La femme du diable par Joseph Lafon
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La femme du diable par Joseph Lafon

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Extrait

T h e Pro je c t G u te n b e rg E B o
k o f L a fe m m e d u d ia b le , b y Jo se p h L a fo n -L a b a tu t
T h is e B o
k is fo r th e u se o f a n yo n e a n yw h e re a t n o c o st a n d w ith
a lm o st n o re stric tio n s w h a tso e ve r.
Yo u m a y c o p y it, g ive it a w a y o r
re -u se it u n d e r th e te rm s o f th e Pro je c t G u te n b e rg L ic e n se in c lu d e d
w ith th is e B o
k o r o n lin e a t w
w.g u te n b e rg .o rg
T itle : L a fe m m e d u d ia b le
A u th o r: Jo se p h L a fo n -L a b a tu t
Re le a se D a te : A u g u st 3 1 , 2 0 1 0 [E B o
k # 3
5 9 5 ]
L a n g u a g e : Fre n c h
C h a ra c te r se t e n c o d in g : IS O -8
5 9 -1
* * S TA RT O F T H IS PR O JE C T G U T E N B E R G E B O
K L A F E M M E D U D IA B L E * *
Pro d u c e d b y L a u re n t Vo g e l, C h u c k G re if a n d th e O n lin e
D istrib u te d Pro
fre a d in g Te a m a t h t p :/ w
w.p g d p .n e t (T h is
fi le w a s p ro d u c e d fro m im a g e s g e n e ro u sly m a d e a va ila b le
b y th e B ib lio th è q u e n a tio n a le d e Fra n c e (B n F /G a l ic a ) a t
h t p :/ g a l ic a .b n f.fr)
ΠU V R ES P O S TH U M ES D E J. LA F O N -LA BATU T
LA
FEMME DU DIABLE
PA R
Josep h LA F O N -LA BATU T
L auréat de l'Institut
AVEC UNE
P réface par JU L E S CL A RE T IE
E T U N E
N
OTICE BIOGRAPHIQUE PAR
G A BRIE L L A F O N
P É RIG U E U X
IM P RIM E RIE CH A RL E S RA S T O U IL , RU E TA IL
E F E R, 31
— —
1878.
LA FEMME DU DIABLE.
P RE FA CE
N O T ICE BIO G RA P H IQ U E S U R J. L A F O N -L A BAT U T
L A F E M M E D U D IA BL E
N O T E S
J. LA F O N -LA BATU T.
LA
FEMME DU DIABLE
LÉGENDEPÉRIGORDINE
P R ÉC ÉD ÉE D 'U N E
P réface p ar JU LES C LA R ETIE
ET U N E
N
OTICE BIOGRAPHIQUE PAR
G A BR IEL LA F O N
P É RIG U E U X
IM P RIM E RIE CH A RL E S RA S T O U IL , RU E TA IL
E F E R, 31
— —
1878.
P R E F A C E
D ans un des volum es posthum es de M
me
S and, il est souvent question de ces poètes populaires qui ont chanté loin du
bruit de P aris, et que leur province a adoptés avec une sorte d'entraînem ent plein de recon ais ance. Rouen, N evers,
A gen, N îm es, Toulon, bien d'autres vil es encore, ont eu leur poète local, et les nom s de Reboul, de Jasm in, de P oney,
l'auteur
du
Chantier
, de M agu, etc., ne sont plus à louer aujourd'hui. L a critique serait plutôt
enue de signaler à
l'at ention leurs
uc es eurs, car la veine de la poésie provinciale
t populaire
st loin d'être tarie. «Chaque an ée, disait
G eorge S and en 184 , ajoute à la liste de nouveaux nom s.— E t, continuait l'auteur des
L et res d'un Voyageur
, ces poètes
trouvent sur le sol natal
eur suc ès et leur
écom pense. Ils y trouvent aus i leur inspiration; et com
e la province ne leur
est point ingrate, ils ne sont pas ingrats envers el e; ils lui versent le charm e de leur poésie.» C'est bien là ce que fit
l'hom
e d'un talent véritable, dont M . G abriel L afon, avocat au Bugue, publie aujourd'hui cet e légende périgourdine, la
F em
e du D iable
.
Joseph L afon-L abatut est et restera le poète de notre P érigord com
e le chantre de la
M ignounet o
(c'était ainsi que le
coif eur
Jasm in
surnom
ait
M
me
Jasm in)
dem eure
le
poète
de
l'A genais.
Jasm in
d'A gen,
Roum anil e
d'Avignon,
P eyrol es de Clerm ont l'H érault, sont justem ent célèbres pour leurs poésies patoises. L afon-L abatut m éritait de le devenir
pour ses poésies françaises. Il aura eu, en ef et, cet e gloire
t cet e raison— d'être obstiném ent fidèle à la F rance, à sa
tradition, à son langage, tout en adorant son cher pays, sa saine
t virile province. L a petite patrie ne lui faisait pas oublier
la grande. O n es aie, à cet e heure, d'un m ouvem ent ardent de décentralisation lit éraire. Chaque partie de la nation
sem ble
vouloir
af irm er
un
individualism e
spécial,
un
particularism e
absolu.
L es
N orm ands
fêtent
la
P om
e
,
les
m éridionaux
la
Cigale
. Il est question, dans certains écrits, d'une
grande et noble captive
qui ne serait autre que la
P rovence, si m écham
ent
enue à la gorge par la F rance, qu'on traite
n m arâtre
t non en m ère dans ce cam p spécial. O n
rem onte, pour protester contre le F rançais, jusqu'aux hor ibles guer es des A lbigeois, com
e les A l em ands dont parle
H enri H eine rem ontaient jusqu'au m eurtre de Conradin. Ce serait là un sym ptôm e
t un spectacle égalem ent navrants
i
l'unité française pouvait être entam ée par l'am our-propre de quelques félibres, avides de se séparer pour se distinguer.
M ais, fort heureusem ent, au pays provençal m êm e, des patriotes de talent réagis ent contre la prétention de ces adeptes
trop fervents de F rédéric M istral. O n peut lire les écrits de la
L aueto
(l'A louet e provençale): l'idée vitale de la patrie
française plane au-des us du filial am our qu'ont ces latins pour leur L anguedoc.
Ce qui m e plaît dans l'art et la vie de L afon-L abatut, c'est que ce poète des
Insom nies et R egrets
, qui se plaisait aus i à
rim er des chansons dans notre patois du P érigord, a toujours été fidèle à la patrie
t ne se vantait point d'être P érigourdin
avant d'être F rançais, com
e l'auteur de
M ireil e
se proclam erait peut-être avant
out poète provençal.
Il est resté uni à m es prem iers
ouvenirs d'enfance, ce Joseph L afon-L abatut, dont M . G abriel L afon raconte si bien
l'existence
et avec
une
éloquence
si pénétrante
et si sim ple.
Je
m e
vois encore
à
Ratevoul,
près de
S aint-A lvère,
inter ogeant les vieux livres de la bibliothèque de m on grand'père. P arm i les livres aux reliures d'autrefois, à côté du
Corneil e tant de fois feuil eté, des
Incas
de M arm ontel ou du
F œneste
de d'A ubigné, qui fut un des prem iers rom ans lus
par m oi, il y avait, traînant çà et là, les pièces de théâtre de m on grand'oncle P élis ier, l'auteur de la
D am e du L ouvre
,
qu'il don a à la G aîté, en 1832, sous
on pseudonym e de
L aqueyrie
, et d'un fort beau dram e
n vers joué à l'O déon par
F rédérick-L em aître, L igier et L ockroy,
M édicis et M achiavel
, et qu'il signa de son nom . Je dévorais curieusem ent ces
pièces autrefois ap laudies, ces tragédies m aintenant oubliées.
D ans
Nel y ou la F il e ban ie
(un de ses m élodram es
ignés
L aqueyrie
), je m 'am usais à voir que l'auteur avait don é à
un de ses person ages le nom de son beau-frère, m on grand-père, qu'il avait ar angé à l'anglaise:
sir Clarthy
. C'était
F rancisque l'aîné qui représentait ce person age à la G aîté, en 1827. E t pour m oi, rien
'était plus curieux que cet e pièce,
où «l'hon ête Clarthy» pas ait— persécuté par «le cruel Botw el,» qui s'écriait à la fin (ce sont, s'il m 'en souvient, les
derniers m ots de la pièce):—
Je fus bien injuste! bien cruel!.
.
Clarthy, m on fils, je te confie le bonheur de Nel y!
»
Com
e ces aventures m 'ont fait rêver!
