance, l’écrivain est un être incomplet, qui, nourri et rempli du courage de ses semblables, a besoin des mots pour exister. L’écriture devient sa sève nourricière en lui restituant son manque ; les mots ne s’additionnent plus comme des trophées d’ivresse, ils transcendent le monde pour lui rendre son esprit dans un surgissement d’humanité. Dans Debout Congolais, mots et expressions se bousculent dans la tête de ses auteurs ; leur véritable magie échappe parfois à la prise. À force de les fixer pour l’assentiment et la créance des Congolais, ils se superposent, se mélangent au présent et à l’imparfait, au futur et à l’inconditionnel, et révèlent leur euphonie et leur âme essentielle. Les mots dissimulent derrière l’eurythmie musicale, les flots ininterrompus de la conscience générationnelle, la déconstruction du néant, du vide, car chaque mot renvoie à un autre qui s’en sert comme la liane de nos forêts pour se balancer dans une futaie de mots dont les plus flamboyants, quand l’heure aura sonné, termineront leur vie foisonnante sur le bûcher ardent aux senteurs de café tropical. Pour que la respiration de l’écrit ne soit pas troublée par la violence et les tensions inhérentes aux périodes de crise, je refuse de céder au fatalisme, et je trouve dans l’adversité l’opportunité d’imaginer les temps nouveaux, car c’est sous la bannière des idéaux et de la nécessité, à savoir la combinaison des ­convictions non seulement éprouvées mais bien pesées et la responsabilité définie par la protection du périssable confié à notre garde, que nous devons traverser la tempête du développement qui fait pénétrer l’action publique dans une zone à la fois d’efficacité requise et d’incertitude résiduelle, ce qui, en soi est une mutation de l’agir humain.

« Belle mort » pour nos auteurs ! On lit aujourd’hui sur leurs tombes en chausse-trape : « ici repose écrivain, compositeur et auteur de la Congolaise », tous les deux, nés sous Congo-Belge, et morts, 23 ans et 46 ans après l’accession à l’Indépendance du Pays de nos Aïeux. Ils ont accompagné le temps de l’espoir et celui perdu à renouer les serments désavoués, à ressouder les vaines espérances et à fuir les égarements fébriles. Leur œuvre donne sans cesse du sens, du rêve, du mystère et de la contradiction pour ondoyer en discorde les vouvoiements serviles d’un peuple qui vocifère en tous lieux la cohésion qu’il ­s’imagine posséder en bonne intelligence, dans une histoire nationale susceptible d’agoniser dans la béance de nos regrets éternels. Bon augure ou mauvais présage, car l’avenir incertain de notre idylle demeure muet sur les promesses qu’il nous laissait espérer. Mais croyant à notre capacité à rendre l’existence accessible à l’action, sans risque d’échouer sur les récifs émergés de nos angoisses, même quand la mort nous nargue en coulisse avec son sourire de malice, je découvre avec stupeur que le sol congolais est inondé à mi-temps de lumière et d’ennui ; la clarté d’azur cède chaque soir sa place aux sibyllines odyssées de supplices ; la nature offre un message d’espoir, une ode à la méditation, un calice à la prière. La nuit accorde une révélation : comme elle engendre la lueur du jour avec son cortège de maléfices, la nuit nous prive d’une clarté éphémère pour mieux nous inonder d’une cascade d’eau qui déroule ses anneaux en spirales d’ondes vertueuses et responsables ; qui veille la nuit jusqu’à l’heure bleue, peut renaître. Ainsi, par ce baptême écologique, l’ombre de nos jours invite à se fondre au jour, au travail, à consolider le bâti et à trouver dans une histoire marquée par la volatilité et par la lutte pour la liberté des repères sur lesquels refonder la construction et la recherche de l’inespéré, favoriser des actions ouvertes et non sectaires, unitaires et non totalitaires.

