La Vie peu ordinaire de Madeleine Lenoir
121 pages
Français

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La Vie peu ordinaire de Madeleine Lenoir , livre ebook

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Description

Madeleine a dix-neuf ans lorsqu'elle perd ses parents. Elle est alors prise en charge par son oncle et sa tante, marchands de vins et de spiritueux, non loin des abattoirs de La Villette. C'est le point de départ d'une vie hors du commun.

Dans le Paris des années 20, elle pose pour Modigliani, se lie d'amitié avec Soutine et le sculpteur Alfred Boucher. Elle côtoie Cocteau et Picasso. Puis elle découvre l'Amérique d'Edward Hopper, la Factory d'Andy Warhol et les concerts mythiques de Woodstock.

Le 26 décembre 1999, la tempête Lothar menace une bonne partie de l'Europe. Dans la maison de ses parents, au Havre, Madeleine se souvient...


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 décembre 2014
Nombre de lectures 49
EAN13 9782368860663
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Vincent Martorell
La Vie peu ordinaire
de Madeleine Lenoir
Roman
© 2014 NeoBook Édition « Cette œuvre est protégée par les droits d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »
À mon père qui aurait eu cent ans en 2013 Un grand merci à mon éditrice, Agnès Beauquel, pour son aide et la confiance qu’elle me témoigne.
– 1 –
Quatre janvier 1900. Je fais mon entrée dans le monde. Mes parents choisissent de m’appeler Madeleine, Léontine, Marie-Antoinette, Augustine. Et mon histoire débute dans une famille heureuse. Mon père et ma mère firent un mariage d’amour. Mes parents se rencontrèrent alors que ma mère était seconde vendeuse dans la boutique de chapeaux pour dames située au 14 de la rue Montplaisir au Havre.Au bon goût parisienappartenait à la famille de mon père depuis cinquante ans. Mon père lui fit la cour et elle ne fut pas insensible à ce jeune homme aux cheveux bruns, au visage franc qu’illuminait une paire d’yeux d’un bleu tendre. Six mois après, elle lui dit oui pour la vie, et ce fils de famille bourgeoise, devenu trop tôt orphelin, garda des yeux plein d’amour pour celle qui resta comme l’unique femme de sa vie. Ma mère venait d’un milieu modeste pour ne pas dire pauvre. Amélie était l’aînée de quatre enfants. À l’âge de seize ans, sa famille fut frappée par un terrible drame. Jeanne, ma grand-mère maternelle, femme robuste et volontaire, fut renversée puis écrasée par un tramway alors qu’elle se rendait à pieds à l’usine d’embouteillage où elle travaillait plus de dix heures par jour. Son mari Armand était un homme taiseux, diminué par une blessure reçue au siège de Sedan. Devenu veuf, il ne changea aucune de ses habitudes et il passait ainsi le plus clair de son temps dans un bar à vin proche de la maison familiale. Souvent, lorsqu’il rentrait au petit matin, et alors que l’alcool troublait sa raison, il n’hésitait pas à asséner des coups à ses propres enfants. Mon grand-père poursuivit son office de destruction un an encore avant qu’on ne le retrouve raide mort, le crâne fracassé, victime sans aucun doute d’une mauvaise rencontre. Devenues orphelines, ce fut donc ma mère qui prit en charge le reste de cette famille marquée par la pauvreté, la violence d’une classe sociale qui luttait chaque jour pour sa survie. Tant bien que mal, elle assuma toutes les responsabilités, mais si Amélie trouva cet emploiAu bon goût parisien,ses autres sœurs connurent des fortunes diverses. Apollonia, la plus jeune, possédait un caractère bien trempée et malgré ses 14 ans, elle en paraissait plus. Chaque jour, elle faisait mine de prendre le chemin de l’école, mais elle passait ses journées à traîner dans les mauvais quartiers de la ville. Un soir de septembre, elle disparut. La police chercha un peu, mais nous étions dans une période de grande grève, la maréchaussée était mobilisée pour rétablir l’ordre à la demande des grands armateurs et la disparition d’Apollonia passa donc au second plan. Ce ne fut que dix ans plus tard que l’on apprit qu’elle était devenue