E t parm i ces volum es de Ratevoul, il y avait un exem plaire doré sur tranche, gaufré, superbe, des
Insom nies et R egrets
de L abatut. Je lisais ces vers. O n m e contait la destinée du poète, m on parent, m on cousin à un degré
loigné; je n'en sais
pas de plus douloureuse
t de plus noblem ent sup ortée.
Cent fois plus m alheureux que Chat erton ou E scous e, L afon-L abatut, aveugle, condam né à l'éternel e nuit, eût pu
désespérer et m ourir. Il n'avait pas as ez de m aladif orgueil pour finir par le suicide. N on, il peupla de visions
es
ténèbres; il calm a ses fièvres par des chants, et on put dire de lui com
e de D ém odocus: «L a M use qui l'aim a lui dispensa
le bien et le m al; el e le priva des yeux, m ais el e lui don a une voix m élodieuse.»
L 'unique volum e de vers que, de son vivant, publia le poète— ce volum e que j'em portais et lisais
ous les figuiers du
jardin— avait paru chez F urne avec
e titre:
Insom nies et R egrets
, une préface de P élis ier et une lithographie de S udre,
l'ancien profes eur de des in de l'aveugle, d'après une étude de H enri L ehm an . L a bel e tête de L afon-L abatut, avec ses
longs cheveux divisés
ur le m ilieu de la tête
t retom bant en m as es puis antes
ur son col, le visage m aigre
t régulier,
envelop é d'un col ier de barbe, et ces yeux fixes, sans regard, atones, don ait vraim ent l'idée de la souf rance
t d'une
souf rance plus profonde
t plus inévitable que cel e des M alfilâtre, des G ilbert et des H égésip e M oreau.
A us i,
com
e
cet e
poésie
m e
plaisait
et
m 'at endris ait,
m oi,
enfant
de
douze
ans!
Ces vers de
L afon-L abatut
paraîtraient bien incolores m aintenant aux poètes de l'école nouvel e, qui tordent et frap ent le vers com
e le forgeron la
bar e de fer
ouge sur l'enclum e. M ais il y a dans ces poésies de l'aveugle ce qui m anque trop souvent à ces nouveaux-
venus, aux versificateurs m ieux doués, sous le rap ort m écanique
n quelque sorte: il y a la profondeur du sentim ent et la
sincérité de l'ém otion.
S ainte-Beuve, étant délicat, se m ontrait volontiers dif icile. E t pourtant il a loué le naturel et la sim plicité de ces vers.
Il s'est fait l'introducteur du poète. Il a dit aux lecteurs de la
R evue des D eux-M ondes
[1]
: «É coutez!» M . J. T roubat n'a
réuni qu'une partie de cet article sur L afon-L abatut dans le tom e I
des
P rem iers L undis
, et j'im prim erai
ci les lignes
om ises, le feuil et oublié, du grand critique: «A près de tels ac ents de vérité, disait S ainte-Beuve qui don ait à ses lecteurs
une let re touchante de L afon-L abatut, on n'a plus qu'à citer quelques pièces.
N ous en pour ions trouver d'un ton plus
élevé, m ais inégales; nous aim ons m ieux en choisir de toutes
im ples, de naturel es, et faites, ce nous
em ble, pour
toucher.
E l es
ont beaucoup
lus pures d'expres ion que l'auteur ne paraît le croire; el es m ontrent com bien, chez lui, le travail
intérieur est pos ible, et qu'il n'a, pour se perfection er, qu'à se faire lire de bons m odèles (ils ne sont pas
i nom breux), et
à ne pas forcer sa voix, à la régler toujours
ur le sentim ent dont il est pénétré.» E t S ainte-Beuve citait à la suite les pièces
qui ont pour titre
U ne D ouleur
et l'
O iseau Incon u
, en avertis ant le public qu'il n'avait pas, devant ce nouveau-venu, à
faire l'
inat entif
et le
dédaigneux
.
O n ne dédaignait point, d'ail eurs, les poésies de L abatut, et, à cet e heure m êm e, M . de P ongervil e, le traducteur de
L ucrèce
, publiait dans le
M usée des F am il es
tout un petit rom an, l'
Aveugle du P érigord
, qu'il ustrait au crayon le peintre
Biard, alors
i fort à la m ode. Je rap el e ces m enus
ouvenirs com
e de petites curiosités lit éraires. M . G abriel L afon,
qui nous prom et un autre volum e posthum e de L afon-L abatut, les
D erniers T âton em ents
, réim prim era peut-être aus i les
p rem iers
R egrets
. Ce qui est certain, c'est que ce volum e est introuvable, et qu'on peut le regarder com
e une rareté
bibliographique.
Çà et là, dans ce recueil néces airem ent as om bri, de singuliers coups de lum ière éclatent, lorsque, par exem ple, le
m alheureux poète
s aie de rendre les visions d'autrefois, cel es de son enfance torturée déjà com
e sa vie:
Vague panoram a de m arbre
t de couleurs,
D e m adones au bout de longs chem ins en fleurs;
U n horizon qu'au loin des ine
U ne m er où se joue un fidèle soleil;
S erait-ce m on berceau? Tout s'ef ace. A u réveil,
M a langue m urm urait: M es ine!
E t après M es ine, c'est le Bugue, le pays paternel, la petite vil e périgourdine où le poète a trouvé un abri; le cercle de
coteaux qui défend le val on, et les vergers et les épis, et les rochers gris du Cingle, et la V ézère qui coule, oblique, au
pied
es vignes:
L a V ézère fuyant entre ses bords fleuris
A u lit de la D ordogne, où le beau fleuve épris
É treint sa blanche fiancée.
D e tels paysages aus i m e rap el ent le pas é, les ar ivées à P érigueux le m atin, la diligence du Bugue, les bois de
Ratevoul, le clocher de S aint-A lvère, la silhouet e sévère de L im euil, là-haut perchée com
e une vil e
spagnole. Com
e
au m oindre écho, les
ouvenirs d'autrefois
'éveil ent dans l'horizon aim é du ter oir natal!
L abatut a rencontré ses poèm es les plus virils dans la ter e qu'il a foulée. L '
A lm a parens
sera toujours la grande
inspiratrice. L e poète des
O des et P oèm es
, M . Victor de L aprade, ce fils des A lpes, ce chantre des chênes
i heureusem ent
séduit pourtant par la m use hel énique, l'a dit en des vers adm irables:
J'em prunterai m a force aux forces m aternel es;
N ature, ouvre tes bras à ton fils épuisé;
L ais e m a bouche at eindre à tes fortes m am el es:
Jam ais l'hom
e à ton sein
'a vainem ent puisé.
L e volum e d'
Insom nies et R egrets
avait valu à L afon-L abatut un prix de l'A cadém ie décerné grâce aux dém arches de
P onsard. L e poète pos édait aus i une petite rente qui lui suf isait. Il vivait et vieil is ait au-des us du Bugue, sur le
coteau, dans une m aison et e
ntourée de vignobles, et de là, chaque m atin, à travers les vignes, sans guide, il descendait
à la vil e, et, de m aison en m aison, se dirigeait seul chez ses am is du Bugue. A près avoir eu une
nfance sans joie, une
jeunes e sans regard, il s'était fait ainsi une vieil es e sans am ertum e. P arfois m êm e, il s'égayait, et, com
e l'ab é
F oucaud l'avait fait en L im ousin, L afon-L abatut rim ait aus i des chansons en patois. E t les an ées fuyaient.
L abuntur
an i.
L es ans
'écoulent.
ou s'écroulent. L a m ort venait. M . E dgar L a S elve, dans une étude touchante sur le poète, a
raconté com
ent, dans une dernière
ntrevue, L afon-L abatut lui dit, avec une am ertum e pourtant résignée: «A h! vous
voilà! C'est fini! Je m e m eurs! je m e m eurs!»
Il était aveugle depuis l'âge de quatorze ans, et il est m ort dans un âge avancé, sans avoir jam ais désespéré, sans avoir
m audit la destinée, heureux et consolé lorsqu'il pouvait chanter. «L a voix m e reste!» disait A ndré Chénier se com parant à
la cigale. E t L afon-L abatut pouvait, à son tour, s'écrier: «C'est as ez, il m e reste la chanson ou la plainte que je jet e aux
vignes ou aux figuiers du Bugue.»
O n a fait grand bruit autour du nom de Jean Reboul, et N îm es lui a m êm e élevé une statue où la pas ion politique a
bien autant fourni de m atière que l'adm iration lit éraire. L afon-L abatut ne m érite pas une statue sur la place publique,
m ais une statuet e dans un coin du logis de ses am is.