L’idéalité hymnologique et sa contemporanéité de sens donnent au discours son efficacité de répondant, et à l’altérité collective la légitimité d’une relation générationnelle actualisée. La couleur et la musique des mots rendent possible autant qu’effective l’autorité d’une transmission et fondent l’accueil du sens profond, et l’utopie de son projet de société à recevoir en sa créance pour véritable, d’autant plus que, quand le ton est donné, de la conscience individuelle et collective, jaillissent de mille souvenirs : l’air expulsé de poumons fait vibrer les cordes vocales ; les sons, amplifiés des cavités naturelles, réveillent la conscience du corps, et les visages s’illuminent, sur plus de six siècles, de Diégo Cäo à nos jours, le passé avec sa lourdeur commence à se raconter partout sur le sol congolais, à dévoiler les secrets de l’espérance. Alors la crédibilité, cette remise de force, je n’ai plus qu’à l’investir dans « plus haut » que moi, le crédible. Mais comment prendre concrètement le problème de développement tel qu’il apparaît aujourd’hui dans ses changements qualitatifs, notamment la « volatilité » qui résulte de la rapidité croissante des échanges de marchandises, de techniques, d’entreprises, d’idées, d’informations, de l’« individualisme » qui résulte de la dispersion des anciennes communautés en individus isolés ou regroupés par petits groupes, sans oublier des altérations profondes de l’agir humain ? Comment concevoir, édifier et aménager le crédible du pays Congo sans hypothéquer l’avenir du Temps qui vient ? Et pour ceux qui ont la charge du réel, quelles sont alors les conditions qui permettent à cette force d’agir dans la cité et d’avancer ensemble au rythme de nos aspirations ? Dans quelles structures l’incarner pour répondre aux défis du présent ? En tant que Congolais, nous sommes tous héritiers des conquêtes politiques, sociales et culturelles entreprises par le peuple congolais au cours des siècles. Alors que le Congo traverse une crise particulièrement grave, notre pays doit plus que jamais se montrer à la hauteur de son destin et de sa vocation en refusant de subir et en relevant fièrement les défis nouveaux qui lui font face. C’est collectivement et démocratiquement que nous devons engager le Congo sur une voie où la diversité et l’unité, l’esprit de fidélité et celui de la nouveauté, le climat de paix, de sécurité nationale et de la défense des frontières de la République, se nourrissent de la rigueur des exigences vitales, dans un contexte de responsabilité nouvelle, en vue de l’amélioration de la situation économique et sociale. Répondre à ces exigences constitue l’objet de cet ouvrage.

Debout congolais

Unis par le sort

Unis dans l’effort

Pour l’indépendance

Dressons nos fronts

Longtemps courbés

Et pour de bon

Prenons le plus bel élan,

Dans la paix

Ô peuple ardent

Par le labeur

Nous bâtirons

Un pays plus beau qu’avant

Dans la paix

Citoyens

Entonnez

L’hymne sacré de votre solidarité

Fièrement

Saluez

L’emblème d’or de votre souveraineté

Congo !

Don béni, Congo !

Des aïeux, Congo !

Ô pays, Congo !

Bien aimé, Congo !

Nous peuplerons ton sol

Etnous assurerons ta grandeur

Trente juin, ô doux soleil

Trente juin du trente juin

Jour sacré, sois le témoin

Jour sacré de l’immortel

Serment de liberté

Que nous léguons

À notre postérité

Pour toujours

« À vous tous, mes amis qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce trente juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté. » (Patrice Emery Lumumba, Extrait du Discours du 30 Juin 1960)

01.tif 

02.tif 

« Si quelqu’un me montrait entre l’indépendance complète
et l’asservissement entier de la pensée une position
intermédiaire où je puisse espérer me tenir,
je m’y établirais peut-être ; mais qui découvrira
cette position intermédiaire
? » Alexis de Tocqueville,
Extrait de « De la Démocratie en Amérique »

 

 

Première partie

Structuration
et commentaire hymnologique

 

 

 

