Revue des théâtres, 1856
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Revue des théâtres, 1856Revue des Deux MondesRevue des théâtres, 1856Sommaire1 1er semestre 18562 2e semestre 18563 3e semestre 18564 4e semestre 18565 Théâtre-Français – Les reprises6 5e semestre 18567 6e semestre 18561er semestre 18562e semestre 18563e semestre 1856On n’a pas oublié le succès de Péril en la Demeure, dont la grâce et la délicatesseavaient réuni de si nombreux suffrages; le succès que vient d’obtenir le Village estde nature à contenter l’ambition la plus exigeante. Toutes les parties de cecharmant ouvrage ont été écoutées avec une attention vigilante que les pièces dethéâtre obtiennent rarement. M. Octave Feuillet, que le public a toujours traité avectant de bienveillance, n’avait jamais rencontré un auditoire aussi sympathique. Lesmoindres nuances de la pensée ont été saisies car les spectateurs assemblés,comme elles l’avaient été par le lecteur solitaire. Il semble donc que la critique n’aitplus qu’à s’incliner, et que l’arrêt du parterre et des loges lui ferme la bouche. Quedire à l’inventeur qui réussit, au poète applaudi? Lui donner des conseils? Il n’en apas besoin, puisqu’il a trouvé le secret d’émouvoir et de charmer, puisque la foule abattu des mains, puisque, sans recourir aux incidens inattendus, sans exciter lacuriosité, il a su attendrir les cœurs les plus rebelles, et que son œuvre, déjà connuede tous ceux qui suivent le développement littéraire de notre temps, a paru nouvelleaux oisifs et aux blasés. Cependant, ...

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Revue des théâtres, 1856Revue des Deux MondesRevue des théâtres, 1856Sommaire1 1er semestre 18562 2e semestre 18563 3e semestre 18564 4e semestre 18565 Théâtre-Français – Les reprises6 5e semestre 18567 6e semestre 18561er semestre 18562e semestre 18563e semestre 1856On n’a pas oublié le succès de Péril en la Demeure, dont la grâce et la délicatesseavaient réuni de si nombreux suffrages; le succès que vient d’obtenir le Village estde nature à contenter l’ambition la plus exigeante. Toutes les parties de cecharmant ouvrage ont été écoutées avec une attention vigilante que les pièces dethéâtre obtiennent rarement. M. Octave Feuillet, que le public a toujours traité avectant de bienveillance, n’avait jamais rencontré un auditoire aussi sympathique. Lesmoindres nuances de la pensée ont été saisies car les spectateurs assemblés,comme elles l’avaient été par le lecteur solitaire. Il semble donc que la critique n’aitplus qu’à s’incliner, et que l’arrêt du parterre et des loges lui ferme la bouche. Quedire à l’inventeur qui réussit, au poète applaudi? Lui donner des conseils? Il n’en apas besoin, puisqu’il a trouvé le secret d’émouvoir et de charmer, puisque la foule abattu des mains, puisque, sans recourir aux incidens inattendus, sans exciter lacuriosité, il a su attendrir les cœurs les plus rebelles, et que son œuvre, déjà connuede tous ceux qui suivent le développement littéraire de notre temps, a paru nouvelleaux oisifs et aux blasés. Cependant, même après un succès aussi incontesté, lesconseils ne sont pas hors de propos. Malgré l’approbation sans réserve quel’auteur a obtenue, il n’est pas inutile de lui dire que sa pièce, excellente pour lalecture, ne satisfait pas à toutes les conditions de l’art dramatique. La donnée,habilement choisie, habilement déduite, si l’on ne tient compte que de la pensée,voudrait un cadre un peu plus animé. Je ne donne pas tort au public, je m’associede tout cœur aux applaudissemens, mais je crois que le théâtre demande un peumoins de sobriété dans l’invention. La finesse des réparties, la délicatesse dessentimens, n’auraient rien perdu, si l’auteur eût consenti à imaginer quelquesincidens. La vérité qu’il voulait mettre en lumière serait demeurée entière, et lesspectateurs auraient vu sans déplaisir cette vérité mise en action. M. OctaveFeuillet s’est contenté du dialogue, et je dois reconnaître qu’il n’a excité aucunregret dans l’âme du spectateur : je crois pourtant que cette méthode ne réussiraitpas deux fois. Ce qui paraît simple aujourd’hui pourrait plus tard paraître insuffisant.Que l’auteur ne s’abuse pas à cet égard : la conversation la plus élégante,l’échange des sentimens les plus vrais, ne fournissent pas tous les élémens d’unecomédie. Il faut absolument que les personnages soient engagés dans une action,et le Village, qu’on écoule avec plaisir, éveillerait encore de plus vives sympathies,si le dénoûement était retardé par quelques ruses poétiques. Il ne faut abuser derien, pas même de la simplicité. M. Octave Feuillet ne peut être embarrassé duconseil que nous lui donnons; il sait inventer quand il veut.Si l’auteur du Village, qui n’était pas d’abord destiné à la scène, n’a pas fait tout cequ’il pouvait faire pour obéir aux lois de l’art dramatique, il y a dans son œuvre desqualités précieuses que la critique doit étudier avec soin et signaler à tous ceux quiécrivent pour le théâtre. Les personnages, qui n’agissent pas, sont des modèles devérité, ils intéressent, ils émeuvent par la sincérité de leurs pensées, ils neprononcent pas une parole qui ne soit ratifiée par le cœur ou par l’intelligence.Cette œuvre, incomplète au point de vue scénique, mérite les encouragemens detous les hommes lettrés, de tous ceux qui voient dans le théâtre autre chose qu’undélassement, parce qu’elle a réussi sans autre secours que celui de l’analyse
philosophique, et le parti choisi par M. Octave Feuillet a pour moi d’autant plusd’importance que l’auteur sait cacher l’enseignement sous l’émotion. Il ne prendjamais le ton didactique; les leçons qu’il nous donne ne se présentent jamais sousla forme d’argumens, ce qui est, à mon avis, un grand mérite. Je pense donc quenos auteurs dramatiques agiraient sagement en étudiant les procédés qui ontassuré le succès du Village. Ils auraient tort sans doute de vouloir régler leurconduite sur celle de M. Feuillet, puisqu’il a trop dédaigné d’exciter la curiosité:c’est un tort que je ne veux pas atténuer, car la curiosité au théâtre n’est pas ànégliger; mais l’analyse des sentimens, le développement des caractères sont lasubstance même de toute poésie : en écrivant le Village, M. Octave Feuillet s’enest souvenu, et c’en est assez pour que cette comédie devienne un sujet d’étude.J’ai lieu de penser qu’avant de se mettre à l’œuvre il a relu le Philosophe sans lesavoir. Non que je veuille établir aucune comparaison entre Sedaine et le jeuneécrivain; mais je trouve entre le Village et le Philosophe sans le savoir une sortede parenté. Si les données ne se ressemblent pas, les idées mises en œuvre sontde la même famille. Le dia logue de Sedaine, plus vif, plus rapide, convient mieux àla scène que celui de M. Octave Feuillet. Cependant, malgré cette différence, lesdeux ouvrages éveillent en nous des sentimens de même nature. En étudiant avecplus de soin encore le maître qu’il parait avoir consulté, l’auteur du Villagecomprendra que les personnages les plus vrais, pour demeurer dans lavraisemblance, ne doivent jamais confondre un interlocuteur avec un lecteur. Dansla vie de chaque jour, on n’écoute pas sans impatience le plus beau diseur, s’ilparle trop longtemps. Les meilleures pages récitées par différens personnages necomposent pas un dialogue. En écrivant le Philosophe sans le savoir, Sedaine