O n pour a graver sur le socle le titre du curieux m orceau que nous don e aujourd'hui M . G . L afon. C'est un tour de
force lit éraire que ce long poèm e, d'une originalité
vidente
t d'une charm ante naïveté, où le m êm e refrain revient après
tous les
ixains
ans nul e m onotonie,— au contraire,— et pareil à une sorte de coup de cloche tantôt ironique com
e la
fin d'une chanson narquoise, tantôt presque ef rayant com
e l'écho d'une vieil e bal ade: un vrai conte périgourdin
entendu sous la chem inée pendant qu'on fait blanchir les châtaignes
ur le feu et qu'on égrène les jaunes
panouil es
du blé
d'E spagne.
L afon-L abatut a victorieusem ent
enu cet e gageure de trouver des rim es nouvel es à ces deux vers volontairem ent
inévitables:
«S i le diable n'était pas beau,
«Il n'eût jam ais tenté person e!»
A us i bien, fort am usante, com
e récit, cet e légende de la
F em
e du D iable
st-el e
ncore tout-à-fait intéres ante
t
at irante au point de vue de la langue, d'une langue riche
t savoureuse com
e les raisins dorés de nos vignes, une langue
gail arde
t bien portante qui m e fait ajouter, en finis ant, un nouvel éloge pour L afon-L abatut, et le plus précieux peut-
être.
Je
le
louais
tout
à
l'heure
d'être
très-F rançais
en
étant
bon
P érigourdin.
A près
avoir
lu
la
F em
e
du
D iable
,
je
dirai
que,
dans ce curieux petit poèm e, le m élancolique songeur des
Insom nies
m ontre qu'il a dans les veines du sang pur de la
vieil e G aule.— G rande
t rare vertu pour un écrivain d'avoir pour aïeux M ontaigne, Rabelais, M athurin Régnier, tous ces
gens au libre parler, au verbe pit oresque!
C'est le génie gaulois qui fait la puis ance de la F rance
t lui com
unique sa sève éternel em ent jeune. E t quand on
nous parle si souvent de nos origines latines, de la race
t des vertus latines, n'oublions pas que nous
om
es plus G aulois
encore, plus Celtes que L atins, et que le prem ier de nos aïeux, le plus grand peut-être, fut ce Vercingétorix qui lut a
contre le César latin et don a sa vie pour ce qu'il avait déjà ap elé, lui, l'ancêtre:— l'
U nité de la P atrie
!
J
ULES
CL A RE T IE .
P aris. A oût 1878.
N O T I C E B I O G R A P H I Q U E S U R J . L A F O N -L A B A T U T
L a m use qui jadis de ses yeux l'a privé,
Cet e m use, à la fois et propice
t funeste,
A dans tous
es ac ords m is un charm e céleste.
(H om ère,
traduction par
A . Bignan.)
L 'am itié d'un hom
e qui restera une des gloires les plus pures du P érigord m e fait un devoir de consacrer ces quelques
lignes à sa m ém oire. Q ue ne puis-je, en cela, ap orter une plum e m oins inexpérim entée!.
J'ai con u un peu tard cet e
nature d'élite, as ez, néanm oins, pour pouvoir ap récier toute la vérité du célèbre aphorism e de Voltaire, et, s'il ne m 'a pas
été don é de jouir plus longtem ps de ce «bienfait des D ieux,» c'est que la m ort, la cruel e, vient de m e priver d'un m aître
au m om ent où ses leçons al aient enfin porter leurs fruits.
Q uoi qu'il en soit, m e saura-t-on gré, peut-être, d'avoir
éuni dans cet e notice les principaux événem ents d'une vie
féconde
n infortunes et qui fut cel e de notre regret é poète Joseph L afon-L abatut.
C'est dans cet espoir et com
e un sincère hom
age rendu à celui qui n'est plus que j'of re au public ce récit plein
d'enseignem ents, de souvenirs tristes et doux.
P endant les longues guer es que la F rance dut soutenir contre l'étranger, vers la fin du prem ier E m pire, P ier e L afon-
L abatut, jeune volontaire, originaire de la petite vil e du Bugue, s'était particulièrem ent distingué sur les cham ps de
batail e. Il venait de gagner ses épaulet es, récom pense de sa bravoure, lorsqu'il fut fait prison ier par les A nglais. A s ez
heureux pour s'évader, il s'éprit, à M es ine, où les événem ents l'avaient conduit, d'une jeune et bel e S icilien e qu'il
épousa. U n enfant, qui reçut le nom de Joseph, naquit de cet e union le 18 m ai 1809.
Bientôt après, pos édé du désir de revoir le pays natal, et sur les instances de M . P élis ier
[2]
, l'un de ses com patriotes et
am is d'enfance, P ier e L afon-L abatut se décide à gagner la F rance, où il espère trouver secours et protection.
Il s'em barque avec sa fem
e
t son enfant sur un vais eau anglais.
L e voyage s'an onçait heureux, et rien
e faisait présager le coup ter ible qui devait frap er nos fugitifs.
D éjà les côtes d'E spagne ap arais ent, se des inant dans le lointain: on ap roche de G ibraltar. M ais bientôt la joie fait
place à l'épouvante: sur les forts, sur les points culm inants du rivage flot e le drapeau noir, la peste vient de se déclarer, et
à peine le vais eau a-t-il relâché que plusieurs pas agers
ont déjà at eints de cet e fatale m aladie. L a fem
e de L abatut
fut une des victim es du fléau.
Ici se place un événem ent capital dans la vie du héros de cet e notice. L e souvenir de sa m ère transportée sur un chariot
à l'hôpital des pestiférés resta profondém ent gravé dans
a m ém oire, et souvent, dans
es
onges, il revit cet e fem
e si
bel e lui tendant les bras, tandis que ses grands yeux noirs, que la m ort com
ençait à voiler, se fixaient sur lui avec
et e
expres ion de bonté inef able dont le cœ ur d'une m ère a seul
e secret.
E t lui, jeune
nfant de cinq ans, se cram pon ait au char funèbre. «Je perdis m es
ouliers dans m a course, racontait-il
souvent, et m on père dut m 'ar acher à m a m ère; le lendem ain, il m e m ena près d'une tom be sur laquel e il jeta des
fleurs.
Je com pris que j'étais orphelin.»
Tel e fut la prem ière douleur du jeune Joseph. Ce n'était, hélas! que le prélude des revers inces ants qu'il devait
rencontrer dans ce dur chem in de la vie.
A près une longue
t péril euse traversée, nos intéres ants voyageurs débarquent à Calais.
L 'hiver sévis ait alors dans toute sa rigueur, et la neige couvrait la cam pagne. Q uel contraste
ntre ce ciel som bre
t
froid et celui de la S icile! M ais la patrie n'est-el e pas toujours bel e? L a seule pensée de se retrouver sur le sol français
faisait
res ail ir d'aise l'ex-prison ier et lui don ait le courage néces aire pour ar iver au but de son voyage.
Il se m et donc en route avec son jeune
nfant, le portant sur ses épaules quand, vaincu par la fatigue, ses pieds m eurtris
se refusent à la m arche, réchauf ant ses petites m ains rouges de froid, séchant ses larm es par la prom es e d'une prochaine
ar ivée.
E nfin, à neuf-heures du soir, par un tem ps pluvieux du m ois de janvier, nos voyageurs, ruinés et exténués de fatigue,
ar ivent à P as y et vien ent frap er à une m aison de bel e ap arence. C'est la dem eure de M . Raynouard, secrétaire
perpétuel de l'A cadém ie française, et de M . P élis ier, l'am i de L abatut.
N os pélerins
ont ac ueil is. O n pourvoit aux soins qu'exige leur état avec
et em pres em ent et cet e joie que m et ent les
âm es com patis antes à soulager le m alheur.
Q uelques jours après, ils repren ent la route du Bugue, où L abatut, m iné par les chagrins, ne tarde pas à m ourir,
lais ant son fils, parvenu à sa neuvièm e an ée, sans
ecours et à la charge d'une fam il e pauvre, qui devait bientôt se
disperser.
U ne bon e veuve, parente éloignée, voulut bien garder l'enfant chez el e; el e se l'at acha, devint sa seconde m ère, et,
charm ée des dispositions du jeune S icilien, lui ap rit
ant bien que m al à lire dans le seul
ivre qu'el e pos édait, les
F ables de L afontaine
.