pensionnaire d’un établissement pour messieurs situé en bord de Seine. Elle finit sa vie comme fille à soldats dans le plus grand bordel d’Indochine à l’âge de 27 ans. Lucienne, la cadette, avait eu nettement plus de chance. Un jeune aristocrate anglais, Harold Kenbury troisième du nom, lui fit une cour assidue. Le parti était honnête et en tant qu’aînée, ma mère donna son accord. Après le mariage, ils s’installèrent dans un quartier chic de Londres. À chaque noël, nous recevions un colis venant de l’autre côté du Channel. Il y avait des confiseries délicieuses, du thé, mais aussi des spécialités culinaires que je jugeais parfaitement immangeables. Mais j’adorais ma tante. N’ayant pas eu d’enfant, elle ne ratait jamais une occasion de me gâter. Mais depuis son départ pour les Indes, les colis se firent plus rares. La sœur la plus proche de ma mère s’appelait Constance. Cette longue et belle jeune fille aux cheveux roux se passionnait pour la couture. C’était l’artiste de la famille. « Elle a des doigts en or », ne cessait de me répéter ma mère. Rapidement remarquée pour ses talents, Constance fut embauchée dans un atelier spécialisé dans les costumes de théâtre. On raconta que le costume porté par Sarah Bernhard dans l’Aiglon avait été entièrement confectionné par sa sœur. Elle passait de temps à autre nous voir. Et lorsque les deux sœurs se retrouvaient, on sentait bien qu’elles étaient liées par des sentiments extrêmement forts. Les au revoir étaient douloureux pour ces deux-là. Mais Constance maintint un lien épistolaire avec nous. Il n’était pas rare de recevoir des lettres venant des quatre coins de la planète. Dans une petite boîte, je conservais les timbres que ma tante choisissait avec soin. Constance était une femme libre, elle menait sa vie comme bon lui semblait et se moquait comme de son premier jupon de ce que les gens pensaient. Elle qui avait fait le choix des filles plutôt que des garçons.
– 2 –
Après l’école, je passais le plus clair de mon temps, une fois mes devoirs terminés, assise sur un tabouret entre deux feutrines, rubans et autres voilettes tout à côté de la caisse enregistreuse. Là, je prenais la pose comme ma mère qui, d’un seul regard, embrassait la totalité de son royaume. Le jeudi, je profitais de cette journée, après mes corvées et mes devoirs, à observer en silence les femmes de la bonne société havraise qui fréquentaient avec assiduité le magasin de mes parents qui, malgré l’éloignement avec la capitale et la bourgeoisie de la ville, trouvait tout ce qui compte pour suivre au plus près la mode. Je suis encore trop jeune pour décider seule de ma garde-robe, mais c’était avec goût que ma mère choisissait pour moi. Être ainsi entourée par de si jolies choses me donnait très vite envie de reproduire ce que je voyais. Et je savais que mon père et ma mère envisageaient, si je persistais dans cette voie, à me faire suivre des cours de modélisme. Sur du papier d’emballage, je traçais mes premiers croquis, puis on m’offrait du papier Canson et une boîte de crayons de couleurs. Je traçais les courbes, colorie de tons pastels les robes aux tailles de guêpes imposées par le port du corset, mais aussi celles dont l’embonpoint et les formes généreuses – très appréciées à l’époque – qui faisaient leurs achats. Parfois, ma mère montrait mes dessins à ses clientes, ce qui me gênait un peu. Mais je sentais dans son regard tant de fierté que jamais je ne lui en aurai fait le reproche. Mon père était plus discret, mais je savais qu’il était tout comme son épouse fier de moi. La boutique de mes parents sentait la cire. Trois fois par semaine, une fois la boutique déserte, la première vendeuse, ma mère et moi, passions avec application sur les meubles cette pâte épaisse, de couleur ocre que nous étalions consciencieusement avec un chiffon doux. Mon père, lui, profitait de ce moment pour s’installer dans son bureau, où il faisait le point sur les ventes et préparait les