nel’a jamais oublié; dans le Village, M. Feuillet ne s’en est peut-être pas toujourssouvenu.L’idée mise en œuvre par M. Feuillet est de celles qu’il n’était guère aisé derenouveler, et l’auteur a su cependant lui donner tout l’attrait de la nouveauté. Il s’agitde montrer combien il est difficile de rencontrer le bonheur en s’affranchissant detous les devoirs qu’impose la famille, en réduisant la vie à la curiosité. «Voir c’estavoir, » dit un vieux proverbe, choisi comme devise par les bohémiens. A cecompte, les voyages seraient la plus grande richesse, la plus grande joie de cemonde. Quand l’intelligence s’est remplie de souvenirs, si le cœur est demeurésans affection, les journées sont bien longues. Vienne l’âge du repos : dès que lemouvement est remplacé par l’immobilité, l’image de tous les spectacles qui ontpassé devant nos yeux ne suffit plus pour nous attacher à la vie. Nous sommesfrappés d’un mortel ennui, et nous envions le sort du plus humble travailleur. Cettedonnée, dont la vérité se révèle à tous ceux qui ont rêvé dans leur jeunessel’indépendance absolue, le détachement de toutes choses, est devenue entre lesmains de M. Feuillet une donnée poétique. Pour la développer, il s’est contenté detrois personnages. Thomas Rouvière, qui a fait le tour du monde, retrouve, aprèstrente-cinq ans d’absence, un de ses compagnons de jeunesse, un camarade decollège, Dupuis, qui n’a pas quitté sa famille, et s’est résigné au labeur de chaquejour pour élever sa fille et la doter; quinze ans de notariat étaient d’abord la limitesuprême de son courage; l’éducation de sa fille est venue lui imposer de nouveauxsacrifices, et maintenant il achève en paix sa vie près de sa compagne fidèle, qu’iln’a jamais quittée. Rouvière, assis à la table de son vieil ami, raconte ses voyages,et le notaire de Saint-Sauveur-le-Vicomte écoute d’une oreille avide ces merveilleuxrécits. La cloche du village sonne l’Angelus, Mme Dupuis se lève et part pourl’église. Les deux amis demeurés seuls épanchent plus librement leurs pensées.Dupuis, qui a donné au notariat les plus belles années de sa vie, rougit de sonignorance, de ses habitudes casanières. Exalté par les récits de son camarade, ilconçoit le projet de s’émanciper et de courir le monde à son tour; mais commentannoncer à sa femme un projet si hardi? Il a beau vanter son courage, il n’oseraitjamais affronter l’étonnement et la douleur de Mme Dupuis. Rouvière, en amidévoué, prend sur lui tous les embarras d’une telle révélation. Il attendra de piedferme la matrone de Saint-Sauveur-le-Vicomte, et lui annoncera pour le soir mêmele départ de son mari. Pendant qu’il expliquera de son mieux la nécessité de cevoyage inattendu, Dupuis fera sa malle.Tout s’accomplit de point en point selon les termes du traité. Mme Dupuis revientde l’église et se trouve seule avec Rouvière. Aux premières paroles qu’il luiadresse, elle ne répond d’abord que par l’incrédulité; puis, quand le doute ne lui estplus permis, quand l’évidence a dessillé ses yeux, elle fond en larmes; elle n’accusepas son mari d’ingratitude, elle n’accuse qu’elle-même et la médiocrité de sonintelligence. Plus d’une fois déjà elle s’était demandé si le bonheur qu’elleressentait était un bonheur partagé. Puisque son mari veut partir, puisqu’il a besoinde distractions, puisque l’affection de sa vieille compagne ne lui suffit pas, sadéfiance était légitime, elle avait raison de s’inquiéter : elle était seule heureuse.Qu’il parte donc pour un an, pour deux ans, qu’il revienne au logis après avoir
demandé à l’agitation les joies que le repos n’a pu lui donner : elle souffrira sansdoute, mais elle souffrira sans se plaindre, car elle se rend justice, et comprendqu’elle est trop peu de chose pour remplir la vie de son mari. En parlant de sadouleur et de sa résignation, elle se révèle sous un aspect tout nouveau. Lamatrone dévote qui tout à l’heure semblait étrangère à toute émotion, quirecommandait ses confitures et son macaroni, et demandait grâce pour lesimportunités de sa chatte, grandit et se transfigure. Elle trouve, pour l’expression deses regrets et de sa soumission à la volonté divine, des accens qu’un poète nedésavouerait pas. Rouvière, après lui avoir résisté en esprit fort, en essayant de larailler, se laisse attendrir. Il s’étonne, il admire, il ose à peine insister surl’accomplissement du projet que sans lui Dupuis n’aurait jamais conçu. Le vieuxnotaire reparaît avec sa malle faite. Les chevaux sont attelés. Tout est prêt pour ledépart des deux amis, quand tout à coup Rouvière jette les yeux sur un calendrier. Apareille époque, le 12 janvier, il y a cinq ans, il était seul dans une chambred’auberge, à Peschiera, et voyait la mort approcher; trop faible pour parler, il sentaitl’abandon dans toute son amertume. Au pied de son lit, un prêtre agenouillémurmurait des prières; à son chevet une vieille femme, un jeune médecin, tous deuxégalement indifférens, s’entretenaient à voix basse; pas une larme, pas un regret.Ce cruel souvenir est demeuré dans sa mémoire, et ne s’effacera jamais. Cettemort solitaire, loin des siens, loin de ses amis, lui est apparue comme un châtimentprovidentiel. Il n’a vécu que pour lui-même, il n’a connu ni le devoir, ni ledévouement : n’est-il pas juste qu’il meure oublié de tous? L’entretien une foisamené sur ce terrain, tout projet de voyage s’évanouit bientôt. Rouvière ne songeplus à enlever son vieil ami, et achèvera ses jours à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Ilprendra sa part de bonheur et de repos au foyer domestique, et quand la mortviendra frapper à sa porte, il aura, pour lui fermer les yeux, la main d’un ami.Certes on ne peut nier que l’épreuve imposée à ces trois personnages ne soithabilement conçue. Tous les sentimens sont vrais, toutes les pensées sont faciles àjustifier. Rien d’inutile, rien d’artificiel. Tous ceux qui ont connu tour à tour la solitudeet l’agitation s’associent à l’émotion de Rouvière. La honte et l’embarras de Dupuisen face du voyageur sont dessinés d’après nature, et l’auteur a su éviter touteexagération. Il n’y a rien d’inutile, tout est vrai, et pourtant il est permis de reprocherà M. Feuillet d’avoir circonscrit dans des limites trop étroites le développementpoétique de sa pensée. Sans accroître beaucoup le nombre des personnages, ilpouvait rendre l’épreuve plus difficile pour Dupuis, et retarder la conversion deRouvière. A coup sûr, je n’entends pas plaider ici la cause de l’immobilité. Il meparaît impossible de connaître la mesure de son intelligence en n’abandonnantjamais la vue de son clocher. Cependant la vie casanière engourdit nos facultés, lemouvement sans trêve et sans but laisse dans l’âme une mélancolie profonde. Jetrouve donc que Rouvière, après avoir tant couru, a cent fois raison de se reposer.Je crois seulement que Dupuis, qui n’a pas bougé depuis trente-cinq ans, qui n’apas même réalisé le rêve unique de sa jeunesse, qui a nourri si longtempsl’espérance de voir les Pyrénées et n’a pas contenté son envie, devrait embrasseravec plus d’ardeur le projet imaginé par son vieux camarade. Il sent qu’il s’estrouillé, que son intelligence s’est appauvrie, engourdie dans une suite de journéestoujours pareilles, toujours prévues. Je ne pense pas me tromper en affirmant queM. Feuillet pouvait traiter plus largement cette donnée, dont je reconnais