Chapitre premier
contextes et structure de l’hymne

1 – Histoire et approche méthodologique

Écrire est probablement l’exercice qui permet le mieux la construction de la pensée personnelle comme la construction personnelle de la pensée. Il résulte d’un mûrissement de l’activité intérieure nourrie par les sensibilités et les énergies du monde, les réalités vécues intégrées par l’écrivain au niveau de son corps. Par l’écriture, le corps actif et l’âme se mêlent dans un élan vital exporté dans le style. Il n’est pas d’enthousiasme plus exaltant pour l’inspiration que des mots de l’absolue nécessité qui construisent le projet hardi d’écrire. L’urgence se projette comme un cratère de feu qui vomit sa gerbe bouillonnante. Il n’est aucune nécessité plus impérieuse que celle qui pousse l’écrivain à délier les expressions « attachées dans les replis de notre cœur », comme on délie un fidèle de ses péchés. Cette pressante exigence, lorsqu’elle s’accomplit, soulage les maux du poète en lui offrant les faveurs de la plus fidèle des muses. Ainsi, l’écriture tente ­d’accomplir sa mission de l’apprentissage de la responsabilité intellectuelle, la formation de l’esprit autonome et la mise en œuvre d’une conscience critique devant la complexité de nos situations, celles que la vie nous dépose et que la mort nous impose, des conjectures sur des existences paisibles ou moroses. Je sais que l’exercice est difficile et délicat ; j’y avance avec crainte en scrutant les « visions » qui ouvriraient un avenir dans un contexte où les rigueurs de la domination et la dépendance ont engendré une crise de la parole : celle des ancêtres se fait ­inaudible, celle des chefs a perdu son autorité, celle des missionnaires connaît le discrédit pour avoir caché le « secret » afin de « maintenir les richesses de la liberté dans les mains des Blancs ». Le passé n’a de valeur qu’en tant que mémoire qui permet d’éclairer le présent, non en tant que rêve nostalgique. Revisiter ce contexte-là à travers notre hymne national, c’est bien sûr y entrer dans la quête du sens personnel quelques décennies après sa conception, évaluer le chemin parcouru, préserver et consolider les acquis, mais aussi et surtout déchiffrer ce qui aurait été peut-être une entorse à l’esprit de Kimpuanza, l’Indépendance, et qui aurait quelque peu freiné le processus d’émancipation du peuple congolais et la construction du pays. Bien que cet exercice intervient un peu tôt, puisque quelques décennies d’années soient bien peu pour qu’une nation parvienne à la maturité et tire des conclusions fermes, toute jeune nation ne peut regarder son passé avec dédain comme une « illustre » sauvagerie. Au contraire, elle doit prendre appui sur une opinion solide et profiter de tous ses atouts pour solutionner les problèmes qui se posent, et améliorer les conditions de vie de ses citoyens. L’objet de cet écrit étant complexe puisque je me trouve personnellement impliqué, je ne puis en parler qu’en me mettant en cause ­moi-même, car il y a entre le sujet et moi-même un réseau de relations onto-­existentielles qui me remet constamment en question. Cependant, je ne peux entrer dans le vif du sujet sans au préalable recourir à quelques considérations historiques globales, sachant aussi que les histoires ­nationales ne sont intelligibles qu’au-dedans de leurs limites d’espace et de temps.

