La Folie-Bâton
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La Folie-Bâton , livre ebook

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Description

Jeune fille, Monique a du mal à trouver sa voie. Il n'existe qu'un seul endroit où elle se sent à sa place, en sécurité, avec des repères sûrs. Cet endroit où réside son c ur, c'est La Folie-Bâton, minuscule village du Berry où se tient la maison de ses grands-parents : la Grand-mère, souvent bougonne mais aimante et pétrie du bon sens des c urs simples, et le Grand-père apaisant, toujours réfléchi, avec ses longues moustaches blanches qu'il aime tant lisser ; deux incarnations de la sagesse, cette sagesse dont a tant besoin une enfant qui grandit, qui tâtonne sur le sentier de la vie, qui peine à trouver sa vocation, et connaît ses premiers émois amoureux. Où que Monique soit, chaque fois, dans les moments difficiles, ses pensées la conduisent à La Folie-bâton, son havre, son jardin secret, que nous découvrons tour à tour dans les années 30, puis pendant les dures années de l'Occupation et dans les heures mouvementées de la Libération, et enfin au début des Trente Glorieuses.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 février 2015
Nombre de lectures 42
EAN13 9782365752664
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Monique Chainet



La Folie-Bâton

Histoire d’une quête


Roman des terroirs de France





La veille de l’assemblée ma grand-mère bâclait son ménage pour se mettre plus vite à faire la galette. Elle pétrissait la pâte à même la toile cirée saupoudrée de farine puis formait un long boudin qu’elle enduisait de beurre et de fromage et coupait ensuite en petits tas ronds.
– On dirait des bouses de vache, disait mon cousin Louis qui avait toujours des comparaisons comme ça.
À genoux sur le banc, de l’autre côté de la table, nous étions aux premières loges. Ma grand-mère nous tap ait sur les poignets avec le rouleau à pâtisserie.
– V’allez pas tripoter ma pâte, non ? Aidez-moi donc plutôt à dénoyauter les prunes, que je serai pas prête quand mon four sera chaud.
Nous allions au bourrailler pour casser du petit bois. Plus tard nous regardions les canards se faire décapiter à la hache sur le billot et les lapins saigner à flot de leur œil arraché.
Le lendemain, mes parents arrivaient dès l’aurore, à bicyclette, avec la tête de veau. Ma grand-mère avait déjà préparé le grand pot-au-feu pour la mettre à cuire. Elle soulevait l’oreille du veau d’un air satisfait.
– Y a pas à dire, on est quand même mieux servi à la ville qu’à la campagne. Ici i’s nous apportont que les restes et puis encore i’s nous les fesont payer ben cher.
– Il faut bien qu’ils rattrapent leur essence, remarquait mon père, indulgent, encore que d’ordinaire il criât tout le temps après les commerçants.
– Oh ! i’s s’y retrouvont, va, renchérissait ma grand-mère, sans ça i’s se dérangeraient pas.
Ma mère trouvait que je sentais la vache. Elle recommençait ma toilette à l’eau de Cologne en me recommandant de ne pas aller traîner du côté des étables à Audat.
– Pour une fois, tu peux bien te tenir tranquille.
Elle disait cela pour que je reste auprès d’elle parce que cela faisait huit jours qu’elle ne m’avait pas vue.
– Dame, c’est ingrat, les enfants, insinuait perfidement ma grand-mère. Ça vous a ben sitoût oublié.
Je consentais à faire un tour de jardin en tenant la main maternelle. La vue de mon père qui s’était mis à jardiner avec son complet du dimanche et sa chemise blanche faisait un instant oublier ma noirceur d’âme.
Vers dix heures trente j’allais avec mon cousin Louis au-devant de ses parents qui avaient dû débarquer à la grand-route par le car de dix heures. On nous faisait des recommandations.
– Pas plus loin que le transformateur, vous entendez !
– Et marchez gentiment, à l’ombre, sans faire les fous.
Ma grand-mère nous passait la main dans le dos.
– I’s sont déjà tout en eau !
Il commençait à faire chaud. Tous les champs grésillaient d’innombrables cris-cris et les marguerites et les coquelicots avaient déjà l’air fatigués en haut de leurs longues tiges. Nous nous arrêtions, obéissants, pendant un moment au transformateur, et, comme ni l’oncle ni la tante n’apparaissait, nous poussions jusqu’au parc du Grenouillat pour caresser l’âne qui passait sa tête par-dessus le treillage. Louis essayait toute une série de hi-han sans obtenir de réponse. L’oncle et la tante débouchaient enfin au tournant sur la route enfarinée de poussière.
L’oncle avait sa veste sur le bras, le chapeau en arrière et une marque rouge en travers du front. La tante marchait en pantoufles pour être plus à l’aise. Nous demandions des nouvelles de l’assemblée, au bourg, combien il y avait de manèges et de loteries et si le bal-parquet était monté.