d’ailleursl’importance morale, ou plutôt c’est en raison même de son importance qu’elle meparaissait mériter un cadre plus étendu. Le Village est une esquisse charmante.Quelques développemens en eussent fait un tableau qui, au lieu de plaire etd’émouvoir doucement, eût dominé la foule.L’opinion que j’exprime ici trouvera sans doute plus d’un contradicteur. Ce quej’appelle timidité sera pour bien des gens une preuve de sagesse. Tandis que jereproche à M. Feuillet de n’avoir pas fait tout ce qu’il pouvait faire, de n’avoir pastraité assez hardiment la donnée gracieuse qu’il avait choisie, d’autres lui saurontbon gré de sa réserve. Il est certain que la sobriété dans les développemens, lorsmême qu’elle est poussée à l’excès, mérite l’approbation des hommes de goût Nerien dire de trop, ne dit-on pas tout ce qu’il faut, est aujourd’hui un signed’originalité. Demeurer vrai, et, par crainte de la prolixité, ne pas montrer la véritésous toutes ses faces, est sans doute un mérite qui ne court pas les rues. Je nem’étonne pas que le Village soit accepté par le plus grand nombre des spectateurscomme une œuvre complète : sans partager cet avis, je n’y vois rien d’inattendu;mais comme les données vraies deviennent plus rares de jour en jour, comme onrencontre plus souvent le talent que la sincérité, on me pardonnera de souhaiterchez M. Feuillet un peu plus de hardiesse. Il observe avec diligence, il dessine avecfinesse. C’en est assez pour obtenir le suffrage des hommes de goût. S’il tentait depeindre au lieu d’esquisser, j’aime à croire qu’il resterait sincère, et ne se laisseraitpas séduire par les ruses du métier. Nous avons parmi nous des écrivains habilesqui savent tirer parti du sujet le plus indigent. M. Feuillet, qui manie notre langueavec élégance, se défie trop des ressorts dramatiques. Pour laisser à sa pensée
toute sa valeur, toute son évidence, il évite avec soin, je dirais volontiers avecobstination, tout ce qui pourrait ressembler à de l’adresse. Le Village, qui mesuggère ces réflexions, traité selon la méthode accréditée aujourd’hui, n’offriraitsans doute plus le même intérêt; mais M. Feuillet a trop bien prouvé la délicatessede son esprit pour que nous redoutions de sa part l’emploi des incidens vulgaires.Je n’insisterais pas sur l’extrême simplicité du Village, si l’auteur n’était à mes yeuxun des écrivains les mieux méritans de la littérature contemporaine. Malgré labienveillance que le public lui a toujours témoignée, malgré l’accueil empressé faità ses premiers débuts, il n’a jamais gaspillé son talent. Il n’improvise pas,n’abandonne rien au hasard. Tandis que tant d’esprits heureusement douéss’énervent en se prodiguant, il médite lentement chacune de ses œuvres, et necherche pas à les multiplier sans mesure. Il appartient à une famille littéraire quin’est pas nombreuse, où le contentement de soi-même, le respect de la dignitépersonnelle passent avant la popularité. Sans renoncer à ces traditions excellentes,il pourrait, je n’en doute pas, nous offrir sa pensée sous une forme plus savante.Les habiles qui n’ont que de l’habileté, qui ne prennent pas le temps d’observer, oune savent pas lire au fond des caractères, mettent l’étonnement au-dessus de lavérité. M. Feuillet, qui possède un regard pénétrant, un esprit droit, ne tient pasassez de compte des artifices légitimes de l’invention dramatique. Quand il tientune donnée vraie, il néglige trop souvent d’exciter l’attention en inquiétant l’espritdes spectateurs. Il laisse deviner trop facilement le but qu’il se propose et la routequ’il suivra. Dans la composition de ses ouvrages, il pousse la loyauté jusqu’àl’indiscrétion. Chacun sait si bien où il va, par quel sentier il passera, que parfoisl’auditoire devine les paroles qui ne sont pas encore prononcées. Quand je dis lesparoles, je vais trop loin peut-être, car l’auteur du Village écrit d’un style qui luiappartient; mais on devine au moins quelques-unes de ses pensées. Il ne tiendraitqu’à lui de concilier la curiosité, l’inquiétude de l’auditoire avec l’étude descaractères, l’analyse des sentimens et la vérité de l’action.Les débuts de M. Rouvière dans Britannicus et de M. Lafontaine dans le Cid, sontvenus confirmer bien tristement ce que nous disions, il y a quelques semaines, desprétentions familières aux comédiens. M. Rouvière a voulu rajeunir le rôle de Néron,M. Lafontaine a tenté de transformer le rôle du Cid. Tous deux ont eu la prétentionde révéler au public le sens ignoré jusqu’ici des personnages qu’ils étaient appelésà représenter. On pourrait s’égayer de leur déconvenue, si l’erreur qu’ils ontcommise était un fait isolé; mais dans la profession qu’ils ont embrassée, cetteerreur est si fréquente, qu’elle ne peut s’expliquer que par une épidémie d’orgueil,et c’est pour la société moderne un triste symptôme que les comédiens s’attribuentle droit de refaire à leur guise les œuvres de Corneille et de Racine. Personnen’avait encore compris Néron et don Rodrigue. Depuis deux cent vingt ans, le Cidétait demeuré lettre close. M. Lafontaine s’est chargé de nous l’expliquer. Leshommes studieux qui ont lu le Romancero croyaient follement que don Rodrigueétait doué d’un caractère ardent, chevaleresque, et même un peu vantard. Ils nemettaient pas en doute la grandeur de ses sentimens, mais s’accordaient àreconnaître en lui un peu d’emphase. M. Lafontaine est venu dessiller leurs yeux, etleur montrer qu’ils n’avaient pas même entrevu la vérité. Que les hommes studieuxs’humilient et confessent leur ignorance! Il y a dans la révélation que nous signalonsquelque chose de tellement inattendu, de tellement victorieux, qu’il n’y a pas moyend’engager la discussion avec le nouveau don Rodrigue. Pour comprendreCorneille, on s’en tenait à Corneille, ou bien on remontait jusqu’aux chantspopulaires qu’il avait lui-même indiqués comme la donnée primitive de sacomposition, jusqu’à Guilhen de Castro, qui lui a fourni plusieurs scènes. M.Lafontaine est venu donner à cette question, qui semblait épuisée, un aspect toutnouveau. C’est à Florian qu’il s’est adressé pour pénétrer le sens de Corneille.C’est avec le secours de Némorin qu’il a deviné le vrai caractère de don Rodrigue.Jamais comédien n’établit plus franchement son indépendance absolue, jamaisl’autorité de la tradition ne fut répudiée avec plus d’éclat et de hardiesse. Voyezpourtant l’ingratitude et l’aveuglement du public : le sens imprévu que M. Lafontaineprête à Corneille n’a pas été accepté. On a traité cette hardiesse de témérité, deprésomption. On s’est récrié, on a prétendu que don Rodrigue et Némorin n’étaientpas du même sang, n’appartenaient pas à la même famille. M. Lafontaine, qui adonné au Gymnase-Dramatique des preuves nombreuses de son intelligence, asans doute d’excellentes raisons pour chercher dans Florian l’explication deCorneille. Je regrette qu’avant de produire sur la scène l’interprétation qu’il aimaginée, il ait négligé d’énumérer les motifs qui l’ont décidé : ce que nous prenonspour un paradoxe deviendrait peut-être une vérité de l’ordre le plus élevé. Enattendant qu’il descende jusqu’à nous, la confusion est notre partage. Nous avonsbeau compter par centaines des contradicteurs du nouveau don Rodrigue, nous nesommes pas sûr qu’il n’ait point raison. L’esprit moderne est inventif, et depuiscinquante ans nous avons vu se produire tant de découvertes!
