Espace personnel
170 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Espace personnel , livre ebook

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170 pages
Français

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Description

L’EP est une notion créée pour se protéger du monde extérieur, des autres, et surtout de la lubricité des hommes.


L’EP est une valeur sécurisante et apaisante, mais qui peut vous cloisonner dans un engrenage où le prisonnier chérit la robustesse de ses barreaux dorés.


L’EP altère votre jugement pour votre bien-être, pour préserver vos sentiments les plus précieux.


Mais l’EP peut devenir un piège détruisant tout autour de vous jusqu’à la plus petite bribe de votre sens moral.


Et vous, jusqu’où iriez-vous pour conserver la personne que vous aimez ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 novembre 2020
Nombre de lectures 16
EAN13 9782365409667
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

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Espace personnel

 

 

 

Du même auteur aux Éditions Sharon Kena

 

 

Pari tenu !

Mon humour fascinant 1 et 2

 

 

 

 

 

 

 

 

Mell 2.2

 

 

 

 

Espace Personnel

 

 

 

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« Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4). « Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. »

 

 

©2015 Les Éditions Sharon Kena

www.leseditionssharonkena.com

 

 

 

 

 

 

Un grand merci à Cyrielle, mon éditrice, qui me donne encore ma chance avec ce roman qui sort de mes histoires habituelles. J’ai été très touchée par ce que tu as dit durant ta lecture.

Merci à Lilybel et Juliette, mes bêta-lectrices, qui ont, encore, tenté de me lapider (ha ha loupé !).

Merci à Rachel pour l’illustration de la couverture.

Et surtout, merci à toi, dont l’image et le nom ont été effacés de ma mémoire, mais dont la présence s’est imprégnée en moi à jamais. Je m’efforce par ce roman de recoller ce que tu as brisé en miettes, je transforme la boue dans laquelle tu m’as traînée en or.

Chers lecteurs, le 2.2 de mon pseudo signifie : une deuxième chance pour une seconde vie, et c’est seulement grâce à vous que je parviens à remonter à la surface pour continuer à poser sur le papier ces marques indélébiles qui forgent chacune de mes histoires.

Merci à ceux qui me suivent et qui croient en moi.

 

Table des matières

 

 

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

 

 

 

 

 

Chapitre 1

Donna

 

 

 

– Je ne comprends pas ! Nous habitons à cinq minutes à pieds du lycée, pourquoi tu t’entêtes à vouloir rester à l’internat ? ronchonne Timothée.

Une question de plus et il se fera mettre à la porte illico presto. Il aura dépassé son quota et poussé ma patience au-delà de ses limites. Mon voisin se pince les lèvres et joue de prudence. Il vaut mieux savoir se taire lorsque j’atteins mon paroxysme d’exaspération. Même muet comme une carpe, je sens encore la résonnance de ses cordes vocales m’irriter au plus haut point. Nous en avons discuté un millier de fois durant l’été, Timy sait que je déteste me répéter, pourtant, il insiste. Je roule des yeux avant de les darder sur lui sans dissimuler ma lassitude. Timy croise nerveusement les bras, il attend que je me plie à lui répondre. Il sait qu’il n’aura pas le dessus sur moi aujourd’hui, mais il tente tout de même de me faire céder à son bon vouloir. Je décide que c’est la dernière fois que je m’explique sur ce sujet, s’il n’est pas satisfait, je me passerai de notre partenariat.

– Pour la trentième fois, Timy, ce n’est pas moi qui ai pris cette décision. Ma mère est toujours en déplacement et elle refuse que je reste seule à la casbah. Capiche ?

– Capiche ! N’empêche, c’est nul ! bougonne-t-il.

– N’empêche… tu me gonfles ! m’énervé-je. On peut reprendre là où on en était ou je me débrouille toute seule ?

Timothée abdique en soupirant, il remet ses lunettes sur son nez et attrape à pleine main la souris de mon ordinateur. Il retourne à son encodage pendant que je corrige les fautes d’orthographe de ma traduction rapide.

Mon voisin est mon unique ami, et cela, depuis toujours. Le seul sur qui je peux compter et que je côtoie au quotidien. Le jeune homme m’aide à tenir un site internet pour otakus, des personnes comme nous, férus de mangas. Nous avons développé cette idée vers la fin du collège. Notre association s’avère parfaite. Timy est un petit génie de l’informatique. Il pourra, sans doute, devenir webmaster un jour sans la moindre embûche. Quant à moi, métisse Japonaise, j’ai la chance d’être bilingue depuis l’enfance. Pour le moment, nous nous contentons d’afficher des sous-titres en français sur les vidéos récentes de dessin animé nippon. Mon avenir est tout tracé dans ma tête. J’ai deux voies possibles.