Joseph voulut aus i écrire, et com
e le savoir de la bon e veuve n'al ait pas jusque-là, il dut se pas er de guide, se
form er lui-m êm e une écriture
n prenant pour m odèle le titre des fables.
U n vieux curé du vil age, ém u de pitié, recueil it l'enfant à son tour, lui enseigna ce qu'il savait lui-m êm e, et, au bout
de quelque tem ps, en fit un parfait enfant de chœ ur.
Joseph resta quatre ans dans le m odeste presbytère du vénérable pasteur, et pendant ces quelques an ées pleines de
calm e, de douces rêveries, il goûta ce bonheur sans m élange que procure aux âm es contem platives le spectacle toujours
nouveau de la nature. L e soleil em pourprant l'horizon com
e un vaste incendie, le papil on tournoyant dans les airs,
l'oiseau chantant dans le bocage, la source m urm urant sous la verdure, étaient pour lui autant de sujets de m éditation.
U n jour, une circonstance insignifiante
n ap arence vint lui révéler sa vocation. Ce fut la découverte d'une traduction
de l'
Iliade
d'H om ère,
vieux
bouquin
jaune et poudreux,
qu'il trouva parm i les quelques livres qui com posaient la
bibliothèque du bon curé. Ces récits m erveil eux de la guer e de T roie, ces ter ibles com bats de héros rem plirent son
im agination d'une ivres e céleste, et, s'aidant de l'argile
t du charbon, il reproduisait dans
on enthousiasm e les H élène,
les H ector et les A chil e du divin rapsode, de l'im
ortel
poeta sovrano
, com
e l'ap el e D ante A lighieri, cet H om ère
italien.
L a m ort du vieux prêtre vint bientôt le rap eler aux m isères de la vie réel e. L a fatalité qui le poursuivait le lais a de
nouveau sans res ources et dans un af reux isolem ent. L 'am i qui l'avait ac ueil i, jadis, avec son père, ayant fait un
voyage
n P érigord, tendit encore une m ain secourable au jeune
nfant et l'em
ena
vec lui à P aris. U n jour, conduit au
m usée du L ouvre, il fut ébloui, enivré, à la vue des chefs-d'œ uvre de Rubens, et, com
e le Cor ége après avoir adm iré
un tableau de Raphaël, il s'écria exalté: «E t m oi aus i je suis peintre!» S ans perdre de tem ps, stim ulé par l'am our de l'art,
il se m et à l'œ uvre avec une ardeur opiniâtre, et ses progrès furent
els qu'il pût entrer bientôt dans les ateliers de G érard,
un
des
m eil eurs
peintres
de
l'époque,
et
se
créer
en
m êm e
tem ps
un
m oyen
d'existence
dans
l'art
des
écritures
lithographiques. A l'abri du besoin et sur le chem in de la gloire, l'avenir s'of rait bril ant au jeune artiste. M ais il n'était
pas, hélas! au term e de ses infortunes. S es forces
'épuisèrent sous l'action de sa double tâche. U n soir, il rentra de l'atelier
les yeux sanglants; sa vue était at aquée, et les
ecours de la science furent im puis ants pour ar êter le m al. L 'influence du
clim at m éridional pouvait peut-être encore le sauver. Joseph revint au Bugue. Vain espoir; quelques jours après son
ar ivée, le soleil ne bril ait plus pour lui, la cécité
tait com plète.
Il n'avait alors que quatorze ans et se sentait, dès le début de la vie, vieil i par les m alheurs. Condam né à traîner ses
jours dans d'épais es ténèbres, il hésita; à côté des
ouf rances inouïes du présent, la m ort lui parais ait un refuge. F rap é
dans
es plus chères af ections, déchu de toutes espérances, presque sans pain, tenterait-il cet e dernière épreuve de vivre
dans ce tom beau des vivants, la cécité? A u m ilieu de ces lut es ter ibles livrées au désespoir, le ciel eut pitié du pauvre
aveugle
t lui envoya l'ange qui consolait jadis H om ère
t M ilton: la poésie, lum ière divine qui calm a ses douleurs. E l e
vint l'éclairer dans
a nuit, et, der ière ce voile épais qui le séparait à jam ais du m onde réel, il se créa dès lors un m onde
intel ectuel où il revoyait les m agnifiques tableaux de la nature, les bois, les val ons, les ruis eaux qu'il avait
ant aim é à
contem pler sous les feux du jour. N e pouvant plus être peintre, Joseph L abatut devint poète:
H élas! de tous ces biens, qui font seuls la jeunes e,
Q ue m e reste-t-il? Rien, gloire, espérance, am ours,
J'ai tout perdu! m on luth seul berce m a tristes e
D ans la nuit m onotone où s'éteignent m es jours!
A us i bien que des pleurs vous calm ez m a souf rance,
O vers! source bril ante où j'aim e à m 'abreuver;
A us i bien que ces voix qui parlent d'espérance,
Vous descendez d'en haut pour m e faire rêver.
Vous êtes la beauté, l'am our et la nature,
L e langage confus de tant d'êtres divers,
L es plus vagues parfum s que répand la verdure,
Tout, tout, ô poésie, ange éloquent des vers!
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
E nviron ez-m oi donc, consolez-m oi, génies,
P endant m es jours obscurs, m es longues insom nies.
D e vos m agiques dons devrais-je être déçu,
M oi qui, couvant des arts l'ardente frénésie,
D ans les tableaux fam eux lisais la poésie,
M oi que sous
on beau ciel
a peinture a conçu?
C'est ainsi qu'il chantait, et ses ac ents m élodieux surent at eindre souvent, grâce à une puis ante inspiration, les plus
hautes régions de l'art.
M ais si la poésie était venue at énuer ses souf rances m orales, il n'en était pas m oins plongé dans le plus grand
dénûm ent. D e trop nom breux exem ples, hélas! nous ont as ez prouvé que si la poésie ne conduit pas à la m isère, il est
bien rare qu'el e en tire. A us i, com bien de jeunes lit érateurs voyons-nous descendre de P égase pour ne pas y m ourir
d'inanition! E t n'est-ce pas là une des causes qui ont fait dire à notre ém inent critique S ainte-Beuve: «Il se trouve dans les
trois quarts des hom
es com
e un poète qui m eurt jeune, tandis que l'hom
e survit.» S ouvent donc sacrifier le poète
sera une néces ité pour sauver l'hom
e. M ais pareil sacrifice pour a-t-il toujours aisém ent s'ac om plir? Contrairem ent à
la lam pe qui, privée subitem ent de l'huile qui lui don ait la clarté et la vie, pâlit et s'éteint, l'hom
e vraim ent poète
survivra-t-il à la privation de cet e force chaleureuse, la poésie, qui était sa vie à lui? H abitant des dom aines enchantés de
l'im agination, pour a-t-il s'ac lim ater aux cham ps de la réalité, pas er ses jours à s'oc uper d'un lendem ain, vivre pour
vivre?
E n présence d'un tel problèm e, Chat erton, en A ngleter e, n'avait vu qu'une solution, cel e de s'em poison er. M alfilâtre
et plus tard G ilbert, en F rance, s'étaient lais és: le prem ier, m ourir de faim et de m isère; le second, entraîner par la folie
du désespoir sur un lit d'hôpital, où la m ort devait bientôt l'al er chercher. L a liste serait longue de ces pauvres m artyrs
m ois on és dès leur printem ps, par la faim et le suicide, pour n'avoir pu ac om plir ce divorce avec la poésie!
E n cet e circonstance
ncore, le courage de Joseph L abatut ne se lais a pas abat re par le m alheur, et, plus résigné que
ses frères en poésie, il quit a les
phères
ereines habitées par le poète pour chercher ail eurs une oc upation qui lui
procurât le pain de chaque jour.
Il im porte de dire qu'il restait encore de la fam il e ap auvrie
t dispersée de L abatut une pieuse fem
e, sœ ur de la
bon e veuve dont nous avons déjà parlé, et qui, dans la m esure de ses forces, vint à son secours. U n jeune chirurgien
l'entourait aus i, dans ce cruel m om ent, d'une touchante sol icitude. Ce jeune am i avait une petite fil e qui devint
l'A ntigone de l'aveugle, et celui-ci, touché de sa bonté, s'oc upa de dévelop er cet e tendre im agination en ap renant à
l'enfant les plus bel es fables de L afontaine, en lui racontant les épisodes d'H om ère, l'H istoire sainte, et
out ce qui était
capable d'orner son intel igence
n excitant sa curiosité.