Néron sous les traits de M. Rouvière n’étonne pas moins que le Cid sous les traitsde M. Lafontaine. Racine n’a pas à se plaindre, il est rajeuni aussi librement, aussihardiment que Corneille. Néron ainsi compris mérite vraiment le nom de création.On a beau lire et relire la tragédie écrite en 1669, interroger Tacite et Suétone, onne trouve rien de pareil; mais de quel droit nous plaignons-nous? Un comédienvulgaire, après avoir étudié l’œuvre du poète, se serait contenté de rechercher dansl’histoire le type des sentimens qu’il avait à exprimer. C’est ainsi que procédaitTalma. Depuis la mort de cet acteur trop vanté, tout est bien changé. Lescomédiens pénétrés de la grandeur de leur mission se placent au-dessus du poète,au-dessus de l’historien; éclairés et guidés par un rayon mystérieux que personnen’entrevoit à moins d’être initié, ils marchent d’un pas résolu vers un but inaperçu detous. C’est ainsi que M. Rouvière vient de nous révéler un Néron ignoré de Racine,de Tacite et de Suétone. Grâces lui soient rendues pour l’invention de cepersonnage! En récitant les vers écrits depuis cent quatre-vingt-sept ans, il a trouvémoyen de nous intéresser, de nous distraire, comme l’eût fait un acteur chargé deréciter des vers inédits. Talma, se plaint servilement à l’intention apparente del’auteur, faisait du rival, du meurtrier de Britannicus un personnage contenu,longtemps maître de lui-même, dont la colère semblait d’autant plus terrible qu’elleéclatait comme la foudre dans un jour d’été. M. Rouvière a choisi une route plushardie. Il a brisé le masque immobile dessiné par un historien trop crédule, et copiépar un poète trop docile. Le nouveau Néron tantôt rêve comme Hamlet, tantôts’agite comme Othello. L’auditoire, je dois le dire, a traité M. Rouvière avec autantde rigueur que M. Lafontaine. Le nouveau Néron n’a pas été mieux accueilli que lenouveau don Rodrigue. L’intelligence publique n’est pas encore assez avancéepour comprendre et pour accepter de telles révélations.GUSTAVE PLANCHE.4e semestre 1856Théâtre-Français – Les reprisesOn a dit que Molière, en écrivant amphitryon, avait voulu peindre les amours deLouis XIV et de Mme de Montespan. Le rapprochement des dates se prête à cetteconjecture. Cependant je crois que le poète n’avait pas songé à toutes les allusionsque les courtisans prétendaient deviner dans cette comédie. Cette opinion estd’autant plus facile à justifier, que les principales scènes de l’ouvrage français setrouvent dans la comédie de Plaute. J’avoue d’ailleurs que je ne saisis pas bienl’analogie qu’on veut établir entre la position du général thébain et celle du marquisde Montespan. Jupiter se donne la peine de tromper le mari d’Alcmène; Louis XIVen agissait autrement avec les seigneurs de sa cour. Quand il avait distingué unefemme dans les salons de Versailles, le mari ne lui causait pas grand souci; peut-être même croyait-il de bonne foi lui faire beaucoup d’honneur, tant il était pénétréde sa qualité divine. Le marquis de Montespan, ayant eu le mauvais goût de sefâcher et d’adresser à sa femme des remontrances qu’un homme bien élevén’aurait jamais dû se permettre, fut exilé dans ses terres, et le roi prit sa place sansque personne s’en étonnât. Or je ne trouve rien de pareil dans amphitryon. Veut-oncomparer le général thébain au marquis de Montespan? Il est vrai qu’il parle à safemme sur le ton de la colère, quand il apprend à son arrivée qu’Alcmène a passéla nuit dans les bras d’un autre Amphitryon; mais j’imagine que la marquise deMontespan n’a jamais répondu à son mari comme la femme du général thébain :elle n’a pas essayé de lui persuader qu’elle avait cédé au roi par surprise. Jupiter,pour avoir le champ libre, n’éloigne pas Amphitryon par la violence, mais par laruse. Ainsi les trois personnages principaux, Jupiter, Alcmène, Amphitryon, ont puégayer les courtisans et leur rappeler la mésaventure du marquis de Montespan,sans que Molière eût songé au mari mécontent de la nouvelle maîtresse. Si lacréation de ces personnages lui appartenait, je le croirais difficilement; comme illes a pris dans la comédie de Plaute, je refuse de le croire. D’ailleurs les objectionsque je viens d’exposer ne sont pas les seules qui se présentent. Molière, quifrondait les ridicules de la cour avec l’approbation du roi, ne se fût jamais permis deplacer le roi lui-même dans une situation désavantageuse. Or Jupiter, que l’on veutnous donner pour l’image de Louis XIV, n’est pas le personnage le plus intéressantde la comédie. Le mari, bien que trompé, mais trompé par une femme de bonnefoi, qui ne peut rire de sa mésaventure, puisqu’elle l’ignore elle-même, éveille plusde sympathie que l’amant heureux obligé de prendre les traits d’Amphitryon pourobtenir les faveurs d’Alcmène. Louis XIV eût-il jamais accepté la position deJupiter? Une telle pensée ne se concilie guère avec le témoignage descontemporains. A parler franchement, je ne crois pas que Molière, en écrivantamphitryon, ait voulu faire un tableau d’histoire, ou présenter, sous des nomspaïens, une leçon philosophique; je ne vois dans cette comédie qu’un pur jeu
d’esprit. Quand il s’agit de Tartufe ou du Misanthrope, de l’École des Femmes oudes Femmes savantes, il est bon, il est utile d’étudier les intentions de l’auteur.Chercher dans Amphitryon des allusions personnelles, un enseignement moral, meparait un pur enfantillage; autant vaudrait mesurer la portée historique etphilosophique des Fourberies de Scapin. C’est mal comprendre Molière qued’admirer sans distinction tout ce qu’il a écrit, et d’attribuer à tous ses ouvrages lamême importance. Menant de front les travaux littéraires et la profession decomédien, obligé de songer aux intérêts de ses camarades, dont il était le chef, iln’avait pas toujours le temps de chercher en lui-même ou autour de lui des sujetsnouveaux. Plus d’une fois, pris au dépourvu par les besoins de son théâtre, il a dûse résigner à ne pas se contenter pour plaire au public, et renoncer à l’instruire pourl’égayer. Quelque soit le mérite d’Amphitryon, je suis loin de le ranger parmi lesmeilleurs ouvrages de l’auteur. C’a été sans doute pour Molière lui-même un purdélassement. Dans cette libre imitation de la comédie latine, il a donné carrière àsa fantaisie, et ceux qui l’accusent de stérilité, de prosaïsme, n’ont qu’à relire cettejoyeuse bouffonnerie pour comprendre l’injustice de leurs reproches.Cependant, quand je conteste les allusions personnelles, quand je nie les intentionsphilosophiques d’Amphitryon, je n’entends pas affirmer par là que Molière, encomposant cet ouvrage, n’a tenu compte ni de son temps, ni des épreuves qu’ilavait lui-même subies. Plus d’un trait sans doute s’adresse aux courtisans. Quantaux chagrins du général thébain, il est probable qu’ils lui rappelaient ses propreschagrins. Lorsqu’il écrivit Amphitryon, il était marié depuis deux ans, et ne s’abusaitpas sur la fidélité de sa femme. Il ne faut donc pas s’étonner de rencontrer parmi lesrailleries les plus hardies quelques sentences dictées par de cruels souvenirs. Iln’est donné à personne de s’oublier complètement, même en dessinant despersonnages qui ne relèvent pas de la réalité. Le poète a beau quitter la terre pourle séjour des dieux, tracer pour le maître de l’Olympe un rôle de fourbe et pourMercure un rôle d’entremetteur : il ne peut se dégager pour longtemps de sessouffrances morales. Sa vie personnelle