Numéro une : poser un pied dans une édition de mangas pour les traduire avant leurs sorties françaises. Numéro deux : enseigner le karaté. Excepté un minuscule détail crucial… il est hors de question que je devienne prof de quoi que ce soit. Que ceux-ci viennent de l’éducation nationale ou d’une association sportive ne change absolument rien à mon jugement généraliste, pour moi, tous les profs sont des ordures. Je ne tolère que mon animateur sportif, car je le nomme mon sensei. Toutes ambiguïtés sont ainsi évincées, tous risques écartés. Du moins en apparence, cela agit comme un placebo, il existe toujours un facteur tendancieux avec les hommes de toute manière. Toutefois, j’espère conserver cette discipline en simple loisir et atteindre mon objectif numéro un.

Je suis un stéréotype sur jambes, très courtes à ce propos. Quitte à être un cliché asiatique, autant l’être à fond. Même ma petite taille pousse dans ce sens. Enfin… Non. Je ne pousse pas tellement, et c’est bien là tout le problème. Mais l’avantage de mesurer un mètre quarante-huit, c’est qu’une fois coiffée de couettes et vêtue d’une robe fuchsia, je paye moins cher au cinéma ou je bénéficie d’un repas enfant au restaurant. En vérité, tout ce que je connais du Japon, c’est la langue et sa culture geek. Ma mère, née à Sapporo sur l’île d’Hokkaido, s’est expatriée pour un homme. Ils vécurent heureux, mais n’eurent pas beaucoup d’enfants. Pour tout dire, cet individu n’en voulait pas du tout et a donc abandonné ma mère à son triste sort de femme enceinte émigrée, et de surcroît, dans la mouise. J’admire le courage de ma mère presque autant que j’exècre la lâcheté de celui qui m’a juste donné son nom de famille. Elle était venue en France pour poursuivre ses études. Tout cela pour quel résultat ? Se retrouver à dix-neuf ans, seule, avec un gros ventre, après seulement un an d’illusion romanesque. Malgré tous ces déboires, elle est parvenue à obtenir la double nationalité et son diplôme de comptable. Cependant, plus personne, mis à part moi, n’a plus jamais compté à ses yeux. J’ai grandi avec la certitude que les hommes étaient tous des enflures. Sur ce point-là, je crois maman sur parole. Je remercie sa ténacité et sa force de caractère. Et surtout de m’avoir appris à parler deux langues si différentes. Cependant, le français et le japonais ne sont pas suffisants pour faire carrière. J’ai l’intention de me perfectionner en anglais, une des raisons pour laquelle je change de lycée, afin de suivre une section plus ciblée. Ce n’est que depuis le milieu de mon année de seconde que j’ai mis le doigt sur le métier idéal. Une aubaine pour Timothée, car pour la première fois, nous serons dans la même école. Ce mec est adorable, mais à petites doses. Je me le coltine déjà tous les soirs à la maison. M’inscrire en pension complète me procurera de l’espace. Sauf si ma compagne de chambre s’avère une casse-pieds d’élite. Je croise les orteils. Je tiens tant à ma tranquillité que cela en est obsessionnel. J’ai beau me montrer désagréable au possible, Timothée s’accroche comme un koala à une branche d’eucalyptus. Je ne ménage pas mes efforts, je détiens tous les défauts qui font fuir les gens normaux : paranoïa, hypocondrie, agoraphobie et le meilleur de tous, le sarcasme. Or, ce mignon petit geek s’obstine. Soi-disant que je suis la seule à le comprendre parce que je ne possède aucun autre ami que lui. Ce qu’il ne pige pas, c’est que je n’ai besoin de personne. Je me suffis à moi-même. Je le tolère seulement parce qu’il est tout aussi exclu que je le suis. Nonobstant, moi, je cherche l’isolement, ce qui n’est pas son cas.

Timothée semble contrarié, il tapote avec agacement sur le clavier pour rentrer les données de traduction du nouvel épisode de One Piece.

Ma bonté me perdra.    

Je me soumets à ma conscience intérieure et me décide à le réconforter.

– Timy ! On se verra tous les jours dans la cour de récré. Et le week-end aussi. Je n’ai que dix-sept ans, ce n’est pas prudent pour une jeune fille de rester toute la semaine seule chez elle.