Un regard rétrospectif sur l’histoire qui, selon Hegel, est la reine des batailles des idées, n’est jamais une complaisance dans une pratique commémorant les mythes d’un passé historique révolu ou idéalisé, d’autant plus qu’au niveau de la réalité ­psychologique et sociale, mémoire ou projet, passé ou avenir n’informent notre comportement que dans la mesure où, situés chacun dans une perspective temporelle propre, ils sont vécus en tant que passé et avenir. D’une manière générale, l’histoire ne connaît jamais une causalité directe et simple, il n’y a pas non plus d’évolution linéaire puisque chaque période apparait comme un progrès par rapport à la précédente, et devant en réalité préparer le progrès de la suivante, si bien que chaque société hériterait du patrimoine des plus anciennes et l’améliorerait. En réalité, l’histoire connaît des avancées et des reculs dans l’organisation de la société. Le même phénomène d’aller et retour, d’avancée et de recul alterné, se constate quand on considère l’organisation sociopolitique et économique d’un pays comme le Congo. Ainsi, « comme la marée qui va et vient est mouvement et reflux, elle finit par gagner la terre ferme », la manière d’analyser l’histoire et de comprendre le temps en tant que passé, présent et futur, n’est ni linéaire ni cyclique. En d’autres termes, pour qu’un véhicule avance sur une route que son conducteur a choisie, il faut qu’il soit porté par des roues qui tournent en décrivant des cercles et encore des cercles. Évoluant en dents de scie, avec des « progrès » et des reculs, les sociétés s’élèvent et tombent, et tout en tombant, elles en font surgir d’autres. La lutte pour l’Indépendance du Congo a attiré en une certaine mesure l’attention sur la situation sociopolitique du pays dont les conséquences nous poussent à nous demander encore aujourd’hui : qu’arrivera-t-il ensuite ? Y a-t-il lieu de penser que tout ce que nous avons entendu ou vu n’est qu’ondulation de la surface de l’eau comparée à la vague impétueuse avec ses dégâts collatéraux inestimables ?

En effet, l’histoire ne se répète pas, elle se poursuit, et dans son mouvement, elle défait et recompose les identités. Le « tsunamis arabe », pour reprendre l’expression du politologue libanais, Antoine Basbous, en raison de ses multiples répliques, nous a été d’une vivace actualité. Quand la tempête s’apaise, il y a danger pour les hommes de s’endormir dans l’oubli, le marin habile ne considère pas seulement les vagues qui touchent son embarcation, mais son œil exercé distingue l’orage dans le lointain, et il l’attend. Or comment serons-nous préparés pour les événements qui s’approchent, si nous n’étudions notre histoire et en tirer les enseignements que les Pères de la nation ont bien voulu nous léguer ? Notre ambition est d’instruire et aussi d’avertir tant les concitoyens insouciants que la postérité de l’orage qui peut surgir et menacer. Dans la technique de navigation maritime, le signal est nécessaire avant que le navire se retrouve en danger dans les écueils ; le marin est reconnaissant de la lumière du phare après que son vaisseau soit entré dans le port. Il peut alors le considérer avec admiration, en examiner la construction et rendre hommage à la sagesse de ceux qui l’ont élevé, cependant il en a surtout senti l’utilité lorsqu’il était battu par les flots. Les défis sont énormes pour construire un véritable État au Congo, d’autant plus que le pays est ravagé par des ­décennies de guerre et d’instabilité du pouvoir politique. Ces situations freinent entre autres l’émergence de la prise de conscience d’une prochaine impotence. Les crises récurrentes affectent le gouvernement des hommes, la gouvernance de la nature, et la méconnaissance des pouvoirs potentiels concurrents nourrissent l’impression de déphasage, de débordement de l’instabilité des situations ; ­l’ambition de pouvoir les résoudre, avec les concours des experts-systèmes apparaissent sous l’aspect de la vaine prétention. Nous laisserons-nous subir ou, pour quelques-uns, accumuler les profits de l’incertitude et du manque de solution adéquate, sans rechercher la capacité d’orienter le devenir ? Où est ce que cette vague de tsunami va-t-elle nous engloutir avec tous les dégâts collatéraux
inhérents ?