intervient malgré lui, souvent même à soninsu, dans le travail de son imagination; il veut rire, il veut égayer ceux qui l’écoutent,et l’amertume se laisse deviner dans ses plus joyeuses railleries. Le don comiqueest à ce prix. Pour saisir, pour exprimer le ridicule, il faut avoir connu par soi-mêmele mensonge des promesses, et Molière possédait cette science que les livresn’ont jamais enseignée.Ce que j’admire dans Amphitryon, c’est l’alliance de la fantaisie et de la raison. Ledirecteur du Théâtre-Français a donc agi sagement en remettant au répertoire cettecomédie négligée depuis trop longtemps. Les poètes de notre temps qui se disentamans de la fantaisie se croient volontiers obligés de témoigner pour la raison undédain absolu. S’ils prennent la peine d’aller entendreAmphitryon, ils comprendrontqu’il n’est pas impossible de concilier l’imagination la plus hardie avec le bon sensle plus sévère et le plus clairvoyant. La fable de cet ouvrage, que Plaute n’a pasinventée, repose sur une donnée qui n’a rien de réel; l’auteur ne prend aucun soucide la vraisemblance. La donnée une fois admise, et le spectateur l’acceptevolontiers dès qu’il connaît les noms des personnages, l’action n’étonne pas, tant ily a de naturel dans le développement des caractères. A l’exception du dénoûment,qui est une nécessité, il n’y a pas une scène qui ne s’accorde avec les idéescommunes. C’est ce qui a fait le succès d’Amphitryon dès le premier jour, ce qui acharmé les contemporains de Molière, ce qui plaît aux spectateurs d’aujourd’hui. Lafantaisie ainsi comprise n’effarouche personne. Pour écouter Mercure et Sosie,Alcmène et Jupiter, on n’est pas obligé d’oublier ou de répudier toutes les notionsdont se compose la vie de l’intelligence : c’est pour l’auditoire et pour le poète unimmense avantage.Quant au style d’Amphitryon, s’il n’est pas toujours d’une irréprochable pureté, ilétonne constamment par la souplesse et la variété. Les images, les comparaisonsse pressent sous la plume de l’auteur, et font du dialogue un singulier mélange depoésie charmante et de détails familiers. Je ne connais guère que La Fontaine dontla manière rappelle parfois le style d’Amphitryon, Cependant, pour dire toute lavérité, je dois avouer que le fabuliste parle une langue plus châtiée que Sosie. Lesnégligences qu’un œil exercé découvre sans peine dans cet ouvrage peuvent servirà expliquer un juge ment de La Bruyère qui serait pour nous une énigmeimpénétrable, si nous ne consultions que le Misanthrope et les Femmes savantes.Tout en rangeant Molière parmi les plus habiles écrivains de son temps, il luireproche de tomber parfois dans le jargon. L’expression nous parait dure à proposd’un tel homme. Pour peu cependant qu’on étudie et que l’on compare ces troisouvrages, on ne s’étonne plus des paroles échappées à La Bruyère. Il y a en effetdans Amphitryon plus d’une période chargée d’expressions parasites, tandis quedans les Femmes savantes il serait bien difficile de rencontrer des expressions decette nature. Sans pousser à l’excès la délicatesse, on peut donc affirmer que
Molière n’est pas toujours comparable à lui-même. Sans doute bien des choses quiblessaient le goût de La Bruyère ne sont pas aperçues par nos yeux. A certainségards, ce que les contemporains appelaient le jargon de Molière n’offre guère unsens plus clair que la patavinité de Tite-Live. Toutefois, même aujourd’hui, il n’estpas impossible de découvrir quelques-unes des taches qui déparent Amphitryon.Quand il écrivait cette comédie, Molière avait quarante-six ans et venait d’acheverle Tartufe. On est donc forcé de mettre les expressions parasites sur le compte dela nécessité. Sans doute le temps lui a manqué pour son œuvre comme il l’eûtsouhaité. Si Alcmène parle une langue moins pure qu’Elmire, si Cléanthis ne rendpas sa pensée avec la même franchise, la même simplicité que Dorine, il faut nousen prendre à la double profession de l’auteur. N’oublions pas que dans l’espace devingt ans il a écrit trente ouvrages, et qu’il jouait un rôle important dans presquetoutes ses comédies.Le succès d’Amphitryon doit encourager le directeur du Théâtre-Français à tenterde nouvelles reprises. On parle du Philosophe marié, de Turcaret. On ne peutqu’approuver de tels choix. Toutefois nous souhaitons que le tour de Rotrou viennebientôt. Venceslas et Saint Genest offriraient d’utiles enseignemens à la jeunesselettrée. Il n’est pas donné à l’administration de créer un répertoire nouveau. Enattendant qu’il se présente des comédies originales, des drames remplis d’unepassion sincère, elle doit s’appliquer à élever le niveau du goût public, et, pouratteindre ce but, le chemin le plus court est de chercher dans l’ancien répertoire lesmodèles les plus purs. Quoi que Destouches m’inspire une médiocre sympathie, lareprise du Philosophe marié ne me semble pas inopportune, car c’est un ouvragecomposé avec soin, et qui peut servir à développer le talent des comédiens.Turcaret n’a pas besoin d’être loué. S’il ne vaut pas les meilleurs chapitres de GilBlas, il se recommande pourtant par une grande finesse d’observation. Quant àRotrou, chacun sait qu’il a plus d’une fois parlé une langue aussi belle, aussiprécise que celle de Corneille, et ce mérite reconnu de tous, lui assigne un rangconsidérable dans notre littérature dramatique. Venceslas et Saint Genest, sansoffrir au point de vue poétique le même intérêt qu’Horace et Cinna, ne sont pasmoins dignes d’attention pour ceux qui aiment à suivre les transformations de notrelangue. Le style de Rotrou est de la bonne époque, et, malgré quelques imagesdont le choix n’est pas toujours réglé par un goût sévère, il y a profit à l’étudier.Venceslas et Turcaret peuvent servir à l’éducation du public. Les vers bien faits, laprose bien faite, ne sont pas un divertissement stérile, lors même que la penséen’est pas à la hauteur du style.GUSTAVE PLANCHE.5e semestre 18566e semestre 1856L’histoire est maintenant presque abandonnée par les auteurs dramatiques; leursétudes paraissent concentrées sur le demi-monde, et la curiosité des femmes pourqui le devoir n’est pas un vain mot vient en aide à cette dépravation littéraire. J’aitoujours cru, je crois encore que la critique doit se dégager de toute pruderie.Proscrire d’une manière absolue tel ou tel modèle, c’est se condamner à l’injustice.Dans la peinture même du demi-monde, il faut savoir reconnaître le talent. En pareilcas, l’indulgence est sans danger, pourvu que l’éloge soit accompagné de conseils.Le talent une fois reconnu, le bon sens veut qu’on lui désigne un but plus élevé.Malheureusement la louange s’est trop souvent produite sans conseil. Le talent n’apas été seulement accueilli avec bienveillance, mais exalté et le demi-monde a prispossession du théâtre. Sur les sujets empruntés au demi-monde, il serait assezdifficile d’engager la discussion. A la première objection un érudit vous arrêterait :« Vous parlez de choses que vous ignorez, ou que vous avez tout au plusentrevues. » Et devant cet argument il faudrait s’incliner. Tant que les auteursdramatiques resteront sur ce terrain, il sera plus sage de ne pas s’occuper d’eux.Les questions littéraires n’ont rien à démêler avec ce genre de travail. Toutefois il ya lieu d’espérer que la curiosité ne tardera pas à se lasser : le thème commence às’épuiser, et la comédie sera bientôt forcée de s’adresser aux classes de lasociété qui ne conçoivent pas le bonheur sans les obligations de la famille. Alors,mais alors seulement il sera permis de traiter sérieusement les œuvresdramatiques. Les érudits du demi-monde n’imposeront plus silence à la discussion.Aujourd’hui nous serons fort empêché pour parler des comédies qui s’écrivent et serécitent. Les personnages mis en scène sont tellement étrangers à la vie commune,que l’esprit le plus attentif, ne sait comment les juger. Ils s’engagent dans une suited’aventures, s’enrichissent par la trahison ou s’avilissent par un attachement,obstiné pour uns femme perdue qu’ils décorent du nom de passion. Presque toutes