Menteuse doublée d’une impitoyable fourbe. Voilà ce que je suis. Je me retrouve seule à la maison depuis le jour où ma mère a décrété que je ne nécessitais plus de nourrices, c’est-à-dire à l’âge de onze ans. Le pire de tout, c’est que Timy n’ignore pas cet état de fait. Les trois quarts du temps, je squatte chez lui, en attendant le retour de ma mère. Je m’incruste dans sa chambre même quand elle se trouve à la maison. Nous sommes tant collés l’un à l’autre que j’ai souvent l’horrible sentiment qu’il est une partie de mon être. C’est la raison principale qui me pousse à m’éloigner de lui en séjournant à l’internat, notre lien commence à m’effrayer et je m’étouffe de plus en plus dans cette relation tordue. Il me faut éviter de perdre tout contrôle et de terminer écrasée sans m’en rendre compte. Je m’apprête à achever tous ses espoirs, histoire que cette réalité s’intègre dans ses neurones une bonne fois pour toutes.

– De toute façon, c’est le désir de ma mère et je n’ai pas à discuter.

Je me fais passer pour la victime et ma mère devient la méchante. Timy sourit. Tout le monde est satisfait. En un sens, sa présence dans ce nouveau lycée me rassure. Il me servira de point de repère, mon phare dans cette marée humaine. Puis, il n’aura plus à se plaindre de ses frasques scolaires, puisque je serai aux premières loges pour les admirer.

Compromis parfait !

– C’est franchement cool, n’empêche, jubile Timy. Les deux prochaines années d’école vont être sacrément plus paisibles avec toi à mes côtés.

En d’autres termes, elles ne le seront plus pour moi puisque je l’aurai sur le dos.

Génial !

Demain, je débute une nouvelle année de labeur, une première littéraire, option anglais renforcé, accompagnée de crises de nerfs en tout genre. Je n’appréhende pas pour ma tenue ni pour mon allure. Ce que je crains, c’est qu’on me remarque, ou pire, qu’on s’intéresse à moi.

L’angoisse monte d’un cran…

 

 

 

 

Chapitre 2

Soren

 

 

 

Ça ne peut pas être que de l’angoisse, c’est bien plus puissant que cela. Sûrement un souffle au cœur. C’est la seule explication logique. Ou un collapsus. J’ignore ce qu’il m’arrive, mais je n’ai jamais rien connu de tel. Une douleur pareille ne peut être qu’un symptôme avant-coureur d’un problème cardiaque. À moins que ça soit à cause de la rentrée des classes. Non. J’ai des amis dans ce lycée, je suis plutôt populaire. Aucune crainte à éprouver de ce côté-là. Stupidement, je commence à flipper, alors que je sais pertinemment quel est le déclencheur de ce mal-être…

Je rejoins mon meilleur pote après avoir choisi ma chambre à l’internat et déposé mon sac de voyage négligemment sur le lit superposé. Je réajuste le col de ma chemise noire que je porte par-dessus un maillot à manches longues. Aussitôt, je m’allume une petite clope en attendant notre professeur principal dans la cour. L’odeur du tabac se mêle à celui de la pluie de la veille. Elle laisse une atmosphère rafraîchissante, la sensation que le ciel a nettoyé avec ardeur cette ville au Karcher. Si seulement cela pouvait suffire à décrasser toute cette vermine qui galope dans les rues. Avant de m’assagir, je me comptais parmi ces fantômes errants nuit après nuit sans savoir quoi chercher au cœur de la pénombre. Ce temps me paraît loin derrière moi. La pluie chasse tout, elle donne une chance de se reconstruire, un nouveau départ. On démarre sur une toile vierge où tout semble possible. Mais la rapidité avec laquelle on l’investit dans une lourdeur assommante est assez déconcertante. Le cadre immaculé se retrouve assailli par des agglomérats de marasme traînés par ces êtres sans vie et invisibles aux yeux de la société. La blancheur ne tarde pas à disparaître sous des couches d’obscurité vomies par leur cœur meurtri. Je m’efforce de ne pas redevenir ce spectre qui aurait réduit cette fraîcheur automnale en électricité. Je tenais plus le rôle d’esprit frappeur que celui de simple manifestation fugace, mais je n’en suis pas moins une âme perdue entre tant d’autres. Un vent léger remue ma chevelure platine, je ferme les paupières pour absorber la quiétude qui en émane, espérant qu’elle se diffusera dans chaque fibre de mon corps. Benji me donne un coup de coude pour me sortir de ma torpeur passagère. Il lance une œillade vers un groupe de gonzesses piaillant à tout-va.