Dans la première partie, je vais commenter l’hymne congolais dont la structure rédactionnelle se présente, en forme commeen contenu de sens, sous la forme d’alliancetripartite de construction et de sauvegarde entre les Aïeux, le Pays (Sol) et la Postérité. Si l’acte de l’Indépendance inaugure et établit juridiquement et solennellement la nation congolaise dans l’histoire des nations, son hymne nationale actualise l’alliance dans le temps, assure le lien générationnel et accompagne l’espérance du peuple dans la recherche de l’autrement ici et maintenant. L’hymne rappelle à la fois les faveurs accordées par les Aïeux et la fidélité requise de la Postérité. La dualité du lieu et du lien de ce pacte ne recouvre pas exactement celle des avantages concédés par les Aïeux et des exigences qu’ils formulent en contrepartie parce que le lieu est d’abord un don reçu, et le lien est d’ordre générationnel. Nous sommes ici dans une économie de créance et de croyance qui produit un idéal dont le sujet attend un retour. S’ouvrir ainsi à la transcendance, pour le peuple congolais, c’est investir la possibilité ou plus encore la potentialité des idées. Il s’agit d’une ouverture interne par laquelle le peuple congolais se représente réflexivement les limites de ses propres capacités ou puissances. Cette foi réfléchissante constitue donc un mouvement de transcendance et de dépassement par et dans lequel il engage son projet de société. Par une approche inchoative, « le déjà et le pas encore », je chercherai à saisir le sens profond du message hymnologique, la fermeté de son langage et l’utopie de son projet de société, sachant bien que le présent est le moment où nous sommes conscients de notre existence et où nous nous projetons dans l’avenir proche ou lointain tout en nous référant au passé, si douloureux soit-il. Je vois ce qui se défait, je dois rechercher ce qui se préfigure. L’identification de l’encore inconnu est le grand défi qui stimule les esprits les mieux disposés à tenter une autre pratique de l’exploration. Il va falloir que je ­m’attelle dans cette quête du sens inhérent, en saisir les enjeux, bien que le confort des positions théoriques, nourri de la rigueur des exigences vitales, résiste mal devant la réalité des faits. Ce n’est que rétrospectivement que je puis me pencher sur la combinaison des courses que constitue notre histoire nationale et lui attribuer un sens. Comme les événements antérieurs avaient telle orientation et telle valeur, l’explication a posteriori ne m’éclaire que partiellement pour demain ; je ne sais pas mieux ce qu’il faut que je fasse pour être dans le bon sens puisqu’il y a parfois trop de données, trop de paramètres. Cependant, si je ne peux découvrir un enchaînement logique et rationnel, j’attribuerai alors un sens par voie symbolique et mythique. La démarche n’est pas ridicule, au contraire, elle me fournit une floraison de sens d’une prodigieuse richesse et d’une profonde véracité. D’autant plus que le mythe est l’explication symbolique du sens que l’homme attribue à juste titre à ce qu’il vit personnellement, globalement et éternellement. Le mythe permet d’exprimer des vérités que ne peuvent traduire les concepts sans déperdition de sève. S’il a toujours une base historique, c’est le sens symbolique qui est le plus important. Le mythe est tombé en désuétude, tout juste bon pour les enfants et les sociétés premières. Or, l’être humain ne peut s’en passer, car le mythe vivifie, revitalise, dynamise. Par ailleurs, commenter le Debout Congolais sans lui apporter une contribution personnelle à la lumière du présent, serait privilégier la subjectivité délirante et avide du bonheur ou de liberté. J’espère certes faire, bien qu’imparfaitement, le tour de mon sujet, à savoir le commentaire hymnologique ; je ne pourrais m’éloigner de mes pages sans faire un détour dans une seconde partie, explorer ce qui advient et nourrir « pensées et actions », comme firent les Pères de l’Indépendance à la suite de leurs Aïeux ; mettre en lumière les nervures des enseignements et des options nécessaires à l’élévation de l’édifice, détecter, voire offrir des points d’ancrage, des facteurs favorables, capables de libérer des énergies créatrices, tout en sachant que l’important n’est pas tant de changer le monde que changer sa vision du monde, car un « arbre qui tombe fait plus de bruit que toute la forêt qui pousse ».