L es progrès de la petite fil e éton èrent bientôt ses parents, la vil e entière en parla, et plusieurs pères de fam il e,
frap és d'un tel résultat, confièrent à L abatut le soin d'instruire leurs enfants.
C'est ainsi qu'il trouva les res ources qui lui m anquaient.
E t m aintenant, com
ent put-il ac om plir un pareil profes orat, obligé d'enseigner non-seulem ent ce qu'il ne pouvait
pratiquer lui-m êm e, m ais encore ce qu'il n'avait pas ap ris? C'est à une m ém oire prodigieuse, à une énergie indom ptable
au service d'une intel igence d'élite, qu'il faut dem ander le secret d'un pareil prodige.
Cependant, une tel e dépense de forces af aiblit bientôt la santé du jeune précepteur. L es élèves devinrent plus rares, et
le poète ne tarda pas à reprendre sa lyre un m om ent abandon ée. Il ap ortait alors à ses nouvel es com positions une
science plus ap rofondie de la prosodie et des con ais ances nouvel es des règles du langage; son im agination s'était
élargie, grâce aux nom breuses lectures orales qui lui avaient été faites, et c'est alors qu'il produisit de nom breuses pièces,
d'un rhythm e varié, aus i élevées que touchantes, adm irables de sentim ent, et que venaient rehaus er la pureté et la
sim plicité du style. Il travail ait dans le silence, se récitait ses vers à lui-m êm e, les cor igeait, les polis ait, et, enfin, les
dictait lorsqu'ils avaient at eint le degré de perfection voulu.
M . P élis ier, qui, de loin, veil ait
oujours
ur le m alheureux aveugle, ayant eu con ais ance de ses poésies, eut la
pensée d'en publier le recueil. Ce ne fut pas sans résistance de la part de l'auteur, qui, m odeste à l'excès, s'op osa
longtem ps à cet e publication. Il fal ut bien y consentir pourtant, car le peu de res ources qu'il avait pu recueil ir de ses
leçons dim inuait de jour en jour, et de nouveau la pauvreté se dres ait devant lui avec son hideux visage de spectre.
«.
. Vous le savez, écrivait-il à son bienfaiteur, ce n'est pas un vain désir de célébrité qui m 'a fait céder à vos instances,
et consentir à livrer au public des vers que j'aurais voulu garder pour m oi et pour quelques rares am is qui sont bien
obligés de sup orter quelque chose.
«S i, jusqu'à présent, je m 'étais toujours refusé à m e faire im prim er, c'est que je trouvais un autre m oyen de vivre; il m e
m anque aujourd'hui, et il faut bien, m algré toutes m es répugnances et m es craintes, que je m e décide à prendre ce
dangereux parti.
«L a douleur est m a m use, el e a tous m es
ecrets;
«A us i, je l'avouerai, n'est-ce pas
ans regrets,
«S ans cet e pudeur fière, aux m alheureux con ue,
«Q ue je livre aux regards m on âm e toute nue.
«M ais il
e faut, vous le voulez; et puisque c'est une dernière planche de salut, je vais encore m 'y hasarder.»
D es gens de cœ ur, et la pres e
l e-m êm e, vinrent s'as ocier à l'œ uvre si généreusem ent entreprise par M . P élis ier, à
l'initiative duquel nous devons de com pter un poète de plus. Voici com
ent l'
A rtiste
, journal des
alons, rendant com pte
d'une soirée lit éraire, saluait l'ap arition du nouveau-venu dans le m onde des let res:
«Ê tes-vous de ceux-là qui aim ent les
urprises en lit érature, et pour qui le talent a plus de prestige quand il se révèle
spontaném ent avec quelque
ntour
om anesque? E n ce cas, soyez en joie, car il se prépare une nouvel e ap arition en ce
genre. L 'autre jour, avant de partir pour quelque vil a des environs de P aris, M
me
la com tes e d'A goult avait réuni chez
el e un certain nom bre d'écrivains et d'artistes: M M . A lfred de Vigny, L ouis et H orace de Viel-Castel, M ignet, A rthur de
G abineau, A uguste D esplaces, L ouis de Rouchaud, H enri L ehm an , G eorges L ervegt et quelques autres; on ar ivait as ez
m ystérieusem ent convoqué pour une lecture. O r, il s'agis ait des poésies d'un jeune hom
e devenu aveugle au m ilieu
d'études ardentes faites en peinture, l'art vers lequel il se sentait
out d'abord entraîné. M . Bocage
[3]
a lu, avec cet e
pas ion qu'il m et à tout, une biographie très-dram atique du pauvre aveugle, rédigée, par la reine du salon, avec cet e
sûreté et cet e distinction de style que vous avez adm irées m aintes fois dans les pages
ignées D aniel S tern.
«L e poète ainsi con u dans
a vie, on devait écouter avec plus de faveur et d'intérêt les fragm ents de son œ uvre qu'on a
lus ensuite; m ais, de ses poésies je ne vous dirai rien, ne voulant pas vous enlever par des louanges et des critiques
indiscrètes le piquant de l'im prévu. U ne chose, toutefois, dont il est bon, à ce propos, de se féliciter, c'est que les fem
es
aient au cœ ur ce sym pathique souci des let res. A lors m êm e qu'el es
e trom pent dans leurs dévouem ents lit éraires, leurs
er eurs
ont généreuses et dignes. A us i, pour m on com pte, je regret e de ne pas les voir prendre plus
ouvent l'initiative
en cela; il
eur sied si bien de m énager un auditoire
t de l'om bre au talent délicat, violem
ent étouf é dans le vacarm e
contem porain, com
e une voix d'alouet e dans une rafale. C'est pourquoi, dans les rigueurs de sa destinée, le jeune
aveugle du Bugue doit se trouver encore favorisé du ciel, puisqu'il se produit au m onde poétique sous de tels auspices et
qu'il a rencontré une si noble m ar aine.»
L orsque l'ouvrage parut sous le titre d'
Insom nies et R egrets
[4]
, orné d'un portrait de l'auteur dû à M . L ehm an , avec
une notice servant de préface par M . P élis ier, il produisit une grande ém otion chez tous les cœ urs généreux, ac es ibles
au beau.
L es journaux de l'époque tém oignent hautem ent de l'ac ueil sym pathique fait à ce livre de poésies inspiré par le
m alheur; on com prit que ce n'était pas là une de ces douleurs fictives que réclam e l'élégie, m ais une ter ible réalité, et que
le pauvre aveugle ne faisait pas de m étaphores quand il s'écriait:
L a douleur est m a m use, el e a tous m es
ecrets.
Il faudrait un volum e pour citer tous les articles que la pres e consacra à l'intéres ant auteur. Je m e bornerai donc à
don er ici quelques extraits, qui suf iront au lecteur qui n'aurait pu se procurer l'ouvrage dont l'édition fut épuisée
n
quelques jours, pour se faire une idée du m érite de l'œ uvre
t des dif icultés qui, lors de son ap arition, sem blaient devoir
en com prom et re le suc ès:
«Voici un livre de poésies qui a produit une sensation profonde dans le m onde lit éraire. P aris
'en est ém u tout le
prem ier. L e livre venait pourtant du coin le plus reculé de la province, et l'on sait l'ac ueil réservé aux œ uvres écrites loin
prem ier. L e livre venait pourtant du coin le plus reculé de la province, et l'on sait l'ac ueil réservé aux œ uvres écrites loin
du centre des let res et des arts. M ais cel e-là portait avec el e une double recom
andation puis ante, cel e du m alheur et
du talent. Tout sem blait conspirer contre son suc ès. E t d'abord, le tem ps n'est guère à la poésie, bien que les vers n'aient
jam ais été plus nom breux. M ais qui dit poésie dit rêverie, et l'on
'a pas le loisir de rêver. Q ue l'on y soit ou non disposé,
sitôt qu'on a m is les pieds dans le m onde, il faut s'as ocier à sa vie active, pratique, m atériel e, bruyante, sous peine de
délais em ent et de m isère. S 'ar êter sur les bords du chem in pour contem pler le ciel, pour se replier en soi, pour
ecueil ir
ses pensées, pour analyser ses ém otions, pour chanter les unes et les autres, c'est courir le risque de voir les pas ants vous
jeter leur dédain ou leur pitié.
«Il faut, pour obtenir les
ym pathies et gagner la fortune et la gloire, d'autres goûts et d'autres oc upations; il faut
étouf er son cœ ur, couper les ailes à son im agination, et, les regards devant soi, s'avancer hardim ent dans le m ouvem ent
des af aires, dans le bruit et la fum ée, dans l'ef royable pêle-m êle des am bitions, des concur ences et des cupidités.