– Je m’en tape trois, parie-t-il.

– Moi, cinq !

Je relève son défi en frappant dans sa main avec entrain. S’il existe bien une chose au monde plus puissante que les bienfaits de la pluie, ce sont bien les satisfactions qu’offre une femme à quatre pattes dans un lit.

– Cinq ? C’est limite de la triche ! s’offusqua Benji.

– Hé ! Tu vas en avoir moins que moi.

– Et alors ? Toi, cinq, tu y arrives les doigts dans le nez.

– Et pas que dans le nez ! complété-je en ricanant.

– Six pour cinquante euros. 

– OK, abdiqué-je. Tenu !

Elles sont toutes plus mignonnes les unes que les autres, et certaines, même sacrément bonnes. Les enseignants débarquent sous le préau, cahier de textes en main.

J’écrase mon mégot et me rapproche avec désinvolture. Je vais être séparé de plusieurs de mes meilleurs copains, car j’ai choisi de suivre une filière littéraire, une filière de meufs, comme ils disent. Mais tout ce qui importe pour moi, c’est de décrocher mon bac le plus facilement possible. Ainsi, j’ai choisi une option où j’excelle : anglais renforcé. Je suis bilingue et flemmard, cette décision s’accorde parfaitement pour l’obtention de ce diplôme. Les cours seront plus attrayants également, car j’adore lire et je déteste les maths. Souci réglé, je vais en L. Et si en plus de cela, en L, il y a plein de filles, j’aurai de quoi m’occuper. Un homme, grand, avec des lunettes en demi-lune, s’avance du corps enseignant pour nous interpeller. Il lance son discours usuel de bienvenue que j’écoute d’une oreille pendant que je fixe sans vergogne une jolie paire de fesses bombées devant moi. Mon père m’a dit la veille au téléphone :

– Plus de bonnes notes, moins d’hormones.

Or, s’il se trouvait plus souvent à la maison, il pourrait se permettre de proférer ce genre de conseil. Papa est d’origine anglaise et bosse en Grande-Bretagne, je vous le donne en mille, en tant que garde royal à Londres. Pour sa part, il a un emploi du temps plutôt biscornu. Il peut travailler deux mois complets, puis finit en congé les trois suivants. C’est seulement là, que nous nous voyons. Le reste du temps, je vis chez ma tante.

Pourquoi mon père ne souhaite pas que je suive un cursus anglais près de lui ? Ça, je n’en ai pas la moindre idée. Il estime que je suis né en France, donc je dois y rester. À mon humble avis, c’est une forme d’espoir dissimulé. Il espère qu’elle revienne. Mais elle ne le fera pas, moi, je le sais, je me suis fait une raison. Celle qui m’a porté dans son ventre m’a abandonné le jour où j’ai soufflé mes quatre bougies, sans aucune explication. Je ne l’ai plus jamais revue et je m’en réjouis. Ce choix me satisfait. Je ne supporterai pas son retour désormais. Je ne le tolérerai pas. Nous évitons de parler d’elle. Je ne lui donne même pas de nom : elle, c’est tout. Il se peut même que je l’aie tout simplement effacée de ma mémoire pour mieux la repousser de cette existence qu’elle a détruite.

Au final, je me considère comme orphelin. Elle est partie et papa travaille chez les rosbifs. Il ne me reste que Tati Tattoo comme point de repère. Je la nomme ainsi, car elle est tatoueuse et qu’elle possède sûrement plus d’encres dans les veines que de sang, elle pourrait aisément se réincarner en calamar. Toutefois, je l’adore. Je suis comme le fils qu’elle n’aura jamais puisqu’elle est lesbienne. Tati Tattoo joue aussi bien le rôle de père que de mère.

Depuis la troisième, je m’en sors plutôt bien, en apparence. Surtout après avoir changé d’établissement scolaire. En vérité, je suis bourré de TOC, d’angoisses, de phobies que je cache derrière ma belle gueule. J’attire facilement la sympathie, même si je souhaite parfois qu’on m’oublie. Par-dessus tout, j’ai peur que mon entourage se moque de moi à nouveau, donc je me fonds dans la masse. Je suis devenu le gentil mouton qui suit le troupeau sans rechigner et qui se délecte de toutes les brebis de la bergerie pour se donner de l’importance. Cela n’a pas toujours été le cas.