Nous savons que les enjeux relatifs aux contextes politiques et socio-économiques évoluent et débouchent sur des paramètres toujours nouveaux qu’il nous faut interpréter. Comment retrouver la pertinence de l’invite du Commencement dans le dynamisme local et national dont les alternances ne suffisent pas à arrêter ­l’enlisement dans les crises ? Il faut susciter prise de conscience, connaissances, compétences et savoir-faire, capables de tenir ce que les Grecs appellent justement l’« oikonomia », l’administration de cette portion de la surface traversable et habitable du Congo. Ainsi surgit au cœur même de notre labeur, le défi du « bien-être » auquel j’affronte et essaie de saisir la gravité. Inscrire dans l’histoire du Congo le jalonnement de ses hauts faits, est un bon et louable exercice, en cerner le sens est une entreprise difficile, mais combien exaltante, parce qu’elle structure et stimule l’action. Ce travail suppose la mise en lumière de mes présupposés, l’ordonnancement de mes arguments, et je les jauge à l’aune des faits. Je n’ai ici nullement la folle prétention, après d’éminents analystes de la situation du Congo, d’apporter quelque chose d’inédit. Mais, comme la cible mérite tous les efforts, je voudrais regarder le pays sans horreur, sans pessimisme, l’observer simplement et intelligiblement tel qu’il est. Il n’est peut-être pas beau en sillonnant certaines rues et quartiers, certains villages et villes ou certaines provinces et régions du Congo, surtout après tant d’années de pénibles épreuves, mais le pays demeure rudement émouvant et exige notre investissement ! Pour faciliter la lecture et favoriser sa fluidité, nous omettons volontairement les références bibliographiques en bas de page ; vous retrouverez toutes nos sources à la fin de l’ouvrage, classées par catégories et par ordre alphabétique.

2 – Configuration politico-administrative
de l’Indépendance

Exploration de l’Afrique et quête des espaces nouveaux

Je ne comprendrai l’histoire du Congo si je commence à l’avènement de son Indépendance le 30 juin 1960, je ne la saisirai ­pleinement si je la découpe de la carte du monde et si j’écarte tout ce qui a pris naissance en dehors de ses frontières et de son cadre continental d’émergence. En effet, en s’emparant de l’Afrique par les armes, l’Occident établit avec le continent des relations d’assujettissement, un type de relation de nature dysharmonique qu’il a consolidé tout au long des siècles. Avec un Occident vainqueur et porteur de « civilisation », l’Afrique vaincue a courtisé l’illusion charmante et malsaine en laquelle les sociétés africaines se sont accoutumées et installées, recevant, génération après génération, les secousses éducatives des cornes baissées d’un taureau occidental conquérant, organisant l’exploitation et la déportation, le pillage et le vol, justifiant et légitimant sa domination par des données ethno-anthropologiques et par sa maîtrise technologique croissante et renouvelée. Le Président Sékou Touré de la Guinée disait que « l’Indépendance est un mot plein de noblesse, l’Indépendance est sacrée, parce qu’elle doit naître dans les esprits le jour même où la domination étrangère s’installe dans un pays, c’est-à-dire que la vocation africaine à l’indépendance n’est pas née aujourd’hui, elle est née le jour même où une puissance étrangère a extorqué aux populations africaines le droit d’exercer les attributs de leur totale souveraineté. » Les sceaux des Indépendances sur lesquels s’est appuyée légitimement l’aspiration à l’avènement d’un temps nouveau, portent les marques d’un long et douloureux passé. Les relations de l’Afrique avec l’Europe ont ceci de particulier : les contacts ont débouché sur une domination économique dont la Traite a été le terrible emblème, puis sur une domination politique avec pour support opératif la colonisation.

