Lettre à Monsieur Frédéric Mason
2 pages
Français

Lettre à Monsieur Frédéric Mason

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
2 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Hipolyte Korwin - MilewskiLettre à Monsieur Frédéric MasonMonsieur,J’ai tardivement pris connaissance de votre article paru dans le Galois du 26 Juin, sous le titre « un coup de balai s. v. p. » Il est à cepoint insultant pour chaque Polonais habitant la France, qu’il ne doit pas rester sans réponse. Personne ne l’ayant fait que je sache, jeme lance en volontaire.Tout en tolérant que les Polonais soient admis à combattre aux côtes de l’Armée Française, vous affirmez que leurs compatriotesnon combattants doivent être considérés comme generiquement suspects d'espionnage et traités cn consequcnce. Voyons lesassertions et les suppositions sur lesquelles vous étayez votre thèse.1. Vous affirmez, afin d'exonérer d'avance votre pays de toute reconnaissance, que les Polonais combattent "pour la cause des Allies– et la leur. Cela n'est pas. Ils combattent a 70 kilomètres de Paris. En l'etat, pouvez-vous puiser non dans votre encrier, mais dansvotre conscience, la certitude absolue qu'après avoir victorieusement obtenu la libération et l'indemnisation de vos départemenlsenvahis, de la Belgique que l‘honneur vous force a traiter a votre egal, enfin, la restilution de l’Alsace-Lorraine, il restera a la Franceassez de force et de volonté pour imposer a l‘Allemagne la renonciation et aux provinces polonaises récemment conquises, et àcelles qu'elle detient depuis cent cinquante ans? Or, c'est seulement quand vous en serez là que vous pourrez honnêtement dire ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 124
Langue Français