ces œuvres sont jetées dans le même moule. Celui qui en connaît trois n’a pasbesoin de voir les autres et peut sans peine les deviner. Les types tragiques, donttant de voix ont déploré ou raillé la monotonie, sont vraiment plus variés que lestypes dont se compose la comédie contemporaine. Un homme jeune, loyal etgénéreux, ensorcelé par une courtisane, c’est là un sujet dont le théâtre peut tirerparti, je n’en disconviens pas, mais qui n’est pas assez riche pour défrayer la scènependant plusieurs années, et pourtant depuis plusieurs années nous ne voyonsguère autre chose. Il serait temps de renoncer à ce thème usé.Quant à l’histoire, il ne faut pas croire que le public la dédaigne au théâtre, commese plaisent à le répéter ceux qui veulent se dispenser de l’étudier. Ce que le publicdédaigne, c’est l’histoire dénaturée par la fantaisie. Jusqu’à présent, on ne lui aguère donné que des noms historiques; l’histoire vraie s’est bien rarementprésentée sur la scène. Il serait donc injuste d’accuser la foule d’indifférence pourles grandes figures qui dominent le passé. Elle n’a sur le plus grand nombre desévénemens accomplis que des notions confuses; mais elle ne se complaît pasdans son ignorance, elle est avide de connaître. Malheureusement la plupart despoètes qui touchent à l’histoire inventent le passé, au lieu de l’interpréter. Cetteliberté absolue de l’invention est à leurs yeux une preuve de puissance, et leurcroyance à cet égard me paraît tellement sincère, que je n’hésite pas à y chercherl’explication de leur dédain pour l’étude. Pour eux, connaître c’est aliéner lafranchise de son allure. Ils redoutent le savoir comme une menace de stérilité.Cependant, soit que la poésie s’adresse à l’histoire, soit qu’elle choisisse pourthème de ses compositions la vie personnelle et privée, elle ne peut appliquer sapuissance qu’à des souvenirs précis. L’invention est sans doute un don mystérieux;mais il ne lui est pas donné de tirer quelque chose de rien. Celui qui ne connaît ni lavie ni les secrets du passé, qui n’a pas aimé, qui n’a pas souffert, ne produirajamais que des œuvres inanimées. Cette vérité n’est pas familière aux poètes denotre temps. Si je dois estimer leur conviction d’après leurs travaux, ils pensent quel’invention est en raison inverse du savoir ou des émotions ressenties. Interpréter ceque disent les livres ou les souvenirs de la vie personnelle leur parait une tâchevulgaire, indigne d’un grand esprit. Ils veulent créer de toutes pièces lespersonnages qu’ils mettent en scène. L’expérience devrait les avoir découragés, etpourtant ils persévèrent, ils prennent pour glorieux ce qui est au-dessus des facultéshumaines. Leur prétention est d’émouvoir sans subir l’émotion, d’enseigner unehistoire faite à l’image de leur fantaisie, et ils s’étonnent de voir la foule déserter lethéâtre, ils se plaignent de l’allanguissement des esprits! Qu’ils se montrent plusmodestes, qu’ils se contentent d’évoquer le passé, et la foule se pressera sur lesbancs du théâtre pour recueillir leur parole. Leur prétention est condamnée par laraison. S’ils échouent dans leur tentative, c’est qu’ils méconnaissent la nature et leslimites de la puissance poétique. Ce qu’ils prennent pour une menace de stérilitéleur serait un puissant auxiliaire.Ce qu’il y a de plus fâcheux dans l’état présent de la littérature dramatique, c’estque le public ne prend pas le théâtre au sérieux. Je veux dire qu’il le prend pour unsimple divertissement, et n’attache pas aux œuvres dramatiques une importancelittéraire. La parole fixée sur le papier lui paraît plus grave, plus digne de respectque la parole récitée par la bouche d’un acteur. Pour estimer la valeur d’un romanou d’un poème, il trouve tout naturel qu’on établisse des comparaisons laborieuses,qu’on cite les grands modèles du genre. Pour déterminer le mérite d’une pièce dethéâtre, ce procédé lui semble inutile, inopportun, et souvent même ridicule. A-t-onri, a-t-on pleuré? Toute la question est là. Parler d’autre chose, c’est pur verbiage.Cependant aux yeux des hommes de bon sens Molière et Corneille n’ont pas moinsd’importance que Lesage. Cinna et le Misanthrope appelle-t-il un examen aussisérieux que Gil Blas, et nous voyons les nations voisines se ranger à l’avis de laFrance. L’Espagne ne place pas Calderon au-dessous de Cervantes. L’Angleterrene met pas Fielding au-dessus de Shakspeare. L’Allemagne, malgré sa profondeadmiration pour l’auteur de Wilhelm Meister, sait placer à son vrai rang celui deWallenstein et de Guillaume Tell. Pourquoi donc le public français, lorsqu’il estassis sur les bancs du théâtre, prend-il pour règle de son jugement le plaisir oul’ennui? C’est une question qui vaut la peine d’être posée. Chez nous, l’éducationlittéraire de la foule n’est pas moins avancée qu’en Espagne, en Angleterre, enAllemagne; mais le nombre des œuvres qui se produisent sur les théâtres de Parisest tellement effrayant, tellement fabuleux, que le goût se déprave par la satiété. Sila foule n’écoutait chaque année qu’un petit nombre ouvrages dramatiques, elleapprendrait facilement à distinguer les pensées élevées des pensées triviales, lesfines railleries des railleries vulgaires. Elle ne confondrait pas l’expression de lapassion avec les tirades emphatiques, ni les coups de théâtre avec les péripétiesvraiment poétiques. En écoutant chaque jour une pièce nouvelle, elle finit par neplus séparer le vrai du faux, la grandeur de la jactance, et comme les comédiesimaginées, ou plutôt fabriquées à Paris, sont traduites chez les nations voisines et
représentées sur tous les théâtres d’Europe, elle ne consent pas volontiers à lesprendre pour mauvaises. C’est un fait malheureusement avéré, que nous devonsconstater : tant que la production dramatique sera ce qu’elle est aujourd’hui, nousne pouvons guère espérer que le goût public s’élève ou s’épure. Pour obtenir laréforme que nous souhaitons, que nous appelons de tous nos vœux, il faudrait quel’art prît la place de l’industrie, et bien habile serait celui qui pourrait prévoir le jouroù s’accomplira cette merveille. Le théâtre aujourd’hui, à parler franchement, relèvede l’économie politique. Il s’agit pour lui de produire en abondance, de produiresans relâche, de ne jamais demeurer les bras croisés. Tout ce qui tend à ralentir ledéveloppement de cette nouvelle industrie est condamné d’avance par lesproducteurs. Pourvu que la consommation suive la distribution, le problème estrésolu, c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’une pièce qui réussit doit narguer tousles jugemens. Étoffe vendue, bonne étoffe; c’est une formule qui domine toutes lespoétiques. Il n’y a qu’à s’incliner devant une telle déclaration.Heureusement l’économie politique n’a pas encore envahi toutes les régions del’art