En effet, l’exploration de l’Afrique s’est accompagnée d’un double préjugé envers les sociétés africaines : méconnaissance et crainte de l’islam d’une part, racisme envers les Noirs d’autre part. Ceci explique en partie pourquoi le monde africain, si proche de l’Europe méditerranéenne, est resté aussi longtemps ignoré, voire méprisé. Jusqu’au xve siècle, la connaissance de l’Afrique par les géographes et les voyageurs occidentaux reste très fragmentaire. Les voyageurs, comme Marco Polo de retour de son voyage en Chine par l’océan Indien (xiiie siècle), ou les pèlerins qui traversaient l’Égypte pour se rendre à Jérusalem, doivent l’essentiel de leurs informations à leurs interlocuteurs arabophones qui ont des relations économiques et politiques anciens avec l’Afrique subsaharienne. Le monde arabo-musulman a donc construit depuis les viiie et ixe siècles une véritable géographie des populations et des États de l’Afrique sahélienne, des côtes de la mer Rouge et de l’océan Indien, connaissance alimentée par les récits de voyageurs comme celui du fameux Ibn Battouta qui parcourut ces régions au xive siècle lors de ses grands voyages (rilha). Dans une deuxième phase d’exploration et de connaissance de l’Afrique, il revint aux navigateurs portugais d’avoir relevé l’ensemble des côtes du continent entre le milieu du xve et le début du xvie siècle. Un nouveau monde s’ouvrit alors à la connaissance et à la convoitise des Européens. Il ne s’agit plus d’initiatives individuelles d’aventuriers, mais de la mise en place par la couronne portugaise d’une véritable politique des découvertes qui culmina avec les voyages terrestres de Pêro da Covilhã et maritimes de Bartolomeu Dias (1487), puis avec le périple de Vasco de Gama (1497-1498). Cependant la thalassocratie portugaise s’est satisfaite de la construction de quelques solides forts sur les côtes pour garantir sa suprématie maritime et commercer avec l’Afrique. Malgré quelques voyages de marchands ou de missionnaires, l’intérieur du continent africain resta très mal connu comme au xvie siècle, l’établissement des cartes géographiques aux côtes si précises, et des écrits sous forme de compilation comme celle de Léon l’Africain. L’arrivée des Portugais est inséparable des débuts de la Traite des esclaves, atlantique puis transatlantique. Certes l’esclavage existait antérieurement en Afrique comme dans d’autres régions. En effet, la traite vers les pays musulmans à travers le Sahara, la mer Rouge ou l’océan Indien a porté sur un trafic de grande envergure : on avance le chiffre de 9,5 millions d’Africains déportés. Le système de la traite, mis en place par les Portugais au début du xvie siècle, puis relayé par d’autres pays européens, atteignit son apogée au milieu du xviiie siècle. Difficile à chiffrer avec précision, mais la ponction démographique de cette déportation massive est ­considérable : on estime généralement que près de 10 millions d’Africains ont été emmenés de force vers les Amériques. Lors du transfert, les mauvais traitements ont fait mourir plus de 10 % d’entre eux.

Une troisième phase dans l’histoire de l’exploration de l’Afrique débuta au milieu du xviiie siècle, avec le goût de l’époque des Lumières pour les grands voyages, la volonté politique des Anglais et des Français de connaître les sociétés de ­l’intérieur et les premiers effets d’une idéologie qui allait faire des ravages : apporter la « civilisation » en Afrique. Ce ne furent pas les difficultés du climat ou les risques sanitaires qui avaient freiné jusqu’alors ces voyages, mais plutôt l’existence de sociétés organisées, hostiles pour des raisons commerciales et religieuses à la venue des Européens, ou parfois encore minées par la violence liée à la Traite. Les premiers grands voyages de cette nouvelle ère sont ceux de James Bruce (1730-1794) en Éthiopie et de Mungo Park (1771-1806) au Soudan. À partir de ces deux pionniers et durant tout le xixe siècle, le voyage changea de nature. Il devint une véritable expédition, soutenue par des sociétés savantes puis par les gouvernements, suivie par un public pour lequel on rédigea livres et articles autour de quelques grands thèmes propres à enflammer son imagination : les sources du Niger (Mungo Park), Tombouctou (René Caillié), les sources du Nil (Livingstone, Speke, Burton). À la fin du siècle, l’histoire de ces voyages se confond avec celle de la colonisation : l’explorateur passe des traités, cherche à gagner des territoires pour son pays et à devancer ses concurrents (rivalité entre Stanley et Brazza dans certaines régions du bassin du Congo). En une trentaine d’années, entre 1880 et 1914, la quasi-totalité du continent africain va être colonisée par les puissances européennes, à l’exception de deux États restés indépendants, l’Éthiopie de Ménélik et le Liberia, fondé au début du xixe siècle par des esclaves revenus des Amériques.

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