«O r, dans ces conditions-là, le m onde ne peut être qu'antipathique aux poètes, dont les chants ont besoin de silence pour
être
ntendus.
«Il est vrai qu'en dehors de la société pratique, il y en a une autre qui s'isole pour penser et m éditer, pour
ecueil ir
toute idée qui se produit; m ais cel e-là, on l'a rendue défiante par les déceptions qu'on lui a fait subir en m atière d'art et
de poésie. E l e croit peu au talent véritable depuis qu'el e
n a tant vu de faux; el e se défie des réputations nouvel es,
depuis qu'el e
n a tant vu d'usurpées; el e
st en garde contre les poètes plus encore que contre tous les autres; el e sait
com
ent, en ces dernières an ées, ils ont abusé de la crédulité publique pour nous don er leurs im pres ions intim es, d'où
sortait
oujours une triste im pres ion pour le lecteur. L es talents supérieurs eux-m êm es n'ont pas été à l'abri de ces
reproches m érités, et, à l'heure qu'il est, c'est à peine s'il reste, dans ce grand naufrage de la poésie, deux ou trois voix qui
aient le privilége d'ap eler la confiante at ention des am ateurs m ystifiés.
«D onc, quand le livre de L afon-L abatut fit son ap arition, on voit que ses chances étaient peu favorables. E t cependant,
à peine l'eût-on lu, que l'on en parla partout, là m êm e où l'on parle si dif icilem ent des publications nouvel es de la
province, c'est-à-dire dans la pres e de P aris. M . S ainte-Beuve em boucha le prem ier la trom pet e pour an oncer la
nouvel e
dans la
R evue des D eux-M ondes
[5]
. Avec sa rare sagacité, son vif sentim ent, sa rapide intel igence, il avait
découvert dans ce petit livre une délicieuse oasis, une source fraîche et lim pide d'inspiration, une nature nais ante et
vierge, des ém otions vraies, un style spontané, et
outes ces choses qui devien ent de plus en plus rares, à savoir la vérité,
l'ém otion, la grâce
t la pensée.
«Il est de ces hom
es qui com ptent la conscience pour quelque chose dans leurs écrits, et qui, dans la critique,
ap ortent autant de justice que d'esprit. O n s'ém ut donc de l'article de M . S ainte-Beuve, et on lut le livre de poésie de M .
L afon-L abatut. O n put se convaincre dès lors qu'il n'y avait eu à son égard ni exagération, ni engouem ent.
»
[6]
U n jeune poète, sous le pseudonym e de Benjam in, dans une critique des œ uvres de L abatut, insérée dans la
Colon e
t
l'O bservateur
[7]
, journal de Boulogne, s'exprim ait ainsi:
«.
L es
poésies
de
L afon-L abatut
sont
bel es,
palpitantes
d'intérêt,
souvent
pleines
d'énergie
dans
la
pensée
et
l'exposition,
riches d'im ages et de coloris,— la pointure s'y
retrouve souvent,— harm onieuses et
rès-variées dans le
rhythm e, ce qui les
auve de la m onotonie, cet écueil funeste à beaucoup de poètes. S ans doute, toutes ne sont pas
parfaites: quelques m orceaux, rares il est vrai, ac usent un peu d'incohérence dans la conception et d'obscurité dans la
form e; m ais, considérées dans leur ensem ble, el es n'en sont pas m oins l'œ uvre d'un poète qu'on ne peut que s'ap laudir
d'avoir lu et de pouvoir
elire souvent. L es m orceaux que nous aim ons le m ieux, et qui nous parais ent réunir le plus de
qualités poétiques, sont:
A pothéose
,
m a M ère
,
les A dieux
,
l'A bsence
,
A un E nfant
,
les H irondel es
,
A m on Chien
, etc.; et
parm i ceux où l'auteur s'est dégagé, com plétem ent ou en partie, de ses préoc upations person el es:
les Vents
,
les B ois
,
la
Cloche
, et surtout
le F ou
. Répétons-le: toutes les pièces qui com posent
Insom nies et R egrets
, m êm e cel es qui ne sont pas
ir éprochables, sont m arquées au coin de la bon e poésie. Tous ceux dont le cœ ur n'est jam ais resté froid
evant un beau
talent et une bel e âm e, unis à une grande infortune, voudront don er au poète aveugle une m arque de bienveil ante
sym pathie; les dam es
urtout, qui ont
oujours été pour lui une P rovidence ter estre; les fem
es, dont le cœ ur bat si vite à
l'aspect du m alheur et de la souf rance, voudront être les A ntigones de ce nouvel Œ dipe.
«E ncore un m ot à L afon-L abatut: dans le m orceau adres é à un
O iseau incon u
, il
ui dit qu'il voudrait que sa voix
solitaire fût, com
e la sien e,
l'am our d'un m alheureux
. S on désir ne sera pas
térile: toutes les douleurs
e touchent par
quelque point, et plus d'un m alheureux, en retrouvant dans
es vers ce qu'il a souf ert, em bel is des charm es de la poésie,
sentira renaître dans
es yeux de douces larm es qu'il croyait à jam ais perdues, et retrem pera son courage dans l'énergie de
sa volonté, dans le calm e de sa résignation. Q uant à son
om , qu'il aurait voulu garder ignoré, il sera prononcé, par tous
ceux qui le con aîtront, avec le respect et l'am our qu'il com
ande, et deviendra un des
ym boles les plus touchants du
poète m alheureux.
. »
[8]
L e
M oniteur
, le
Constitution el
, le
National
, le
M es ager
, la
P res e
, l'
Il ustration
, etc., suivirent l'exem ple don é, et
L abatut
recueil it
une
am ple
m ois on
de
sym pathiques éloges,
précurseurs de
la
haute
m arque
de
distinction
dont
l'A cadém ie française devait l'honorer en m et ant sur son front sa couron e de lauriers.
O n sait avec quel enthousiasm e fut ac ueil ie, en 1835, l'ap arition, à la Com édie-F rançaise, de
Chat erton
, dram e que
M . A lfred
e Vigny venait de tirer de son m agnifique rom an de
Stel o
.
L e sujet était bien fait pour soulever les at aques de quelques bourgeois égoïstes et à l'esprit étroit; aus i ne furent-el es
pas m énagées à l'auteur, que l'on ac usait stupidem ent de s'être constitué l'apologiste du suicide.
L 'opinion publique fit bon com pte de ces bas es ac usations, dictées le plus
ouvent par la jalousie im puis ante. L e
suc ès de la pièce fut éclatant et l'enseignem ent salutaire; les âm es com patis antes
'ém urent à ce ter ible tableau de
l'orgueil brutal et de l'égoïsm e se coalisant pour ter as er le génie, et, au sortir d'une représentation, M . de M ail é de
L atour-L andry écrivait à l'un de ses am is:
«Je viens de voir
Chat erton
. E h bien! M . de Vigny a raison. Q uand un poète se produit, on doit lui as urer au m oins
pour un an le pain quotidien, lui don er le tem ps d'es ayer ses forces, de les m ontrer, et de gagner le suf rage public. Je
sors de chez m on
otaire. J'ai
nstitué à cet ef et un prix de
quinze cents francs
que décernera l'A cadém ie.»
Tel es furent les circonstances qui présidèrent à la fondation de ce prix, et que j'ai cru devoir
ap eler.
D ans
a séance publique an uel e du 10 septem bre 1846, l'A cadém ie française, sur le rap ort de M . L ebrun, ac orda
par ac lam ation à Joseph L afon-L abatut le prix fondé par M . le com te de M ail é de L atour-L andry, et qui était ainsi
libel é:
«P rix
institué
en
faveur
d'un
jeune
écrivain
pauvre
dont
le
talent,
déjà
rem arquable,
paraît
m ériter
d'être
encouragé à poursuivre sa car ière dans les let res»
[9]
.
E n outre, pour
econ aître les prem iers ef orts du poète qui prom et ait un si bel avenir, et en m êm e tem ps pour l'aider
surtout à réaliser cet e prom es e, M . de S alvandy, m inistre de l'instruction publique, décida qu'il serait at ribué à L afon-
L abatut une indem nité an uel e de 80
francs.
M . Vil em ain, secrétaire perpétuel de l'A cadém ie française, fut chargé d'an oncer au lauréat la décision bienveil ante
dont il venait d'être l'objet.
C'est ainsi qu'à force de résignation, d'énergie
t de patience, le jeune poète venait de conquérir un titre à la célébrité,
en m êm e tem ps que des
ecours inespérés le m et aient désorm ais à l'abri de la m isère.