Extrait

Hipolyte Korwin - Milewski Lettre à Monsieur Frédéric Mason
Monsieur, J’ai tardivement pris connaissance de votre article paru dans le Galois du 26 Juin, sous le titre « un coup de balai s. v. p. » Il est à ce point insultant pour chaque Polonais habitant la France, qu’il ne doit pas rester sans réponse. Personne ne l’ayant fait que je sache, je me lance en volontaire. Tout en tolérant que les Polonais soient admis à combattre aux côtes de l’Armée Française, vous affirmez que leurs compatriotes non combattants doivent être considérés comme generiquement suspects d'espionnage et traités cn consequcnce. Voyons les assertions et les suppositions sur lesquelles vous étayez votre thèse. 1. Vous affirmez, afin d'exonérer d'avance votre pays de toute reconnaissance, que les Polonais combattent "pour la cause des Allies – et la leur. Cela n'est pas. Ils combattent a 70 kilomètres de Paris. En l'etat, pouvez-vous puiser non dans votre encrier, mais dans votre conscience, la certitude absolue qu'après avoir victorieusement obtenu la libération et l'indemnisation de vos départemenls envahis, de la Belgique que l‘honneur vous force a traiter a votre egal, enfin, la restilution de l’Alsace-Lorraine, il restera a la France assez de force et de volonté pour imposer a l‘Allemagne la renonciation et aux provinces polonaises récemment conquises, et à celles qu'elle detient depuis cent cinquante ans? Or, c'est seulement quand vous en serez là que vous pourrez honnêtement dire aux survivants de l'Armée Polonaise qu'ils versent leur sang non plus pour la France, la France symbole si l'on veut, mais pour eux-mêmes, et leur donner l'espoir que ne se répetera pas l'histoire uniforme de la politique franco-polonaise depuis un siècle et demi. Elle est lamentable. Lors des partages de 1772, de 1792, des insurrections de 1830 et de 1863, la France "vibre" mais toujours se console à l'idée que "l'ordre règne à Varsovie". II y a pis. En 1795, le Directoire en guerre avec la Prusse, encourage et subventionne le soulèvement de Kościuszko, puis en pleine lutte, traite à Bâle et garantit a la Prusse, en retour d'avantages sur le Rhin, l'extension de sa part de Pologne en vue du dernier demembrement. En 1815, c'est la France qui, au Congres de Vienne, fait echouer le projet de reconstruction totale de la Pologne sous le double sceptre d' Alexandre Ier et exige Ie maintien de la Posnanie sous la domination prussienne. En 1856, la France, victorieuse de la Russie, consent a ce que le nom de la Pologne ne soit pas prononcé au Congres de Paris. Enfin, au cours de la guerre actuelle, en vertu d'arrangements secrets divulgués par Les bolcheviks, entre MM. Briand et Izvolski, la France delie les mains à la Russie pour le cas ou celle-ci voudrait, ainsi que l'avaient deja annonce Goremykine et Stürmer, escamoter la retentissante proclamation du Grand-Duc Nicolas (depeche du 11 mars 1917). En verité, Monsieur, ce passé ne vous autorise pas a prendre comme vous faites des airs de bienfaiteur outrage pour reprocher à la Nation Polonaise, comme une trahison ses legions galiciennes. Vous savez bien qu'elles défendaient leur propre sol contre l'invasion du veritable Grand Cheri de la France, le "rouleau compresseur" russe, qui le roulait avec accompagnement d'horreurs depassant tout ce que les Allemands ont fait en Belgique, au point que le Russe Maklakoff, en pleine Douma, traitait cette expedition de "scandale européen" - L'organisateur el chef de ces legions Piłsudzki est depuis plus d'un an emprisonné par les Allemands. Quand à votre indignation contre la polilique polono-autrichienne d'avant-guerre, à une époque ou la négation meme du mot "Pologne" était pour votre presse el vos historiens une des formes préférées de leur flagornerie tsariste, c'est de la hâblerie rétrospective.
2. Je passe a vos accusations, suppositions et insinuations à l'effet de presenter en bloc les Polonais non-combattants comme suspects d'espionnage. Elles reposent sur l'échafaudage d'hypothèses suivant: au lieu de rester jour et nuit dans leurs lits, le nez au mur, les Polonais à Paris vonl el viennent, invariablement munis d'une paire d'yeux, d'oreilles el d'une langue, à travers les rues, les restaurants el dans le monde; ils prennent méme des taxis. Tout cela suppose de l'argent. S'ils en ont, c'est qu'ils en recoivenl. Ils ne peuvent le recevoir que du Boche qui ne paie que les espions.
Il y a deux gros trous dans ce raisonnement. Il y a encore des gens, meme Polonais qui ont de l'argent sans en recevoir de personne. El il y a des Polonais qui en recoivent, mais pas du Boche! En realite, les gens qui offusquent vos cinquante ans d'asphalte apparliennent a deux categories.
Il y a des Polonais (el des Russes) qui vont dans le monde parce qu'ils en étaient avant la guerre et en sont. C'est par dérision, je pense, que vous demandez séverèment "quel métier ils font, quel gouvernement ils servent, a queUes organisalions suspectes il faul les rattachcr". C'est justement le propre des gens du monde (à moins que vous ne pensiez a celui de Bolo et consorts) de ne pas faire de métier, generalement de ne servir personne, èt de se rattacher plutôt a un grand club de Varsovie, Petrograd ou même Paris, qu'a une C. G. T. ou une "Panthère des Batignolles". Ces gens peuvent ne pas se vendre parce que ce qu'ils ont sauvé de leur opulence notoire et le credit qu'elle leur vaul leur permettent encore de vivre et parfois de frêter un taxi.
Et il y a un petit nombre de Polonais (et de Tcheco-Slovaques d'Autriche) qui effectivement font une depense superieure à leurs ressources personnelles, a peu pres nulles; ils jouissent pour aller en Suisse, enAngleterre, en Amerique, pour penétrer dans les ministéres, les hopitaux, meme au front, de facilités refusées à leurs compatrioles susénonces. Comme ils dépensent de l'argent sans en avoir a eux, il est evident ici qu'ils en recoivent. Mais de qui? C'est ici, Monsieur Masson, que pour un homme qui a gagné honneur et profit a subodorer les flirts de Joséphine, vous manifestez peu de flair. Sachez donc que v o t r e gouvernement, et
l'Anglais son allie, ayant enfin appris que lorsqu'on est en guerre, il faut creer des difficultes interieures a ses ennemis, ayant d'autre part besoin d'effectifs supplémenlaires, ont par là. mcme besoin d'agents de propagande et de recrutement. Ne pouvant "marcher" en vivant de l'air du temps, ils sont défrayés, largement. On a du bien rire au Quai d'Orsay, devenu "une organisation suspecte".
Je me demande, Monsieur, quelle mouche vous a piqué et quel but vous poursuivez? Vous n'avez pas cru sincèrement que vos vagues ragots aient ouvert à la police de votre pays une piste utile. Ce n'est pas ainsi que procède Léon Daudet, un convaincu, qui recherche les poutres et non les pailles. Vous savez que si les innombrables affaires d'attentats contre votre Patrie jugées ou en cours ont deja fourni une liste de noms aussi gaulois que le votre, capable de remplir des colonnes dt, journal, ni en France, ni en Italic, ni en Angleterre, ni en Amerique (ou il y a quatre milJions de mes compatriotes) on n'a vu apparaitre un seul nom Polonais: quelques S k y d'emprunt appartiennent tous a des Juifs, grands favoris dans vos propres "organisations".
En tout cas, je sais ce que vow. avez fait. En suspectant, ell denigrant les Polonais, leur aide a la France, en declarant à ces enthousiastes qui depuis quatre generations rêvent l'unité de leur Patrie, que celte Pologne unie que leur a promise, au nom de la France, le Chef de l'Elat, n'est qu'une "Pologne de fantaisie" vous avez condense en un seul article plus de c a f a r d polonais que "Monsieur Badin" du Bonnet-Rouge ne dèlayait de cafard francais dans dix numeros de son journal.
Car l'idee mère de cet artiète tient en deux lignes: les Senegalais blanes, comme les noirs, sont fails pour se battre au front et non pour circuler dans Paris. "Bon negre doit défendre blanc, pas entrer dans case Sidi."
Le million palpé par Duval pour ses décoctions de cafard me ferait la partie belle pour vous retorquer, au sujet des mobiles qui vous ont fait agir, vos soupçons infâmants. Je ne suis pas un cuistre pour, n'y croyant pas, les insinuer. En revanche ; je ne puis pas ne pas songer a la mentalite du gagne-petit qui à passé cinquante ans a amasser des sous pour sa vieillesse, les voit affreusement compromis par "la danse des milliards" voudrait coûte que coûte arrêter les frais, et s'en va maugréant « ces cochons d'Anglais (ou d'Americains) nous empêchcnt de faire la paix » En moins grand, les Polonais et Slaves el' Autriche font la même chose, et allongent les buts de guerre.
Il serait assez dans I'esprit de votre artiète que vous rèclamiez pour crime « rouspetance » l’expulsion, compliquée d'internement de son argent, d'un irrespectueux dC's suprématies raciales. Mais telle esl ma répugnance pour toute apparence de pusillanimité que néanmoins .je signe, Monsieur.
Votre serviteur
Hipolyte Korwin - Milewski. 7 julliet 1918. Saint Brieuc, Hôtel d’Angleterre
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents