Lettre du 2 octobre 1675 (Sévigné)
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Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SévignéLettres de Madame de Sévigné,de sa famille et de ses amisHachette, 1862 (pp. 154-160).452. —— DE MADAME DE SÉVIGNÉÀ MADAME DE GRIGNAN.eAux Rochers, mercredi 2 octobre.Il y a deux jours que j’ai reçu votre lettre, ma bonne ; c’est le dixième jour ; je pouvois la recevoir plus tôt : si la poste fùt arrivée lemardi à Paris, je l’aurois reçue dès vendredi, au lieu du lundi : voilà des attentions et des calculs qui me font souvenir du bon[1]Chésières ; mais je crois que vous les souffrez, et que vous voyez où ils vont et d’où ils viennent.Votre lettre m’a touchée sensiblement : il me paroît que vous avez senti ce second éloignement, vous m’en parlez avec tendresse ;pour moi, j’en ai senti les douleurs, et je les sens encore tous les jours. Il me sembloit que nous étions déjà assez loin ; encore centlieues 1675augmentation m’ont blessé le cœur, et je ne puis m’arrêter sur cette pensée sans avoir grand besoin de vos sermons : ceque vous me dites en deux mots sur le peu de profit que vous en tirez quelquefois est d’une tendresse qui me touche fort.Vous voulez donc aussi que je vous parle de mes bois ; la stérilité de mes lettres ne vous en dégoûte point. Vous saurez donc, ma[2]bonne, que j’y fais honneur à la lune que j’aime, comme vous savez : la Plessis s’en va ; le bon abbé craint le serein ; moi, je ne l’aijamais senti ; je demeure avec Beaulieu et mes laquais jusqu’à huit heures. Vraiment, ces allées sont d’une ...

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Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis Hachette, 1862(pp. 154-160).
452. —— DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.
e Aux Rochers, mercredi 2octobre.
Il y a deux jours que j’ai reçu votre lettre, ma bonne ; c’est le dixième jour ; je pouvois la recevoir plus tôt : si la poste fùt arrivée le mardi à Paris, je l’aurois reçue dès vendredi, au lieu du lundi : voilà des attentions et des calculs qui me font souvenir du bon [1] Chésières ;mais je crois que vous les souffrez, et que vous voyez où ils vont et d’où ils viennent.
Votre lettre m’a touchée sensiblement : il me paroît que vous avez senti ce second éloignement, vous m’en parlez avec tendresse ; pour moi, j’en ai senti les douleurs, et je les sens encore tous les jours. Il me sembloit que nous étions déjà assez loin ; encore cent lieues1675augmentation m’ont blessé le cœur, et je ne puis m’arrêter sur cette pensée sans avoir grand besoin de vos sermons : ce que vous me dites en deux mots sur le peu de profit que vous en tirez quelquefois est d’une tendresse qui me touche fort.
Vous voulez donc aussi que je vous parle de mes bois ; la stérilité de mes lettres ne vous en dégoûte point. Vous saurez donc, ma [2] bonne, que j’y fais honneur à la lune que j’aime, comme vous savez: la Plessis s’en va ; le bon abbé craint le serein ; moi, je ne l’ai jamais senti ; je demeure avec Beaulieu et mes laquais jusqu’à huit heures. Vraiment, ces allées sont d’une beauté, d’une tranquillité, d’une paix, d’un silence à quoi je ne puis m’accoutumer. Si je pense à vous, si c’est avec une tendresse, si j’y suis sensible, c’est à vous de vous l’imaginer : il ne m’est pas possible de vous le bien représenter. Je me trouve fort à mon aise toute seule ; je crains qu’il ne me vienne des madames, c’est-à-dire de la contrainte.
J’ai été voir la bonne Tarente ; elle me reçut avec transport : le goût qu’elle a pour vous n’est point d’une Allemande ; elle est touchée [3] [4] de votre personne, et de ce qu’elle croit de votre esprit ; elle n’en manque pas en sa manière; elle aime sa fille, elle en est [5] occupée, et me1675conta ce qu’elle souffre, dont elle me parlecomme étant la seule personne qui puisse comprendre sa peine.
Voici donc, ma bonne, des nouvelles de la cour de Danemark ; je n’en sais point de celle de France ; mais pour celles de Copenhague, elles ne vous manqueront pas. Vous saurez que cette princesse de la Trémouille est donc favorite du Roi et de la [6] Reine, qui est sa cousine germaine. Il y a un prince, frère du Roi, fort joli, fort galant, que nous avons vu en France, qui est passionné de la princesse, et la princesse pourroit peut-être sentir quelque disposition à ne le haïr pas ; mais il se trouve un favori qui [7] est tout-puissant, qui s’appelle M. le comte de Kingtstogtimklltel, vous entendez bien.1675Ce comte est amoureux de la princesse, mais la princesse le hait ; ce n’est pas qu’il ne soit brave, bien fait, de l’esprit, de la politesse, mais il n’est pas gentilhomme, et cette seule pensée fait évanouir. Le Roi est son confident, et voudroit bien faire ce mariage ; la Reine soutient sa cousine, et voudroit bien le prince ; mais le Roi ne veut pas, et le favori fait sentir à son rival tout le poids de sa jalousie et de sa faveur. La princesse pleure, et écrit à sa mère des lettres de quarante pages ; elle a demandé son congé ; le Roi ni la Reine n’y veulent point consentir, chacun par différents intérêts. On éloigne le prince sous divers prétextes, mais il revient toujours. Présentement, ils sont tous deux à la guerre [8] contre les Suédois, se piquant de faire des actions romanesques pour plaire à la princesse. Le favori lui dit en partant :
1675« Madame, je vois de quelle manière vous me traitez, mais je suis assuré que vous ne me sauriez refuser votre estime. » Voilà le premier tome ; je vous en manderai la suite, et je ne veux pas qu’il y ait présentement une personne en France mieux instruite que [9] vous des intrigues de Danemark. Quand je ne vous parlerai point de cette cour, je vous parlerai de Pilois, car il n’y a rien entre-deux. Ce sont des secrets pourtant que tout ceci ; surtout ne dites pas le nom du comte.
Je suis fort aise que vous dormiez à Grignan, et que vous n’y soyez pas si dévorée. Pensez-vous que vous soyez seule en peine d’une santé ? Je songe fort à la vôtre. Vos fleurs et vos promenades me font plaisir. J’espère que j’aurai des bouquets de ce grand jardin que je connois. J’avois dessein de vous demander un peu de vos bons muscats : quelle honte de ne m’en pas offrir ! mais c’est qu’ils ne sont pas encore mûrs.
[10] Ma fille, au nom de Dieu, dites-moi de quel ton vous me parlez de ce que j’ai refusé votre portrait à la sœur deQuanto; je crois que vous trouvez que j’ai été trop rude : mandez-le-moi ; je suivis mon premier mouvement, et je crois que j’en suis brouillée avec le Coadjuteur. On me mande que vous l’aurez bientôt : quand je songe quelle compagnie de campagne il va trouver, j’admire qu’il puisse tant regretter les dames qu’il voit tous les jours.
[11] La Trousse est à Paris, comme vous savez on parle de1675; ce seroit un pas pour notre pauvrelui donner la charge de Froulai guidon.
Il est vrai, ma bonne, que cette année est terrible pour le maréchal de Créquy : je trouve, comme vous, qu’il n’est en sûreté ni en repos qu’avec les ennemis. Il a un peu dissipé les légions qu’on lui avoit confiées ; mais elles ne lui ont que trop obéi le jour de la bataille.
[12] On me mande de tous côtés que M. de Mirepoixest fort désabusé de la contrainte de tenir sa parole, et que nous n’aurons la ratification qu’à la pointe de l’épée. Je trouve, ma bonne, que vous oubliez fort la manière de me remercier, qui étoit fort bonne : c’étoit de vous réjouir avec moi des occasions que j’avois de vous servir ; cela étoit admirable. J’ai oublié de vous dire que cette bonne Tarente me revint voir deux jours après que j’eus été chez elle ; ce fut une grande nouvelle dans le pays. Elle fut transportée de votre petit portrait : nos filles qui sont en Danemark nous font une grande causerie. Écrivez-moi une douceur pour elle, que je lui puisse montrer. C’est elle qui seroit mon médecin, si j’étois malade : elle est habile, et m’a promis d’une essence entièrement miraculeuse, qui l’a guérie de ses horribles vapeurs ; on en met trois gouttes dans tout ce que l’on veut, et l’on est guéri comme par miracle. Ce n’est pas que je ne sois présentement dans une parfaite santé, mais on est aise d’avoir ce remède dans sa cassette. Je vous prie de faire mes compliments à Monsieur l’Archevêque, et d’embrasser M. de Grignan pour moi. Je1675suis toute à vous, ma très-chère : voilà, dites-vous, une belle nouvelle !