S tim ulé par le suc ès, L abatut ajouta à son œ uvre de nouvel es pièces de poésie, qui bientôt confirm èrent les espérances
fondées
ur son talent et qui ajoutèrent encore à l'intérêt qu'il avait déjà inspiré.
Il habitait, à l'extrém ité de la petite vil e du Bugue, une m aison solitaire, m odeste
rm itage riant aux rayons du soleil
levant, égayé par le chant des oiseaux et le perpétuel m urm ure de la V ézère. C'est là que vint le voir M . le com te H orace
de Viel-Castel, qui, ém erveil é des récits du poète, s'exprim ait en ces term es dans une nar ation de son voyage:
«.
L e souvenir de la journée que j'ai pas ée dans la m odeste dem eure de L afon-L abatut est un de ceux que je garde
précieusem ent en m a m ém oire; jam ais je n'oublierai cet e infortune si grande
t si noble du poète aveugle, ses chants
i
m élancoliques et si suaves, sa conversation si pleine d'intérêt, sa figure si bel e d'expres ion et de tristes e résignée. Je
reviendrai de nouveau dans
a dem eure, je l'écouterai m e récitant de nouveaux chants et s'inter om pant pour m e dire:
«P renez garde, m onsieur, je vous en prie; je vous ai entendu vous ap uyer contre m a fenêtre, et vous pour iez ef aroucher
un pauvre nid d'hirondel es qui s'est confié à m oi. Tous les ans, m es am ies de l'an ée précédente vien ent l'habiter; el es
m e con ais ent, el es m 'aim ent, je ne ferm e jam ais m a fenêtre pour leur lais er la liberté d'al er et venir à leur fantaisie.
Je les aim e sincèrem ent, ces pauvres hirondel es; el es ne s'aperçoivent pas que je suis aveugle!.
»
C'est à peu près à cet e époque qu'il reçut de Bergerac une adres e de félicitations
ignée de toute la vil e, et qui rendait
un
public et précieux
hom
age au
poète que quelque tem ps auparavant, à l'oc asion
du
couron em ent de Jasm in,
l'intel igente cité avait fêté et ap laudi.
Je transcris ici la réponse de L afon-L abatut:
«
MES IEURS
,
«Je suis vraim ent désolé qu'une absence de plusieurs jours m 'ait em pêché de prendre plus tôt con ais ance d'une adres e
qui m 'honore autant qu'el e m e touche.
«Je n'ai point oublié, je n'oublierai jam ais, m es ieurs, le jour où la vil e de Bergerac a vu dans
on sein un grand poète
d'une part et un grand m alheur de l'autre. Ce grand poète, c'était Jasm in; ce grand m alheur, c'était m oi.
«A cet e heure, m es ieurs, le génie
ut ses courtisans, c'était beau, et l'infortune ses flat eurs, c'était encore plus beau
peut-être.
Vous m e pardon erez, je l'espère, les épithètes que je vous don e ici; el es m e sem blent as ez justifiées et
en oblies par la circonstance; l'A genais
'en revint avec une m agnifique m édail e sur la poitrine, le P érigourdin avec un
bienveil ant ap areil sur le cœ ur.
«D epuis cet e époque, m es ieurs, j'ai bien souf ert.
c'est m a tâche sur la ter e. M ais une couron e et une aisance
inat endues
ont venues m e chercher dans m a solitude.
H élas! n'est-ce pas trop tard?.
«Q uoi qu'il en soit, je garderai et m ontrerai toujours la félicitation écrite de m es com patriotes com
e le plus beau titre
de nobles e dont m on faible talent puis e se vanter. P arm i les nom s qui la couvrent, quelques-uns m e sont ap arus com
e
de vieux am is, com
e une touchante im age du souvenir; les autres, que je désire con aître un jour, com
e une douce
prom es e de l'espérance.
«Recevez, m es ieurs, l'as urance de toute m a gratitude
t de m on dévouem ent le plus
incère.
«L
AFON
-L
ABATUT
O n voit, par les citations nom breuses faites dans cet e biographie, que L afon-L abatut, grâce à son talent, était devenu
un hom
e rem arquable et rem arqué. D 'autres titres le recom
andaient encore aux am is qui al aient le visiter. C'était
d'abord sa conversation savante, qui venait rehaus er le charm e d'une diction pure
t m élodieuse. Il pos édait de plus ce
don bien rare, quoiqu'on en dise, de l'esprit gaulois, quelquefois caustique, il est vrai, m ais à qui l'on pardon ait bien vite,
car l'on con ais ait la bonté de l'hom
e
t son exquise sensibilité de cœ ur.
E nfin, aim é et estim é de tous ceux qui l'ap rochaient, L afon-L abatut consacra entièrem ent le reste de ses jours au
com
erce des M uses, chantant ses
ouvenirs, ses aspirations, avec
et e vérité de sentim ent et cet e douceur philosophique
qui distinguent ses prem ières œ uvres.
Q uand la vieil es e vint le surprendre, vieil es e que tant d'infortunes avaient rendue précoce, il se trouvait au m ilieu de
parents qui, com
e lui, longtem ps
ecoués par la tem pête, avaient dem andé à de durs labeurs un peu de place au soleil.
U ne longue m aladie de cœ ur, contre laquel e vinrent échouer les
ecrets de la science m édicale et les
oins les plus
em pres és, l'enleva à ses concitoyens le 5 juil et 187 .
C'est ainsi qu'il m ourut ou plutôt s'éteignit doucem ent en souhaitant à ceux qui l'entouraient le bonheur qu'il avait si
peu con u.
L e recueil des poésies inédites qui m e fut confié par notre regret é poète, lors des prem ières at eintes de la m aladie qui
devait l'em porter, est le fruit de trente an ées de travail.
U ne
xces ive m odestie, jointe au désir d'at eindre toujours un plus haut degré de perfection, em pêchèrent l'auteur de
livrer à la publicité ses nouvel es créations. E t pourtant, que de progrès ac om plis depuis l'époque où parut son prem ier
ouvrage! Tout ici est d'un fini parfait, et, sauf quelques rares inégalités, tout y porte les traces du génie poétique. C'est
surtout dans l'élégie que se révèle son talent; c'est là que bril ent, avec le plus d'éclat, cet e grâce
t ce naturel qui gardent
les œ uvres de vieil ir.
O n a reproché à L afon-L abatut un peu d'uniform ité, résultat inévitable de ses chants com posés
ous une im pres ion
person el e, cel e de son m alheur. Il a tenu com pte de la critique; oubliant ses
ouf rances, il a produit de nom breuses
pièces où il s'est, pour ainsi dire, isolé de lui-m êm e. P arm i ces m orceaux, l'on rem arque surtout:
l'Im pôt
,
les Inventions
,
le Tableau
,
U n de Trop
,
Jadis et M aintenant
,
la R encontre
,
les L az aroni
,
l'A beil e
,
le Vieux G ardeur d'O ies
,
le Sobriquet
,
etc.
E n livrant prochainem ent à la publicité ces poésies com plètes
ous le titre m odeste de
D erniers T âton em ents
que leur a
don é l'auteur, je ne ferai que céder aux instances des am is du poète et au désir exprim é par la S ociété historique et
archéologique de la D ordogne
[10]
.
L a
F em
e du D iable
publiée aujourd'hui est une des pièces les plus rem arquables du recueil, un véritable chef-d'œ uvre
par l'ordon ance
t le pit oresque du récit, un éton ant
our de force poétique par le retour périodique des m êm es rim es.
L e suc ès obtenu par les prem ières œ uvres de L afon-L abatut m e garantit l'ac ueil favorable du public pour ces adm irables
strophes qui justifient si bien cet e pensée de Victor H ugo prise par le poète aveugle com
e épigraphe à ses
D erniers
T âton em ents
:
Q uand l'œ il du corps
'éteint, l'œ il de l'esprit s'al um e.
G
ABRIEL
L A F O N .
L e Bugue (D ordogne), Juin 1878.
LA FEMME DU DIABLE
LÉGENDEPÉRIGORDINE.
Je suis celui qu'on aim e
t qu'on
e con aît pas.
S ur l'hom
e j'ai fondé m on em pire de flam
e,
D ans les désirs du cœ ur, dans les rêves de l'âm e,
D ans les liens des corps, at raits m ystérieux,
D ans les trésors du sang, dans les regards des yeux.
(A lfred
e Vigny.)