Dans mon ancien collège, j’étais la tête brûlée, celui qui se battait sans raison dès qu’on le regardait de travers. Je ne supportais rien ni personne. Mes poings et mon agressivité agissaient à ma place. L’hostilité était mon unique défense, mais également ce qui me mena à ma perte. Aujourd’hui, je me plie, je simule, je me camoufle, je souris bêtement et me range gentiment dans la bonne colonne pour passer inaperçu. Je m’intègre en me lapidant l’esprit afin de ne pas flancher et persister dans cet objectif qui me flanque la nausée. Je croyais que, pour avoir la paix, il fallait batailler, alors qu’il suffit d’imiter stupidement les autres et rentrer dans le moule. Je n’ai pas plus confiance en moi qu’avant, cependant, tout le monde l’ignore et se persuade du contraire. Je suis un simple caméléon de la niaiserie humaine.

Je reporte mon attention sur le professeur dès qu’il prononce mon nom.

– Soren Andrews, première L, avec monsieur Senduit.

Je me dirige vers la file qui se remplit des élèves de ma classe. Je me retrouve avec mon meilleur ami, Benji. Aussitôt, nos poings se cognent avec engouement. Je suis ravi, le fourbe me cachait qu’il avait changé d’avis et qu’il n’allait pas en filière STT. Je ne le parais pas de prime abord, pourtant, je suis aussi tendu que la ficelle des strings des donzelles aux alentours. Je suis immédiatement plus calme de le savoir en cours avec moi. Sa présence consolide la muraille cloisonnant mon anxiété permanente. Je plonge les mains dans mes poches en observant chaque nouveau, jusqu’à ce que je découvre le déclencheur de ma crise de douleur cardiaque.

– Donna Morfyn, première L, avec monsieur Senduit.

Japonaise ! hurle mon cerveau.

Elle est plus petite que la moyenne, plus discrète, mais je la distingue. Elle secoue ses longs cheveux d’ébène en arrivant à ma hauteur. Enfin… à ma hauteur, façon de parler. Je mesure un mètre quatre-vingt, elle parait minuscule à mes côtés. Et pourtant… Oui, pourtant… Le choc est aussi brutal qu’une collision entre un deux-roues et un trois tonnes cinq. Je n’ai jamais ressenti cela auparavant. Un étau s’est resserré dans ma poitrine et m’empêche de respirer normalement. Je suis cette fille du regard tandis qu’elle se terre au fond du préau et s’appuie contre l’un des piliers avec nonchalance.

Donna Morfyn.

J’imprime son nom dans ma mémoire. Benji me sort de ma contemplation pour me montrer une autre fille. Grande, blonde, maigre, mini-jupe, gros nibards. Je devrais bander comme un âne face à ce morceau, cependant, il n’en est rien. Je me retourne, hélas, l’Asiatique a déjà disparu. Toute ma bonne humeur vient de s’évanouir, je fixe alors le goudron avec morosité.

– Les premières L, s’écrie monsieur Senduit. Rendez-vous en salle douze et notez-vous sur le plan de classe. Vous garderez la même place tout le long de l’année, alors choisissez bien.

Je me trouve dans une école privée, elle possède peu d’élèves. Certains en font partie depuis la maternelle et n’en sortent qu’avec le bac en main. Si ceux-ci devenaient enseignants, ils ne connaîtraient rien d’autre que ces briques délabrées. Une bulle parfaite de la jeunesse jusqu’à la mort. Les murs d’une prison qu’on ignore.

Nous ne changeons de pièce qu’exclusivement pour les options obligatoires ou facultatives. Je commence à traîner des pieds quand j’aperçois au loin ma Japonaise. Mon cœur s’emballe de plus belle. C’est bien la responsable de cet effet douloureux. Le savoir m’enlève un poids, car cela m’évitera de supplier Tati Tattoo de m’emmener chez un cardiologue. Je suis hypocondriaque et pas facile à vivre lorsque ce genre de doutes atroces me submerge. J’ai réclamé un jour, à l’âge de treize ans, un scanner, en pleurs, parce que je m’étais cogné un orteil. Tati Tattoo s’arrache souvent les cheveux à ce sujet. Pathétique, le bagarreur chochotte !

Je me précipite, dépasse Benji et pénètre dans le bâtiment ancien. Je monte l’escalier quatre à quatre jusqu’à la salle douze. Je ne les ai jamais gravis aussi rapidement, on pourrait croire que le diable lui-même me poursuit dans l’enceinte. Dès que j’entre, j’attrape le stylo du professeur sur le bureau et je me rue vers le tableau noir. Je force le destin, je choisis une table du fond sur le plan de classe et y inscris nos deux noms.

Donna Morfyn. Tu es bien trop jolie pour que je te laisse aux mains avides de Benji ou d’un autre.

Je souffle, ravi de mon intervention. Puis, je pars m’asseoir à ma table. Je ramène ma trop longue frange dorée sur l’arrière de mon crâne en sueur et étends mes jambes sous le bureau. Cette réaction forte n’est pas le fruit du hasard. Donna m’a tapé dans l’œil et au cœur. Je change intérieurement les termes de mon pari.

Je ne sortirai pas avec six filles cette année, mais une.

Une seule.

La bonne.

J’en suis intimement persuadé.

 

 

 

 

 

Chapitre 3

Donna

 

 

 

Je suis intimement persuadée qu’on se paie ma tête.

– C’est quoi, ce bordel ? grommelé-je.

J’espérais m’installer à une table seule, et je constate que l’on m’a déjà inscrite sur le plan de classe. Je suis passablement énervée, hélas, je n’ai pas d’autre choix que de m’y plier. Je jette mon sac sur mon épaule et me dirige vers le fond de la salle. Je suis accueilli par un abruti blond au sourire figé.

– Salut ! bredouille-t-il.

Je ne daigne même pas lui répondre. Je me trouve à la limite de perdre mon sang-froid. Je vais être forcée de supporter dix mois cette gravure de mode, ce sosie d’Alex Pettyfer{1}, qui s’est, sans nul doute, assis ici dans le cadre d’un pari. Rien que de songer à cette éventualité grotesque, j’ai des envies de meurtre.

– Je peux prendre la place à côté de la fenêtre, réclamé-je, amère.

– Euh, oui, bien sûr.

Alex Pettyfer numéro deux se lève d’un bond pour me laisser passer. Je me glisse entre lui et le dossier de la chaise. Le blondinet prend l’autre siège sans me quitter des yeux d’une manière agaçante. Si agaçante ! Je lui tourne le dos et rive mon regard sur la vitre, recherchant le moindre élément qui pourrait calmer mes nerfs en pelote. Le ballottement paresseux des feuilles des arbres bercées par le vent m’apaise. J’ai presque l’impression que mon rythme cardiaque se calque sur le balancier régulier des branches. Je me détends enfin quand mon voisin de table décide de briser mon semblant de tranquillité.

– Je m’appelle Soren Andrews, et toi ?

Là ! Je craque !

– Petit a : en quoi ça me concerne ? Petit b : tu le sais très bien, mon nom, puisque tu l’as écrit sur le plan de classe.

Soren – puisque c’est son prénom – pique un fard, je l’ai percé à jour. Je suis excédée par son attitude. Pour occulter cet état de nervosité croissant, je sors ma trousse, puis retire ma veste, j’essaie de me conduire en élève normale. Soren s’accoude sur le côté et continue à m’observer avec un air niais.

– Tu es nouvelle, remarque-t-il.

– Tu es perspicace, contré-je.

– Tu étais où l’année dernière ?

– Loin de toi et ça me convenait très bien.

Encore un hurluberlu, il semble s’amuser de mes réparties cinglantes. Je me sens de plus en plus mal à l’aise, ainsi, je fais tournoyer entre mes doigts mon stylo bille. Cet exercice de jonglerie a pour bénéfice de captiver mon attention. Mes tourments perpétuels s’évacuent tandis que je me concentre sur ce geste anodin et répétitif. La pièce s’emplit et le professeur principal, Monsieur Senduit, entre à la suite des élèves. Je prends une feuille de classeur, plus par habitude qu’autre chose. Je sais par avance que l’enseignant va nous demander des renseignements pour mieux nous connaître. C’est le moment de se montrer évasive. Moins ce type en saura sur moi, mieux je me porterai. Je minimise les risques, permettre à un adulte de me connaître serait m’exposer au danger qu’il représente. On ne peut avoir confiance en personne si ce n’est soi-même. 

– Je suis monsieur Senduit…

Sans blague ?

– … je serai votre professeur principal et de littérature. Pour débuter, je vous propose un petit exercice qui changera des présentations coutumières de début d’année.

Super ! Un innovateur ! On va se fendre la poire !

– Avec votre voisin ou voisine de table, vous allez récolter des informations sur l’autre.

C’est du déjà vu, ça ! Ils font la même chose dans le roman Hush hush{2}, et Soren n’a rien d’un mec surnaturel, il me paraît bien trop benêt pour réussir à se faire passer pour un faux lycéen.

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