dramatique. Il reste parmi nous quelques esprits d’une nature délicate, quitiennent à bien faire sans se préoccuper du succès, ou qui du moins ne pensent ausuccès qu’après avoir exprimé leur pensée dans toute sa franchise. C’est uneméthode périlleuse, mais la seule qui mène à la renommée. Ceux qui préfèrent lesthéories économiques aux théories poétiques arrivent parfois à posséder desvignes et des prés, ce qui est un grand bonheur sans doute; quant à la renommée,ils sont obligés d’y renoncer. La critique ne doit s’occuper que des espritsdésintéressés. C’est pour eux qu’elle doit réserver ses conseils. En discutant aveceux et pour eux les questions de goût, elle est sûre d’être comprise. Quand elle jugeà propos d’évoquer les grands noms de l’antiquité, elle n’a pas à craindre de leurpart le dédain ou l’inattention. Familiarisée par des études assidues avec les typesde la beauté poétique, ils écoutent sans étonnement et sans dépit les reprochesdont ils sentent la justesse. Au reste, les écrivains qui s’occupent de critiquedramatique, sauf de très rares exceptions, ne s’exposent pas au danger dont jeparle. Loin de gaspiller les conseils et les pensées, ils font de l’analyse unprospectus industriel. Ils vantent ce qui a réussi pour achalander le théâtre quidébite la denrée nouvelle, ou bien ils battent la grosse caisse et entonnent desfanfares pour venir en aide à quelque usine naissante. Qu’on me blâme ou qu’onm’approuve, je ne veux pas m’associer à ce genre d’encouragement. Sansm’attribuer une clairvoyance souveraine, je suis habitué depuis longtemps à ne teniraucun compte du succès. Je ne prétends pas avoir raison contre tout le monde,Dieu m’en garde ! mais je ne veux pas user de la parole pour exprimer la penséed’autrui. C’est pour moi une tâche assez difficile d’exprimer ma penséepersonnelle.M. Louis Bouilhet est un esprit laborieux dont le début a excité l’attention de tousceux qui aiment sérieusement la poésie. Quoiqu’il y ait dans son poème deMelœnis plusieurs pages qui manquent de clarté, personne n’a pu méconnaîtrel’élévation qui recommande ce premier ouvrage. Il est vrai qu’on y aperçoit tantôtl’imitation d’André Chénier, tantôt le souvenir trop vif d’Alfred de Musset.Cependant, malgré ces réminiscences, que je dois constater, l’auteur ne sauraitêtre confondu dans la foule des versificateurs. S’il prend un grand soin de la forme,il ne se laisse pas séduire par le bruit des mots. On sent qu’il a étudié l’antiquité,qu’il s’est familiarisé par une lecture assidue avec les poètes romains, qu’il a vécudans le commerce de Virgile et de Catulle, qu’il n’ignore pas les écrivains de ladécadence, et ne s’aventure jamais à peindre des mœurs de fantaisie. C’estquelque chose dans le temps où nous vivons. La connaissance des personnagesque l’on met eu scène est aujourd’hui une véritable originalité. C’est pourquoi ledébut dramatique de M. Louis Bouilhet nous oblige à de grands ménagemens.L’auteur de Madame de Montarcy est d’ailleurs trop éclairé pour ne pascomprendre la valeur des objections que nous allons lui soumettre. Et si nousparlons de ménagemens, ce n’est pas pour déguiser une partie de notre pensée;seulement nous croyons que les études sérieuses du poète nous imposent le devoirde ne pas le traiter avec une rigueur absolue. En face de la présomption, notrelangage ne serait pas le même.Madame de Montarcy a été applaudie. Les amis de M. Bouilhet pensent peut-êtrequ’il n’a plus qu’à suivre la voie où il vient de s’engager. Nous sommes d’un autreavis, et nous tenons à dire pourquoi. Parlons d’abord du sujet. Il y a dans cetouvrage plusieurs personnages empruntés à l’histoire, et pourtant ce n’est pas, àproprement parler, un drame historique. Louis. XIV, Mme de Maintenon, son frèred’Aubigné, la duchesse de Bourgogne, Maulevrier, occupent souvent la scène;mais ce n’est pas sur eux que se porte l’intérêt. Mme de Montarcy, qui donne sonnom à la pièce, n’appartient pas à l’histoire. C’est un personnage de pure invention,comme son mari. Avant de nous prononcer sur le mérite de la fable dramatiqueimaginée par l’auteur, il s’agit donc de savoir si les rôles attribués aux acteurs réels
sont d’accord avec les récits du passé, et si les acteurs fictifs se meuvent librement,naturellement, dans le milieu où l’auteur les a placés. Il est toujours dangereux,chacun le sait, de mettre en scène un personnage qui tient une grande place dansl’histoire, quand on ne veut pas lui donner un rôle important. M. Bouilhet, je suisforcé de l’avouer, n’a pas complètement évité ce danger. Dans Madame deMontarcy, Louis XIV ne manque pas de vérité. Hautain, égoïste, il paraît croiresincèrement que l’état tout entier se résume en lui; mais il n’est pas le centre del’action, et c’est un grave inconvénient. On peut même dire qu’il est chargé d’un rôlesecondaire. Pour l’importance qui lui est attribuée par le poète, il parle trop souvent;pour l’importance que lui donne l’histoire, il n’agit pas assez puissamment sur lespersonnages qui l’entourent.Mme de Maintenon soulève à peu près la même objection : elle tient une si grandeplace dans les dernières années du règne de Louis XIV, qu’on ne la voit pas sansétonnement reléguée au second plan. Je m’empresse de reconnaître que M.Bouilhet a dessiné cette figure très habilement. La veuve de Scarron, devenuemaîtresse du premier trône de l’Europe, reine par l’intelligence, puisqu’ellegouverne l’esprit du roi, sent pourtant que le trône ne lui appartient pas. Sonmariage clandestin ne la prémunit pas contre les caprices et les dangers del’avenir. Femme d’un monarque absolu, elle ne porte pas la couronne. L’auteur atrès bien compris et très bien rendu ce caractère singulier, pour qui le pouvoir avaitplus d’attrait que la tendresse. Malheureusement Mme de Maintenon n’a pas un rôleégal à son importance historique. — La duchesse de Bourgogne est dessinée avecune grâce touchante. Maulevrier, animé d’une passion ardente, nous intéressed’autant plus facilement, que ses désirs sont dégagés de toute ambition. Ce qu’ilaime dans la duchesse de Bourgogne, c’est la jeunesse et la beauté : les rêves depuissance ne souillent pas les rêves d’amour. — L’insouciance et l’étourderie ded’Aubigné sont tracées d’une main hardie. — Mme de Montarcy n’aime que sonmari. Cette condition, excellente dans la vie réelle, ne peut devenir un élémentdramatique tant que le bonheur du mari n’est pas menacé. Or Mme de Montarcy, enacceptant la surveillance de la duchesse de Bourgogne, excite sans le vouloir, sansle savoir, la jalousie du seul homme qu’elle aime. Chargée à la cour d’un rôle ingratet difficile, elle passe aux yeux des courtisans pour une nouvelle favorite. Lesapparences la condamnent, et la pureté de son cœur, qui l’absout devant le ciel, nela justifie pas devant son mari, car elle a juré de ne pas trahir la duchesse, et sadiscrétion obstinée peut être prise pour un aveu. Dans le domaine poétique, cettesituation n’a rien qui doive nous étonner. En est-il de même dans le domainehistorique? Pour résoudre clairement cette dernière question, il convient, je crois,de la diviser. A la cour de Louis XIV, la fidélité conjugale n’était pas une vertucommune; mais le dévouement superstitieux à la personne du roi faisait partie de lafoi politique. Il n’y a donc rien qui blesse la vraisemblance dans la discrétion deMme de Montarcy. Le secret que le roi lui a confié est pour elle un secret