1. ↑LETTRE 452 (revue en partie sur une ancienne copie). — Il était mort le 2 d’avril précédent. Voyez laNotice, p. 145. 2. ↑Dans l’édition de la Haye : « que j’y fais l’honneur à la lune comme vous savez. » Cette phrase manque dans l’édition de Rouen. 3. ↑C’est le texte du manuscrit ; dans toutes les éditions : « à sa manière. » 4. ↑Charlotte-Émilie-Henriette de la Trémouille s’était retirée à la cour de Danemark, à cause de son attachement à la religion réformée. Elle épousa, le 29 mai 1680, Antoine d’Altenbourg, comte d’Oldenbourg, dont elle resta veuve quatre mois après. Sur ce mariage et sur le comte d’Oldenbourg, voyez la lettre du 3 mai 1680. — Dans les éditions de 1726, on lit la note suivante : « Depuis Mme la duchesse de Holstein. » — Nous avons dit au tome II, p. 229, note 4, que la princesse de Tarente était tante de la reine de Danemark, femme de Christiern V. 5. ↑C’est le texte du manuscrit et de l’édition de Rouen (1726), ainsi que de la première de Perrin (1734) ; dans sa seconde, le chevalier a ainsi modifié la phrase : « elle me conta ce qu’elle souffre de son absence, et m’en parla, etc. » 6. ↑Ici le texte de Perrin est conforme à celui de notre copie. On lit dans les éditions de 1726 : « un prince du sang du Roi. » — Deux lignes plus bas, il y a dans le manuscrit « paroît peut-être, » au lieu de « pourroit peut-être. » 7. ↑Nous avons suivi le texte du manuscrit ; dans les diverses éditions le nom est plus impossible encore :Kinghstoghmkstsel (Rouen),Kinghstoghmklfell(Perrin). L’impression de la Haye (1726) donne dans le texte K***, et rejette dans une note cette plaisanterie de Mme de Sévigné. — Pierre Schuhmaker, plus tard comte de Griffenfeld, fils d’un marchand de vin de Copenhague, se distingua dans l’étude du droit. Le roi Frédéric III lui confia la rédaction de laloi royale, base du droit public danois. Avant de mourir, le Roile chargea de remettre son testament à Christiern V, son successeur. Ce nouveau roi lui conféra le titre de comte, l’appela dans son conseil privé, le décora de l’ordre de l’Éléphant, et le revêtit de la dignité de grand chancelier. L’empereur Léopold le créa comte du Saint-Empire. Son amour pour Mlle de la Trémouille fit qu’il refusa la main de la princesse Louise-Charlotte, fille du duc de Holstein-Augustenbourg. En 1676, Griffenfeld, arrêté chez le Roi (voyez la lettre du 15 mai 1676), et convaincu d’intelligences coupables avec la France et de correspondance secrète avec Louis XIV, fut condamné à être dégradé de noblesse et de nom, à avoir le poing droit coupé, ses armes brisées par le bourreau, la tête tranchée et le corps divisé en quatre quartiers (voyez la lettre de M. Terlon à M. de Feuquières, en date du 11 juin 1676, dans lesLettres des Feuquières, Paris, 1846, tome IV, p. 31). Le Roi lui fit grâce sur l’échafaud, et commua la peine de mort en une prison perpétuelle (voyez la lettre du 22 juillet 1676). « Détenu étroitement à Copenhague pendant quatre ans, dit Walckenaer (tome V, p. 288), il fut ensuite transféré au château fort de Muncholm, près de Drontheim, en Norvège…. En 1698, sa captivité cessa ; mais il ne jouit pas longtemps de sa liberté, puisqu’il mourut le 11 mai 1699, âgé de soixante-quatre ans. Il avait été marié à une Catherine Nansen de Copenhague, et en eut une fille. » Dans lesMémoires de M. de Falkenskiod(Paris, Treuttel et Wurtz, 1826, in-8°, p. 276), officier danois compromis dans l’affaire de Struensée en 1772, et qui fut aussi détenu dans la petite île de Muncholm, il est dit que Griffenfeld demeura emprisonné sur ce rocher pendant dix-neuf ans et qu’il y mourut de la pierre. 8. ↑Il s’agit de la guerre que le Danemark entreprit contre la Suède en 1675, avec l’appui maritime de la Hollande, et qui se termina, grâce à la médiation de la France, par le traité de Saint-Germain en Laye, le 2 septembre 1679. 9. ↑Jardinier des Rochers. (Note de Perrin.) —Une note de l’édition de Rouen (1726) fait de Pilois le maître à danser du roi de Danemark : dans celle de la Haye (1726), « je vous parlerai de Pilois » est remplacé par : « je vous parlerai du pôle. » 10. ↑L’abbesse de Fontevrault. — Sur ce refus du portrait, voyez la lettre du 9 septembre précédent, p. 123 et suivante. 11. ↑Voyez p. 81 et 88, les lettres des 22 et 26 août précédents, et p. 164, la note 16 de la lettre suivante. 12. ↑Voyez p. 76, la note 16 de la lettre du 2I août précédent.
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