Mon cousin Pierre qui était charretier au domaine du Breuil nous rattrapait en route avec sa bicyclette. Il nous enlevait l’un après l’autre sur son porte-bagages et après un tour d’honneur à toute allure dans la cour pour faire peur aux poules, nous effectuions un arrêt bloqué à deux centimètres de la Grand-mère en train de goûter la sauce du lapin qui mijotait dehors sur le fourneau à charbon de bois.
– Grand benêt, va ! I’ changera pas ! Des coups à me faire renverser ma cuisine !
Ma vie avait toujours été en danger entre les mains de mon cousin Pierre. Quand j’étais bébé, comme il m’aimait bien et qu’on le croyait sérieux pour son âge, on lui confiait le soin de me promener. Il lançait la voiture à toute volée sur la route et courait après. J’étais à la merci du moindre caillou qu’eût rencontré la roue, de la première voiture débouchant au tournant. J’avais survécu et ces exploits lointains dont je n’avais personnellement gardé aucun souvenir nous liaient, mon cousin Pierre et moi, comme des compagnons d’armes.
Il allait tirer quelques seaux d’eau pour faire sa toilette sous le hangar. Au bout d’un moment il m’appelait et je le servais comme un petit chien : je lui apportais son linge propre, l’eau de Cologne pour les coupures du rasoir, la brillantine pour ses ondulations. Il en mettait du temps à se préparer, Pierrot !
– I’me fait bouillir, disait la Grand-mère.
– C’est de son âge, répondait ma mère.
Moi seule le comprenais et l’assistais.
– Dis, Pierrot, à quelle heure on ira à l’assemblée ?
– Après la chaleur. De toute façon ça ne commence pas avant trois heures, trois heures et demie. Faut bien donner aux gens le temps de digérer.
– Te me feras faire une danse ?
– Si tu ne fais pas de manières pour manger la tête de veau.
Qui veut la fin veut les moyens. Je promettais d’avaler un petit morceau de langue.
– Avec beaucoup de sauce dessus et beaucoup d’échalote pour le faire passer.
Lorsque nous rentrions, moi portant la cuvette comme le Saint-Sacrement, ma tante de Paris faisait admirer la robe de crêpe de Chine noir que sa patronne lui avait donnée.
– Trois fois qu’elle l’a mise ! Trois fois seulement. C’est pas croyable l’argent qu’on jette par les fenêtres dans cette maison.
– Ne te plains pas, lui disait mon oncle Sylvain, puisque tu en profites.
Il était assis sur la huche comme d’habitude et la Grand-mère qui s’affairait pour préparer le déjeuner le dérangeait toutes les cinq minutes pour prendre quelque chose sous ses fesses.
– Y a donc point de chaise à la maison qu’i’faut toujours que tu sois gueuché coumme les dindes. Et puis allez, ouste, fichez-moi le camp dans la cour, tous autant que vous êtes. Je peux-ti faire moun ouvrage, moi, anque toute c’te bande à me tourner dans les jambes pire que la chatte ? Toi, Juliette, tu reviendras dans un quart d’heure vingt minutes pour m’aider à mettre mon couvert.
C’était l’évacuation générale et les conversations reprenaient sur le tronc d’orme qui nous servait de banc dans la cour. Je faisais des efforts pour m’intéresser au colonel de La Rocque et à l’affrontement des Croix de Feu avec les Rouges devant la Chambre des Députés.
– Ah ! disait ma tante de Paris, on a bien cru que c’était la guerre civile.
La Grand-mère réapparaissait sur le pas de la porte, la main en visière dans le soleil, pour appeler :
– Sylvain, tu veux-ti aller tirer le vin, mon garçon ?
S’il y avait la guerre, pensais-je, je resterais au lit tout le temps avec les couvertures par-dessus ma tête, pour échapper à ces horribles choses que Pathé-journal filmait en Chine et en Espagne.
Mon oncle Sylvain se levait comme s’il avait été perclus de rhumatismes.
– Tu viens avec moi, Épinoche ?
D’un bond j’étais au cellier. Nous nous accroupissions devant le fût. Mon oncle Sylvain maintenait les bouteilles sous le robinet que je m’appliquais à fermer à temps, avant que le vin ne débordât. À nos pieds la terre battue avait absorbé une petite mare violette. Nous entendions les prunes fermenter doucement dans le petit baril. D’ordinaire c’était moi qui venais tirer le vin du déjeuner dans un broc d’émail. Un jour, revenant du cellier, le nez en l’air, je m’étais heurtée à l’échelle et le vin avait giclé sur mon tablier.
– Tu nous a ben fait un drôle de trempé, observa le Grand-père.
Cela m’avait fort vexée. Une autre fois, j’avais posé une bouteille pleine sur la marche et étais retournée au fond du cellier pour prendre une pomme. Pendant que je choisissais un fruit, la bouteille avait glissé, se brisant sur la marche de pierre, usée au milieu comme celles des églises.
– T’en fais jamais d’autres, gourmanda Grand-mère.
– C’est la Minette, accusai-je ignoblement.
Et je racontai la scène avec force détails.
Quand la Minette, ignorant mes calomnies, se présenta à la cuisine, elle fut chassée honteusement comme une renégate. Son air étonné me brisa le cœur. Après le dîner je lui portai du lait en cachette sous le hangar dans le plus beau bol de ma grand-mère – décor chinois rouge et or – qui se trouva ainsi spontanément offert aux gros soul

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