I
E nfant, de légendes avide,
J'ai souvent entendu parler
D 'une fem
e sèche
t livide
Q u'un sort fatal sem blait voiler;
O n l'ap elait, D ieu m e pardon e,
L a F em
e du D iable, au ham eau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
A u fond
'une gorge sauvage
Q ui s'étrécit en enton oir,
S ans voisins et sans parentage,
S ans am is qu'un gros m atou noir,
E l e habite un bouge où foison e
L a fêve grise, le sureau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
D edans, sur une planche haute,
S e riant du m iauleur af reux,
U ne souris rouge y grignot e
U n livre d'heures tout poudreux,
E t dehors, une poule aphone
Y grat e un fétide ter eau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
N ul gril on dans la chem inée,
N ul
ier e au m ur se cram pon ant,
P as de ruche au soleil tournée,
N ul pauvre qui, s'en revenant,
Rende un
pater
pour une aum ône
A u seuil m audit de ce closeau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
O n dit qu'el e avait été bel e,
M ais m on enfance n'y voyait
Q u'une grande sem piternel e
D ont l'air farouche m 'ef rayait;
L e tem ps, qui fauche
t qui m ois on e,
Avait
out flétri sur sa peau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
L a vieil e servante d'un prêtre,
Chez qui j'ai fait bien des péchés,
L orsque la bise à la fenêtre
G eignait dans les trous m al bouchés,
M e fit, encore j'en fris on e,
D e cet e histoire un long tableau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
Je vais, grâce au ciel qui m 'éclaire,
D e quelques traits l'am plifier,
Ce, afin que le populaire
S 'en puis e m ieux édifier;
E t sur un air je m e chanson e
P our plus durable
m em ento
:
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
I
Jean e était une paysan e
S i fraîche sous
on bavolet,
S i pim pante, la pauvre Jean e,
D ans la serge qui l'habil ait,
Q u'en pour, m adam e la baron e
E ût don é m aint et m aint joyau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
Car, aux cham ps où Jean e était née,
E l e prit sa tail e d'osier,
L 'air d'une aim able m atinée,
U n ros ignol dans
on gosier;
S a joue
m pruntait, verm il on e,
L e ferm e éclat du bigar eau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
Com
e une oronge
l e était blonde;
S on corps de grâce était pétri;
A us i légère qu'une aronde,
E l e
n avait le joli cri;
E t blanche neige qui flocon e
L a jalousait sur le plateau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
Q u'el e se courbe
n m ois on euse,
Chantant dans le blé des guérets;
Q u'el e se redres e
n faneuse
D er ière nos faucheurs distraits,
L e sceptre qu'on am bition e,
C'est sa faucil e ou son rateau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
F inalem ent, dans la prairie,
A la fontaine, aux sentiers verts,
P artout, pleins de sorcel erie,
S es yeux vifs, de longs cils couverts,
Tournaient la tête qui grison e,
A languis aient le pastoureau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
Q u'il eût m ieux valu, pour son âm e,
Brider ses fantasques hum eurs,
Vivre laide, exem pte de blâm e,
A u sein de nos benoîtes m œ urs,
S e m esurer selon son aune,
E t ne pas
'éprendre à vau-l'eau!
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
I
I
Il advient qu'au quartier de lune
O ù se vautre le m ardi-gras,
Q uand sur les pignons, dans la brune,
E n jurant s'ac ouplent les chats,
L a m uset e qui s'époum on e
P roclam e grand bal au flam beau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
I V
D ans ce récit, que nous confirm e
P lus d'un respectable tém oin,
Jean e, avec une aïeule infirm e,
Vivait, du vil age as ez loin;
F ruit m ûr et bouton qui fleuron e
Rarem ent ont m êm e ram eau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
É clipser toutes
es com pagnes,
Jean e brûlait de ce désir.
A insi qu'à la vil e, aux cam pagnes,
G loriole nuit au plaisir;
G loriole, hélas! em poison e
Bal dans un L ouvre ou sous l'orm eau!
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
«— M on enfant, m urm urait l'aïeule,
«E n proie aux af res de la m ort,
«D e m e lais er m alade
t seule
«N 'aurait-tu pas quelque rem ord?
«M on ange gardien m 'abandon e
«D ès que tu quit es m on rideau.»
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
«S ouviens-toi, m a douce Jean et e,
«D e tes parents en paradis;
«S ouviens-toi d'être fil e hon ête,
«D e m es
oins prodigués jadis;
«Q u'en m ourant, ta m ère si bon e
«M e légua ton petit berceau.»
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
«E l e
st m auvaise conseil ère,
«L a vanité, m a chère
nfant;
«Ayons recours, par la prière,
«A la Vierge qui nous défend;
«S im ples e
t vertu, de son trône
«D escendront
e faire un trous eau.»
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
«F as ent Jésus et ses apôtres,
«Avec saint Joseph, l'artisan,
«E t saint Roch, patron de nous autres,
«H um ble race du paysan,
«Q ue D ieu le père nous guerdon e
«E n bénis ant notre hoyau.»
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
«N e m 'abandon e pas; naguère,
«Com
e autrefois d'os et de chairs,
«M 'ont ap aru dans leur suaire
«N os pauvres défunts les plus chers;
«E t leur m ain pleine d'argém one
«M e m ontrait un soleil nouveau.»
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
Jean e obéit, non sans blasphêm e,
N on sans
e dire
ntre les dents:
«— F ut-ce avec le diable lui-m êm e,
«Je danserai là-bas, dedans
«Cet e m asure qui rayon e,
«O ù ricane le chalum eau!»
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
V
S itôt que l'aïeule as oupie,
Confiante, a ferm é les yeux,
Jean e, que pous e un bras im pie,
S 'ap rête à pas
ilencieux.
L e vieux calel de cuivre jaune
L anguit éteint sur l'escabeau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
O h! précaution ténébreuse!
O h! coupable
t funeste ap rêt!
E t
u vas fuir, fuir, m alheureuse,
Ton lit si blanc et si propret,
D oux nid où l'am our te chanton e
L es
onges de ton renouveau!
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
E t si pendant qu'ail eurs tu veil es,
P our com ble d'épouvantem ent,
L a m ort vient surprendre ta vieil e
Avant les derniers
acrem ents!
Q ui sait? P eut-être la félone
P orte la m ain au loqueteau!
S i te diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
F uyant la grand'm ère abusée
Q ui lui tint lieu de ses auteurs,
E l e descend par la croisée:
C'est la porte des m alfaiteurs.
D 'abord, el e hésite
t
âton e;
L 'om bre l'étreint de son bandeau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
P lus loin, el e tres ail e: un lièvre
S 'éveil e
t part à son côté;
U n buis on l'ac roche; un genièvre
S em ble agir dans l'obscurité;
U n renard glapit et bracon e
A ux trous es de quelque étourneau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
E l e écoute:— A travers la haie,
Q u'est-ce qui sanglote tout bas?
— E l e regarde, el e s'ef raie:
— Q u'est-ce donc qui se m eut là-bas?
— U ne om bre indécise y m âchon e
— Je ne sais quoi dans le préau;
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
E xhalant de brusques huées,
P areil es aux cris des dém ons,
L e vent déchire les nuées
Q ui se ras em blent sur les m onts;
L e ciel frileux s'encapuchon e
D ans leurs plis traînant en lam beau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
Bientôt une flam
e qui bril e,
U n bruit lointain de flageolet
Vient égarer la jeune fil e
S ur les traces d'un feu-fol et;
U n incon u jà la talon e,
A ux yeux perçants
ous grand chapeau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
U n plum et sur sa chevelure
Va rouler en se rem uant,
Courtoise
st
oute son al ure,
S on abord est insinuant;
D u haut en bas il s'environ e
D es ondes d'un am ple m anteau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
«— L a nuit aveugle a bien des piéges,
«G ente dam oisel e; est-ce à vous
«D 'al er braver ses
ortiléges,
«S es lutins et ses loups-garous,
«E t le fier bandit qui rançon e
«L a bachelet e incognito?»
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
A ce seul nom de dam oisel e,
L a sim ple fil e du m anant,
G agnée à la voix qui l'ap el e,
S e retourne
t va chem inant,
Côte à côte, alerte
t fripon e,
Avec l'étrange Jouvenceau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
C'est que le bal et les fleuret es
Avaient détraqué sa raison,
L 'éloignant des œ uvres discrètes,
D es devoirs et de l'oraison,
S i bien qu'on l'avait vue, au prône,
S ourire à tel godelureau.
S i le diable n'était pas beau,
Il n'eût jam ais tenté person e.
«— Confiez-vous à m a prudence,
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