bordereaux de commandes pour le lendemain. Une fois terminé, il nous rejoignait pour un moment que j’affectionnais particulièrement. Tous ensemble, munis de grands balais à franges, nous passions et repassions sur les lattes de bois du parquet. Puis c’était le tour des meubles bas et de leurs nombreux tiroirs, et du grand comptoir. Une heure après, tout était propre comme un sou neuf ! En aplomb du grand comptoir qui brillait sous les lustres, des modèles de chapeaux étaient exposés de manière harmonieuse sur des étagères – elles aussi cirées –qui s’élançaient jusqu’au plafond. De chaque côté se trouvaient de longues colonnes en bois brun, composées de tiroirs, avec leurs numéros tracésà
l’encre noire sur de minuscule carte jaune vif.Àtiroir sa fonction et so chaque n numéro était référencé dans un grand livre, sorte de catalogue actualisé une fois par an que mon père gardait précieusement dans son bureau. Plusieurs fois par jour, mon père ou ma mère faisait glissés le long d’une barre en cuivre les crochets d’une échelle pour accéder aux plus hauts tiroirs. Le son qui s’élevait était analogue aux roues des trains qui glissent sans efforts sur les rails de la gare toute proche. Une fois sur l’échelle qui allait d’un bout à l’autre du magasin, mon père ne manquait aucune occasion de faire le pitre. Le plus souvent il imitait un singe qui déguste une délicieuse banane. Ma mère riait aux éclats. Moi, feignant d’avoir peur du grand primate, je poussais des petits cris tout en me réfugiant contre la jupe de maman. Certaines clientes sanctionnaient ce petit jeu innocent par des regards sévères, mais d’autres en revanche applaudissaient l’acrobate qui saluait et envoyait des baisersà tout son public. Mes parents aimaient leur métier, ils le faisaient avec bonheur. Et il ne se passait pas une journée sans qu’ils s’adressent des regards complices. Durant toute mon enfance, c’était toujours dans la bonne humeur que chaque matin à neuf heures précises, sauf le dimanche, je voyais mon père faire coulisser les énormes grilles qui protégeaient la vitrine principale de cette boutique :Au bon goût parisiensituée 14 rue de Montplaisir au Havre. Ma mère reprenait sa place derrière la caisse, la première vendeuse, rectifiait un ou deux chapeaux, et mon père essuyait avec application les lorgnons qu’il ne quittait que pour dormir. Lorsque les premières clientes arrivaient, elles faisaient tintées une petite clochette en cuivre, placée judicieusement au-dessus de l’encadrement, qui les raccompagnait lorsqu’elles quittaient le magasin. Durant ces deux intervalles, la rumeur de la rue venait jusqu’à nous : le cri si particulier du rémouleur ou la harangue d’un rempailleur de chaises, mais aussi l’odeur si forte du crottin de cheval, les rires et les parfums lourds capiteux des cocottes qui partaient travaillés au café concert tout proche. C’était une porte magique, je la baptisai : la porte des quatre saisons. L’hiver, le vent s’amusait à mordre les visages, à déformer la démarche des gens qui, sur les trottoirs, se hâtaient de rentrer chez eux, tout enveloppés des flocons de neige virevoltant de crinolines en voilettes, de casquettes en haut de forme. Si une cliente franchissait la porte du magasin, elle était suivie par ces cristaux translucides qui tombent en silence sur les lames du parquet ou s’évanouissent au contact des pieds de fontes du poêle à bois. Trônant au milieu de la pièce, c’était une machine extraordinaire ! Elle était en céramique verte, d’un vert puissant comme l’eau d’un étang qui s’est laissé envahir par de mauvaises herbes. De chaque côté, le fabricanta posé sa marque : deux salamandres en relief se tortillant au-dessus de flammes émanant de l’Enfer lui-même. Mais le plus impressionnant pour moi, c’était lorsque mon père ouvrait la grille de la façade qui masquait une petite porte métallique qui avalait une ou deux bûches. Dès lors, une douce chaleur irradiait le premier comptoir
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