d’état. Enle révélant, elle croirait trahir à la fois la dignité de la couronne et l’honneur de laFrance. La seule chose qui puisse nous étonner dans ce personnage, c’est laconstance de son amour pour son mari. La splendeur de la cour ne l’éblouit pas unseul instant. Elle ne conçoit le bonheur que dans l’accomplissement du devoir. Pourles courtisans de Versailles, une telle vertu n’est pas de mise dans le monde réel.Mme de Montarcy parle au roi en tête-à-tête, le roi lui baise la main. Pourquoi doncne règnerait-elle pas à son tour? Ils ne doutent pas de la résignation du mari, etsollicitent sa faveur sans comprendre son étonnement et sa colère.J’en ai dit assez pour établir la valeur historique et poétique des personnages. Ils’agit maintenant de savoir comment l’auteur les a mis en scène. C’est d’aprèsl’examen de cette question que nous devons décider ce que signifient ses facultésdramatiques, et chacun sait que les facultés dramatiques sont d’une nature toutespéciale. Parfois elles se rencontrent chez des hommes qui ne possèdent pas unsentiment très fin de la poésie. Il est vrai que dans ce cas elles devraient changerde nom, et s’appeler théâtrales plutôt que dramatiques; mais le public s’y méprendvolontiers et les confond avec une sorte d’obstination. Chez M. Bouilhet, il n’y a paslieu de mettre en doute le sentiment poétique : deux pages de Melœnis, prisesmême au hasard, suffiraient à marquer son rang. Seulement il convient de serappeler que poésie et drame ne sont pas une seule et même chose. L’expressionla plus émouvante des sentimens personnels ne démontre pas d’une manièredécisive l’aptitude dramatique du poète. Dire ce qu’on a souffert, ce qu’on aespéré, peindre ses regrets, ses déceptions, est une tâche difficile, délicate, maisqui n’a rien à démêler avec l’invention d’une fable où tous les personnages semeuvent librement, naturellement, et gardent sans jamais se démentir le caractèrequi leur est assigné. C’est d’après ces principes qu’il faut juger Madame deMontarcy.Le premier acte est spirituel et animé. Des courtisans réunis autour d’une tables’entretiennent de l’austérité de la cour et de leurs espérances déçues. On parle de
l’arrivée à Versailles d’une femme jeune et belle. Le règne de la Maintenon va finir.Les courtisans se réjouissent à cette pensée; mais ils croyaient s’entretenir devantdes murailles sourdes, et les murailles écoutaient. D’Aubigné, le frère de laMaintenon, abusé par un message qui lui promettait un rendez-vous, les avaitdevancés dans le cabaret où ils sont attablés, et s’était caché en les voyant arriver.Quand il paraît, les courtisans se tiennent pour perdus. Ils n’ont rien déguisé deleurs ressentimens, et donneraient tout au monde pour effacer le souvenir de leursparoles. D’Aubigné les rassure d’un mot : qu’ils se taisent, il se taira. Sa sœur,Mme de Maintenon, l’a souvent réprimandé sur ses folles équipées; ellen’apprendrait pas sans colère qu’il s’engage dans une nouvelle aventure. Il part, etnous voyons arriver Mme de Montarcy, accompagnée de son mari. Pourquoiviennent-ils dans ce cabaret? Je n’ai pas réussi à le deviner. Aussi, malgré lavivacité du dialogue, malgré la franchise de l’expression, malgré les mots heureuxque le public a très justement applaudis, je pense que ce premier acte n’est pas cequ’il devrait être, et pèche un peu par l’invraisemblance. J’aimerais mieux voir Mmede Montarcy, provinciale timide et fière, ne pas choisir une hôtellerie hantée par detels hôtes. Je reconnais pourtant que sous le règne de Louis XIV les cabaretsn’étaient pas aussi mal vus qu’aujourd’hui, et que les seigneurs de la cour lesfréquentaient volontiers. C’est une circonstance atténuante pour d’Aubigné, pour lescourtisans dont il a entendu la conversation. Pour Mme de Montarcy et son mari, iln’en pas de même.Au second acte, nous trouvons Mme de Maintenon s’entretenant familièrement avecNanon, sa servante, qui l’a connue dans l’indigence, et qui l’a suivie dans laprospérité. Pour ces intimes épanchemens, l’interlocutrice n’est peut-être pas malchoisie. Cependant je crois qu’il eût mieux valu mettre en scène un autrepersonnage, car Nanon, malgré sa fidélité, ne comprend qu’à demi les soucis desa maîtresse. Arrive d’Aubigné, qui force la porte de sa sœur. Conseils,réprimandes, il ne veut rien écouter. Toute la première partie de cette scène estbien conçue, et l’expression ne trahit jamais l’intention de l’auteur : je veux direqu’elle ne la présente jamais sous un aspect infidèle; mais la seconde partie, pourparler la langue usitée, est trop poussée à l’effet. D’Aubigné demandant à sa sœurle bâton de maréchal et répétant à outrance : Le bâton, le bâton, comme Orgon,quand il veut punir l’audace de Damis, me parait une invention quelque peuhasardée. S’il a souhaité, s’il a sollicité le bâton de maréchal, et j’admets volontierscette ambition chez le frère de la favorite, il a dû s’exprimer autrement pour obtenirl’objet de sa convoitise.Le troisième acte est mieux mené que les deux premiers. La mutuelle passion de laduchesse de Bourgogne et de Maulevrier, ardente et contenue, révèle par quelquesmots échangés à voix basse. La confusion de Mme de Montarcy en présence de lajeune femme dont elle épie les actions, et qui ne voit en elle qu’une amie, estrendue avec habileté. L’empressement des courtisans auprès de M. de Montarcyest peut-être un peu trop verbeux. Pour réussir, ils devraient ménager un peu plusl’orgueil du protecteur qu’ils croient tout-puissant; la prière ainsi exprimée est tropvoisine de l’injure : ils raillent plutôt qu’ils ne sollicitent. Le brevet de colonel remispar le roi entre les mains de Mme de Montarcy n’est à mes yeux qu’une inventioninutile pour exciter la jalousie du mari. Le baiser sur la main de femme, un baiser entête-à-tête, suffisait amplement. De la part d’un monarque habitué à la soumissionuniverselle, c’était plus qu’un témoignage de courtoisie.Le quatrième acte, applaudi par le parterre et par les loges comme l’expression del’orgueil national personnifié dans Louis XIV, justifie les battemens de mains par lasplendeur du langage, mais ne s’accorde pas avec l’histoire. L’élève de Mazarinaurait eu peine à comprendre les sentimens que lui prête M. Bouilhet. Il voulait lavolonté de la France faite à l’image de la sienne, et sa fierté ne s’épanchait pas enpériodes si abondantes. Il avait de lui-même une trop haute opinion pour prodiguerainsi les paroles. Je crains que l’auteur en cette occasion n’ait confondu Louis XIVavec Philippe-Auguste et François Ier.Au cinquième acte, nous voyons M. de Montarcy poussé au désespoir par lajalousie et résolu aux dernières extrémités. Il veut empoisonner sa femme ets’empoisonner après elle. Mme de Montarcy, qui n’aurait qu’un mot à dire pourdétromper son mari et sauver sa vie, refuse obstinément de trahir le secret du roi.Elle préfère la mort au parjure. Le dialogue entre les deux époux est bien conduit,mais un peu long. Désespérant de fléchir l’obstination de sa femme, qui affirmevainement son innocence, M. de Montarcy s’empoisonne, et déjà les premièrestortures commencent à l’assaillir, à lui déchirer les entrailles, lorsque survient Mmede Maintenon, qui révèle la faiblesse de la duchesse de Bourgogne et proclame lavertu immaculée de Mme de Montarcy.Nous croyons avoir suffisamment démontré que toutes les parties de ce drame ne
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